"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
SURVEILLER et PUNIR
SEPT CONCEPTS MAJEURS DANS L’ŒUVRE DE Michel FOUCAULT

Origine : http : //perso.wanadoo.fr/jean-paul.castex/FOUCAULT.htm

Michel FOUCAULT 1975 (extrait du chap. Corps dociles) L’art des répartitions

COMPRENDRE Michel FOUCAULT


SURVEILLER et PUNIR
Michel FOUCAULT 1975 (extrait du chap. Corps dociles)
L’art des répartitions

La discipline procède d’abord à la répartition des individus dans l’espace. Pour cela, elle met en oeuvre plusieurs techniques.

1 - La discipline exige parfois la clôture, la spécification d’un lieu hétérogène à tous les autres et fermé sur lui-même.... Collèges : le modèle du couvent peu à peu s’impose; l’internat apparaît comme le régime d’éducation sinon le plus fréquent, du moins le plus parfait....

2 - Mais le principe de " clôture " n’est ni constant, ni indispensable, ni suffisant dans les appareils disciplinaires. Ceux-ci travaillent l’espace d’une manière beaucoup plus souple et plus fine. Et d’abord selon le principe de la localisation élémentaire ou du quadrillage. A chaque individu, sa place.... L’espace disciplinaire tend à se diviser en autant de parcelles qu’il y a de corps ou d’éléments à répartir... Il s’agit d’établir les présences et les absences, de savoir où et comment retrouver les individus, d’instaurer les communications utiles, d’interrompre les autres, de pouvoir à chaque instant surveiller la conduite de chacun, l’apprécier, la sanctionner, mesurer les qualités ou les mérites. Procédure donc, pour connaître, pour maîtriser et pour utiliser.

3 - La règle des emplacements fonctionnels va peu à peu, dans les institutions disciplinaires, coder un espace que l’architecture laissait en général disponible et prêt à plusieurs usages... Sous la division du processus de production, en même temps qu’elle, on trouve, à la naissance de la grande industrie, la décomposition individualisante de la force de travail; les répartitions de l’espace disciplinaire ont assuré souvent l’une et l’autre.

4 - Dans la discipline, les éléments sont interchangeables puisque chacun se définit par la place qu’il occupe dans une série, et par l’écart qui le sépare des autres. L’unité n’y est donc ni le territoire (unité de domination) ni le lieu (unité de résidence), mais le rang : la place qu’on occupe dans un classement, le point où se croisent une ligne et une colonne, l’intervalle dans une série d’intervalles qu’on peut parcourir les uns après les autres... La discipline individualise les corps par une localisation qui ne les implante pas, mais les distribue et les fait circuler dans un réseau de relations.

Soit l’exemple de la " classe ". Dans les collèges des jésuites, on trouvait encore une organisation à la fois binaire et massive; les classes qui pouvaient compter jusqu’à trois cents élèves, étaient divisées en groupes de dix; chacun de ces groupes, avec son décurion, était placé dans un camp, le romain ou le carthaginois; à chaque décurie correspondait une décurie adverse. La forme générale était celle de la guerre et de la rivalité; le travail, l’apprentissage, le classement s’effectuaient sous la forme de la joute, à travers l’affrontement des deux armées;.... On peut noter d’ailleurs que cette comédie romaine permettait de lier, aux exercices binaires de la rivalité, une disposition spatiale inspirée de la légion, avec rang, hiérarchie, surveillance pyramidale... Peu à peu - mais surtout après 1762 - l’espace scolaire se déplie; la classe devient homogène, elle n’est plus composée que d’éléments individuels qui viennent se disposer les uns à coté des autres sous le regard du maître. Le " rang ", au XVIIe s, commence à définir la grande forme de répartition des individus dans l’ordre scolaire : rangées d ’élèves dans la classe, les couloirs, les cours; rang attribué à chacun à propos de chaque tâche et de chaque épreuve; rang qu’il obtient de semaine en semaine, de mois en mois, d ’année en année; alignement des classes d’âge les unes à la suite des autres, succession des matières enseignées, des questions traitées selon un ordre de difficulté croissante...

L’organisation d’un espace sériel fut une des grandes mutations techniques de l’enseignement élémentaire. Il a permis de dépasser le système traditionnel (un élève travaillant quelques minutes avec le maître, pendant que demeure oisif et sans surveillance, le groupe confus de ceux qui attendent). En assignant des places individuelles, il a rendu possible le contrôle de chacun et le travail simultané de tous. Il a organisé une nouvelle économie du temps d’apprentissage. Il a fait fonctionner l’espace scolaire comme une machine à apprendre, mais aussi à surveiller, à hiérarchiser, à récompenser... La première des grandes opérations de la discipline, c’est donc la constitution de " tableaux vivants " qui transforment les multitudes confuses, inutiles ou dangereuses, en multiplicité ordonnées. La constitution de " tableaux " a été un des grands problèmes de la technologie scientifique, politique et économique du XVIIIe s : aménager des jardins de plantes et d’animaux, et bâtir en même temps des classifications rationnelles des êtres vivants; observer, contrôler, régulariser la circulation des marchandises et de la monnaie.... Le tableau au XVIIIe s, c’est à la fois une technique de pouvoir et une procédure de savoir.


COMPRENDRE Michel FOUCAULT

Revue Sciences humaines novembre 1994

1926-1984 (mort du SIDA). Philosophe, historien, psychologue, sociologue, épistémologue... agrégé à 25 ans, Collège de France en 1969. Lutte en faveur des prisonniers, dissidents soviétiques, homosexuels, maoïstes... collabore avec le comité Solidarnosc en 1981.

A écrit : Histoire de la folie à l'âge classique, Les mots et les choses, Surveiller et punir.

Traduit aussi l'esprit de son époque et son œuvre entre en résonance avec plusieurs courants de réflexion qui ont animé la vie intellectuelle pendant plusieurs décennies : le structuralisme (Barthes, Lacan, Levi-Srauss), l’anti-humanisme (sens philo = refus de considérer l’homme comme un acteur conscient de ses actes et par la dissolution de la notion de sujet autonome), la critique des pouvoirs (Sartre, Althusser), courant anti-psychiatrique, pour la libération sexuelle (dans années 70 : le désir et la folie place importante sous influence de la psychanalyse), l'épistémologie relativiste : il s'apparente à Bachelard, Canguhilhem, Koyre qui ont pour préoccupation commune de relier la pensée scientifique aux cadres mentaux d’une époque;

NB : la notion d' épistémé crée par Foucault est proche du concept de Paradigme modèle explicatif crée par Thomas Khun, l'histoire des mentalités : réelle proximité dans son œuvre avec l’école historique des annales (Braudel, Veyne).

THÈMES D'ÉTUDE : la FOLIE, l'ÉPISTÉMOLOGIE, le POUVOIR, la MÉDECINE, la SEXUALITÉ, l'ÉTHIQUE, les SCIENCES DE L'HOMME de l'ANTIQUITÉ au XIXes.

THESE DOMINANTE : Montrer que chaque époque produit un discours dominant censé dire la vérité sur le monde et imposer ses normes.

* POUVOIR et SAVOIR pour Foucault : Le pouvoir n'est pas l'attribut de l'État, il est présent dans toutes les institutions telles que la PRISON, l’ÉCOLE, l’USINE, la FAMILLE ou les DISCIPLINES SCIENTIFIQUES.

La société disciplinaire et normalisatrice transforme l'individu en matière à travailler, en courbe à progresser. Pour Foucault, le pouvoir agit directement sur le corps et s'exprime sous forme de règlements, disciplines, injonctions qui font du corps une matière à travailler.

4 caractéristiques du pouvoir :

* il est immanent : il n'est pas unifié par le haut et s’exerce dans des " foyers locaux " (... enfants - éducateurs...)

* le pouvoir varie en permanence : incessantes modifications dans les rapports de force

* le pouvoir s’inscrit dans un double conditionnement : en dépit de son caractère microphysique, il obéit aussi à une logique globale (caractéristique d’une société à une époque)

* Le pouvoir est indissociable du SAVOIR : tout point d’exercice du pouvoir dans une société moderne est ainsi lieu de formation du savoir (sur le vivant, la folie, le sexe, la petite enfance...) et de façon symétrique, tout savoir établi permet et assure l'exercice d'un pouvoir. ex : démographie, criminologie... manière de connaître la population et de la contrôler. De la punition à la surveillance :

Dans son étude, l’EXCLUSION, Foucault donne le 18es comme charnière dans l'histoire de la punition. Jusque là, la punition = tortures, exécutions publiques puis prison (face cachée du processus pénal). La société disciplinaire pour Foucault : les machines à contrôler les corps : école, usine, prison créent une société disciplinaire qui répond à diverses mutations majeures (démographique, économique, politique, technologique) auxquelles l'Ancien Régime ne pouvait faire face. Il faut notamment articuler de manière optimale la croissance démographique avec le développement du systèmes de production (accumulation du capital). La réponse à ce double problème prend la forme d'une " micro-physique du pouvoir " caractérisée par trois nouveautés.

1 - l'échelle de contrôles il ne s’agit pas de traiter le corps globalement, comme une unité indissociable, mais d’exercer sur lui une coercition ténue au niveau du mouvement et des attitudes.

2 - ce contrôle s'exerce non plus sur les éléments signifiants de la conduite ou sur le langage du corps, mais sur l'économie, l'efficacité des mouvements; " la seule cérémonie qui importe, c'est celle de l'exercice ". (surveiller et punir).

3 - sur la modalité du contrôle : une coercition constante veille sur les processus de l'activité plutôt que ses résultats et quadrille au plus près le temps, l'espace, les mouvements. On peut appeler " disciplines " ces méthodes qui autorisent le contrôle minutieux des opérations du corps. Elles deviennent, pour Foucault, au 18es des formes générales de domination dans les casernes, écoles, usines ou prisons. Il faut pour cela
: - répartir les individus dans l'espace selon un principe de clôture (c'est le moment du grand enfermement)
,- assigner les masses mouvantes dans des endroits cernés (chacun sa place et son rang)
- contrôler l'activité (emplois du temps rationnels. Le travail est rendu obligatoire (contrôle serré). Par une pédagogie du mouvement, par la notation et le classement, par la surveillance hiérarchique, la société disciplinaire individualise la masse anonyme. " Quoi d'étonnant, si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ? "

CRITIQUE :

Les critiques font état de multiples fautes de détail, mais aussi de graves défaillances théoriques qui pourraient remettre en cause tout l'édifice intellectuel : Dans " l'histoire de la folie.... ", la thèse du grand renfermement = au moyen âge, les fous sont bien intégrés à la société et parfois traités comme des maîtres de vérité, mais à partir du 17eme siècle, les malades (dont les fous) sont isolés du reste de la population dans des établissements spécialisés. Les historiens de la psychiatrie ne sont pas d'accord : on trouve de nombreux cas de persécutions au Moyen Age. D'autre part, les hommes ont toujours essayer de soigner les malades mentaux (au Moyen Age = exorcisme, pèlerinages et parfois chirurgie (saignée).Par ailleurs, le grand enfermement a lieu au l9e s. Pourquoi Foucault avance de 2 siècles ? Peut-être parce qu’il veut montrer que cette nouvelle attitude vient de la ligne partage entre Raison et Folie conçue par les philosophes des Lumières (" irrationnel et déraison ").

* Autre critique majeure (Gauchet et Swain) : le développement des asiles et du traitement de la folie est lié à l’avènement d'une société démocratique (intégrer le déviant prendre en charge les faibles; Pinel : 19es accorde au fou le statut de malade qui peut être guéri).

* Dans les mots et les choses, il propose le terme épistémè (cadres du savoir) avec lesquels, selon lui, on a pensé la nature humaine depuis la renaissance. Ce terme veut traduire des RUPTURES brutales, des séparations tranchantes. Or certains auteurs ( Boudon : sociologue) indiquent qu'à la Renaissance, à coté d'une pensée magique et analogique, une pensée rationnelle et mathématique existait (sans laquelle le système de Copernic et les lois de Kepler n'auraient pu être élaborés). Les épistémè de Foucault ne vaudraient donc que pour certains modes de pensée mais pas pour tous. Pour Boudon les structures de pensée mises à jour par Foucault font " bon marché de la complexité de l'histoire des sciences ".

* S'agissant des prisons, pour Foucault, le maintien d'une forme carcérale qui supprime pas la délinquance mais l’entretient s'explique par une fonction sociale précise. Elle sert à rendre invisible l’illégalité des classes dominantes; la prison est utile à la police qui est utile à la classe dominante. Thèse dépourvue de validité scientifique selon Raymond Boudon.

* Pour ce qui concerne le POUVOIR, Foucault semble réduire toutes les institutions modernes à des dispositifs omnipotents de contrôle et de normalisation des individus (= institutions carcérales). Mais cette analyse ne distingue pas les États démocratiques (États de droit) des États totalitaires.


SEPT CONCEPTS MAJEURS DANS L’ŒUVRE DE Michel FOUCAULT

ARCHÉOLOGIE DU SAVOIR : Vise à dégager les conditions d'apparition d'un discours (ses fondations). L'archive est le matériau privilégié de l'historien.

DISCIPLINE : La mise en forme du savoir dans une discipline suppose une certaine normalisation des formes de pensée.

DISCOURS : Foucault le trouve dans les ouvrages scientifiques, les manuels didactiques, les textes de loi qui régissent un domaine. I1 s'agit d'un corpus de textes à visée scientifique ou pédagogique qui s'insère dans le cadre de pensées propres à une époque.

EPISTEME : cadre de pensée propre à une époque. Proche de celle de paradigme crée par Thomas Kuhn (philosophe des sciences). Selon Foucault l’épistémè d’une période succède brutalement à celle de la période précédente.

POUVOIR : pas attribut exclusif d’un homme, d’un État, d’une classe. I1 est diffus et non localisable en un lieu précis. La microphysique du pouvoir vise à analyser les méthodes de domination et non la nature ou les sources du pouvoir.

RAISON : Ici, pas dans le sens mathématique. La raison est synonyme de pensée scientifique ou philosophique. On l'oppose aux croyances jugées irrationnelles fondues sur les désirs et les passions.

SAVOIR : n’est pas une connaissance neutre, objective et universelle. La " volonté de savoir " implique un processus de domination sur les objets et sur les hommes.

LES TROIS ÉPOQUES DE LA PENSÉE

Age pré-classique (Moyen Age et Renaissance) : => PENSÉE DE RESSEMBLANCE ET D'ANALOGIE. ex; analogies entre les quatre éléments et les types de maladie ou de caractères humains (la noix soigne les maux de tête car ressemble à un cerveau...)

Age classique (milieu du 17 ème siècle au début du 19 ème s) : => PENSÉE DE l'ORDRE et du CLASSEMENT ex : sciences naturelles ---> Évolution.

Époque de la modernité (début du l9eme s) : => PENSÉE DE l’HISTOIRE. I1 s’agit de trouver un ordre logique (une Raison) caché dans le monde et de répartir les objets selon des classifications