|
Origine : http://www.liberation.fr/page.php?Article=216728
samedi 19 juin 2004 Liberation
Foucault et la psychanalyse Folie et vérité de la
psychanalyse Par René Major, psychanalyste
Qu'est-ce que Foucault n'aura pas dit de la psychanalyse !? Selon
le ton employé pour dire cette phrase, elle sera ponctuée
par une exclamation ou une interrogation.
Qu'est-ce qu'il n'aura pas dit ! Sous cette forme exclamative,
on pourra relever les énoncés les plus ambigus ou
les plus contradictoires, en apparence tout au moins. Bien que,
tout au long de son oeuvre, Foucault n'analyse aucun texte de Freud
ni de son contemporain Lacan, qui aura pourtant multiplié
les appels dans sa direction et ce depuis Naissance de la clinique,
les références à Freud, à l'inconscient,
à sa découverte comme moment charnière de ce
qu'il appellera une nouvelle discursivité sont constamment
présentes, à la fois sur le mode de l'appartenance
et de la non-appartenance au discours foucaldien.
S'agissant de l'Histoire de la folie, par exemple, Foucault reconnaîtra
que, rompant avec ce qui ancrait jusqu'ici la folie dans la maladie
psychique, et ce qui en faisait «une expérience réduite
au silence par le positivisme», Freud en fait une chose de
la raison elle-même, «restitue, dans la pensée
médicale, la possibilité d'un dialogue avec la déraison».
Mais tout en créditant la psychanalyse de «pouvoir
dénouer quelques-unes des formes de la folie», elle
restera pour lui «étrangère au travail souverain
de la déraison». Plus tard, dans les Mots et les choses,
Foucault dira de Freud qu'il est «le premier à avoir
entrepris d'effacer radicalement le partage du positif et du négatif,
du normal et du pathologique, du compréhensible et de l'incommunicable,
du signifiant et de l'insignifiant».
Freud aurait ainsi, en délivrant l'homme de son existence
asilaire, regroupé les pouvoirs, les aurait tendus au maximum
en créant la situation psychanalytique où, «par
un court-circuit génial, l'aliénation devient désaliénante
parce que, dans le médecin, elle devient sujet». Ce
qui reste pour lui «l'importance la plus décisive de
la psychanalyse», c'est qu'«à la différence
des sciences humaines qui (...) demeurent toujours dans l'espace
du représentable», la psychanalyse déborde la
représentation et rapporte le savoir de l'homme à
la finitude qui le fonde. Dès lors, dans les Mots et les
choses, il n'est plus question de la logique de l'aliénation
dans la situation analytique : «Ni l'hypnose ni l'aliénation
dans le personnage fantastique du médecin ne sont constitutives
(...) celle-ci ne peut se déployer que dans la violence calme
d'un rapport singulier et du transfert qu'il appelle.»
Qu'est-ce que Foucault n'aura pas dit de la psychanalyse ? Sans
doute ce qu'il laissait entrevoir dans un entretien à Ornicar
? à la parution du premier volume de l'Histoire de la sexualité
: «Le premier titre était Sexe et vérité.
On y a renoncé, mais enfin c'était tout de même
ça mon problème : qu'est-ce qui s'est passé
en Occident pour que la question de la vérité soit
posée à propos du plaisir sexuel ? Et c'est mon problème
depuis l'Histoire de la folie.» Or, si Foucault met en rapport
la folie et la vérité, le sexe et la vérité,
ce qui est absent, c'est le rapport entre la folie et la sexualité.
Ce que la psychanalyse découvre, ce n'est pas «ce bavardage
infini de la raison sur la sexualité» mais plutôt
le lien intime de la sexualité avec le murmure secret de
la déraison. Depuis la vie quotidienne jusqu'aux délires.
Par ailleurs, à suivre Freud de plus près dans Au-delà
du principe de plaisir, c'est toute l'économie du plaisir
qui se voit repensée, compliquée, voire arraisonnée
par une pulsion de pouvoir. Ce qui situe tout autrement les «stratégies
de savoir et de pouvoir» dont parle Foucault. Le caractère
pervers polymorphe de la sexualité infantile dont parle Freud
n'a jamais été un secret, sauf dans certains prétoires.
C'est en tant que mémoire inconsciente que son contenu se
voile ou se dévoile alors que les pulsions qui en organisent
les fantasmes ou les scénarios viennent se mettre au service
du pouvoir, jusque dans sa plus obscène cruauté, comme
en témoignent les «actualités».
Ce qui devrait retenir particulièrement l'attention des
psychanalystes aujourd'hui, c'est toute la réflexion de Foucault
sur les dispositifs de surveillance et de punition du pouvoir, des
dispositifs panoptiques aux dispositifs panacoustiques, et jusqu'à
la psychologisation de tous ces dispositifs qui font circuler en
boucle images et récits des mensonges et vérités
de la folie du sexe... et du pouvoir.
|