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Origine : http://www.enm.justice.fr/ihej/bien_commun_foucault.htm
Foucault - La police des conduites par Jean-Claude Monod
Les premiers champs d'intérêt de Michel Foucault -
la folie, la naissance de l'asile, et de la clinique - peuvent paraître
bien éloignés du droit. Pourtant, l'étude des
institutions qui, de l'hôpital général à
la prison, ont "traité" malades et miséreux,
fous et débauchés, vagabonds et délinquants,
conduit à réinterroger ces gestes dont l'habitude
nous a fait oublier l'étrangeté : enfermer pour guérir,
discipliner pour intégrer, exclure pour inclure... L'étude
des pratiques disciplinaires a permis à Michel Foucault d'éclaircir
le fonctionnement du système pénal moderne. Si cette
perspective peut apparaître comme une vision radicale à
l'égard des représentations courantes du droit, elle
pourrait bien constituer aussi l'une des approches critiques les
plus éclairantes des tensions qui traversent les systèmes
pénaux contemporains, et au-delà, tout notre système
juridique.
Jean-Claude Monod, ancien élève de l'Ecole normale
supérieure (Ulm), agrégé de philosophie, est
actuellement chargé d'enseignement à l'Université
de Paris-I.
Origine http://www.unige.ch/fapse/SSE/teaching/eat1/trans/uf1-panoptisme.html
Le panoptisme ou le cauchemar lumineux Extrait de : Monod, Jean-Claude (1997). Foucault. La police des conduites.
Paris, Michalon (le bien commun), pp.72-74.
Le paradoxe des analyses foucaldiennes de l'espace carcéral est
qu'elles insistent moins sur l'aspect de fermeture que sur l'exposition
toujours possible du prisonnier aux regards des instances de contrôle.
En cela, Surveiller et punir poursuit ce qu'on pourrait appeler
la " critique politique de la visibilité " entamée dès
les premières oeuvres de Foucault. L'Histoire de la folie,
déjà, imaginait que l'obscurité du cachot était peut-être moins
contraignante que le " jugement perpétuel " auquel le
fou " libéré " allait être ultérieurement soumis. Naissance
de la clinique suggérait à son tour que les grands mythes des
Lumières pouvaient receler le danger d'un espace transparent sans
échappatoire. " Le regard qui voit est un regard qui domine
" (NC, p. 38).
En " croisant " fermeture et surveillance individualisée,
la prison moderne réalise la synthèse de deux grands modèles " politico-médicaux "
de l'histoire occidentale : l'exclusion dans un espace clos
répète l'exil des lépreux, tandis que les procédés de contrôle régulier
rappellent le quadrillage d'une ville pestiférée. Cette synthèse
constitue l'espace disciplinaire par excellence, dont l'idéal est
figuré par un projet conçu par Bentham, grand théoricien de l'utilitarisme,
mais aussi concepteur d’un modèle d'architecture " panoptique "
(qui voit tout). La description du dispositif du Panopticon, dans
Surveiller et punir, est célèbre: " À la périphérie,
un bâtiment en anneau; au centre, une tour; celle-ci est percée
de larges fenêtres qui ouvrent sur la face intérieure de l'anneau ;
le bâtiment périphérique est divisé en cellules, dont chacune traverse
toute l'épaisseur du bâtiment; elles ont deux fenêtres, l'une vers
l'intérieur [...] l'autre, donnant sur l'extérieur, permet à la
lumière de traverser la cellule de part en part. [...] Par l'effet
du contre-jour, on peut saisir de la tour, se découpant exactement
sur la lumière, de petites silhouettes captives dans les cellules
de la périphérie. Autant de cages, autant de petits théâtres, où
chaque acteur est seul, et constamment visible " (SP, p. 201).
On voit le " gain " par rapport au cachot : la pleine
lumière ne laisse rien au hasard, là où l’ombre, " finalement,
protégeait. La visibilité est un piège " conclut Foucault.
Surtout, le panoptique fait fonctionner à plein le principe de dissymétrie
du pouvoir - les surveillés peuvent être vus en permanence mais
ils ne voient pas celui qui les voit, qui peut changer, s'absenter,
à la limite ne pas exister. La tour pourrait être vide : la
disposition même de l'espace ferait que l'homme en cellule (ou l'enfant,
le fou ou l’écolier, car le dispositif benthamien est applicable
à tout espace disciplinaire) pourra se croire à tout moment surveillé.
Comme par un tour de force, " un assujettissement réel naît
mécaniquement d'une relation fictive " (SP, p. 204). Le piège
de la visibilité se referme sur celui qui, se croyant toujours vu,
finit par intérioriser la surveillance et en prend inconsciemment
le relais. " Celui qui est soumis à un champ de visibilité,
et qui le sait, reprend à son compte les contraintes du pouvoir ",
écrit Foucault : dès lors, le pouvoir " extérieur " peut s'alléger,
disparaître comme instance de répression directe et violente et
ne plus s'exercer que dans l'anonymat d'une fonction.
La polyvalence du dispositif panoptique, le fait que Bentham l'ait
conçu comme pouvant être appliqué à toutes sortes d'institutions
ayant à gérer des " multiplicités " humaines, traduit
pour Foucault le " désenfermement " des disciplines, leur
extension virtuelle au champ social tout entier. Virtuelle
ou actuelle, inexorablement en cours, voire déjà réalisée ?
C'est l'ambiguïté de ces pages de Surveiller et punir :
la " fiction " benthamienne exprime-t-elle un programme
" utopique " ou faut-il y voir, comme Julius, auteur d'un
Traité sur les prisons de 1831 cité par Foucault (p. 218),
un processus historique accompli ? " Notre société n'est
pas celle du spectacle, mais celle de la surveillance ", écrit
Foucault, sans que l'on sache parfaitement s'il ne fait que rapporter
un point de vue. " Nous ne sommes ni sur les gradins, ni sur
la scène, mais dans la machine panoptique, investis par ses effets
de pouvoir que nous reconduisons nous-mêmes puisque nous en sommes
un rouage " (SP, pp. 218-219). Le pouvoir " capillaire "
informe l'individu, projette en lui le modèle de " l'homme "
auquel il devra se conformer, fait de son " âme " le relais
le plus intime et le plus efficace des fonctions de surveillance
et de discipline. Après Nietzsche qui s'interrogeait sur la manière
dont la morale avait pu être gravée à l'intérieur des corps sous
le nom de " conscience ", Foucault évoque " une âme
[...] qui est elle-même une pièce dans la maîtrise que le pouvoir
exerce sur le corps ", et renverse la vision platonicienne
du corps tombeau de l'âme: " L'âme, prison du corps "
(SP, p. 34).
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