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Le pouvoir de Machiavel à Foucault
Le " trou noir " du pouvoir ?
Punir
? La disparition de la punition

Origine : http://hal9000.cisi.unito.it/wf/FACOLTA/Scienze-Po/Didattica-/I-corsi-ol/Storia-del1/Area-Corso/Conferenze/Testo_Zarka.rtf

Le pouvoir de Machiavel à Foucault

Le pouvoir est devenu l'élément central du politique à l'époque moderne et contemporaine, même si des conceptions sur le meilleur gouvernement ou la société idéale ont tenté de faire prévaloir d'autres concepts. Toute réflexion sur les institutions, les lois, la justice, le droit, le gouvernement, l'homme d'Etat reconduit inévitablement au pouvoir. C'est en revenant ainsi au pouvoir que la pensée rejoint le réel. Machiavel n'entendait pas faire autre chose lorsqu'il affirmait au chapitre XV du Prince “ mi è parso più conveniente andare drieto alla verità effettuale della cosa, che alla imaginazione di essa ” .

Mais qu'est-ce que le pouvoir ? Comment se constitue-t-il ? Par quelles voies s'inscrit-il dans les articulations de la société ? Quels sont ses modes d'institutionnalisation dans les structures juridico-politiques et les codes sociaux qui pérennisent la domination et reproduisent l'obéissance ? Quels sont ses modes de légitimation ? A-t-il une histoire ?

Le présent ouvrage, Figures du pouvoir, entend répondre à ces questions à travers une double interrogation. 1/ Si le pouvoir n'est pas une essence immuable, quelles sont les figures qui l'ont successivement défini à l'époque moderne et contemporaine ? 2/ Le pouvoir n'est pas séparable de la manière dont il est exercé : comment penser le rapport entre structures de pouvoir et formes de gouvernement en particulier dans les démocraties contemporaines ?

Les réponses apportées ont pour objet de déterminer la mesure dans laquelle nous serions sortis aujourd'hui des catégories sur lesquelles la politique moderne s'est construite.

Les deux premières parties de l'ouvrage concernent des catégories de la modernité politique liées à celle de pouvoir : la patrie, le héros, l'histoire, le droit naturel. La troisième s'efforce de penser le présent politique à travers une réflexion sur le gouvernement de la démocratie aujourd'hui où se trouvent engagés des enjeux aussi considérables que ceux de la crise de l'Etat-Providence, la redéfinition de la liberté politique, la fin de l'utopie sociale, le rapport entre structures de pouvoir et formes de gouvernementalité, ainsi que la question de l'histoire du pouvoir.

1/ Le pouvoir à l'époque moderne

Si le pouvoir acquiert une position politique centrale dès le début des temps modernes, c'est en vertu de modifications fondamentales qui affectent l'histoire des Etats. Il s'agit, d'une part, de la remise en cause, théorique d'abord, pratique ensuite, au moment des guerres de religions, de la subordination du temporel au spirituel. Dans la mesure même où le spirituel éclate en une pluralité de confessions, sa supériorité sur le pouvoir politique se trouve fortement ébranlée et, avec elle, l'idée d'une norme de justice transcendante qui juge et règle de l'extérieur le politique. D'autre part, le pouvoir politique désormais renvoyé à lui-même se présente sous la forme d'une pluralité d'Etats, aspirant à l'indépendance et à la souveraineté, entre lesquels les relations sont définies en termes de puissance et d'équilibre des puissances selon une configuration géopolitique qui va devenir dominante au XVIIe siècle. Enfin, le pouvoir politique de l'Etat doit se situer par rapport à d'autres instances comme la société civile ou l'économie : le pouvoir a-t-il une fonction normative ? Sur quel ordre de réalité doit-il s'exercer ? Ces dernières questions viendront au premier plan au XVIIIe siècles avec la naissance du libéralisme économique.

Cette centralité du pouvoir dans l'histoire politique des temps modernes a été pensée sous différentes formes : constitution d'un discours sur l'état d'urgence et la possibilité de rétablir des institutions républicaines qui réactivent le “ vivere libero e civile ”, chez Machiavel ; transformation de la religion en une arme politique et rationalisation de la puissance d'Etat, chez les théoriciens de la raison d'Etat ; théories de la souveraineté, c'est-à-dire liaison entre puissance et droit, chez Bodin, Grotius et Hobbes ; historicisation de l'idée de nation et description des changements qui affectent les structures de pouvoir conformément à l'état de la société chez Vico.

Mais plutôt que d'analyser les aspects les plus massifs des théories indiquées à l'instant, j'ai préféré envisager la question du pouvoir à l'époque moderne par trois biais particuliers, susceptibles de nous révéler quelque-unes des déterminations qui lui sont spécifiques. Il s'agit de son enracinement historique et territorial : la patrie ; de son fondement anthropologique : la conduite des individus ou des groupes ; enfin de son détenteur : le prince comme héros politique ou l'Etat.

a/ La patrie

C'est avec Machiavel que l'on peut prendre la pleine mesure des enjeux du rapport entre le pouvoir et la patrie. Le pouvoir n'est pas une entité abstraite, une machine à domination qui fonctionne sans tenir compte des lieux et des temps. Le monde de Machiavel est profondément différencié. Il est traversé de frontières et d'histoires qui le morcellent selon une pluralité hétérogène de cités, d'Etats et de peuples. Il ne comporte donc rien de ce que nous commençons à connaître au début du XXIe siècle, c'est-à-dire un double effet de déterritorialisation (les frontières existent toujours mais deviennent de plus en plus abstraites) et d'homogénéisation qui tend à supprimer l'idée de patrie. A l'opposé d'un tel monde déterritorialisé et homogénéisé qui, s'il va jusqu'au bout de sa logique, ne sera rien d'autre qu'un désert, lieu de l'errance infinie de populations humaines sans identité, l'idée de patrie renvoie à un monde différencié selon la mémoire et le lieu. Machiavel ne se limite nullement à l'examen des modalités d'acquisition et de conservation du pouvoir, il lie ses analyses, ses descriptions et ses récits à un patriotisme qui les inscrit dans l'histoire de Florence. L'évocation de la patrie n'a donc rien d'un motif réactionnaire comme la volonté de maintenir un ordre de domination autoritaire contre des forces de changement et de libération. Au contraire, Machiavel montre comment cette évocation est liée au projet d'un rétablissement d'institutions républicaines. Dans le Prince, les Discours et les Histoires florentines la patrie renvoie à un double registre de considérations. Premièrement, elle est tenue pour une valeur quasi absolue, par rapport à laquelle toute autre valeur est subordonnée. Ainsi, lorsque le salut de la patrie est en cause, on doit la défendre par tous les moyens nécessaires, qu'ils soient justes ou injustes, glorieux ou ignominieux. Si la patrie était perdue, la liberté le serait inexorablement aussi. Deuxièmement l'amour de la patrie (amore della patria), dans les Histoires florentines, est le ressort affectif qui soutient la possibilité d'une restauration du vivere libero e civile. Cette position ne caractérise pas seulement Machiavel, on en retrouvera des aspects importants dans l'idéalisme allemand, chez Kant, Fichte et Hegel. Pour Kant par exemple le patriotisme intervient lorsqu'il s'agit de définir une constitution libre. La patrie traverse ainsi, plus ou moins souterrainement, la pensée politique moderne : elle réinscrit la question du pouvoir dans le contexte d'une terre et d'une mémoire particulières.

b/ La "libido dominandi"

L'interrogation sur le fondement anthropologique du pouvoir concerne le rapport du pouvoir aux individus et aux groupes. Si les sociétés politiques se construisent à travers des structures de pouvoir, n'est-ce pas parce que l'homme est un être qui a un goût particulier pour le pouvoir, une libido dominandi, de sorte qu'il doit être gouverné par un autre pouvoir qui le contraigne et le soumette. Cette question du fondement anthopologique du pouvoir a bien entendu été examinée par Machiavel, mais c'est par l'intermédiaire de Hobbes que je l'envisage dans le présent volume. Malgré les points de rencontre importants entre Machiavel et Hobbes sur cette question, l'intérêt tout particulier du second tient à ce que, contrairement à ce que l'on croit le plus souvent, il n'enracine pas le désir de puissance dans la nature du désir individuel, c'est-à-dire dans la constitution de l'individu humain. Au contraire, il en explique la genèse à partir, d'une part, de la libido sciendi, du désir de connaître, qui temporalise le désir humain et, d'autre part, de la dynamique de la vie relationnelle (lorsqu'il n'existe pas de pouvoir politique) qui produit une unification catégoriale de l'objet du désir : tous les hommes ne désirent plus qu'une seule chose (parce qu'elle leur permet d'atteindre toutes les autres) à savoir, le pouvoir. Avant de définir la structure politique de l'Etat, le pouvoir est d'abord l'objet du désir des individus. Il faudrait dire plus exactement que, lorsque le pouvoir commence à occuper le centre de la théorie de l'Etat, il investit également l'anthopologie sous la forme d'une théorie relationnelle de la machine désirante.

c/ Le héros politique

Le pouvoir est-il celui du prince ou de l'Etat ? Toute la pensée du pouvoir à l'époque moderne a consisté en un effacement progressif de la figure du prince comme héros politique et en son remplacement par la définition des mécanismes impersonnels qui assurent l'institutionnalisation du pouvoir dans des structures juridico-politiques ou qui pérennisent une domination par des procédures de reproduction de l'obéissance. La conception la plus éclatante du héros politique se trouve, bien entendu, chez Machiavel. L'un des schémas selon lesquels le prince est pensé comme héros politique est celui de la variabilité du rapport entre virtù et fortuna. Le héros politique est celui qui est doté d'une virtù exceptionnelle qui lui permet d'avoir le dessus sur la fortune au point de la maîtriser et d'y inscrire son action comme la forme dans la matière. Mais il s'agit là d'une situation inévitablement provisoire : le héros politique tombera sous les coups de la fortune dès que les temps auront changé. Comme je viens de le dire, cette figure du héros s'estompe dans la théorie politique pour laisser la place à l'analyse des mécanismes de pouvoir chez Hobbes, Pascal ou Spinoza. L'exemple le plus frappant est sans doute celui de Hobbes dont théorie de la souveraineté n'est à l'image d'aucun souverain particulier pour mieux convenir à tous. Le pouvoir devient ainsi de moins en moins l'arme ou l'instrument du héros, et de plus en plus un mécanisme interne à l'Etat. Avec Vico le statut de l'héroïsme change foncièrement : il s'agit moins pour lui de définir une singularité hors du commun que de fournir un concept historique de l'âge héroïque qui définit la caste ou la classe dominante d'une époque particulière dans l'histoire des nations.

Ces trois perspectives sur la centralité du pouvoir à l'époque moderne sont complétées par l'analyse, fournie dans la deuxième partie de l'ouvrage, de deux processus qui affectent cette époque : l'historicisation de la conscience de soi des peuples et la crise des trois dimensions fondamentales du droit naturel moderne. Ces deux processus trouvent leur plein achèvement, après Vico, chez Hegel.


2/ Le pouvoir à l'époque contemporaine

La question est désormais de savoir quels changements ont modifié le pouvoir à l'époque contemporaine, en particulier dans les démocraties occidentales. Si le pouvoir n'est pas une essence abstraite qui demeure identique à soi, il devrait être possible d'en assigner les transformations en fonction de la modification des structures sociales et des formes de gouvernement. Pour tenter cette analyse des figures contemporaines du pouvoir, j'aborde dans la troisième partie du volume quatre points : a/ les changements qui affectent l'époque contemporaine et qui semblent nous ouvrir vers un monde très différent de celui que nous avons connu jusqu'à présent. J'ai tenté de penser ce moment de sortie de la modernité en forgeant le concept d'ultra-modernité politique. Il s'est agi pour moi de faire un diagnostic politique au tournant du XXIe siècle. b/ La question de la part d'ombre du pouvoir sous la forme d'une interrogation sur le statut de la raison d'Etat en régime démocratique. c/ Le rapport entre structure de pouvoir et forme de gouvernement. Ici, je tente de définir les différents rapports entre le pouvoir et la fiction pour montrer que les démocraties doivent échapper à l'alternative entre un pouvoir qui manipule et un pouvoir qui surveille. d/ L'étude de la définition non juridique du pouvoir chez Foucault remet au centre de la réflexion la notion d'une histoire du pouvoir.

a/ L'utra-modernité politique

Le concept d'ultra-modernité politique a pour fonction d'analyser la triple crise contemporaine qui affecte l'existence de l'Etat-nation, le sens de la liberté individuelle et le statut du travail. Cette subsomption d'aspects divers de la réalité sociale et politique sous un même concept a pour but de tenter de repérer d'éventuels caractères permanents. Ce qui est en jeu c'est la question de la sortie de la modernité, que l'on peut définir d'une part, en fonction des mutations impressionnantes de la réalité dans les champs de l'échange, de l'information, des technologies, des pouvoirs et des savoirs et, d'autre part, à travers l'exigence d'une révision des concepts politiques.

b/ L'ombre du pouvoir

La raison d'Etat définit-elle un mode archaïque de l'art de gouverner ou constitue-t-elle une dimension irréductible du pouvoir politique ? Cette question se pose avec d'autant plus de vigueur que la raison d'Etat continue à sévir dans les régimes démocratiques. Je tâcherai de montrer que c'est au moment où le régime démocratique n'est plus à la hauteur des principes de légitimité et de légalité qui définissent son essence, que le pouvoir drape dans la raison d'Etat les multiples distorsions et dérives, en particulier la substitution d'intérêts privés à l'intérêt public, ou la quasi-monopolisation partisane de l'appareil d'Etat. En un mot l'intervention de la raison d'Etat s'opère lorsqu'il y a retournement des serviteurs de l'Etat en maîtres de l'Etat.

c/ Structure de pouvoir et forme de gouvernement

Le pouvoir est certes lié à des institutions, à des mécanismes à des lois, mais il est aussi un organe de production de fictions. C'est sur ce plan que le rapport entre structure de pouvoir et forme de gouvernement est analysé. Deux sortes de fictions sont envisagées : la fiction-illusion et la fiction-transparence. La forme de gouvernementalité liée à la première est la manipulation , celle qui est liée à la seconde est la surveillance. La question centrale ici sera de savoir si le régime démocratique peut sortir de cette alernative.

d/ L'histoire du pouvoir

La dernière étape de ce travail est constituée par une analyse des concepts que Foucault élabore pour penser la nature du pouvoir, sa structure juridico-politique et surtout son histoire, concepts qui ouvrent un autre regard sur l'histoire du pouvoir et, par conséquent, sur son statut dans les sociétés contemporaines. La force théorique extraordinaire de la considération du pouvoir, que Foucault élabore en particulier dans son cours au Collège de France de 1976 (“Il faut défendre la société”), tient à ce qu'elle opère un renversement de l'historiographie convenue, c'est-à-dire juridique, du pouvoir par la mise au jour d'une autre histoire, celle de la “ guerre des races ”, retracée depuis les origines des temps modernes (en particulier en Angleterre et en France) jusqu'à ses dernières séquelles contemporaines, à la fois antagonistes et complices, dans les totalitarismes contemporains (communisme et nazisme). Le texte de Foucault est analysé à la fois dans sa valeur explicative et dans ses limites.

Origine : http://hal9000.cisi.unito.it/wf/FACOLTA/Scienze-Po/Didattica-/I-corsi-ol/Storia-del1/Area-Corso/Conferenze/Testo_Zarka.rtf


Origine : http://www.humanite.presse.fr/journal/2001-07-13/2001-07-13-247363

Le " trou noir " du pouvoir ?

Le philosophe Yves-Charles Zarka questionne le pouvoir, son fondement, ses modes d'existence, et la façon dont il s'institutionalise dans un discours qui pérennise la domination et reproduit l'obéissance.

La diversité des formes que peut prendre le pouvoir a longtemps constitué l'impensé de toute philosophie politique. À l'époque moderne et contemporaine, le pouvoir est néanmoins devenu l'élément central du politique. La métaphore du " trou noir " - qui est, en astrophysique, le stade final d'évolution d'une étoile - met l'accent sur le fait qu'un " trou noir " ne peut se révéler que grâce à une lumière puisque sa propriété est de ne pas en émettre. Le pouvoir, un trou noir ? Le philosophe Yves-Charles Zarka, qui a quelques lumières sur les différentes réponses possibles à cette question, vient de publier aux Presses universitaires de France une dizaine d'études qui conduisent leur lecteur depuis le Prince, de Machiavel (1532), jusqu'au concept de pouvoir chez Michel Foucault (1966-1969). L'ouvrage, significativement titré Figures du pouvoir (1), suppose que l'on distingue préalablement le fondement du pouvoir, des diverses formes qu'il a pris, prend, et prendra au cours de l'histoire.

L'interrogation sur le fondement anthropologique de cette notion concerne le rapport du pouvoir aux individus et aux groupes. Si la société civile se construit à travers des structures de pouvoir, doit-on en induire que l'homme est un être qui a tout naturellement un goût particulier pour l'autorité et le plaisir qu'il trouve à l'exercer ? Jansénius (1585-1638), évêque d'Ypres, distinguait trois sortes de plaisir : celui que les sens procurent, " libido sentiendi ", celui que le savoir - qui est déjà presque pouvoir -- fait éprouver, " libido sciendi ", et celui de gouverner ou d'être gouverné, " libido dominandi ". Nicolas Machiavel, puis Thomas Hobbes, ont analysé les racines du pouvoir vécu. Si Yves-Charles Zarka valorise le second par rapport au premier, c'est que l'originalité de Hobbes réside dans ce qu'il refuse de situer le désir de puissance dans la nature de l'individu. Ce qui l'amène à épurer la notion de pouvoir de toutes les connotations psychologiques qui la parasitent. Le pouvoir n'a fondamentalement à voir, ni avec le sadisme vis-à-vis de l'autre, ni avec la jouissance pour soi-même, ni enfin avec quelque aptitude que ce soit à endurer la douleur.

" Le pouvoir est-il celui du prince ou de l'État ? Toute la pensée du pouvoir à l'époque moderne, affirme l'auteur de l'ouvrage, a consisté en un effacement progressif de la figure du prince comme un héros politique et en son remplacement par la définition des mécanismes impersonnels qui assurent l'institutionnalisation du pouvoir dans des structures juridico-politiques, ou qui pérennisent une domination par des procédures de reproduction de l'obéissance. " La seconde partie du livre d'Yves-Charles Zarka délaisse " l'amour de la patrie " chez Machiavel, " la curiosité à mi-chemin entre le désir de connaître et le désir de pouvoir " chez Hobbes, et la force et la fragilité du héros de Giambattista Vico, pour passer en revue les fondements juridiques et non plus anthropologiques du pouvoir. À la constitution d'une conscience historique, succède l'historicisation de la conscience de soi et la crise du droit naturel moderne : c'est-à-dire la refondation de la propriété et du pouvoir, et surtout l'interrogation sur le rapport de la personne avec l'institution du politique.

La troisième partie a pour objectif de penser la réalité politique dans son actualité. L'époque moderne se prolonge par ce que l'auteur désigne sous la notion d'" ultra-modernité en politique ". Il s'agit du moment où la modernité politique entre dans une crise dont la nature exacte reste encore indécise sur le point essentiel de savoir s'il s'agit d'une crise DANS la modernité ou d'une crise DE la modernité. Triple crise qui se caractérise à la fois par la déconstruction de l'État-nation, la désidentification des individus, et le divorce du travail d'avec l'utopie.

L'ouvrage s'achève par de subtiles interrogations sur ce qu'il advient de la raison d'État dans cette crise, sur l'examen du rapport entre la politique et la fiction, et une critique tout à fait actuelle d'un programme juridico-politique soumis à une raison avant tout utilitaire. La recherche d'Yves-Charles Zarka ouvre pour finir la perspective envisagée par Michel Foucault avec son concept de pouvoir. Trois points sont abordés. Le renversement de l'histoire de ce concept, l'abstraction non juridique qui renvoie à la " guerre des races ", et le passage du concept non juridique du pouvoir à celui de biopouvoir et à celui de gouvernementabilité. Yves-Charles Zarka reste indécis dès lors qu'il s'agit de choisir entre le concept non juridique - qui rend impossible de penser l'arrêt d'une guerre - et le concept juridique - qui a précisément la fonction inverse, celle de nous permettre de croire que la guerre peut s'arrêter. Le lecteur devinera sans peine une certaine préférence de l'auteur pour la seconde possibilité conçue moins comme un piège que comme un recours. La civilisation occidentale n'a, selon l'auteur, d'origine et d'issue que dans le devenir d'un État de droit.

Arnaud Spire

(1) Yves-Charles Zarka : Figures du pouvoir. Étude de philosophie politique de Machiavel à Foucault. Collection Fondements de la politique, Éditions PUF. 164 pages, 98 francs.

Origine : http://www.humanite.presse.fr/journal/2001-07-13/2001-07-13-247363


Introduction
La pensée de Michel Foucault ne forme pas un système.

Influence de Nietzsche mais aussi de Marx

I) Le pouvoir rapport de forces
a) Définition du pouvoir
b) Analytique du pouvoir
c) Le Bio-pouvoir

II) Le pouvoir pastoral
a) Les deux formes de pouvoir : souveraineté et gouvernabilité
b) Le pouvoir pastoral : individualisant et total
c) Foucault et le totalitarisme

III) Le pouvoir comme stratégie
a) Le pouvoir níest pas une substance
b) Le pouvoir comme action sur líaction
c) Le pouvoir comme production

Conclusion
On a raison de se révolter


Origine : http://www.cerphi.net/lec/punir4.htm

Punir

III. La disparition de la punition

1. Punir pour montrer la force.

Chez Hobbes et encore chez Beccaria, punir renvoie à une nécessaire manifestation du pouvoir et du châtiment. Punir s'inscrit dans une économie du visible que l'on a jusqu'ici laissée de côté, mais qui est au coeur même de la punition. Foucault, dans Surveiller et Punir (Gallimard, 1975), analyse cette "monstration" de la punition comme un aspect essentiel du punir : il y a dramatisation de la punition, mise en scène du supplice, et la souffrance est minutieusement installée dans la durée et la démultiplication expiatoire. Tout l'acte de justice est étroitement resserré autour de l'acte même du châtiment, et ne vise donc pas le corps public mais le corps privé, pas le corps social mais le corps physique. Il s'agit de manifester le pouvoir dans sa plus grande pureté : non pas de redresser, mais de montrer. Le punir est une apophasis de la force collective, mais concentrée dans les mains du souverain :
"Que la faute et la punition communiquent entre elles et se lient dans la forme de l'atrocité, ce n'était pas la conséquence d'une loi du talion obscurément admise. C'était l'effet, dans les rites punitifs, d'une certaine mécanique du pouvoir : d'un pouvoir qui non seulement ne se cache pas de s'exercer directement sur les corps, mais s'exalte et se renforce de ses manifestations physiques ; d'un pouvoir qui s'affirme comme pouvoir armé, dont les fonctions d'ordre ne sont pas entièrement dégagées des fonctions de guerre (...)" (I, 2, p. 60)

Ainsi la "proportion" du délit à la peine n'est pas une proportion simplement rétributive : sous couvert de s'enfermer dans le châtiment du coupable, c'est bien une autre fin que visait le rattachement du punir à la force de nature, une fin symbolique qui est la mise en spectacle de la puissance matérielle, et qui sans surprise renvoie le punir à une logique de guerre :
"Le droit de punir sera donc comme un aspect du droit que le souverain détient de faire la guerre à ses ennemis (...). Le châtiment est une manière aussi de poursuivre une vengeance qui est à la fois personnelle et publique, puisque dans la loi la force physico-politique du souverain se trouve en quelque sorte présentée" (I, 2, p. 52).

C'est précisément cette "vengeance" de la force du souverain qui tend à s'estomper entre la fin du XVIIIè et le début du XIXè au profit d'une administration des peines qui va adoucir la mise en scène de la souffrance.
"S'efface donc, au début du XIXè siècle, le grand spectacle de la punition physique ; on esquive le corps supplicié ; on exclut du châtiment la mise en scène de la souffrance. On entre dans l'âge de la sobriété punitive. Cette disparition des supplices, on peut la considérer à peu près comme acquise vers les années 1830-1848." (I, 1, p. 19-20)

Mais Foucault montre à partir de cette situation (symbolisée par la description du supplice de Damien, op. cit. chapitre I, "le corps des condamnés") deux choses : d'abord, qu'à la suite de Beccaria s'ouvre un vaste mouvement qui tout au long de la seconde moitié du XVIIIè met en branle le processus d'adoucissement des peines. Ensuite, que ce processus va avec une sorte de malaise de la peine : l'exécution même de la sentence se cache, comme si le souverain acceptait de prononcer la sentence mais refusait d'en assumer les conséquences concrètes. Autrement dit, l'on accepte les présupposés (disposition mauvaise et bien futur) mais pas les actes (crime, contre-violence du punir) : il est au fond dangereux de réduire la justice à cet acte ostentatoire et sanglant qui rappelle au peuple que sa seule arme est analogue à son châtiment.

En effet, dans ce punir dramatique (voir poétique), c'est le souverain lui-même qui punit directement : mais ce qui est vrai symboliquement ne l'est pas administrativement, et cette centralisation du punir implique une lourde diffraction du geste même de la punition. Tant que le punir se jouera force contre force il sera hyperbolique mais aussi hyper-bureaucratique :
"La paralysie de la justice est moins liée à un affaiblissement qu'à une distribution mal réglée du pouvoir, à sa concentration en un certain nombre de points, et aux conflits, aux discontinuités qui en résultent. Or ce dysfonctionnement du pouvoir renvoie à un excès central : ce qu'on pourrait appeler le "surpouvoir" monarchique qui identifie le droit de punir avec le pouvoir personnel du souverain" (II, 1, p. 82)

Punir devient ici non-rentable, parce que le mode fondamental de structuration du danger social lui-même change. La mutation du punir est en effet avant tout une mutation du délit, qui voir au long du XVIIIè le crime de sang disparaître au profit du crime de fraude (vol, recel, détournement, pillage, etc...).
Dans une économie se convertissant lentement à la production industrielle et ses nécessaires stockage et flux de biens et de richesses, le principal danger social est le piratage de ces flux. Foucault analyse alors la mutation qui affecte la punition en mettant en avant non pas une simple humanisation des peines, mais bien une mutation dans les raisons mêmes du punir (mutation qui affecte tous les modes de la coercition, du règlement d'internat à la prison, du cabinet de la comtesse de Ségur à Cayenne) : le punir va se modifier pour s'adapter à la nouvelle situation.

2. Punir et contrôler.


Dans ce cadre, l'adoucissement de la punition ne va pas du tout dans le sens d'une proportion mieux réglée entre crime et contre-crime, mais plutôt dans le sens d'une dissémination du contrôle exercé par le pouvoir : le punir descend dans les corps et y inscrit sa marque en permanence, non plus sous la forme ostentatoire du supplice, mais sous la forme administrative de la discipline.
"C'est dire que si, en apparence, la nouvelle législation criminelle se caractérise par un adoucissement des peines, une codification plus nette, une diminution notable de l'arbitraire, un consensus mieux établi à propos du pouvoir de punir (à défaut d'un partage plus réel de son exercice), elle est sous-tendue par un bouleversement dans l'économie traditionnelle des illégalismes et une contrainte rigoureuse pour maintenir leur ajustement nouveau. Il faut concevoir un système pénal comme un appareil pour gérer différentiellement les illégalismes, et non point pour les supprimer tous." (II, 1, p. 91).
Bien sûr, ce que l'on retrouve ici, c'est le souci de l'avenir qui était affirmé par Protagoras. Le punir se recentre sur sa fonction durative : il quitte l'économie naturelle de la violence pour réintégrer l'économie politique de la gestion. On passe d'un punir militaire à un punir économique (1) :
"Punir sera donc un art des effets" (id. p. 95).

Et plus loin :
"Sous l'humanisation des peines, ce qu'on trouve, ce sont toutes ces règles qui autorisent, mieux, qui exigent la "douceur", comme une économie calculée du pouvoir de punir" (id. p. 103)
C'est cette économie que la troisième partie du livre de Foucault se donne pour tâche d'analyser : ni ostentation du pouvoir, ni contrôle judiciaire des sujets, cette économie est avant tout celle de la discipline qui descend dans les corps et, acclimatée à la gestion de la durée, y organise des contraintes et des habitudes.

Le corps est soumis parce que l'homme est assujetti : la punition se dissout dans une pratique coextensive à la société "obsédée de déperdition". Comme le montre Alain Corbin, ("L'arithmétique des jours au XIXè siècle", in Le Désir, le temps et l'horreur, essais sur le XIXè, Champs-Flammarion), la société du XIXè est obsédée par une arithmétique du moi qui, du sexe à la nourriture en passant par l'emploi du temps, capitalise toutes les fonctions du corps et de l'âme. Dépenser, perdre, gâcher, c'est un crime ; toute liberté est au fond apparentée à un délit : à force de se garder du particulier, le collectif finit par chercher à le résoudre, donc à l'assujettir.

Le pouvoir s'inscrit alors dans une économie quotidienne et permanente du punir, qui finit par se confondre avec le contrôler. Punir n'est plus essentiellement différent de surveiller lorsque la discipline militaire, la discipline scolaire et la discipline pénitentiaire sont construites sur le même modèle :
"Lentement une contrainte calculée parcourt chaque partie du corps, s'en rend maître, plie l'ensemble, le rend perpétuellement disponible, et se prolonge, en silence, dans l'automatisme des habitudes (...)" (III, 1, p. 137)

Ce modèle va culminer dans le Panopticon de Bentham, qui matérialise cette mutation du punir : punir désormais n'est plus démembrer le corps par la violence mais discipliner les individus par l'examen, l'enquête, l'observation : le pouvoir n'est plus alors qu'une vaste opération de quadrillage social qui descend jusque dans les corps.
"Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ?" (III, 3, p. 229).


(1) Sur ce changement de paradigme devenu l'objet d'une analyse classique, cf. G. Faraklas, Machiavel. Le pouvoir du Prince, PUF, 1997, chapitre III ("Guerre et politique") ;
Kant, Projet de paix perpétuelle ;
Adam Smith, La Richesse des Nations, I, 2 ;
M. Foucault, « Il faut défendre la société » (cours au Collège de France, 1976), Hautes Études-Gallimard-Seuil, 1997.

Origine : http://www.cerphi.net/lec/punir4.htm