|
Origine : http : //www.liberation.fr/page.php?Article=238908
Michel Foucault de long en large
Le metteur en scène Jean Jourdheuil investit l'univers du
philosophe à travers ses «éclats de pensée».
Par René SOLIS
jeudi 16 septembre 2004 (Liberation - 06 : 00)
Michel Foucault, choses dites, choses vues
Extraits de texte de Foucault,
m.s. Jean Jourdheuil, Théâtre de la Bastille, mar.-sam.
21 h, dim. 17 h.
Tél. : 01 43 57 42 14. www.theatre-bastille.com Jusqu'au
8 octobre.
Sur la façade du Théâtre de la Bastille, une
immense photo de Michel Foucault retravaillée par le peintre
Gérard Fromanger attire irrésistiblement l'oeil. L'oeuvre
date de 1976 et le portrait du chauve à lunettes, au milieu
d'un labyrinthe de fils de couleurs, dégage une impression
d'énergie joyeuse.
Foucault, dont on célèbre le vingtième anniversaire
de la mort, est cette année l'«invité d'honneur»
du festival d'Automne, qui s'est ouvert lundi soir avec le Michel
Foucault, choses dites, choses vues imaginé par Jean Jourdheuil,
avec la complicité du scénographe Mark Lammert.
En une heure, le metteur en scène, lui même féru
de philosophie et universitaire, propose aux spectateurs une petite
traversée du labyrinthe avec pour viatique une pelote de
fils : des dizaines de fragments de texte de Foucault, dont certains
très brefs, une ligne ou deux. Et un constat en guise d'ouverture :
«On a beau dire ce qu'on voit, ce qu'on voit ne loge jamais
dans ce qu'on dit.»
Jourdheuil, qui a une sainte horreur du catéchisme, ne cherche
pas à faire la leçon. Familier des phares (il vit
une bonne partie de l'année en Bretagne), il sait que, pour
illuminer la nuit, rien ne vaut le clignotement et le balayage circulaire.
Foucault, de son côté, ne détestait pas la mer :
«Dans les civilisations sans bateaux, les rêves se tarissent,
l'espionnage y remplace l'aventure, et la police, les corsaires.»
Sur la scène de la Bastille, ils sont deux gardiens de phare ;
l'un (Stéphane Leach), préposé au nettoyage
de l'optique, frotte doucement des coupes de verre montées
sur un axe rotatif. Un travail qui produit des sons harmonieux,
c'est le principe de l'harmonica de verre. L'autre (Marc Barbé)
s'occupe des gros travaux : il dispose en éventail, sur un
cylindre posé au centre du plateau, de hauts panneaux de
bois peints en bleu ; il est aussi et surtout responsable de l'émission
sonore : les mots de Foucault. Il ne cherche jamais à copier
la voix ou les gestes du maître ; son registre est plutôt
celui du détachement amusé.
Ni parodie de cours au collège de France, ni digest de l'oeuvre
vingt ans après, le spectacle célèbre une pensée
en mouvement, que chacun est libre de saisir et de recomposer à
sa guise. Il déroute - on ne sait jamais précisément
où l'on est ni où l'on va - mais n'intimide pas ;
il va et vient, alterne associations et digressions, avance en brouillant
les pistes. «Ça n'a pas de sens de se demander si le
théâtre est vrai, s'il est réel, ou s'il est
illusoire, ou s'il est mensonger : le seul fait de poser la question
fait disparaître le théâtre. Accepter la non-différence
entre le vrai et le faux, entre le réel et l'illusoire, est
la condition de fonctionnement du théâtre.» La
condition pour faire jaillir ce que Jourdheuil nomme des «éclats
de pensée».
|