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Origine : Note
biographique - Extrait de l'Encyclopædia Universalis, 1995.
http://philippe.gournay.free.fr/figures/foucault.html
Michel Foucault
Philosophe, et aussi historien de fait
et de goût, Michel Foucault fut, à partir des années soixante, l’une
des figures les plus influentes du paysage culturel français. Après
avoir enseigné aux universités de Clermont-Ferrand, puis de Tunis,
et enfin de Paris-VIII (Vincennes), il a été élu en 1970 au Collège
de France, où il occupait la chaire d’histoire des systèmes
de pensée. Ses ouvrages, qui toujours replacent événements et savoirs
dans des perspectives inédites, et dans lesquels la documentation
érudite, l’interprétation originale et la description talentueuse
sont subtilement indissociables, lui ont gagné la faveur d’un
large public volontiers séduit et fasciné. Ses thèses philosophiques
ont fait l’objet de maintes controverses, dans la mesure où
elles ont paru, sans doute à tort, exclusivement liées au structuralisme.
Michel Foucault ne veut être expressément
ni un historien des idées, ni un historien des sciences, au sens
classique de ces termes. Seule l’intéresse « la discontinuité
anonyme du savoir ». Il veut encore moins être philosophe selon
l’acception habituelle : la recherche des « conditions de
possibilité » du savoir n’a, chez lui, qu’un rapport
d’homonymie avec l’entreprise kantienne. « Le savoir,
écrit-il, comme champ d’historicité où apparaissent les sciences,
est libre de toute activité constituante, affranchi de toute référence
à une origine ou à une téléologie historico-transcendantale, détaché
de tout appui sur une subjectivité fondatrice. » Les seuls maîtres
dont Foucault se réclame sont Marx et Nietzsche, et G. Bachelard
(les « seuils épistémologiques »), G. Canguilhem (les « déplacements
et transformations de concepts »), M. Gueroult (« l’unité
architectonique des systèmes philosophiques »), pour les contemporains.
La seule dénomination qu’il admette pour lui-même est celle
d’archéologue, d’un archéologue voué à la reconstitution
de ce qui en profondeur rend compte d’une culture : archéologie
du « silence imposé aux fous » (1961), archéologies du regard médical
(1963), des sciences humaines (1966), du « savoir » en général (1969),
de la société disciplinaire (1975).
Les figures de l’Autre
Dès son premier ouvrage, Maladie mentale
et psychologie (1954), il se préoccupait de déchiffrer une des figures
de l’altérité et cherchait la racine et la condition de possibilité
de la pathologie mentale « dans un certain rapport, historiquement
situé, de l’homme à l’homme fou et à l’homme vrai
». Dans l’histoire de la civilisation occidentale, il est
un moment où « la grande confrontation de la raison et de la déraison
a cessé de se faire dans la dimension de la liberté, et où la raison
a cessé d’être pour l’homme une éthique pour devenir
une nature ». C’est d’une dimension de liberté que témoignent
encore ces penseurs dont le génie voisine avec la folie : Nerval,
Nietzsche, Artaud. Foucault n’a pas hésité à consacrer une
étude complète au poète Raymond Roussel, dont l’œuvre
« serait le premier inventaire, en forme de littérature, des pouvoirs
dédoublants du langage », et dont la déraison « communique sans
doute avec la raison de notre monde ».
Le livre le plus achevé de Foucault,
l’Histoire de la folie à l’âge classique (1961), est
une minutieuse et émouvante évocation de ce partage de la raison
et de la déraison. Les matériaux de l’enquête sont empruntés
à la littérature, à l’art, à la philosophie, mais aussi à
l’histoire des institutions et des pratiques de la vie quotidienne.
Comment est-on passé, se demande Foucault, de l’expérience
médiévale humaniste de la folie à cette expérience qui est la nôtre
et qui confine la folie dans la maladie mentale, l’exclut
et l’aliène ? S’il n’est pas primordial, le rôle
de l’institution médicale n’est pas négligeable. Foucault
s’efforce ensuite de cerner, dans La Naissance de la clinique
, le rapport entre perception du corps et langage sur le corps,
dans la médecine de la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, rapport
dont l’importance n’est pas seulement méthodologique
mais aussi ontologique. On arrive alors, en effet, à tenir sur l’individu
un discours à structure scientifique, une fois que se sont modifiés
le partage du visible et de l’invisible et le partage de ce
qui s’énonce et de ce qui est tu. Le versant médico-légal,
l’aspect institutionnel et répressif du renfermement et de
l’exclusion sociale ont fait l’objet, depuis 1970, d’un
certain nombre de séminaires au Collège de France. Paru en 1975,
Surveiller et punir décrit la « naissance de la prison ». Dans ce
« curieux projet d’enfermer pour redresser » qui caractérise
notre société disciplinaire, M. Foucault voit l’un des moyens
par lesquels le pouvoir s’assure la maîtrise des individus.
Du XVIe au XIXe siècle, mesurer, enregistrer, faire manœuvrer,
sont autant de « manières d’assujettir les corps, de maîtriser
les multiplicités humaines et de manipuler leurs forces ». La discipline
des prisons rejoint celle de l’armée, des ateliers, des hôpitaux
et des collèges. Aujourd’hui, investie par les sciences humaines,
la pénalité moderne se veut moins punitive que réadaptative. Néanmoins
demeure en elle, pour Foucault, une même « forme mixte d’assujettissement
et d’objectivation », un même « pouvoir-savoir ». L’auteur
souligne que son ouvrage doit « servir d’arrière-plan historique
à diverses études sur le pouvoir de normalisation et la formation
du savoir dans la société moderne ».
En dépit des apparences offertes par
le titre, c’est une même visée théorique et politique qui
anime les recherches de Michel Foucault sur l’Histoire de
la sexualité . Le discours sur le sexe, tout comme l’intervention
punitive, repose sur des « manipulations réfléchies » des individus
et des populations. Le premier volume de ces recherches, La Volonté
de savoir , met en question l’hypothèse généralement acceptée
selon laquelle, depuis le XVIe siècle, l’on aurait assisté,
en Occident, à une répression croissante de la sexualité dont le
moment culminant serait le « puritanisme victorien », et dont la
« libération » aurait commencé avec le XXe siècle. Foucault replace
cette « hypothèse répressive » dans une « économie générale des
discours sur le sexe à l’intérieur des sociétés modernes depuis
le XVIIe siècle ». Constatation paradoxale : la prétendue « libération
» actuelle fait figure de soumission à « l’injonction séculaire
d’avoir à connaître le sexe ».
Cependant, les derniers volumes parus
opèrent un « recentrement » à partir de la nécessité de tenter un
« généalogie de l’homme du désir » dans l’Antiquité
gréco-latine, relativisant la problématique chrétienne et ses prolongements
modernes, réévaluant une « esthétique de l’existence ».
Les figures du Même
Les figures du Même sont les figures
de l’ordre dans les choses, celles qui constituent l’objet
de la science. L’ouvrage Les Mots et les Choses (1966) repère
dans le champ épistémologique de la culture occidentale deux grandes
discontinuités : celle qui, à la fin du XVIIe siècle, inaugure l’âge
classique (solidarité entre la théorie de la représentation et les
théories du langage, de la nature, de la richesse) ; celle qui,
au début du XIXe siècle, « marque le seuil de notre modernité »
(la théorie de la représentation disparaît comme fondement général
de tous les ordres possibles, linguistique, biologique, économique
et politique, et l’homme devient l’objet d’un
savoir possible). L’Archéologie du savoir (1969) reprend l’instruction
du procès commun de l’humanisme et de l’anthropologie
et réaffirme une volonté polémique d’analyser les discours
scientifiques en leur succession sans les référer à une subjectivité
constituante. L’objet de l’« archéologue », ce sont
les formations et transformations discursives. Les principes de
son étude sont donnés dans la leçon inaugurale au Collège de France
en 1970 (L’Ordre du discours , 1971) : introduire à la racine
de la pensée le hasard, le discontinu et la matérialité ; faire
l’inventaire des procédés qui dans toute société contrôlent
la production du discours, en « maîtrisent l’événement aléatoire
», en « esquivent la lourde, la redoutable matérialité ». Parmi
les tâches actuelles de la philosophie figurent celles qui consistent
à remettre en question notre « volonté de vérité », à restituer
au discours son caractère d’événement et à lever la souveraineté
du signifiant.
On a voulu voir en Michel Foucault
le chantre de « la mort de l’Homme » ou encore, comme naguère
Gilles Deleuze, un entrepreneur de « destruction froide et concentrée
du sujet ». Anti-humaniste peut-être, défenseur de l’individu
certainement. Avec Jean-Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet, il
a fondé en 1971 le G.I.P. (Groupe d’information sur les prisons),
contestation politique de l’univers carcéral.
Révéler un nouveau regard, c’est
enfin le propre de l’écrivain. Foucault a le don d’«
affoler » son lecteur. Penseur de la discontinuité et des violents
clivages, il n’en assure pas moins une suave continuité au
niveau de l’écriture. La prolifération volontiers baroque
des métaphores n’entame en rien la sereine limpidité d’un
style égal dans toutes les œuvres de l’auteur. Ne nous
étonnons pas non plus si l’entreprise conçue pour nous « décentrer
» nous fait vaciller, si le bougé des repères a pour effet le vertige,
si le savant maniement des miroirs suscite, l’éblouissement
qui précède les nouvelles lucidités comme les nouveaux aveuglements.
Sans doute faudra-t-il considérer l’introduction à L’Usage
des plaisirs comme son dernier mot : « entreprendre de savoir comment
et jusqu’où il serait possible de penser autrement », plutôt
que théoriser ce que l’on sait déjà.
Source : Encyclopædia Universalis
Origine : Note
biographique - Extrait de l'Encyclopædia Universalis, 1995.
http://philippe.gournay.free.fr/figures/foucault.html
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