SURVEILLER et PUNIR
- COMPRENDRE Michel FOUCAULT -
SEPT CONCEPTS MAJEURS
Michel Foucault présenté aux étudiant/es d'EPS
SURVEILLER et PUNIR
Michel FOUCAULT 1975 (extrait du chap. Corps dociles)
L’art des répartitions
La discipline procède d’abord à la répartition des individus dans
l’espace. Pour cela, elle met en oeuvre plusieurs techniques.
1 - La discipline exige parfois la clôture, la spécification
d’un lieu hétérogène à tous les autres et fermé sur lui-même.... Collèges :
le modèle du couvent peu à peu s’impose ; l’internat apparaît comme le
régime d’éducation sinon le plus fréquent, du moins le plus parfait....
2 - Mais le principe de " clôture " n’est ni constant, ni
indispensable, ni suffisant dans les appareils disciplinaires. Ceux-ci
travaillent l’espace d’une manière beaucoup plus souple et plus fine.
Et d’abord selon le principe de la localisation élémentaire ou du quadrillage.
A chaque individu, sa place.... L’espace disciplinaire tend à se diviser
en autant de parcelles qu’il y a de corps ou d’éléments à répartir...
Il s’agit d’établir les présences et les absences, de savoir où et comment
retrouver les individus, d’instaurer les communications utiles, d’interrompre
les autres, de pouvoir à chaque instant surveiller la conduite de chacun,
l’apprécier, la sanctionner, mesurer les qualités ou les mérites. Procédure
donc, pour connaître, pour maîtriser et pour utiliser.
3 - La règle des emplacements fonctionnels va peu à peu, dans les institutions
disciplinaires, coder un espace que l’architecture laissait en général
disponible et prêt à plusieurs usages... Sous la division du processus
de production, en même temps qu’elle, on trouve, à la naissance de la
grande industrie, la décomposition individualisante de la force de travail ;
les répartitions de l’espace disciplinaire ont assuré souvent l’une
et l’autre.
4 - Dans la discipline, les éléments sont interchangeables puisque chacun
se définit par la place qu’il occupe dans une série, et par l’écart
qui le sépare des autres. L’unité n’y est donc ni le territoire (unité
de domination) ni le lieu (unité de résidence), mais le rang : la place
qu’on occupe dans un classement, le point où se croisent une ligne et
une colonne, l’intervalle dans une série d’intervalles qu’on peut parcourir
les uns après les autres... La discipline individualise les corps par
une localisation qui ne les implante pas, mais les distribue et les
fait circuler dans un réseau de relations.
Soit l’exemple de la " classe ". Dans les collèges des jésuites,
on trouvait encore une organisation à la fois binaire et massive ; les
classes qui pouvaient compter jusqu’à trois cents élèves, étaient divisées
en groupes de dix ; chacun de ces groupes, avec son décurion, était placé
dans un camp, le romain ou le carthaginois ; à chaque décurie correspondait
une décurie adverse. La forme générale était celle de la guerre et de
la rivalité ; le travail, l’apprentissage, le classement s’effectuaient
sous la forme de la joute, à travers l’affrontement des deux armées ; ....
On peut noter d’ailleurs que cette comédie romaine permettait de lier,
aux exercices binaires de la rivalité, une disposition spatiale inspirée
de la légion, avec rang, hiérarchie, surveillance pyramidale... Peu
à peu - mais surtout après 1762 - l’espace scolaire se déplie ; la classe
devient homogène, elle n’est plus composée que d’éléments individuels
qui viennent se disposer les uns à coté des autres sous le regard du
maître. Le " rang ", au XVIIe s, commence à définir la grande
forme de répartition des individus dans l’ordre scolaire : rangées d ’élèves
dans la classe, les couloirs, les cours ; rang attribué à chacun à propos
de chaque tâche et de chaque épreuve ; rang qu’il obtient de semaine
en semaine, de mois en mois, d ’année en année ; alignement des
classes d’âge les unes à la suite des autres, succession des matières
enseignées, des questions traitées selon un ordre de difficulté croissante...
L’organisation d’un espace sériel fut une des grandes mutations techniques
de l’enseignement élémentaire. Il a permis de dépasser le système traditionnel
(un élève travaillant quelques minutes avec le maître, pendant que demeure
oisif et sans surveillance, le groupe confus de ceux qui attendent).
En assignant des places individuelles, il a rendu possible le contrôle
de chacun et le travail simultané de tous. Il a organisé une nouvelle
économie du temps d’apprentissage. Il a fait fonctionner l’espace scolaire
comme une machine à apprendre, mais aussi à surveiller, à hiérarchiser,
à récompenser... La première des grandes opérations de la discipline,
c’est donc la constitution de " tableaux vivants " qui transforment
les multitudes confuses, inutiles ou dangereuses, en multiplicité ordonnées.
La constitution de " tableaux " a été un des grands problèmes
de la technologie scientifique, politique et économique du XVIIIe s :
aménager des jardins de plantes et d’animaux, et bâtir en même temps
des classifications rationnelles des êtres vivants ; observer, contrôler,
régulariser la circulation des marchandises et de la monnaie.... Le
tableau au XVIIIe s, c’est à la fois une technique de pouvoir et une
procédure de savoir.
COMPRENDRE Michel FOUCAULT
Revue Sciences humaines novembre 1994
1926-1984 (mort du SIDA). Philosophe, historien, psychologue, sociologue,
épistémologue... agrégé à 25 ans, Collège de France en 1969. Lutte en
faveur des prisonniers, dissidents soviétiques, homosexuels, maoïstes...
collabore avec le comité Solidarnosc en 1981.A écrit : Histoire
de la folie à l'âge classique, Les mots et les choses, Surveiller
et punir. Traduit aussi l'esprit de son époque et son œuvre entre
en résonance avec plusieurs courants de réflexion qui ont animé la vie
intellectuelle pendant plusieurs décennies : le structuralisme (Barthes,
Lacan, Levi-Srauss), l’anti-humanisme (sens philo = refus
de considérer l’homme comme un acteur conscient de ses actes et par
la dissolution de la notion de sujet autonome), la critique des pouvoirs
(Sartre, Althusser), courant anti-psychiatrique, pour
la libération sexuelle (dans années 70 : le désir et la folie place importante
sous influence de la psychanalyse), l'épistémologie relativiste :
il s'apparente à Bachelard, Canguhilhem, Koyre
qui ont pour préoccupation commune de relier la pensée scientifique
aux cadres mentaux d’une époque ; NB : la notion d' épistémé crée
par F est proche du concept de Paradigme modèle explicatif crée par
Thomas Khun, l'histoire des mentalités : réelle proximité dans
son œuvre avec l’école historique des annales (Braudel, Veyne).
THÈMES D'ÉTUDE : la FOLIE, l'ÉPISTÉMOLOGIE, le POUVOIR, la MÉDECINE,
la SEXUALITÉ, l'ÉTHIQUE, les SCIENCES DE L'HOMME de l'ANTIQUITÉ au XIXes.
THESE DOMINANTE :
Montrer que chaque époque produit un discours dominant censé dire la
vérité sur le monde et imposer ses normes.*
POUVOIR et SAVOIR
Pour Foucault :Le pouvoir n'est pas l'attribut de l'État, il est présent
dans toutes les institutions telles que la PRISON, l’ÉCOLE, l’USINE,
la FAMILLE ou les DISCIPLINES SCIENTIFIQUES. La société disciplinaire
et normalisatrice transforme l'individu en matière à travailler, en
courbe à progresser. Pour F., le pouvoir agit directement sur le corps
et s'exprime sous forme de règlements, disciplines, injonctions qui
font du corps une matière à travailler.
Les 4 caractéristiques du pouvoir selon Michel Foucault :
* il est immanent : il n'est pas unifié par le haut et s’exerce
dans des " foyers locaux " (... enfants - éducateurs...)
* le pouvoir varie en permanence : incessantes modifications dans
les rapports de force* le pouvoir s’inscrit dans un double conditionnement :
en dépit de son caractère microphysique, il obéit aussi à une logique
globale (caractéristique d’une société à une époque)
* Le pouvoir est indissociable du SAVOIR : tout point d’exercice
du pouvoir dans une société moderne est ainsi lieu de formation du savoir
(sur le vivant, la folie, le sexe, la petite enfance...) et de façon
symétrique, tout savoir établi permet et assure l'exercice d'un pouvoir.
ex : démographie, criminologie... manière de connaître la population
et de la contrôler.
De la punition à la surveillance :
Dans son étude, l’EXCLUSION,
F. donne le 18es comme charnière dans l'histoire de la punition. Jusque
là, la punition = tortures, exécutions publiques puis prison (face cachée
du processus pénal).
La société disciplinaire pour F. : les machines à contrôler les corps :
école, usine, prison créent une société disciplinaire qui répond à diverses
mutations majeures (démographique, économique, politique, technologique)
auxquelles l'Ancien Régime ne pouvait faire face. Il faut notamment
articuler de manière optimale la croissance démographique avec le développement
du systèmes de production (accumulation du capital). La réponse à ce
double problème prend la forme d'une " micro-physique du pouvoir "
caractérisée par trois nouveautés.
1 - l'échelle de contrôles il ne s’agit pas de traiter le corps
globalement, comme une unité indissociable, mais d’exercer sur lui une
coercition ténue au niveau du mouvement et des attitudes.
2 - ce contrôle s'exerce non plus sur les éléments signifiants de
la conduite ou sur le langage du corps, mais sur l'économie, l'efficacité
des mouvements ; " la seule cérémonie qui importe, c'est celle
de l'exercice ". (surveiller et punir).
3 - sur la modalité du contrôle : une coercition constante veille
sur les processus de l'activité plutôt que ses résultats et quadrille
au plus près le temps, l'espace, les mouvements. On peut appeler " disciplines "
ces méthodes qui autorisent le contrôle minutieux des opérations du
corps. Elles deviennent, pour F, au 18es des formes générales de domination
dans les casernes, écoles, usines ou prisons. Il faut pour cela :-
répartir les individus dans l'espace selon un principe de clôture (c'est
le moment du grand enfermement), - assigner les masses mouvantes dans
des endroits cernés (chacun sa place et son rang)- contrôler l'activité
(emplois du temps rationnels. Le travail est rendu obligatoire (contrôle
serré). Par une pédagogie du mouvement, par la notation et le classement,
par la surveillance hiérarchique, la société disciplinaire individualise
la masse anonyme. " Quoi d'étonnant, si la
prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux,
qui tous ressemblent aux prisons ? "
CRITIQUE :
Les critiques font état de multiples fautes de détail, mais aussi de
graves défaillances théoriques qui pourraient remettre en cause tout
l'édifice intellectuel : Dans " l'histoire de la folie.... ",
la thèse du grand renfermement = au moyen âge, les fous sont bien intégrés
à la société et parfois traités comme des maîtres de vérité, mais à
partir du 17eme siècle, les malades (dont les fous) sont isolés du reste
de la population dans des établissements spécialisés. Les historiens
de la psychiatrie ne sont pas d'accord : on trouve de nombreux cas de
persécutions au Moyen Age. D'autre part, les hommes ont toujours essayer
de soigner les malades mentaux (au Moyen Age = exorcisme, pèlerinages
et parfois chirurgie (saignée).Par ailleurs, le grand enfermement a
lieu au l9e s. Pourquoi F. avance de 2 siècles ? Peut-être parce
qu’il veut montrer que cette nouvelle attitude vient de la ligne partage
entre Raison et Folie conçue par les philosophes des Lumières (" irrationnel
et déraison ").
* Autre critique majeure (Gauchet et Swain) : le développement
des asiles et du traitement de la folie est lié à l’avènement d'une
société démocratique (intégrer le déviant prendre en charge les faibles ;
Pinel : 19es accorde au fou le statut de malade qui peut
être guéri).
* Dans les mots et les choses, il propose le terme épistémè (cadres
du savoir) avec lesquels, selon lui, on a pensé la nature humaine depuis
la renaissance. Ce terme veut traduire des RUPTURES brutales, des séparations
tranchantes. Or certains auteurs ( Boudon : sociologue) indiquent
qu'à la Renaissance, à coté d'une pensée magique et analogique, une
pensée rationnelle et mathématique existait (sans laquelle le système
de Copernic et les lois de Kepler n'auraient pu être élaborés).
Les épistémè de F. ne vaudraient donc que pour certains modes de pensée
mais pas pour tous. Pour Boudon les structures de pensée mises
à jour par F. font " bon marché de la complexité de l'histoire
des sciences ".
* S'agissant des prisons, pour F., le maintien d'une forme carcérale
qui supprime pas la délinquance mais l’entretient s'explique par une
fonction sociale précise. Elle sert à rendre invisible l’illégalité
des classes dominantes ; la prison est utile à la police qui est utile
à la classe dominante. Thèse dépourvue de validité scientifique selon
Raymond Boudon.
* Pour ce qui concerne le POUVOIR, F. semble réduire toutes les institutions
modernes à des dispositifs omnipotents de contrôle et de normalisation
des individus (= institutions carcérales). Mais cette analyse ne distingue
pas les États démocratiques (États de droit) des États totalitaires.
SEPT CONCEPTS MAJEURS DANS L’ŒUVRE DE Michel FOUCAULT
ARCHÉOLOGIE DU SAVOIR : Vise à dégager les conditions
d'apparition d'un discours (ses fondations). L'archive est le matériau
privilégié de l'historien.
DISCIPLINE : La mise en forme du savoir dans une discipline suppose
une certaine normalisation des formes de pensée.
DISCOURS : Foucault le trouve dans les ouvrages scientifiques,
les manuels didactiques, les textes de loi qui régissent un domaine.
Il s'agit d'un corpus de textes à visée scientifique ou pédagogique
qui s'insère dans le cadre de pensées propres à une époque.
EPISTEME : cadre de pensée propre à une époque. Proche de celle de
paradigme crée par Thomas Kuhn (philosophe des sciences). Selon
F. l’épistémè d’une période succède brutalement à celle de la période
précédente.
POUVOIR : pas attribut exclusif d’un homme, d’un État, d’une classe.
Il est diffus et non localisable en un lieu précis. La microphysique
du pouvoir vise à analyser les méthodes de domination et non la nature
ou les sources du pouvoir.
RAISON : Ici, pas dans le sens mathématique. La raison est synonyme
de pensée scientifique ou philosophique. On l'oppose aux croyances jugées
irrationnelles fondues sur les désirs et les passions.
SAVOIR : n’est pas une connaissance neutre, objective et universelle.
La " volonté de savoir " implique un processus de domination
sur les objets et sur les hommes.
LES TROIS ÉPOQUES DE LA PENSÉE
Age pré-classique (Moyen Age et Renaissance) : PENSÉE DE RESSEMBLANCE
ET D'ANALOGIE. ex ; analogies entre les quatre éléments et les types
de maladie ou de caractères humains (la noix soigne les maux de tête
car ressemble à un cerveau...)
Age classique (milieu du 17 ème siècle au début du 19 ème siècle)
: PENSÉE DE l'ORDRE et du CLASSEMENT ex : sciences naturelles --->
Évolution.
Époque de la modernité (début du l9eme siècle) : PENSÉE
DE l’HISTOIRE. Il s’agit de trouver un ordre logique (une Raison) caché
dans le monde et de répartir les objets selon des classifications formelles ;
ex : Linné classe les espèces animales et végétales (classement
universel).
L'oeuvre de Foucault ainsi transmise aux étudiant/es d'EPS
est disponible à cette adresse :
http://perso.guetali.fr/castjpau/resscom/foucault.htm#2"