Origine : Echange mail et rencontres locales
Dans son rapport « La violence sexuelle et sexiste contre
les réfugiés, les rapatriés et les personnes
déplacées » 1 Le Haut Commissariat des Nations
Unies pour les Réfugiés définie les mutilations
sexuelles 2 féminines ainsi :
Section des organes génitaux pour des raisons non médicales,
généralement pratiquée en bas âge, allant
de la section partielle à l'ablation totale des parties génitales,
en passant par leur suture pour des raisons culturelles ou autres
raisons non thérapeutiques; intervention souvent subie plusieurs
fois au cours de la vie d'une femme (p. ex. après l'accouchement
ou après une agression sexuelle) .Pratiquées par :
Praticiens traditionnels, appuyés, tolérés
ou assistés par la famille, les groupes religieux, la communauté
entière et certains États.
Cette violence communément appelée excision est aujourd'hui
prise en compte en tant que persécution spécifique
faite aux femmes dans le droit français 3 et dans son application.
Une femme persécutée peut donc argumenter de son
refus de l'excision pour demander le statut de réfugiée
à l'O.F.P.R.A. et la C.R.R. 4, mais à ce jour, qu'elle
soit excisée et que sa demande s'articule sur les stigmates
de cette persécution. ne suffit pas en soi.
Il faut que cette femme soit mère d'une enfant mineure (fille
non excisée) et qu'elle s'oppose à son excision en
cas de retour au pays d'origine.
L'OFPRA et la C.R.R. pour qui le récit de persécution
n'est pas une garantie suffisante pousse à rajouter dans
le dossier d'asile en tant qu'élément de preuves,
un certificat d'examen médical gynécologique de la
mère et de la fille.
Celui ci se doit d'établir l'excision de la mère
et la non excision de l'enfant
Dans les dossiers de « protection excision » est exigée
une expertise sociologique du G.A.M.S. 5 seule structure reconnue
par l'Office français pour la protection des réfugiés
et des apatrides. Ce document vient compléter le dossier
soit à la demande de la dépositaire du dossier soit
à la demande de l'administration compétente La Commission
de Recours des Réfugiés qui elle en tant que juridiction,
conserve un tant soit peu d'indépendance ne tient pas compte
à ce jour de ce document sociologique.
Dans les 21 jours suivant son entrée en France ou au mieux
dans les 2 premiers mois, 6 le parcours d'asile suivant doit être
accompli par la femme qui demande l'asile pour mutilations sexuelles
sans qu'elle soit pour autant assurée de l'obtenir. Comme
nous allons nous efforcer de le démontrer, il multiplie les
intermédiaires entre l'Etat et la personne contrainte de
relater à plusieurs reprises son histoire ?
En sus de « l'imagerie du faux réfugié »
7 propre à l'OFPRA, c'est le contenu de son dossier associé
à ce qu'elle défendra, seule, lors de l'entretien
individuel à l'O.F.P.R.A. qui sera déterminant.
Jour 1 : Permanence d'accueil associative :
première prise de contact-orientation / information sur
les démarches
Préfecture : retrait du dossier d'asile
Permanence d'accueil : recueil du récit de vie, montage
du dossier d'asile
Certificat médical : justification de l'examen gynécologique
Certificat sociologique : justification du certificat
Permanence d'accueil : recueil des justificatifs clôture
du dossier 1ère instance
Jour 21 : O.F.P.R.A. : réception du dossier
Les A.S.T.I. 8 sont, de fait, par leur démarche de solidarité
active respectueuse des histoires de vies, des lieux privilégiés
de rencontre entre personnes migrantes primo arrivantes et personnes
installées en France et favorisent donc l'accès aux
donc d'accès aux codes sociaux du pays d'accueil.
La politique d'immigration illustrée par l'obligation de
récits de persécutions de plus en plus détaillés
et des délais de dépôt des dossiers d'asile
de plus en plus réduits pénalisent ce qui hier, nous
permettait d'être des espaces passerelles entre les normes
du pays d'origine et celles du pays d'arrivée.
« A l'asile politique c'est substituée la raison humanitaire
; l'individu menacé à laissé place au corps
souffrant » 9
Nous avons de plus en plus de mal à rester cette boite à
outils libre d`accès, à la portée de toutes
et tous, permettant un processus réel d'intégration.
La prise en compte de cette pratique coutumière qu'est l'excision
se fait, en France au prisme d'une médiatisation érotisée
et n'est pas s'en soulever bon nombre d'inquiétudes tant
sur le plan de l'accompagnement global de la personne confronté
à l'instrumentalisation des outils médico-sociaux
que sur celui d`une application du droit d'asile inadaptée.
Par conséquent en nous situant clairement dans la lutte
contre l'excision et par delà des réactions émotionnelles
qui maintiennent ces femmes et leur histoire dans l'impensé,
il nous est nécessaire d'effectuer une première analyse
de l'accompagnement de ces femmes et de son efficience, et d'évaluer
ce qui de fait, pourrait par effet boomerang, enfermer les personnes
accueillies dans une impossibilité à se défaire
des pratiques de l'excision et continuer alors à les reproduire.
Complexité de l'appréhension des mutilations
sexuelles féminines
Que se joue-t-il lorsqu'interagissent excision et droit d'asile,
norme d'origine et norme d'accueil ?
Lors d'une permanence d'accueil pour une prise en compte globale
de la personne - historique, politique, sociale, économique
et culturelle (Rechtman) par delà la constitution du dossier
d'asile, il s'agit de se positionner du côté des femmes
: en tant que témoin actif, solidaire de la femme dans les
persécutions qu'elle a subie.
Cette approche permet une rencontre qui s'inscrit dans un processus
d'échange souvent long et complexe mais qui servira de tremplin
pour sortir du conditionnement (Falquet) dans laquelle les femmes
victimes de violences sont enfermées.
On ne naît pas excisantE on le devient
L'excellent article de. Christine BELLAS CABANE « Fondements
sociaux de l'excision dans le Mali du XXIème siècle
» 10 nous donne un aperçu de ce qui motive l'excision
: mythes, rapports sociaux, religions qui régissent une place
des femmes strictement encadrée :
Dans presque tous les entretiens, la notion de respect des conceptions
éducatives des aînés est évoquée.
11
De fait il faut s'efforcer de comprendre que le groupe familial
en mutilant l'enfant agit dans la seule forme d'inscription sociale
dont il a connaissance et assume à sa manière sa responsabilité
à préparer l'avenir de son enfant dans une société
donnée. Une petite fille non excisée une fois adulte,
n'aura pas de place dans cette société.
On peut dire que l'excision est justifiée de nos jours par
ceux qui la pratiquent, comme un moyen de maîtrise de l'hypersexualité
fantasmée de la femme africaine, sans pour autant que cela
porte atteinte à sa capacité d'accéder au plaisir
sexuel. Dans cette représentation paradoxale, elle agirait
comme une régulation mécanique du désir. Elle
serait en fait l'outil d'une incorporation identitaire, déterminant
le comportement féminin reconnu comme correct, selon la norme
sociale dominante. Le jugement porté sur l'effet de cette
incorporation de la règle n'est pas établi d'après
la réalité du comportement de la femme, mais sur l'acte
lui même : pour faire partie de la norme, il suffit d'être
excisée. Ce qui compte, c'est le marquage physique. Si elles
ne l'ont pas subi, les filles restent en l'état de bilakoro,
état ambivalent, fragile, inachevé, ne pouvant être
considéré comme véritablement humain. 12
« Avant je ne savais pas qu'il y avait des femmes non excisées,
je n'en connaissais pas. » « ta fille, si tu demandes
l'asile, elle va vivre en France et les hommes ici ils préfèrent
des femmes non excisées » .Ces propos échangés
en permanence collective sont fondamentaux pour appréhender
le processus d'accompagnement des femmes.
Cet échange s'inscrit dans un point d'accroche des deux
cultures : la place des femmes en tant qu'épouse et mère
dans des société hétéro centrées
et patriarcales mais il est aussi indicateur d'une tentative d'ajustement
des différences :
D'un côté un pays d'origine où le sexe est
intime et où il est acquis que c'est l'acte d'excision (les
rituels de passage à l'âge adulte étant aujourd'hui
très limités) qui donne un statut social aux femmes
et les inscrit comme membre du groupe. De l'autre un pays où
la sexualité est affichée 13. Le statut social se
situe dans une sexualité nommée comme désirante
et désirable.
C'est la capacité de la femme à produire voir à
montrer son plaisir qui sera nommée comme valorisante et
assurant la pérennité de son statut.
Ils sont aussi révélateur du degré d'intimité
relationnel qui se crée dans un espace non mixte, où
des féministes, formées à la dimension d'écoute,
s'inscrivant dans une démarche de soutien et positionnées
dans un rapport égalitaire soutiennent d'autres femmes.
Le juridique est ici un outil de solidarité indispensable
à réinscrire dans une globalité, entre deux
intervenantes il y a des habitus, une appréhension culturelle
et personnelle propre. C'est la capacité d'humilité,
de non jugement et de disponibilité qui permettra à
l'accueillante de se décentrer de sa culture et à
la personne primo arrivante de s'approprier des outils de compréhension
d'un système de valeur différent de celui qu'elle
vient de quitter.
Le fait que dans un contexte de limitation drastique d'accès
au statut de réfugiées, la non excision de la génération
suivante puisse permettre l'accès aux papiers de la mère
donc de la famille bouleverse un système de valeurs.
Ce qui de fait ne pouvait être évoqué parce
que' ordinaire et tabou : le souvenir de sa propre excision, la
douleur qui reste souvent très présente, la place
de la femme dans la structure sociale devient accessible et peut
conduire à un travail de fond invalidant la transmission
des mutilations.
En ouvrant des droits à un statut légal et in extenso
une amélioration majeure des conditions de vie familiale,
cette petite fille réelle et rêvée peut devenir
celle qui va permettre de rompre la traditionnelle chaîne
des mutilations et libérer ces mères.
A contrario, l'enfant-papier devient porteuse d'un poids qui peut
se révéler préjudiciable dans la relation mère
enfant : le temps du désir n'est pas posé mais imposé
par la situation administrative et marque une fois de plus une différenciation
femmes françaises femmes étrangères.
Pour ces dernières le droit à disposer de leur corps,
le choix de leur sexualité et de la contraception leur est
encore refusé.
De plus en imposant l'enfant comme sésame d'accès
au papiers, l'Etat français infirme la reconnaissance de
la souffrance de la mère et ce faisant, ne pose pas une position
de lutte réelle contre l'excision et donc de protection des
femmes qui en sont victimes (quelque soit leur origine) comme préalable
mais se contente d'un acrobatique entre deux. D'une part une médiatisation
de cette problématique, d'autre par là comme ailleurs
une chasse à la « fausse réfugiée »
Détournement des outils médico-sociaux au
profit d'une gestion migratoire
La législation en refusant le statut de réfugiée
à une femme qui a déjà été excisée
estime ainsi que la persécution se limite à l'acte
en lui même.
C'est nier que le trauma produit au moment de la mutilation ne
s'arrête pas avec la cicatrisation de la plaie mais peut continuer
à se répercuter dans le corps et le psychisme de la
femme
Les violences et les souffrances, permanentes et enfin évoquées
ou racontées, habitent totalement les récits. Très
souvent marquées par des viols caractérisés
(« les femmes paient un lourd tribut aux violences sexuelles,
avec des atteintes profondes à la sexualité, l'intimité,
la vie privée»), ces violences sexuelles, physiques
et psychologiques provoquent un psychotraumatisme (ou névrose
traumatique) qui représente l'affection la plus répandue
parmi les nouveaux patients du Comede. 14
Il peut être nécessaire d'orienter les femmes en souffrance
vers des espaces de soins où la pratique, loin de réduire
le migrant à sa seule dimension culturelle, distingue essentiellement
malades et non malades et se concentre sur le sujet 15.
S'il n'y a pas une pathologie spécifique au migrant, la
situation au pays d'origine, le parcours d'exil peuvent être
à l'origine de ce psycho traumatisme (Aïdan-Rechtman)
nécessitant un suivi approprié. Mais c'est aussi le
non accueil fait en France (Fassin) à ces personnes qui renforce
leur vulnérabilité et empêche alors une efficience
du soins : impondérable et harcelante difficultés
matérielles, statuts juridiques incertains ne permettent
que rarement de s'octroyer le devenu luxe du temps thérapeutique
ou simplement de se poser pour digérer le passé et
envisager l'avenir : celui ci est toujours source d'angoisse parce
que soumis à l'improbabilité d'un statut légal.
Comme si cette réalité matérielle prégnante
ne suffisait pas à complexifier le travail du soin, l'injonction
institutionnelle de joindre des certificats médicaux au dossier
d'asile détourne le sens de la consultation médicale
pour le soignant mais aussi pour la patiente. (Veisse).
Ainsi la patiente bascule de l'espace qui soigne à celui
qui va valider ou invalider sa parole et en modifiant les enjeux
(Fassin) le marque du seau de l'expertise.
Fondée sur « le mythe de la preuve » cette «
prime à la torture » témoigne d'une application
restrictive de la convention de Genève, qui évoque
des craintes de persécutions et non des persécutions
avérée [...] En matière de psychothérapie,
l'illusion que la souffrance donnerait des droits conduit à
des impasses redoutables. 16.
Par delà l'enjeu éthique du soignant (Veisse), l'acte
médical permettant de déceler une excision n'est pas
toujours chose aisée et demande une formation spécifique
du soignant.
L'apparence des organes génitaux des femmes est particulière
à chacune (plus ou moins protubérant) et il existe
plusieurs types d'excision (de l'ablation du clitoris à l'ablation
du clitoris, des petites et grandes lèvres, ou à l'infibulation)
17.
Entre les pratiques attentives du planning familial où un
travail partenarial et des protocoles d'accueil18 peuvent être
mis en place permettant aux soignantes de se situer dans le respect
total de l'intégrité de la personne19, d'autres praticiens
reconnus par l'O.F.P.R.A. vont par leurs pratiques malencontreuses
(négation de l'excision, refus de donner le certificat en
main propre à la patiente )destituée la femme d'une
reconnaissance fondatrice de la violence qu'il lui a été
faite et redoubler l'obligation habituelle de silence. (Nantes juin
2005)
L'instrumentalisation de la sociologie
Le certificat sociologique est lui, basé principalement
sur un interrogatoire de la femme et sur sa généalogie.
Depuis 2006, l'O.F.P.R.A. impose un entretien entre l'experte (1
seule en France) et les demandeuses avant toute délivrance
de certificat.
Cela suppose d'une part :
Que les demandeuse d'asile disposent d'un accès immédiat
à l'information sur cette procédure très spécifique
et en comprennent l'utilité. Ce qui est absolument sans rapport
avec la réalité des lieux d'accueil des femmes, du
parcours d'exil et du processus d`appropriation culturel de nouvelles
normes.
Que ces mêmes personnes soient en mesure de se déplacer
jusqu'au local de l'association (3 en France à ce jour) cela
signifie trouver de quoi payer des frais téléphonique,
des frais de transports, organiser la vie familiale durant leur
voyage ou en leur absence tout ceci dans les 15 jours suivant leur
arrivée en France.
Qu'elles acceptent de réitérer leur récit
de vie face à des personnes qui vont valider ou invalider
celui ci et qui vont détenir le pouvoir de favoriser ou de
défavoriser l'obtention du statut d'asile, une sorte d'entretien
OFPRA préliminaire.
Une disponibilité et une éthique majeure de la structure
d'expertise seule accréditée à ce jour (G.A.M.S.)
et interroge sur les enjeux de cette reconnaissance lorsqu'elle
ne s'accompagne pas d'une volonté de diversifier les partenaires
pour faciliter la délivrance de ce certificat.
Citons ici Arnaud Veisse, médecin coordinateur du Comède
le certificat destiné à la demande d'asile doit pouvoir
être délivré par, nécessaires (cadre,
temps, interprète professionnel), le certificat peut aider
le patient à se sentir reconnu, mais risque de le fixer dans
une position de victime qui bloque les possibilités d'évolution,
dans l'espoir que les mots du médecin puissent remplacer
les siens 20
Le fait même de la collaboration entre l'administration habilitée
à délivrer un statut de réfugiée et
l'association experte fausse les rapports entre la demandeuse et
la structure associative.
Il la détourne des valeurs solidaires en institutionnalisant
les inégalités et introduit un rapport de domination
que les mouvements de femmes ont combattu aussi dans le domaine
de la santé : refus de celui qui va dire le vrai à
la place de 21et par ce faire assujetti l'autre à la passivité
en le dépossédant de son savoir de l'expérience
(de sa capacité à agir sur cette expérience)
et donc de sa capacité à la « perlaboration
». 22
De plus sur la validité même du certificat sociologique,
une étude de 2006 23a permis de démontrer qu'il y
avait une « mauvaise corrélation entre l'interrogatoire
et l'examen clinique qui tient à de nombreux facteurs : imprécision
des termes traditionnels pour désigner les différents
types d'excision, méconnaissance des femmes elles-mêmes
du type de mutilation dont elles ont été victimes,[...]
Il semble donc que toute étude sur la prévalence de
l'excision et de ces différents types, et bien sûr
sur ses conséquences sanitaires, se doit de faire référence
à l'examen clinique et non à l'interrogatoire. »
24
L'instrumentalisation des femmes dans la politique migratoire
Sous la pression militante, droit national et international identifient
les mutilations sexuelles féminines comme persécutions.
En France cette reconnaissance s'articule dans une évolution
sociale globale de prise en compte des violences faites au femmes
25 : La moitié des femmes victimes d'homicide le seraient
par leur compagnon (30%) ou un "autre partenaire" (20%)
d'après Lecomte et al. 26 Cette lisibilité nouvelle
peut s'entendre comme une prise de conscience, de volonté
de déconstruction des normes sociales de domination et de
réhabilitation des victimes et aurait pu y englober les mutilations
sexuelles mais la différentiation de traitements majeurs
entre femmes immigrées et femmes françaises en contredit
les éventuels effets positifs.
Sous l'affirmation d'une défense de droits des femmes, certaines
d'entre elles étrangères donc étranges (Dewitte)
sont exposées à la une des médias dans ce que
nous avons toutes de plus intime : le sexe. Alors que nombre de
persécutions sont faites en France à des femmes de
toutes origines par des hommes de tous horizons, l`intérêt
massif public et politique pour une problématique certes
existante en France mais très minoritaire 27, laisse songeuse.
En confondant volontairement immigration et le droit à la
protection internationale qu'est le droit d'asile 28, l'Etat français
persiste dans sa politique du bouc émissaire (Guénif)
à ne pas penser le processus d'accueil de l'autre. et à
reproduire des rapports de domination dont notre histoire passé
n'a toujours pas fait le bilan. 29 Ainsi devant cet intérêt
compulsif à entendre et voir 30, on ne peut s'empêcher
de s'interroger sur ce corps objet d'un investissement fantasmatique
(Guénif) pour la nature « sauvage » de l'indigène.
L'histoire coloniale française est à ce titre intéressante
puisque quelques soient les colonies et les époques, le colonisé
semble réduit à son corps : symbole de barbarie des
hommes et de bestialité des femmes. :
Ainsi dans les plantations :
Dès le XVIIe siècle le système plantocratique
a requis la mise en place d'une politique spécifique en matière
de sexualité. Identités et activités sexuelles,
mariage et reproduction ont constitué un enjeu crucial dans
la mesure ou ils furent au service de la reproduction de clivages
sociaux.31 Pour satisfaire la moralité coloniale (Dorlin,
Paris) intervient alors la construction des stéréotypes
de l'identité des femmes:esclaves : sexualité insatiable,
et sans pudeur l'imaginaire colonial allant jusqu'à les doter
d'organes sexuels hypertrophiés, afin de légitimer
ses théories.
Au XXème siècle pendant la guerre d'Algérie
(mai 58) place du Gouvernement à Alger des colons organisent
des cérémonies de dévoilements des femmes musulmanes.
Celles ci (pour la plupart illettrées) viennent brûler
leur voile sur un podium 32.Cette mise en scène est sensé
symboliser le soutien des femmes à l'Etat français
et sa culture.
Au XXIe siècle, les femmes immigrées toutes colonies
confondues, réduites à leur clitoris ou à leur
voile, sont présentées dans des colloques et fond
la une de la presse, les unes devenant des affaires d'Etat, les
autres un problème de santé publique. 33 Si avec l'évolution
des moeurs: la bonne épouse n'est plus celle de la pudeur
et la retenue mais celle « libérée »qui
contribue à l'épanouissement sexuel de son partenaire,
les stéréotypes sur la femme immigrées s'y
sont adaptés : l'excision pense- t-on induit chez la femme
une aversion pour la sexualité ce qui finalement revient
au fait de l'enfermer dans une mystique érotisée et
diabolisante, d'un côté une sexualité désirable
« blanche » de l'autre une sexualité bestiale
indigène.
Une injonction qui......
a pour fonction de renforcer les liens entre les femmes blanches
et les hommes blancs en les rassurant sur leur humanité.
C'est s'assurer d'inscrire durablement la domination sociale entre
les hommes et les femmes mais aussi entre les femmes entre elles,
françaises de souches et les éternelles étrangères
donc de racialiser les rapports sociaux. [...] la vertu est d'autant
plus associé à la blancheur que le vice reste associé
à la noirceur.34
Dans le même ordre d'idée Nacira Guénif Souleimas
souligne:
L'examen des représentations médiatiques de l' «
Arabe »en France depuis les années 1980 met en évidence
deux dynamiques à l'oeuvre dans les discours dominants :
la première, directement liée à la nouvelle
conjoncture internationale, est la recomposition des images de l'ennemi
dans un référentiel mondialisé[..] ; et la
seconde, renvoyant clairement à l'imaginaire colonial, réduit
la question du rapport à l'Autre, dans la « France
métropolitaine » à la gestion de « cette
menace » avec les outils et les représentations hérités
de l'ex Empire. Ces deux techniques médiatiques mobilisent
plusieurs techniques discursives- amalgames, dénégation,
homogénéisation, utilisation des figures positivisées,
autocritique du discours, articulant discours sécuritaire
et discours identitaire 35
Ce détour par l'histoire inscrit les pratiques de lutte
officielle contre les mutilations sexuelles dans de multiples résonances
dont l'esprit s'illustre dans une citation toujours d'actualité
:
« l'indigène a infiniment plus de mal à s'assimiler
à notre culture que les Européens, nos voisins, que
des siècles d'éducation gréco-latine et chrétienne
ont beaucoup rapprochés de nous » 36.
Une fois de plus la femme étrangère est enfermée
dans un positionnement inextricable.
L'excision devient ici à la fois le symbole de la résistance
à l'acculturation et le statut de la honte et du jugement.
:elle devient l'autre in intégrable parce que trop étrange,
qu'il y a urgence à ré éduquer et qui doit
prouver constamment sa bonne foi puisque toujours suspecte Celle
qui a été marqué du seau de la différence
reste susceptible de récidive et doit être surveillée
de près. Les injonctions de signalements systématiques
des familles dites à risques qui sont faites aux travailleurs
sociaux sont ainsi édifiantes. Arguant de la responsabilité
pénale du soignant ou de l'actrice sociale, une pression
au contrôle social et à la mise sous tutelle s'accroît
confondant à dessin prévention et répression..
Basée la prévention sur un préalable répressif
et ou une réaction émotionnelle, c'est toujours révélé
un échec.
Cette politique participe par cette stigmatisation d'une population
à reproduire le pacte de violence et de silence un instant
effrité et entrave le processus d'accompagnement des acteur-trice
de la solidarité.
Par son discours et ses pratiques elle enferme dans une fidélité
communautaire qui peut conduire au maintien de la coutume de l'excision
en France en tant que signe d'une revendication identitaire, au
prix de la souffrance de celles même censées être
protégée :
"Le mécanisme « d'incorporation identitaire »
produit par l'excision reste la représentation la plus forte
et la plus répandue de cette pratique. L'hypothèse
de l'abandon de l'excision semble angoissante, comme si elle signifiait,
la perte identitaire. En situation de migration, l'injonction "d'intégration"
à la société d'accueil peut être ressentie
comme un risque de "désintégration" de son
être profond. La peur de la perte d'identité est encore
plus présente.
Il a été souvent démontré au cours
de l'histoire que les peuples exilés, gardiens fidèles
et jaloux des coutumes ou de la langue d'origine, les figeaient
à la date de leur exil alors qu'elles continuaient d'évoluer
dans les pays d'origine 37
C'est nier les droits fondamentaux des femmes et les maintenir
dans une subordination inextinguible
Une approche culturaliste des migrantEs aboutit à représenter
et souvent à nommer les étrangers comme un «
groupe à risque" du point de vue de la santé
publique, au sens de risque pour les autres (contamination potentielles)
et d'un risque pour eux mêmes (impossible intégration)
38
Récuser les mutilations sexuelles est un processus que nous
avons le devoir d'inscrire dans le cadre d'un contrat moral entre
la société et la personne instituant le droit à
ne pas être excisé, mais aussi le droit à un
revenu et un logement décent, un statut social et juridique
égalitaire.
C'est ainsi que les mutilations sexuelles pourraient s'éteindre
en France.
Bibliographie
Asylon(s) Numéro 1, octobre 2006 Sous la direction de Jane
FREEDMAN, Jérôme VALLUY LES PERSECUTIONS SPECIFIQUES
AUX FEMMES : Quelles connaissances ?
Quelles mobilisations ? Quelles protections ?
http://terra.rezo.net/rubrique102.html BELLAS
CABANE Christine, "Fondements sociaux de l'excision dans le
Mali du XXIème siècle"
AÏDAN Philip, "Femmes, soin et parcours d'exil"
- BROCARD Lucie, GUEGUEN Morgane,
LACAZE Florence, "Présentation de l'intervention du
GRAF : "L'appréhension des persécutions visant
spécifiquement les femmes dans le milieu associatif : regards
croisés sur un Collectif "
CEDREF- Genre travail et migration en Europe- Jane Freedman- «
Introduire le genre dans le débat sur l'asile politique »
Hommes et Migrations N°1225 santé le traitement de la
différence Philippe Dewitte- Malade Etranger, Etranger malade
? Didier Fassin- repenser les enjeux de la santé autour de
l'immigration Richard Rechtman de la psychiatrie des migrants au
culturalisme des ethnopsychiatres
La Fracture Coloniale- la découverte-2005 Pascal Blanchard-
la France entre deux immigrations - Nacira Guénif Souilamas-la
réduction à son corps de l'indigène de la République
Nouvelles Questions Féminines-Santé !-vol25- N°
2/2006-Antipodes
Nouvelles Questions Féministes, Vol. 18, Antipodes-J. Falquet
Guerre de basse intensité contre les femmes? La violence
domestique comme torture, réflexions sur la violence comme
système à partir du cas salvadorien.
Nouvelles Questions Féministes, Vol. 23-25, Antipodes -Sexisme,
racisme, le cas français et Sexisme, racisme post colonialisme
Pratiques n° 26-juillet 2004-l'acceuil et l'exil en médecine
A. Veisse- la santé en exil
Plein Droit n°56, GISTI, mars 2003 A. Veisse Les lésions
dangereuses
Plein Droit n° 69 GISTI- juillet 2006 Immigration, parole de
trop J. Valluy - Genèse du « faux réfugié
L. Borcard, H. Lamine-Quand les politiques « protègent
les femmes »
Le foulard islamique en questions*, Paris, Editions Amsterdam,
2004.Charlotte Nordmann (dir.), Todd Shépard "La bataille
du voile pendant la guerre d'Algérie
Poscolonialisme et immigration- Contretemps-textuel Myriam ParisElsa
Dorlin Genre esclavage et racisme : la fabrication de la virilité.
Notes :
1 mai 2003 Principes directeurs pour la prévention et l'intervention
2 nous préférerons sexuelles à féminines
arguant qu'il s'agit d'une atteinte sexospécifique
3 Office Français de Protection des Réfugiés
et Apatrides-Commission de Recours des Réfugiés C.R.R.
a reconnu l'existence du « groupe social des femmes entendant
se soustraire à une mutilation génitale féminine
».Décision de principe : CRR, SR, 7 décembre
2001, M et Mme Sissoko. En l'espèce, il s'agissait de ressortissants
maliens.
Voir notamment CRR, 18 septembre 1991, n° 164078, M.D., CRR,
SR, 7 décembre 2001, n° 361050, Sissoko et CRR, SR, 7
décembre 2001, n° 373077, Mme K, dans lesquelles l'existence
d'un groupe social est reconnue implicitement pour le Mali. (source
GR.A.F.) Pour une reconnaissance explicite de l'existence du "
groupe social des femmes entendant se soustraire aux mutilations
génitales féminines ", voir notamment CRR, 21
septembre 2004, n° 452011, Mlle B ; CRR, 30 septembre 2004,
n° 459042, Mlle FI ; CRR, 26 octobre 2004, n° 485427, Mlle
FE ; CRR, 9 novembre 2004, n° 479993, Mlle AO.
4 pays d'origine repéré : au Bénin, au Burkina
Faso, au Cameroun, en République Centrafricaine, en Côte
d'Ivoire, en Gambie, au nord du Ghana, en Guinée, en Guinée
Bissau, au Kenya, au Mali, en Mauritanie, au Nigeria, en Ouganda,
au Sénégal, en Sierra Leone, en Tanzanie, au Togo,
au Tchad.
Infibulation : à Djibouti, en Egypte, en Ethiopie, au Mali,
en Somalie, dans le nord du Soudan.
En ce qui concerne l'OFPRA c'est encore insuffisant pour octroyer
un statut de réfugié. Bien que la loi n'en dise rien,
cette administration sous la tutelle du ministère de l'intérieur,
accrédite des structures reconnues par ses services comme
expertes pour effectuer en amont un pré tri des étrangères.
5 Groupe femmes pour l'Abolition des Mutilations Sexuelles et autres
pratiques affectant la santé des femmes et des enfants
6 il est toujours possible de compléter les éléments
du dossier par des envois en recommandés à l'OFPRA
avant la convocation pour l'entretien.
7 le« faux réfugié » tel qu'il apparaît
dans l'espace public est une menace, un sujet d'inquiétude,
tout à la fois fraudeur parasite et envahisseur. J. Valluy
- Genèse du « faux réfugié »-Plein
Droit n°69
8 Associations de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés
9 Didier Fassin- repenser les enjeux de la santé autour
de l'immigration- -hommes et migrations N° 1225 santé
le traitement de la différence
10 Christine BELLAS CABANE « Fondements sociaux de l'excision
dans le Mali du XXIème siècle » site terra
11 Ibid.
12 Ibid.
13 si elle est hétéro sexuelle
14 Comité Médical pour les Exilés
-Philip AÏDAN- Femmes, soins et parcours d'exil - site TERRA
15.Richard Rechtman de la psychiatrie des migrants au culturalisme
des ethnopsychiatres --hommes et migrations N°1225 santé
le traitement de la différence
16 Arnaud Veisse- la santé en exil pratiques n° 26-l'acceuil
et l'exil en médecine
17 EIF n°10 / juin 2004 - « Les Mutilations Sexuelles
Féminines » lisible sur le site www.fasti.org
18 copie modèle type du certificat issu du guide du Comède
+ courrier systématique de l'association qui oriente vers
une médecin formée du planning explicitant le but
de l'examen afin d'éviter à la femme de re raconter
son histoire si elle ne le souhaite pas.
19 le Mouvement Français pour le Planning Familial contre
les Mutilations sexuelles Féminines - n°1-juin 2004
20 Arnaud VEÏSSE, Les lésions dangereuses, Plein Droit
n°56, GISTI, mars 2003.
21 Nouvelles Questions Féminines-Santé !-vol25- N°
2/2006-Antipodes
22 terme psychanalytique : processus par lequel la personne intègre
une interprétation et surmonte les résistances qu'elle
suscite
23 sous la direction de Elmusaharaf S.. : « Reliability of
self reported form of female genital mutilation and WHO classification
: cross sectional study. »
24 Dr Anastasia Roublev-juillet 2006
25 CF loi du 4 avril 2006
26 rapport Henrion violences conjugales
27 sur la polémique des chiffres : Comment le GAMS, «
Groupe femmes pour l'Abolition des Mutilations Sexuelles et autres
pratiques affectant la santé des femmes et des enfants »,
a-t-il abouti à ce chiffre ? Sur son site (2) on lit : «
En s'en tenant aux décomptes des titres de séjour
en cours de validité par nationalité (ministère
de l'Intérieur 1989 [sic]), on peut estimer qu'il y a au
moins 20 000 femmes et 10 000 fillettes mutilées ou menacées
résidant sur le territoire français. » Autrement
dit, les chiffres en question ne résultent pas de l'observation
du phénomène, mais d'application de sortes de «
taux de risques (de quoi ?) » pifométriques à
des populations issues des pays visés. Remarquons encore
que les chiffres du ministère des Affaires sociales, qui
sont censés conforter ceux du GAMS, sont repris... du GAMS.
Alfred Dittgen Mariages ou chiffres forcés?
28 Selon l'article 1 A (2) de la Convention de Genève, le
statut de réfugié doit être reconnu " à
toute personne qui craignant avec raison d'être persécutée
du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de
son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions
politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalité
et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer
de la protection de ce pays ".
29 sans nier les spécificités de l'analyse de Nacira
Guénif Souilamas nous nous nous permettons sur ce point de
l'élargir à l'ensemble des pays d'Afrique Nacira Guénif
Souilamas - la réduction à son corps de l'indigène
de la République La fracture coloniale- la découverte-2005
30 Nantes 15 juin 2006 conférence « comprendre et
prévenir les mutilations génitales féminines
» à destination des professionnels de la santé
et du travail social devant se reproduire dans diverses régions
en 2007 sur excision et réparation propos introductif : «
nous allons vous parler de barbarie » (n.d.a. : propos à
forte connotation dans l'histoire de l'immigration) suivi d'un film
documentaire d'une scène d'excision puis de l'intervention
publique d'une femme excisée faisant acte publique de contrition
pour avoir excisée ses filles. Ensuite parole d'expertes
: sociologique, psychologique, médicale...
31 Myriam Paris Elsa Dorlin Genre esclavage et racisme : la fabrication
de la virilité - Poscolonialisme et immigration - Contretemps-textuel
32 Todd Shepard, sur article de Fanon "La bataille du voile
pendant la guerre d'Algérie" in Charlotte Nordmann (dir.),
*Le foulard islamique en questions*, Paris, Editions Amsterdam,
2004.
33 Plaquette du Colloque national : les mutilations sexuelles féminines
: Prévenir, Dépister, Prendre en Charge 4 décembre
2006- institut Pasteur Paris Ministère de la santé
- Ministère de la parité et de la cohésion
sociale 10
34 Myriam Paris Elsa Dorlin Genre esclavage et racisme : la fabrication
de la virilité- Poscolonialisme et immigration- Contretemps-textuel
35 Nacira Guénif Souilamas-la réduction à son
corps de l'indigène de la République La fracture coloniale-
la découverte-2005 36 prf. Bernard Lavergne juin 1928-cité
par Pascal Blanchard- la France entre deux immigrations La fracture
coloniale- la découverte-2005
37 Christine BELLAS CABANE « Fondements sociaux de l'excision
dans le Mali du XXIème siècle » site terra n°
page 38 Didier Fassin- repenser les enjeux de la santé autour
de l'immigration- -hommes et migrations N°1225 santé
le traitement de la différence
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