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Origine : http://www.arches.ro/revue/no03/no3art05.htm
Revue ARCHES No. 3
Biopouvoir et identité. Stratégies de déconstruction
du sujet à partir de Michel Foucault
Ciprian Mihali
Le mot “biopouvoir” renvoie à la pensée
de Michel Foucault, telle qu’elle s’est ébauchée
dans ses écrits de la fin des années ‘70. Il
apparaît en parallèle avec un autre mot portant le
même préfixe, la “biopolitique”. Bien qu’utilisés
souvent indistinctement, dans les textes de Foucault et surtout
dans leurs exégèses, ils ne se recouvrent que partiellement.
En tant que tels, ils ont fait récemment l’objet de
plusieurs analyses, dont notamment un numéro spécial
de la revue Cités (“Michel Foucault : de la guerre des
races au biopouvoir”, no. 2/2000, PUF, Paris) et le premier
numéro de la revue Multitudes (“Biopolitique et biopouvoir”,
Exils, mars 2000). Le terme est présent aussi dans le récent
livre d’Antonio Negri et Michael Hardt, Empire (2001). Enfin,
parmi les travaux “classiques” sur ces termes, on peut
rappeler l’excellent livre de Hubert Dreyfus et Paul Rabinow,
Michel Foucault. Un parcours philosophique (Gallimard, 1984) et
le très provocateur ouvrage de Giorgio Agamben, Homo sacer.
Le pouvoir souverain et la vie nue (Seuil, Paris, 1997).
Tout cela pour dire que nous assistons aujourd’hui à
un intérêt croissant pour cette période de la
création de Foucault, qui n’est pas sans rapport avec
la publication en 1994 de Dits et écrits, rassemblant en
quatre volumes tous les textes écrits par Foucault, et surtout
avec la publication progressive des cours au Collège de France.
Tous ces textes permettent une meilleure compréhension des
préoccupations du philosophe lors de sa dernière décennie
de vie, une période très chargée intellectuellement,
où les plans de ses travaux changent souvent, où certains
projets sont annoncés et d’autres (ou parfois les mêmes)
sont abandonnés, enfin, où les hypothèses s’enchaînent
dans un rythme très rapide et restent plus d’une fois
à ce stade.
Le biopouvoir et la biopolitique n’échappent pas à
cette logique de l’accélération. Leur hypothèse
devient explicite dans deux textes de 1976 : dans le premier volume
de l’Histoire de la sexualité, La volonté de
savoir, et dans le cours du Collège de France, “Il
faut défendre la société”. Tandis que
le premier texte (plus précisément le dernier chapitre
du livre) s’inscrit dans l’intention générale
de l’Histoire de la sexualité – l’analyse
des rapports entre pouvoir et subjectivité – le cours
du 17 mars 1976, qui clôt la série des cours pour cette
année-là, est plus orienté vers le politique,
en venant à conclure un cours qui portait sur la guerre et
sur sa pertinence pour analyser les relations de pouvoir.
Je ne veux pas reprendre ici le déploiement de l’argumentation
foucaldienne autour de ces deux concepts; ce qui m’importe
c’est de présenter, dans un premier moment, la théorie
du pouvoir, de la vérité et – à leur
croisement – du sujet à travers ces concepts dans les
textes tardifs de Foucault et de m’interroger sur la pertinence
de cette théorie dans une discussion plus large autour de
la question de l’identité. Dans un deuxième
moment, j’essayerai d’illustrer quelques utilisations
de la “biopolitique” dans le monde contemporain à
partir d’une autre idée présente dans ce débat,
celle de la vie nue.
Biopouvoir et biopolitique
Ces deux termes sont la clé de voûte d’une histoire
alternative de la constitution du sujet et de son identité
que nous propose Foucault : non plus par rapport à ses facultés,
à la raison, en tant que différences spécifiques
de l’humain. Mais ce qu’il appelle l’entrée
de la vie dans l’histoire et dans les stratégies politiques
ou économiques, loin d’être un événement
isolé ou inattendu, répond au souci qui est celui
du monde gréco-chrétien d’articuler un ensemble
de “techniques du soi” qui “sont proposées
ou prescrites aux individus pour fixer leur identité, la
maintenir ou la transformer en fonction d’un certain nombre
de fins, et cela grâce à des rapports de maîtrise
de soi sur soi ou de connaissance de soi par soi” [1]. Cela
ne veut pas dire que l’impératif du “se connaître
soi-même” serait faux ou dépourvu d’importance,
mais qu’il doit être replacé dans un contexte
plus vaste qui s’entame autour de la question : Que faire de
soi-même? Comment se gouverner soi-même, en exerçant
des actions où l’on est soi-même l’objet
(l’objectif) de ces actions et par lesquelles on devient sujet,
individu, identité?
Ces actions ne sont, tel que Foucault nous l’explique, ni
simplement des actions de production (qui produisent des objets),
ni des actions symboliques; elles incorporent également des
techniques de pouvoir qui objectivent le sujet et des techniques
de soi qui, pour ainsi dire, subjectivent le sujet. Ces deux derniers
types de techniques soumettent l’individu à un double
travail d’identification, d’abord par l’objectivation/assujettissement
et ensuite par la subjectivation.
L’identité du sujet moderne se constitue donc
par ce croisement des techniques qui engage à la fois la
question du pouvoir et celle de la vie.
Le grand effort de Foucault consiste, quant au pouvoir, à
lui réhabiliter une compréhension positive, pour laquelle
le pouvoir ne se réduit pas à la répression,
au schéma contractualiste et juridique. Il n’est pas
simplement un mécanisme de domination/obéissance,
qui impose une loi et punit sa transgression. Le pouvoir, selon
Foucault, est à analyser dans une perspective nietzschéenne
comme rapport de forces multiples et hétérogènes;
elles sont en même temps des forces de résistance et
de création, forces actives et réactives. Il n’existe
pas comme propriété ou relation fixe, hiérarchique,
entre un supérieur dominant et un inférieur dominé.
Ce schéma a longtemps entretenu la lecture juridique du pouvoir
en Occident, mais il n’est pas capable d’expliquer la
constitution du sujet moderne. Derrière ce discours que le
pouvoir (surtout dans ses manifestations institutionnelles) tient
sur lui-même, il y a un exercice microscopique du rapport
des forces qui changent sans cesse de direction, de sens, de grandeur,
d’intensité. Les relations de pouvoir doivent être
analysées en tant que traversant le soi, l’obligeant
à se récréer continuellement et à résister
aux forces qui le trament. Ces relations sont à comprendre,
toujours dans le langage de Nietzsche, comme luttes, non pas (uniquement)
contre l’autorité, mais contre tout ce qui entre en
rapport avec l’individu et tend d’une manière
ou d’une autre à l’isoler. Elles sont des luttes
“transversales” et “immédiates”,
dans le sens précisément où elles ne relèvent
ni d’un lieu physique ni d’une distance (verticale ou
horizontale) à franchir, mais se déploient et se recomposent
quotidiennement. Leur enjeu principal est l’affirmation de
l’individu en tant que différent, ce qui ne veut pas
dire isolé, solitaire. Il s’individualise tant qu’il
se met en relation, participant à ces luttes et – c’est
le point le plus important pour nous dans cette analyse –
tant qu’il se transforme en sujet, dans les deux sens de ce
mot, “sujet soumis à l’autre par le contrôle
et la dépendance et sujet attaché à sa propre
identité par la conscience et la connaissance de soi” [2].
Si l’on accepte ce sens relationnel du pouvoir, on doit aussi
changer de perspective sur la constitution du sujet même.
Ainsi, tout d’abord il n’est pas une instance qui détient
(ou non) le pouvoir (sur les autres ou sur soi-même), il ne
se constitue pas pour dominer l’objet (naturel ou humain),
mais il devient lui-même un effet de pouvoir. En cessant d’être,
selon l’image du pouvoir, un bloc massif et homogène,
une propriété (de soi-même), le sujet subit
et exerce, est affecté et fait affecter le pouvoir, dans
une configuration ouverte et dans un travail incessant d’adaptation,
ce qui l’oblige à réévaluer en permanence
son identité, ses buts, ses préférences, ses
méthodes d’action. Le sujet est lui-même un produit
dérivé d’un processus de subjectivation, d’intériorisation
et dérivé en même temps de l’alliance
entre le savoir et le pouvoir, sans se réduire à elle.
En tant que dérivé, ce produit sera toujours saisi
dans des rapports de pouvoir et de savoir, il sera replongé,
recodé (Deleuze) dans “le système institutionnel
et social”. La subjectivation ne se fait jamais sans un assujettissement
complémentaire, dans un jeu de la liberté (esthétique)
et de la soumission (morale, politique) qui dessine à chaque
fois (autrement) le sujet.
Si le pouvoir s’exerce en réseau, le sujet même
cesse d’être un atome ou une monade et dévient,
en tant qu’effet, force affectante et affectée, un
nœud d’intensités, un relais qui renvoie –
par inflexion, rebroussement, retournement, tournoiement, résistance
(G. Deleuze) – à d’autres nœuds dans le
réseau. Il est “un état de pouvoir toujours
local et instable”, singulier et ouvert, différant
(pourrait-on parler ici d’effet de différance?…)
et intensifiant, concentrant (ou pliant selon le mot de Deleuze)
les forces sur soi-même. Mais, nous prévient Foucault,
le pouvoir n’y vient pas remplacer un bon sens démocratiquement
partagé entre tous les humains du monde. N’oublions
pas que nous nous trouvons dans une logique nietzschéenne,
pour laquelle il s’agit de lutte, de domination et d’assujettissement,
d’incitation et de détournement, de déterminations
sélectives qui se gagnent ou qui se perdent.
Quelles sont les implications immédiates de cette conception
du sujet? L’inaccomplissement essentiel du sujet, les forces
qui l’obligent (le persuadent, le dissuadent, l’incitent
ou l’excitent, l’encouragent ou le punissent) toujours
à revoir ses positions, ses capacités, font de lui
une structure ouverte qui ne dispose (plus) d’un modèle
unique à suivre pour s’accomplir. Il doit – et
ce devoir prend en Occident, des formes multiples, institutionnelles-étatiques,
politiques, religieuses, économiques – s’interroger
sans cesse sur lui-même, se soucier de soi-même et trouver
les meilleures techniques pour protéger et cultiver ce “soi”.
Il doit tenir sur lui-même un discours de vérité.
La vérité est l’un des éléments
les plus importants dans l’analyse foucaldienne du pouvoir.
La culture occidentale nous a transmis cette obligation de vérité
qui accompagne tout travail sur soi-même et qui requiert des
individus de se soumettre à “un certain nombre d’opérations
sur leur corps, leur âme, leur pensées, leurs conduites,
et ce de manière à produire en eux une transformation,
une modification, et à atteindre un certain état de
perfection, de bonheur, de pureté, de pouvoir surnaturel” [3].
Aussi, ils doivent mettre en discours vrai toutes ces opérations,
de s’attester eux-mêmes à travers l’aveu
de la vérité et de faire passer par les actes de langage
tout ce qui a affaire avec le perfectionnement de soi (par exemple
la sexualité).
La généalogie des pratiques discursives qui articulent
le savoir et l’action et qui s’inscrivent dans les jeux
de pouvoir qui traversent le sujet doit passer, selon Foucault,
par une recherche de l’histoire de la vérité
qui permet au sujet de se reconnaître comme sujet (par la
relation à soi et aux autres). Cette histoire de la vérité
est “une analyse des mécanismes de la vérité,
des jeux du vrai et du faux, à travers lesquels l’être
se constitue historiquement comme expérience, c’est-à-dire
comme pouvant et devant être pensé. Par quels mécanismes
de vérité pense l’homme son propre être
lorsqu’il se considère fou ou malade, quand il se juge
et se condamne comme coupable, quand il se pense comme être
vivant, parlant et travaillant? Par quels mécanismes de vérité
se reconnaît l’être humain comme homme du désir?” [4]
Cette obligation de vérité ne reste pas confinée,
toujours dans cette culture occidentale qui est la nôtre,
dans un plan épistémologique; l’enjeu de ce
savoir n’est pas une vérité objective pensée
selon le modèle d’une correspondance, mais une vérité
à portée éthique. L’identité du
sujet, selon Foucault, se construit dans un plan plus large, du
gouvernement de soi, dans le sens infra-politique de ce mot, où
le dire vrai est la condition minimale d’une bonne conduite
et où la vérité entre dans un jeu d’instrumentation
de soi (et des autres). Par exemple, dans le cas de la folie, “c’est
bien à travers un certain mode de domination exercée
par certains sur certains autres que le sujet a pu entreprendre
de dire vrai sur sa folie présentée sous les espèces
de l’autre… Si je dis vrai sur moi-même…
c’est que, en partie, je me constitue comme sujet à
travers un certain nombre de relations de pouvoir qui sont exercées
sur moi et que j’exerce sur les autres” [5]. Elle occupe
cette position intermédiaire et, pour cela, tendue et tordue,
entre les modes de subjectivation (qui répondent à
la question : Comment se constitue le sujet d’une connaissance,
d’une action?) et les modes d’objectivation (qui se
charge de cette autre question : Dans quelles conditions peut devenir
quelque chose l’objet d’une connaissance ou d’une
action? Et cela tout en admettant que ce “quelque chose”
peut être l’individu humain lui-même). Au croisement
de ces deux modes, la vérité a donc plutôt une
fonction pratique et éthique. Les jeux de vérité
articulent non pas (ou non seulement) des connaissances (vraies)
sur des choses (vraies), mais des règles de “véridiction”
qui doivent produire des effets sur le réel, des expériences
individuelles ou communes, “une aire et des individus donnés” [6].
Pour conclure cette partie sur la constitution du sujet en tant
que champ traversé de jeux de pouvoir et de vérité,
donnons encore une fois la parole à Foucault. Il déclare
explicitement qu’il ne veut pas construire une théorie
du sujet, à partir de laquelle ensuite on s’interrogerait
sur les conditions de possibilité d’un savoir ou d’une
connaissance. A la différence de la phénoménologie,
il veut montrer comment le sujet se constitue dans telle ou telle
forme déterminée (sujet fou, sujet sain, délinquant,
etc.), à travers certaines pratiques de vérité
et de pouvoir :
“(Le sujet) n’est pas une substance. C’est une
forme, et cette forme n’est pas surtout ni toujours identique
à elle-même. Vous n’avez pas à vous-même
le même type de rapports lorsque vous vous constituez comme
sujet politique qui va voter ou qui prend la parole dans une assemblée
et lorsque vous cherchez à réaliser votre désir
dans une relation sexuelle. Il y a sans doute des rapports et des
interférences entre ces différentes formes du sujet,
mains on n’est pas en présence du même type de
sujet. Dans chaque cas, on joue, on établit à soi-même
des formes de rapport différentes” [7].
Retenons donc de cette approche le défi lancé par
Foucault – et qui est somme toutes celui du monde occidental,
surtout dans ses configurations actuelles – d’un sujet
sans substance donnée, d’une forme dynamique, d’une
pluralité de sujets dans l’unité abstraite et
formelle de ce qu’on appelle identité du sujet, un
défi qui va jusqu’à la mise en question radicale
(dans une lignée encore une fois nietzschéenne) du
sujet comme la seule forme d’existence possible à travers
des expériences qui plutôt déconstruisent l’identité
que la construisent, qui permettent au sujet de se dissocier de
lui-même, de briser le rapport à soi, d’avec
un “soi” donné, imposé, projeté,
etc. Plus encore, la subjectivité, la lutte moderne autour
d’elle, semble être précisément la réponse
à toute tentative d’attachement à une identité
fixée, préétablie, et donnée une fois
pour toujours.
C’est pourquoi, à la limite, nous pouvons lire cette
théorie du sujet dans les termes d’une opposition entre
subjectivité et identité, tant que la première
renvoie à la création esthétique de soi (à
la vie comme œuvre d’art, selon Nietzsche) et la deuxième
aux codes moraux ou politiques des systèmes auxquels l’individu
appartient. Cette lecture foucaldienne de l’identité
comme jeu infini d’interprétations du monde et de soi
trouvera un retentissement inouï et souvent fort éloigné
de ses sources dans certaines idéologies ou modes contemporaines.
L’anatomie politique du corps humain, la biopolitique
de la population
Foucault parle, dans La volonté de savoir, d’un “seuil
de la modernité biologique” qui aurait été
dépassé par les sociétés qui incorporent
la vie (le corps vivant, l’espèce humaine vivante)
dans leurs propres stratégies politiques. “Bio-histoire”,
“bio-politique”, “bio-pouvoir” sont les
termes qui désignent dans ce livre la prise en charge par
le pouvoir de la vie même, de la vie biologique, dans son
sens anatomique et physiologique, somatique ou métabolique.
Dans les deux ouvrages cités au début de ce texte,
Foucault met en relation le biopouvoir avec la souveraineté.
L’ancien droit (de faire mourir et laisser vivre), en tant
que droit de tuer au nom du roi, est remplacé graduellement
– et au fur et à mesure que d’autres mécanismes
(économiques, politiques, scientifiques) de la société
moderne se mettent en place – avec le droit (doublé
du pouvoir, de la capacité) de faire vivre et laisser mourir.
Ce remplacement (que Foucault décrit plutôt en terme
de mise en série, de supplémentarité), qui
n’est ni simple, ni évident, correspondrait à
une nouvelle compréhension de la vie, celle qui renvoie au
terme grec de zoe, en tant que vie “naturelle”, vie
“nue”, selon l’expression de Giorgio Agamben.
Reste, certes, à discuter dans quelle mesure pouvons-nous
parler effectivement d’une vie nue, c’est-à-dire
dénuée, dépourvue de toute signification “humaine”
ou “humaniste”, surtout dans notre tradition culturelle
et métaphysique. Mais prenons cette “nudité”
à titre d’hypothèse et dans son sens purement
biologique, tel que le font Foucault et Agamben.
L’entrée du biologique dans le calcul politique marque
une nouvelle sensibilité et une nouvelle configuration du
monde, qui correspond au développement du capitalisme par
l’adaptation réciproque des phénomènes
de population et des processus économiques. Cette double
perspective – politique et économique – sur la
vie a lieu sur un fond d’élargissement des connaissances
scientifiques en anatomie, physiologie et des connaissances sur
la nature, en même temps avec l’apparition des sciences
dites sociales, dont la démographie et l’économie
politique. Ce développement scientifique ouvre deux possibilités
complémentaires et simultanées, mises en pratique
par l’histoire récente, “de protéger la
vie et d’en autoriser l’holocauste” [8]. Aussi,
il s’accompagne, selon Hannah Arendt, d’un déclin
progressif de l’espace public dans les sociétés
modernes, par la permission que le pouvoir étatique s’accorde
d’intervenir, au nom justement de cette protection de la vie,
à la fois dans l’espace public et dans l’espace
privé.
Je ne veux pas faire ici l’histoire de cette évolution
du capitalisme, elle a été analysée par Foucault
dans ses livres et par beaucoup d’autres auteurs tout au long
du XX-ème siècle. Ce qui m’intéresse
c’est de voir comment le vivant devient enjeu des stratégies
politiques et économiques, comment à travers ce devenir
un concept de la liberté du sujet apparaît, sans laquelle
le rapport de ce sujet à lui-même et aux autres ne
serait pas possible. Foucault parle même d’une ontologie
du corps et de ses puissances créatrices, grâce à
laquelle l’économique (dans le sens primaire du terme,
oikos, comme affaire, gouvernement de la famille, territoire des
besoins et des satisfactions privées) et le politique (toujours
dans un sens ancien, en tant que gouvernement de la polis, de la
res publica) s’intègrent l’un à l’autre.
D’une part, donc, comment gérer les affaires de l’Etat
selon le modèle de la famille, comment gouverner la polis
à la façon d’un père? D’autre part,
et strictement en dépendance de la première série
de questions : Comment induire dans le privé, à l’intérieur
de la famille et dans chaque corps et chaque conscience, les règles,
les normes qui permettent le bon gouvernement de l’Etat? L’anatomie
politique moderne et la biopolitique de l’espèce humaine
sont la réponse à ces questions, en situant la vie
non-qualifiée, la vie nue au carrefour du privé et
du public, en la découpant en fonctions et finalités
spécifiques, selon des techniques appropriées. La
politique prend en charge la vie, qui n’est plus donnée
par une puissance divine, elle n’est plus sanctifiée
au nom d’une transcendance; le souci politique pour la vie
concerne à la fois la vie biologique de l’individu,
en deçà de toute détermination ou qualification
métaphysique, idéale, et la vie de la société
dont le nom scientifique est maintenant la population. Celle-ci
n’est plus qu’un continuum soumis aux forces extérieures
qui puissent la menacer, forces pathologiques, destructrices. L’intrusion
du politique dans ce continuum a pour but d’écarter
ces forces, par tout un travail de médicalisation de la société,
par un discours scientifique-hygiéniste qui définit
(pour transgresser à son gré) les frontières
entre le public et le privé.
L’ontologie proposée par Foucault envisage un sujet
divisé, champs de forces et d’intensités (physiques,
productives, psychiques, sexuelles) qu’il s’agit de
dresser, de bien orienter, de faire travailler au profit du grand
corps de la société. Pour maîtriser ce champ
de forces, il faut aller jusqu’au plus profond du sujet, jusqu’à
ses fantasmes inavoués ou inavouables, jusqu’à
sa constitution anatomique ou physiologique, là où
s’articule cette autre raison du corps dont nous parlait déjà
Nietzsche.
L’individu, à son tour, devient sujet reconnu par
les autres et, à la fois, reconnaissable pour lui-même,
dans la mesure où il effectue sur lui-même, sur son
corps, sur sa sexualité, sur son affectivité, etc.
ce travail de “normalisation” et de régularisation
économique. Il dispose de cette liberté, si vantée
par les Modernes, d’agir sur lui-même, de faire de son
corps une création propre, de résister aux injonctions
des autres, tout en restant à l’intérieur de
la norme. Liberté donc qui est indispensable au pouvoir,
au bio-pouvoir. Elle prend la forme d’un champ de possibilités
qui s’ouvrent aux sujets individuels ou collectifs pour réaliser
leurs conduites, leurs différents comportements. La liberté
– loin d’être le contraire du pouvoir –
en est sa condition d’existence, préalable et permanente
et, comme telle, ce qui offre toujours l’opportunité
d’une résistance, d’une opposition à tout
pouvoir. Dans cette agonistique moderne de la liberté et
du pouvoir, l’un des terrains de bataille privilégié
est justement le corps humain.
L’enjeu majeur de la biopolitique, et tant que “mode
propre de subjectivation politique” (J. Rancière) est
donc le corps; il l’est tant dans sa dimension individuelle
(corps sexué, abritant ou développant des désirs
ou des fantasmes) que dans sa dimension collective (comme corps
social, population) et doit être pris en compte selon ses
lignes de force et ses faiblesses, selon aussi les intérêts
techniques qui (se) l’approprient. Il n’est plus soumis
aux technologies disciplinaires classiques, de la discipline, du
dressage, de la surveillance, selon le modèle panoptique,
mais il entre dans un raisonnement qui fait de lui un corps global,
une masse (comme dans l’expression : “le corps social”),
affectée par des processus d’ensemble qui sont propres
à la vie, “corps multiple, corps à nombre de
têtes, sinon infini, du moins pas nécessairement dénombrable” [9].
Le corps individuel, porteur de la vie nue, manifestant des besoins
fondamentaux, des pulsions secrètes, est le corps dont la
principale propriété, selon Foucault, est la sexualité.
Le corps social est doté lui aussi d’une sexualité,
mais cette fois sous la forme de la reproduction, de la natalité,
de la “bonne naissance”, de la race, etc. “Le
sexe donne en même temps accès à la vie du corps
et à la vie de l’espèce”, son exhibition
(moins physique que discursive dans le monde moderne, de plus en
plus physique, jusqu’à la pornographie, dans le monde
spectaculaire postmoderne) est celle d’une nudité plus
que corporelle, plus qu’anatomique. J’oserais dire que
la symptomatologie mise en évidence par Foucault est celle
du désenchantement même du monde, projet auquel la
modernité a travaillé avec tant d’acharnement
et de succès. La pensée stratégique et administrative
de la modernité met en calcul ce qui lui avait auparavant
échappé ou qui plutôt était censé
résister à toute manipulation économique. La
métaphysique du corps – qui l’avait pensé
soit dans sa fusion avec l’esprit, soit dans sa dépendance
envers celui-ci (les seules garanties d’une identité)
– est progressivement renversée ou remplacée
par une économie politique du corps qui, ayant perdu ses
attaches transcendantales, devient vulnérable et s’expose
à tous les découpages possibles par les disciplines
dites socio-humaines ou par les stratégies du biopouvoir.
Le discours qu’il porte sur lui-même est un discours
contradictoire : il faut qu’il se libère, il faut qu’il
s’affirme comme corps de chair et de désir, mais en
même temps cette libération n’aboutit pas à
décrocher un sens supérieur, à inventer une
“spiritualité” nouvelle.
Ses métaphores envahissent dans les deux derniers siècles
le discours politique. La biologisation de l’imaginaire social,
contemporaine du constat nietzschéen de la mort de Dieu,
conduit à une ré-matérialisation de l’identité :
“corps”, “sang”, “chair”, “terre”,
etc. cessent d’être des concepts philosophiques (s’ils
l’ont jamais été) pour enrichir et plasticiser
les discours d’auto-affirmation identitaire. La société
entière (ou, si vous voulez, pour une fois, la nation, la
patrie) est un corps vivant, les mouvements intérieurs relèvent
d’une physiologie sociale qu’il faut (démographiquement,
sociologiquement, psychologiquement, etc.) surveiller et améliorer,
tandis que les autres (sociétés, peuples, nations,
minorités, etc.) sont des virtuels ennemis, facteurs pathogènes
prêts à tout instant à altérer, à
perturber cet équilibre fragile de la vie du corps-nation.
La “qualité”, la supériorité de
ce corps (de sa race) est prouvée scientifiquement et elle
peut être réduite à des calculs, à des
comparaisons, à des statistiques. La logique du biopouvoir
compte sur la possibilité, démontrable scientifiquement
et techniquement, de réduire les qualités (individuelles
ou collectives) à des quantités mesurables, de découper
le continuum de la vie (toutes ses formes, toutes ses manifestations)
en tranches dotées des valeurs spécifiques. Le racisme
est l’un des moyens de mettre en pratique cette logique, en
reprenant et en détournant le rapport guerrier ami/ennemi.
“Faire vivre” (les siens), selon la formule de Foucault,
passe alors nécessairement par un “faire mourir”
(les autres, les étrangers, les allogènes). Ce qui
pouvait se présenter comme une liberté, comme un souci
pour la liberté, devient avec le racisme – dans sa
forme étatique, politisée, institutionnalisée
– la liberté de tuer l’autre au nom des valeurs
du sang, de la race, de la terre.
L’identité, repliée sur ce découpage
“pseudo-scientifique” du champ biologique, comme dernier
refuge du marathon identitaire moderne, trouve dans les métaphores
darwiniennes (ou pasteuriennes) la source indispensable de sa figuration,
de sa projection imaginale. La mise en avant du corps (sur un fond
de silence ou même de mutisme de l’âme, de l’esprit)
réduit les différences inter-individuelles à
des statistiques, tableaux ou échelles évolutives
et l’identité au donné toujours menacé.
La nouvelle religion du corps (mode, pornographie, libération
sexuelle, culturisme, tatouage, piercing etc.) est un “athlétisme
d’État” (selon l’expression de Peter Sloterdijk,
mais utilisée ici dans un autre sens), qui s’est fixé
comme but l’auto-affirmation épidémique, sanguine,
agricole de l’individu postmoderne.
Les avatars de la biopolitique dans le monde contemporain
L’entrée du biologique dans les calculs politiques
marque donc la fin d’une distinction que les Anciens ont faite
entre oikos et politeia, entre une corporalité biologique
à soigner dans le privé et une corporalité
commune (plutôt un commun qui fait corps), politique, à
débattre dans le public. Le biologique appartenait au monde
pre-politique de la famille sur lequel la politique n’avait
pas beaucoup à dire. Comme il est à chaque fois individuel,
par la conformation corporelle des besoins et des désirs,
il ne peut pas faire l’objet d’une discussion commune,
devant être relégué et réglé dans
l’intimité du foyer familial. Selon Hannah Arendt,
il y a une division stricte entre la famille et la chose publique,
entre les besoins individuels et les besoins communs, surtout par
leur degré de visibilité et de satisfaction. Ainsi,
les premiers doivent rester dans l’ombre de l’indistinction
personnelle, tandis que les derniers doivent être montrés
et résolus publiquement, par la responsabilité assumée
des acteurs politiques. Le concept même de “biopolitique”
serait alors contradictoire, on pourrait plutôt dire “bio-anti-politique”
pour décrire ce qui va se passer dans le monde moderne.
La biopolitique, tel que nous l’avons vu avec Foucault, rompt
avec cette séparation, au nom justement d’une meilleure
protection de la vie, dans un plan scientifique, médical,
politique, économique. L’évolution biopolitique
décrite par Foucault est arrivée à connaître
aujourd’hui des formes inouïes, à travers ce qu’on
appelle dans un langage courant, trop courant, politiques de l’identité.
Sans plus revenir au racisme, si bien décrit par le philosophe
français ou par Hannah Arendt, je voudrais donner quelques
exemples de ces politiques, qui s’appuient sur une compréhension
biologisante de l’identité. Ces exemples, et beaucoup
d’autres, ont été présentés par
Agnes Heller et Ferenc Fehér dans un livre récent,
Biopolitics, publié en 1994 (Aldershot, Avebury, Vienne)
et dans un débat qui a suivi à la parution de ce livre,
dont les plus importantes contributions ont été rassemblées
dans le recueil Biopolitics, The politics of the Body, Race and
Nature (Avebury, European Centre Vienna, 1996).
Le premier exemple procède précisément de
ce qu’on appelle aujourd’hui aux Etats-Unis la “biopolitique”.
Cette idéologie, qui partage peu de choses avec les analyses
de Foucault, compte toutefois sur le diagnostique que le philosophe
français fait au devenir bio-politique du monde moderne.
Elle est une idéologie pseudo-scientifique et est élaborée
à partir d’une image médicalisée de la
société. La racine prétendument scientifique
(mais qui n’est pas moins mythique) c’est celle de la
distinction entre genres et races, prouvée génétiquement,
et qui doit être surmontée par une action affirmative,
de réhabilitation du genre (féminin) ou des races
ignorées, exploités ou considérées comme
inférieures au long de l’histoire. Le scientifique
travaille ici pour objectiver, pour donner une légitimation
objective, à une subjectivité incapable de s’auto-déterminer,
à une communauté qui ne croît plus à
rien qu’à elle-même en tant que différente
et supérieure.
La race et le sexe sont, dans une société de masse
où l’indistinction sociale est de plus en plus difficile
à assumer, un dernier et solide refuge de l’identité.
Simplement, ce refuge identitaire, en tant qu’acte libre et
se revendiquant de la démocratie, réduit la différence
sociale, motif de débat public, à la différence
de race ou de sexe, qui ne laisse pas de place pour un débat.
Etre femme ou être homme, être blanc ou être noir
sont des qualités données une fois pour toutes et
ne relèvent pas de la conviction publique d’une personne;
se révolter contre la domination masculine ou blanche dans
l’histoire (comme par exemple celle du rationalisme de Descartes,
lui-même homme et blanc) c’est réduire tout débat
à une opposition inconciliable, que ni même un langage
ou une attitude “correcte” ne peuvent surmonter. La
pensée du genre et de la race est toujours celle d’un
individu s’identifiant lui-même en tant que membre d’une
race. Il rabat sur le biologique toute différence d’avec
l’autre et réduit la communauté à laquelle
il appartient à la communauté de sang. Il fait corps
(dans le sans le plus anatomique du mot) avec ses semblables et
se méfie des autres corps (autrement sexualisé ou
pigmenté) comme des facteurs perturbateurs, même dangereux.
La politique correcte n’est pas alors un guide de conduite
politique sur des affaires publiques, mais un ensemble de règles
qui tentent de tenir à distance l’autre (l’homme,
le blanc, l’hétérosexuel) qui domine, qui impose,
qui menace, qui force. Le rapport ami/ennemi ne passe plus ici par
une conviction politique mais par une opposition biologique, où
l’autre est hostile et incorrecte par excellence, selon l’expression
d’Agnes Heller [10] : “La politique de race ne se soucie
pas de ‘l’humanité’, ni du membre individuel
de la race. Les armes pour démasquer l’autre sont forgées
et utilisées par les mouvements biopolitiques contre leurs
ennemis. Son modus operandi est le suivant : les ennemis disent ce
qu’ils disent parce qu’ils sont mâles, par exemple…
La cérémonie biopolitique pour démasquer suit
le modèle général de la méthode totalitaire
pour réfuter un argument”.
Et encore, pour conclure :
“La biopolitique ne requiert pas l’exercice de la liberté.
Elle ne valorise pas (ou pas trop) la liberté, sauf quand
il s’agit d’elle comme d’un droit qui sert une
finalité biopolitique. C’est pourquoi la liberté
n’est pas une fin en soi, mais un moyen qui sert une fin :
un pouvoir plus grand d’un groupe constitué biologiquement
or un programme contre ses ‘autres’ : ses ennemis. Nulle
part ailleurs la dichotomie ami/ennemi n’est aussi forte et
présente que dans la biopolitique. Il est plus important
de lutter contre quelqu’un que de lutter pour quelqu’un.
Plus encore, les entités biopolitiques se constitue d’abord
par la constitution de leurs ennemies” [11].
Nous sommes donc là, avec cette action biopolitique, comme
il ne se peut plus loin de toute pensée nietzschéenne
ou foucaldienne. La subjectivation, en tant qu’affirmation
de soi, et qui chez Foucault était justement censée
s’opposer aux identités fortes, se réduit ici
à une action d’identification ségrégationniste
et exclusive, une action ressentimentaire, pour le goût des
masses et des média. “Sexe, race, vie et mort sont
des choses intéressantes et s’ils deviennent les slogans
des groupes, les masses, les foules, les gens y participent” [12].
Un autre intervenant dans ce recueil autour de la biopolitique
est Péter György. Il part aussi de la théorie
foucaldienne du corps et affirme que la biopolitique actuelle a
affaire, après l’échec de la modernité
et de la rationalité universelle, avec le corps abandonné,
sur lequel il s’agit d’intervenir politiquement et culturellement.
Et cela d’autant plus que l’espoir d’émancipation
du corps par la révolution sexuelle s’est évanoui,
en laissant ainsi le corps muet, incapable d’articuler un
dialogue avec l’âme. Ce qui reste à faire alors
pour le corps c’est d’affirmer son propre pouvoir et
son authenticité, à travers tout un travail sur lui-même,
travail de modélisation et d’esthétisation,
de sculpture et de peinture sur lui-même. “L’image
de mon corps est devenue maintenant l’image en miroir de ma
position sociale dans la société, mes dépendances
et mes vulnérabilités, plutôt que ce qu’il
devrait être idéalement : la Maison de l’Esprit.
Quand je m’habille, j’achète une personnalité,
tout en soutenant une prétention à l’individualité
authentique que je façonne à ma taille soigneusement” [13].
A travers des phénomènes comme la mode, la biopolitique
a renforcé la demande d’identité sociale; ainsi,
dans un monde des surfaces et des visibilités, la présence
du corps individuel devient distincte à travers un jeu sémiotique
permanent, d’habillement ou de déshabillement, d’investissement
esthétique excessif et éphémère, selon
les normes insidieuses du moment, dictées par un système
économique et politique dont la fonction principale reste
le profit. On est ce qu’on est, on est quelqu’un de
distinct, si l’on suit les caprices de la mode, de la diète,
du body building, du tatouage, des opérations esthétiques
(qui, j’allais dire, ont complètement mesinterprété
l’idée nietzschéenne de la création esthétique
de soi; mais, finalement, je ne suis pas sur que les idéologues
contemporains du corps parfait partagent beaucoup d’idées
avec Nietzsche…).
Mais la présence du biologique ici n’est que factice :
le sport actuel, le culturisme ou l’aérobic n’ont
pas trop à faire avec la santé ou la bonne forme du
corps. Avec la bonne forme oui, mais pas dans le sens médical
du terme, mais plutôt dans un sens spectaculaire, médiatique
et économique. La bonne forme (laissons de coté le
bon contenu…) garantit une présence sûre parmi
les autres et surtout une capacité de travail supérieure.
La culture du corps, dans ces spectacles actuels, serait, selon
Péter György, la négation même de la tradition
intellectuelle : tout ce que cette culture peut nous dire c’est
qu’il n’y a plus rien que le corps, que son image et
que sa perfection mathématiquement calculable : “le
corps n’est plus la maison – même plus la prison
de l’âme, mais un terrain de lutte pour établir
une identité culturelle” [14]. Pour compléter
cette affirmation, je dirais pour finir qu’ainsi, l’âme
même a cessé d’être une prison du corps,
tel que Foucault pouvait encore le croire, et que sa nudité
l’expose irrévocablement à toute appropriation
technique, scientifique, sous la pression désormais exclusive
du capital.
La biopolitique, dans ses avatars contemporains et dans une évolution
que Foucault ne faisait qu’annoncer à titre d’hypothèse,
déplace la question de l’identité dans l’espace
de la vie nue, de moins en moins capable de résister aux
assauts du Pouvoir. La création de soi est maintenant comprise
littéralement, comme possibilité réelle de
construction technique (parfois sous des couverts médicaux,
esthétiques ou moraux, mais le plus souvent sans couvert
du tout) de la vie dans des formes améliorées, dans
une forme humaine bio-technologique qui nous oblige à revoir
toutes nos ontologies et toutes nos métaphysiques, tombées
ainsi et définitivement en désuétude.
Ciprian Mihali : Maître des conférences au Département
de Philosophie de l’Université de Cluj (Roumanie),
président de l’ARCHES ( 2000-2002), auteur de : Sensus
communis. Pentru o hermeneutica a cotidianului (Sensus communis.
Pour une herméneutique du quotidien); Anarhia sensului. O
fenomenologie a timpului cotidian (L’Anarchie du sens. Une
phénoménologie du temps quotidien); Inventarea spatiului.
Arhitecturi ale experientei cotidiene (L’invention de l’espace.
Architectures de l’expérience quotidienne), parus en
2001.
[1] Michel Foucault, Dits et écrits, IV, Gallimard, 1994,
p. 213.
[2] Ibidem, p. 227.
[3] Ibidem, p. 171.
[4] Michel Foucault, Istoria sexualitãþii, Ed. de
Vest, Timisoara, 1995, p. 128.
[5] Michel Foucault, Dits et écrits, IV, p. 451.
[6] Ibidem, p. 632.
[7] Ibidem, pp. 718-719.
[8] Giorgio Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie
nue, Seuil, Paris, 1997, p. 11.
[9] Michel Foucault, “Il faut défendre la société”,
Seuil-Gallimard, Paris, 1997, p. 218.
[10] Agnes Heller, “Has Biopolitics Changed the Concept of
the Political? Some Further Thoughts About Biopolitics”, op.
cit., p. 5.
[11] Ibidem, p. 11.
[12] Ibidem, p. 14.
[13] Péter György, “The Order of Bodies”,
op.cit, p. 43.
[14] Ibidem, p. 47.
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