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Origine : http://www.univ-lille3.fr/set/sem/FoucaultaGoutelas.html
Note sur le texte : Le texte qui suit est une transcription
des propos tenus par Michel Foucault en 1977, lors d'un séminaire
actuel de réflexion organisé par le Syndicat de la Magistrature.
Il a été publié, après la mort de Foucault, dans la revue du S.M.,
Justice, n°115, juin 1977, pp.36-39.
(Présentation, par la rédaction de la revue "justice") Michel
Foucault était à Goutelas en 1977. La gauche était alors donnée
gagnante aux législatives de mars 1978. Le S.M., déjà, réfléchissait
sur ce que serait sa position face à un gouvernement de gauche.
Dans le long week-end annuel de réflexion syndicale, Michel Foucault
était venu nous livrer sa réflexion sur l'évolution du rôle du judiciaire.
Le point de départ était le livre du P.S. "Liberté, libertés".
Sans doute cette référence est-elle datée, quoique, avec le
recul et au vu de l'évolution institutionnelle suivie depuis dix
ans, les propositions de "Liberté, libertés" prennent un singulier
relief.
La pensée de Foucault, elle, demeure.
J'ai relu ce texte "liberté, libertés" qui m'avait frappé sur un certain
nombre de points, en particulier à cause de l'importance qu'il donne
aux magistrats. L'amplification du rôle des institutions judiciaires
m'avait frappé.
J'en suis arrivé à l'idée que, s'il fallait prendre un thème à
Goutelas, ce pourrait être celui-là : j'ai préparé une relecture
de ce livre.
Ce livre, bien entendu, je ne le prends pas comme cible d'une critique
ni comme la charte d'un problème auquel je souscrirais, mais plutôt
comme symptôme de quelque chose qui est en train de se passer, qui
caractérise une évolution de ce qu'on pourrait appeler les techniques
de pouvoir dans la société contemporaine.
C'est un livre qui est significatif de la manière de poser le problème
du pouvoir, significatif aussi d'une certaine manière de redéfinir
le rôle du juge, de redistribuer et en quelque sorte d'essaimer
les fonctions judiciaires à travers tout le corps social.
Pour resituer cela historiquement, et d'une façon très grossière,
voici ce que je dirai pour expliquer pourquoi je m'intéresse à ce
texte, ce que j'essaie d'y voir et d'y repérer.
Au XVIIIe siècle, une réflexion tactique sur le coût du
pouvoir.
Une des choses qui caractérise les sociétés modernes depuis le
>XVIIe siècle, c'est à la fois une réflexion sur et une élaboration
des techniques de pouvoir essentiellement autour de ce problème
: quel est le coût du pouvoir ?
La découverte qui a été faite au XVIIe siècle de l'idée que le
pouvoir ce n'était pas quelque chose qu'il était désirable ou utile
de porter à son maximum, car un pouvoir n'est efficace que dans
la mesure où son coût n'est pas trop élevé, sinon exercer le pouvoir
ne sert à rien, je crois que cette découverte qui a été fondamentale
dans l'histoire de l'Occident a été faite à partir de deux grands
événements : d'une part les révoltes populaires du XVIIe qui ont
été écrasées dans le sang et par l'utilisation d'une force militaire
non contrôlée et non compensée, qui ont réduit à l'état de ruine
absolue les campagnes européennes, allemandes surtout, également
françaises, à ce point que ceux-là même qui avaient réclamé l'écrasement
des révoltes paysannes, c'est-à-dire les propriétaires et les créanciers
urbains, se sont trouvés ruinés à cause de la crise entraînée par
la répression, d'où cette idée que la répression en elle-même n'est
pas souhaitable, et que le pouvoir doit s'exercer de façon modérée.
Puis le second problème a été le problème de la fiscalité au moment
des relations commerciales et du premier développement industriel,
fiscalité non compensée et non équilibrée.
La grande réflexion politique au XVIIIe siècle n'est pas tellement
une réflexion juridique sur les fondements du droit, elle a été
surtout une réflexion tactique, technique sur la manière dont on
peut et dont on doit exercer le pouvoir en fonction de ses coûts,
découverts au travers des phénomènes de répression et de développement
économique.
Il me semble liberté-loi, c'était une certaine manière d'envisager,
de définir la façon dont on pourrait exercer le pouvoir : dans un
schéma d'économie de pouvoir rationnel on considère les individus
comme sujets de droit détenant un certain nombre de libertés, et
liés par un certain pouvoir qui limite lui-même son exercice par
la loi.
A partir du XIXe siècle, l'essai d'intégration des contre-pouvoirs.
L'histoire du XVIIIe a été à la fois l'échec de ce système >libéralisme-légalisme,
et la découverte que, à travers ce système, passaient des abus de
pouvoir d'un côté, mais également des contre-pouvoirs d'un autre
côté. Les révolutions du >XIXe, mais aussi l'apparition de phénomènes
comme la presse, les syndicats, ont fait apparaître des sortes de
contre-pouvoirs dans le corps social, et je dirais, à titre d'hypothèse,
pour situer en gros le problème aujourd'hui, que, un peu comme au
>XVIIIe siècle on a réfléchi au problème de l'économie du pouvoir
et à la manière de faire fonctionner la loi comme principe d'économie
dans l'exercice du pouvoir, actuellement se dessine une réflexion
sur le problème de la pluralité des pouvoirs, c'est-à-dire comment
on peut obtenir un système de pouvoir cohérent, efficace, continu,
obéissant aux intérêts fondamentaux de la classe dominante et faisant
place, en intégrant dans ce système une pluralité de pouvoirs différents
(différents du grand pouvoir central, différents les uns des autres
et éventuellement opposés soit les uns aux autres, soit même au
pouvoir central). C'est cette recherche d'une technologie à travers
et par la différenciation de pouvoirs opposés, je crois que c'est
cela qu'on est en train d'élaborer maintenant.
En Amérique, des gens qui ne sont pas tout à fait des juristes,
ni des historiens, ni des politologues réfléchissent pas mal là-dessus
et il me semble que ce livre "Liberté, libertés" s'inscrit dans
ce contexte. C'est en ce sens qu'il est, je crois, significatif.
Il faut tenir compte du fait que le livre n'est pas un livre technique,
ce n'est pas le programme commun. C'est un livre qui a été écrit
en grande partie par des gens comme moi, c'est-à-dire qui ne connaissent
pas grand chose au fond du problème bien qu'il y ait un certain
nombre de techniciens qui y aient participé, mais le niveau de discours
est assez allusif, rien de très précis. Mais il est significatif
d'une certaine manière de poser les problèmes.
"Liberté, libertés" : démultiplication du rôle du magistrat.
Je laisse de côté ce qu'il peut y avoir dans ce livre qui concerne
en gros l'élaboration et la transformation de la profession judiciaire,
je ne sais pas ce que cela vaut et je ne sais pas trop bien où ça
va, ce n'est pas à moi d'en juger. En revanche, ce qui m'a paru
intéressant, c'est la manière dont on programme un certain mode
de fonctionnement de ce que j'appellerais en général le judiciaire,
et je crois que ce texte manifeste un certain nombre de choses.
On voit apparaître de nouvelles attributions de l'institution judiciaire
quelquefois sur un point précis, quelquefois sur des problèmes beaucoup
plus généraux :
- Par exemple, on attribue au juge, et à lui seul semble-t-il,
en s'entourant d'un certain nombre d'avis, le pouvoir de décider
d'un internement psychiatrique. C'est au juge et à lui seul de prendre
cette décision.
- On donne également, mais sans indiquer par quels moyens, à l'institution
judiciaire et au juge, droit et pouvoir de contrôler directement
les activités de la police.
- On donne, par exemple aussi, un pouvoir beaucoup plus grand au
juge quant aux expulsions sur lesquelles le ministre de l'Intérieur
n'aurait pratiquement plus aucun rôle à jouer.
- Egalement, les tribunaux reçoivent le droit de transmettre à
une Cour suprême les exceptions d'inconstitutionnalité qui pourraient
être soulevées par un justiciable.
- Extension donc du rôle, du pouvoir de l'institution, mais ce
n'est pas cela l'essentiel. Le plus intéressant me semble être le
fait que la présence des magistrats est souhaitée dans des institutions
nouvelles : par exemple, on prévoit un conseil national de la consommation
qui a un président dont il est dit que ce sera un magistrat.
- Il y a également un conseil national des opérations de presse
composé sur proposition d'un certain nombre de gens qui sont désignés
par le Conseil d'Etat et par la Cour de cassation ; il y aura également
d'autres organismes qui désigneront des membres, mais la magistrature
désigne à peu près un tiers.
- Il doit y avoir également un conseil d'arbitrage de l'audiovisuel
et le président de ce conseil, il est entendu que ce sera un magistrat.
Donc, présence de magistrats dans des organismes nouveaux, création
également de fonctions judiciaires nouvelles : par exemple, on voit
apparaître des magistrats contrôleurs qui auront pour fonction de
surveiller, de juger la validité des écoutes ou des surveillances
individuelles que l'on ne peut pas entièrement supprimer, semble-t-il,
pour des raisons politiques non précisées. Donc, il y aura toujours
un système d'écoutes et de surveillance, mais on fera un contrôle
qui sera exercé par un magistrat.
Création multiple d'organismes à fonctions judiciaires : le conseil
de la consommation, de l'audiovisuel, de la presse ; enfin une délégation
aux libertés avec des inspecteurs et un délégué général aux libertés.
Je dis que ce sont des organismes de type judiciaire au moins dans
la mesure où il s'agit pour tous ces organismes de régler les litiges
après une série d'informations et de manière à prendre une décision
en faveur de l'une des parties en cause.
Donc, tout au long du texte, on voit cette démultiplication du
rôle du magistrat, du rôle de la fonction judiciaire et ceci à travers
tout le corps social et en prenant appui sur des relais institutionnels
divers, soit que les tribunaux eux-mêmes aient des fonctions accrues,
soit au contraire que l'on crée des organismes à fonction judiciaire.
Une nouvelle image de la fonction judiciaire.
Démultiplication, éparpillement, essaimage du judiciaire, mais
en même temps – je crois que c'est là le point sur lequel je voudrais
surtout insister – une véritable mutation des fonctions judiciaires,
sans préjuger encore une fois du maintien de l'institution judiciaire
elle-même, mais on voit se dessiner une espèce d'image nouvelle
du juge et de la fonction judiciaire qui porterait au fond sur tout
autre chose et qui aurait des fonctions nouvelles.
En quoi consistent ces nouveautés ? D'abord en ce qu'il y a de
nouveaux domaines d'intervention, la consommation par exemple, l'information
également, mais ce n'est pas la première fois que l'on demande à
l'institution judiciaire d'intervenir dans ces domaines-là. Après
tout, les lois sur la presse ont été au >XIXe et encore maintenant
quelque chose d'essentiel, le contrôle judiciaire du marché également.
Je crois que là il y a une différence qu'il faut bien comprendre.
Dans le projet dont je parle, il s'agirait de contrôler non seulement
le marché mais la consommation. En effet, un contrôle de marché
cela comporte quoi ? Il s'agit dans le contrôle de marché de surveiller
et de prendre des décisions quant à l'achat et la vente du produit,
quant à la bonne foi du vendeur. Dans le projet dont je vous parle,
il s'agit de prendre en charge quelque chose d'infiniment plus étendu
: il s'agit de prendre en surveillance, sous contrôle, tout un domaine
psychologique-économique fort complexe en lui-même et qui est celui
de la consommation, dans laquelle il faut prendre en compte quoi
? la qualité des produits. Mais, par qualité des produits, il faut
entendre non pas leur conformité avec ce qu'ils sont censés être,
mais en même temps leur effet possible sur la santé, leur composition,
le rapport entre le produit lui-même et les processus physiologiques,
etc.
De même, la consommation comporte toute l'information qui est liée
au produit, la vérité qui peut être connue sur le produit. Quand
on achète un produit dans le champ de la consommation, on n'achète
pas seulement un objet, on achète du savoir, on achète des idées,
de l'information vraie ou fausse… C'est également cela qu'il s'agit
de contrôler.
Il s'agit également quand on contrôle la consommation de contrôler
les effets, y compris psychologiques, de la publicité, de jauger
ce qui peut être non pas exactement vrai ou faux mais honnête ou
malhonnête, nuisible ou favorable, bref, tout un immense domaine
qui va de la physiologie de l'organisme jusqu'aux mécanismes psychologiques
ou sociologiques de stimulation publicitaire.
La redéfinition du "judiciable".
C'est tout cela maintenant qui doit être pris en charge, traversé
par une instance de type judiciaire : la consommation entre dans
le champ du judiciaire, la consommation devient du judiciable".
Je dis judiciable car le justiciable étant celui qui a à rendre
compte devant la justice, je dirais que le judiciable c'est le
domaine d'objets qui peuvent entrer dans le champ de pertinence
d'une action judiciaire.
Bon, la consommation devient du judiciable, l'information, c'est
la même chose. Il y a bien des lois qui contrôlent la presse, c'et
vrai, mais ce qui est prévu dans ce texte, c'est un contrôle beaucoup
plus général que celui de la presse écrite ou parlée : il s'agit
de prendre en considération tout un champ d'informations dont les
variables ne sont pas définies.
Mais les organismes qui sont prévus dans ce texte, que vont-ils
avoir à juger ? Par exemple, à propos des journaux, il y aurait
un conseil des organismes de presse : ce conseil, il aura à statuer
à la demande d'individus, de citoyens ou d'une association sur,
par exemple, l'honnêteté de l'information donnée par un journal.
Si un individu, un groupe estiment que les informations données
n'ont pas été honnêtes, eh bien, il le fera intervenir et l'organisme
en question aura le droit de rétablir une information honnête dans
le journal.
On arrive donc à ceci : on a une institution de type judiciaire
qui va statuer en vrai et en faux, et encore, avec les marges possibles
du vrai et du faux.
De même, des organismes de ce genre auront à veiller à la représentation
de la pluralité des opinions, ceci de deux manières : soit en veillant
à ce qu'en effet les monopoles de presse ne viennent pas laminer
tout un secteur de l'opinion dont on estime qu'il doit être effectivement
représenté, soit, et là, ce serait un autre organisme qui interviendrait
: celui de l'audiovisuel, le conseil national de l'audiovisuel,
pour que, à la radio ou à la télévision (dont le monopole est maintenu
selon ce texte), le monopole ne s'oppose pas à ce que la pluralité
des opinions soit représentée, jugeant en même temps de celles qui
doivent l'être, qui méritent de l'être, de celles qui sont assez
importantes pour l'être.
De la même façon, ce sont des organismes de ce genre, ces deux
organismes d'ailleurs pourraient soit dans les journaux dans le
cadre du premier, soit pour la télévision, dans le cadre du second
donner aux individus le droit de réponse, non pour ceux qui seront
attaqués nommément, mais pour ceux qui voudront contre une opinion
en faire valoir une autre. Donc, si vous voulez, on a là une intervention
de type judiciaire qui est profondément différente de celle qui
fonctionnait jusqu'à présent puisqu'il s'agira d'intervenir au niveau
du vrai et du faux, de l'honnête et du malhonnête, de la pluralité
des opinions, de la représentativité des opinions, du droit de dire
non quand il est dit oui, de dire oui quand il est dit non.
On peut dire que l'information, comme la consommation,
devient une espèce de judiciable dont le fonctionnement est nouveau.
On peut trouver un autre exemple, qui est important, c'est celui
de la relation de l'administration et de l'administré. Là encore,
c'est une bonne chose que la justice ait le droit de protéger les
administrés contre les abus de droit venant de l'administration,
mais là un certain nombre d'organismes sont prévus qui auront pour
fonction de régler ces rapports plus subtils, plus fins entre l'administration
et les administrés, en particulier au niveau du savoir, c'est-à-dire
qu'il y aura des organismes qui imposeront aux administrations de
dire un certain nombre de choses que jusqu'à présent elles considéraient
comme cachées. Elles interviendront donc comme principe de détermination
du public et du secret, de ce qui doit être vu et de ce qu'on est
bien obligé de garder dans l'ombre, ce sera une certaine manière
de rendre transparente l'administration, de veiller à ce que cette
administration soit bien un service, c'est-à-dire que la puissance
publique soit à la disposition des administrés.
Détermination d'un optimum fonctionnel pour le corps social.
Vous voyez qu'à travers ces quelques problèmes, ce n'est pas simplement
l'extension de certaines questions déjà posées à l'appareil judiciaire
qui sont prévues, c'est en fait toute une redéfinition des aires
d'intervention du judiciaire, une nouvelle définition sociale et
institutionnelle du judiciable. Or, ces nouvelles fonctions judiciaires
liées au nouveau domaine du judiciable vont consister en quoi ?
Bien sûr, il s'agira toujours d'établir le partage entre ce qui
est licite et ce qui est puni. Et ce qui m'apparaît important, c'est
que d'une part ce partage entre le licite et l'illicite va concerner
tout un tas d'autres projets, d'autres partages ; ça va être par
exemple le partage entre le vrai et le faux, entre le physiologiquement
bon et le physiologiquement nuisible, ça va être également le partage
entre ceux qu'il faut enfermer dans un hôpital psychiatrique et
ceux qui peuvent aller librement, ce qui est politiquement pertinent
pour l'information et ce qui n'a pas besoin de passer dans l'information,
ça va être aussi la distinction entre l'information utile et l'information
inutile. Et chacune de ces décisions aura pour objet finalement
de définir non pas tellement ce qui est légal et ce qui est illégal,
mais de définir un certain optimum ; quelle est finalement la quantité
optimum d'informations diverses qui doivent être représentées dans
la presse ; quelle est la quantité optimum d'informations honnêtes,
donc quelle est également la quantité optimum d'informations malhonnêtes
que l'on doit ou que l'on peut laisser passer à travers un système
de presse ; quelle est la quantité optimum de savoir que l'administration
doit délivrer et quelle est la quantité optimum de secret à laquelle
elle aura droit. C'est donc cette détermination d'un optimum fonctionnel
pour le corps social qui va être une des tâches fondamentales de
la justice, beaucoup plus que la détermination de ce qui est licite
ou illicite aux termes de la loi.
Et cette détermination des optimum, elle a pour objectif final
quoi ? Eh bien, je crois, essentiellement de mettre en place et
de faire fonctionner des mécanismes protecteurs, des mécanismes
protecteurs qui entourent ce que l'on appelle en termes d'administration
moderne des populations cibles, c'est-à-dire par exemple les vieillards,
les émigrés, les détenus, les malades mentaux. Ce sera également
des mécanismes protecteurs autour de ce que l'on pourrait appeler
les comportements vulnérables, car nous en avons tous. Même si nous
n'avons pas à être protégés en tant qu'individus ou en tant qu'espèce,
nous avons des comportements qui, eux, doivent l'être parce qu'ils
sont particulièrement vulnérables : en tant que consommateurs nous
sommes vulnérables, il faut nous protéger comme tels ; en tant que
récepteurs d'informations, lecteurs de journaux, observateurs de
la télévision, nous avons à être protégés. Il s'agit donc, pour
ces fonctions judiciaires nouvelles, de faire fonctionner ces mécanismes
protecteurs autour des populations cibles et des comportements vulnérables.
Et finalement, les instruments qui sont proposés à ces organismes
nouveaux, les instruments par lesquels leurs décisions vont pouvoir
prendre effet, quels sont-ils ? Ce qui est caractéristique, c'est
que ces organismes prendront des décisions – et auront le pouvoir
de les faire appliquer – qui ne seront pas de l'ordre de la sanction,
de la punition au sens où le système pénal l'entend. Ce seront des
sanctions d'un type relativement nouveau, puisque dans la plupart
des cas les instruments qui seront donnés seront des instruments
qui auront à jouer au niveau de l'information. C'est-à-dire, le
délégué aux libertés, quand il s'apercevra qu'une entorse a été
faite non simplement aux lois, mais d'une façon générale à cet optimum
de liberté que l'on peut souhaiter pour les individus ou pour les
groupes, comment est-ce qu'il interviendra ? Eh bien, il interviendra
en faisant les rapports, en obtenant que ces rapports soient effectivement
publiés dans la presse ou dans les organismes du monopole de l'Etat
; il publiera chaque année, un peu comme la Cour des comptes mais
d'une manière qui sera plus lisible ou plus accessible au public,
un livre de remontrances où on saura quelles ont été toutes les
distorsions aux principes des libertés qui auront pu être pratiquées
par les administrations ou par les organismes privés ; il y aura
un système de blâme. Bref, un appel continu à l'opinion, c'est-à-dire
que c'est à l'intérieur du système de l'information que les fonctions
prises par ces organismes trouveront leur place.
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