Origine : htt ://foucault.info/foucault/malfaire.html
"Mal faire, dire vrai" : entretien de Michel Foucault avec
André Berten 1981, institut de criminologie, université
du Louvain, notes extraites d'un document vidéo BNF environ
47 minutes.
"Mal faire, dire vrai" :
entretien de Michel Foucault avec André Berten 1981 http://1libertaire.free.fr/Foucault13.html
(. . .) S’il y a dans ce que je fais une certaine cohérence,
elle est peut-être plus liée à une situation
qui nous appartient à tous les uns et les autres—dans
laquelle nous sommes tous pris—plus qu’à une
intuition fondamentale ou pensée systématique.
(. . .) Tâche de la philosophie : dire qui nous sommes, qu’est-ce
que notre présent ? Une question qui n’aurait pas eu
de sens pour Descartes, qui commence à avoir du sens pour
Kant (Was ist Aufklärung ? ), en un sens la question de Hegel
et de Nietszche.
(. . .) Alors comment j’en suis venu à ce genre de
question ? 2 mots sur notre histoire intellectuelle aux uns et aux
autres ; vers 1950, le mode d’analyse phénoménologique
était la philosophie dominante sans « despotisme »
mais quand même un style général d’analyse
qui revendiquait l’analyse du « concret ». On
peut de ce point de vue rester un peu insatisfait car ce «
concret » restait un peu académique, universitaire,
vous aviez des objets privilégiés : l’expérience
vécue ou la perception d’un arbre à travers
la fenêtre du bureau –enfin je suis un peu sévère
mais. . . bon. . . le champ d’objet était prédéterminé
par une tradition philosophique et universitaire qu’il valait
peut-être la peine d’ouvrir.
=> 2ème forme de pensée dominante : le marxisme
=> 3ème courant en France l’histoire des sciences
avec Bachelard et Cavailles.
Je me suis posé aux croisement de ces courants. Par rapport
à la phénoménologie «Est-ce qu’il
ne faut pas faire l’analyse d’expériences collectives
et sociales. Par exemple la folie : le champ social, institutions
et pratiques qu’il faut analyser et pour lesquels les analyses
marxistes sont comme des habits de confection mal ajustés.
. .
Et aussi à travers des expériences collective : comment
peut-on faire l’histoire de l’emergence d’une
connaissance et comment des objets nouveaux peuvent se présenter
comme objets à connaitre. Alors ça donne si vous voulez
ceci : Est-ce qu’il y a une expérience de la folie caractéristique
d’un type de société comme les notres, comment
cette expérience a-t-elle pu se constituer, comment elle
a pu émerger et à travers cette expérience,
comment la folie s’est-elle constituée comme un objet
de savoir pour une médecine qui se présentait comme
médecine mentale. Ce qui donne en gros : à travers
quelles transformations historiques, quelles modifications institutionnelles
s’est constituée une expérience de la folie
avec le pôle « subjectif »de l’expérience
de la folie et le pôle « objectif » de la maladie
mentale.
(. . .) Expériences limites à partir de quoi est
remis en question ce qui est considéré d’ordinaire
comme acceptable. Histoire de la folie=>interrogation sur notre
système de raison, pensée médicale par rapport
à l’expérience de la mort, le crime comme point
de rupture avec la loi etc.
(. . .) La question du pouvoir a été marginalisée,
simplifiée par la question des fondements juridiques ou des
rapports de production. Le pouvoir ne fonctionne pas à partir
de son fondement, il y a des pouvoirs non fondés qui fonctionnent
très bien et des pouvoirs fondés qui finalement n’ont
pas fonctionnés !
(. . .) le pouvoir c’est l’exercice d’une gouvernementalité
: par exemple au moyen-âge, la vie quotidienne des gens n’était
pas important tandis que maintenant par exemple le type de consommation
des gens est important économiquement et politiquement, le
nombre d’objets a considérablement augmenté.
(. . .) L’histoire que je fais : 1. part de l’actualité
2. choisit comme domaine d’analyse des points « fragiles
» ou « sensibles » de l’actualité.
Je ne concevrais guère une histoire qui serait proprement
spéculative. Le jeu, c’est d’essayer de détecter
parmi les choses dont on n’a pas encore parlé, qu’elles
sont celles qui donnent des indices de fragilité dans nos
pratiques, nos réflexions etc. Par exemple les prisons : l’évidence
que la privation de liberté est la forme la plus juste, simple,
équitable : cela n’était pas tellement interrogé.
Or j’ai voulu montrer que cela était quelque chose
de récent, invention technique, rationalité de la
fin du XVIIIème siècle. Il s’agit de rendre
les choses plus fragiles : montrer la logique des stratégies
à travers lesquelles les choses se sont produites et montrer
que ce ne sont pourtant que des stratégies et que du coup
ce qui paraissait évident ne l’est pas. De même
notre rapport à la folie est historiquement constitué
donc peut-être politiquement détruit. Réintégrer
les évidences de nos pratiques dans l’historicité
même de ces pratiques et du coup les déchoir de leur
statut d’évidence pour leur redonner leur mobilité.
(. . .) Je fais l’histoire des problématisations c’est
à dire l’histoire de la manière dont les choses
font problème, comment et pourquoi la folie a-t-elle fait
problème (à travers la naissance de la psychanalyse),
comment et pourquoi notre rapport à la sexualité a-t-il
fait problème ?
(. . .) Je me suis toujours intéressé au droit :
la question est de savoir comment des technologies de gouvernement
peuvent prendre forme dans une société qui prétend
fonctionner au droit. Je croise le droit sans le prendre comme objet
central.
(. . .) Si Dieu me prête vie, j’étudierai la
guerre et l’institution de la guerre dans la dimension militaire
de la société.
(. . .)
A. Berten : Et nous espérons tous que Dieu vous prêtera
vie.
MF : Je ne Lui souhaite pas !
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