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« Filière noire, blanche inertie»

Message Internet le 24 Janvier 2003
Subject: [zpajol] « Filière noire, blanche inertie»

Article paru dans "Fraternitaire" N°107 du 20 janvier 2003
« Filière noire, blanche inertie».

Disparition de mineurs étrangers arrivant en France, filière de prostitution réceptionnant de jeunes femmes d’origine africaine à la sortie de la zone d’attente ou du tribunal : malgré des enquêtes en cours et une forte médiatisation durant l’année 2001, rien n’a changé.
L’histoire commence au cours d’une campagne d’observation menée par des bénévoles de l’ANAFE * venus systématiquement observer les audiences du 35 Quater au tribunal de Bobigny.

Les bénévoles constatent.
Durant ces audiences publiques les étrangers qui arrivent aux frontières sont présentés à un juge qui peut autoriser leur entrée sur le territoire français, permettre leur expulsion ou bien prolonger leur maintien en zone d’attente le temps de l’examen du bien fondé de leur demande d’asile. Du 15 décembre 2000 au 15 janvier 2001 des dizaines de bénévoles vont se succéder rédigeant un rapport catastrophique sur ces procédures *. « Les bénévoles ont été particulièrement émus par ce qui se passait » résume pudiquement Maître Maugendre, avocat au barreau de Bobigny et Vice président du GISTI *. Moins pudiquement à la fin d’une de ces audiences l’un des militant ne supportant pas ce à quoi il vient d’assister joint des journalistes et les informe que « des proxénètes viennent se servir à la sortie du tribunal ». Il raconte comment à la fin d’une audience un policier de la PAF est venus le trouver lui demandant de protéger une jeune femme qui allait partir emmenée par des hommes qu’elle ne connaissait pas
Pour ce qui est de l’histoire officieuse voilà des mois que des avocats se plaignent auprès de leur bâtonnier de certains avocats qui distribuent leurs cartes de visites en zone d’attente, et d’autres encore qui étant de permanence se procureraient par tous les moyens des dossiers de personnes qu’ils veulent pour des raisons inexpliquées à tout prix défendre. En cette fin d’année 2000 et début d’année 2001, les arrivées sont massivement en provenance du Congo (RDC) et de Sierra Leone. Dans la salle d’audience, des hommes portant gourmettes en or et vêtus de façon ostentatoire assistent aux audiences. A la fin des audiences ils partiront avec des jeunes femmes qui ne les connaissent pas, escortées jusqu’à des Mercedes qui les attendent aux portes du tribunal. Des informations émanant de plusieurs associations ou militants commencent durant cet hiver à circuler se recoupant. Des magistrats, des greffiers sollicitent publiquement les bénévoles présents dans la salle pour qu’ils prennent en charge ces jeunes femmes lors de leurs sorties. Des disputes avec certains avocats et des hommes non identifiés ont lieu à la fin des audiences à propos de ces jeunes femmes.

Les associations de défense des étrangers se mobilisent

Sollicités par des journalistes avertis de ces faits, les associations leur demandent de patienter pour ne pas risquer de compromettre des plaintes et enquêtes qui pourraient déboucher sur le démantèlement de réseaux de proxénétisme avec lesquels collaborent au minimum 3 avocats fidèles du 35 quater. Une plainte du GISTI est finalement déposée le 16 mars. Quelques jours plus tard elle est transmise au procureur de la république qui mettra un mois et demi a saisir un juge d’instruction et en profitera pour « exhumer » dans le même temps une affaire de disparition de jeunes femmes africaines mineures. Le juge d’instruction joint les deux et lance une commission rogatoire. La Brigade des mineurs de Bobigny est chargée de l’enquête. En apparté l’un de ces enquêteur avouera au membre d’une association lui proposant de lui fournir numéros de téléphones que des jeunes femmes appellent discrètement : « qu’il n’a pas les moyens de s’en servir ». Le temps passe, l’enquête se poursuit faite d’une série d’auditions qui ne donnent rien. Un dimanche soir d’Octobre 2001, un reportage est diffusé par une chaîne de télévision. Ayant réussis à le visionner avant diffusion, des associations « suscitent » en livrant des informations une dépêche de l’AFP et quelques articles en « contre-feu » de ce reportage. Le silence est rompus, dans les semaines qui suivent la majorité des médias traite de « l’affaire » brièvement sans se donner les moyens d’une véritable enquête de terrain. Entre-temps, les proxénètes présumés aux allures voyantes ont été remplacés pour plus de discrétion par des « mamas africaines » (Femmes d’une quarantaine d’années aux allures plus rassurantes). Dans les mois qui suivront des avocats rempliront désormais la fonction de « réceptionner » certaines de ces jeunes femmes qui arrivent ou bien encore d’en « recruter » d’autres qui arrivent sans famille et amis en France. La médiatisation du mois d’octobre délie pourtant des langues. Certains magistrats en viennent à signaler qu’eux aussi travaillent sur des affaires de disparitions de mineurs, avec quelquefois des personnes mises en examen.

Disparues ? en fugue ? Elles ne seront que peu recherchées
.

Dans la plupart des cas c’est dans les tous premiers jours de leur placement d’office, bien souvent après un simple coup de fil que ces jeunes filles disparaissent. Disparues, en fugue, elles ne seront jamais retrouvées et peu recherchées par les services compétents puisqu’il ne s’agit que de fugues et pas d’enlèvements. « On ne sait pas ce qui est des réseaux mal intentionnés pour le trottoir et des réseaux d’assistance, le problème c’est l’obligation de déposer une demande d’asile là où on est arrivé dans l’espace Schengen. Si vous êtes isolés et que vous avez de la famille à Londres, Rotterdam ou Bruxelles c’est évident que vous allez tout faire pour les rejoindre » raconte Dominique Bordin le directeur du centre de demandeurs d’asile de mineurs de FTDA.

Ces jeunes femmes sont elles partis rejoindre de la famille dans un autre pays européen ? une hypothèse peut probable selon FTDA qui depuis son ouverture en Septembre 1999 a ainsi vus une quinzaine de jeunes filles de Sierra Leone ou du Nigeria fuguer pour ne plus réapparaître en France. Un chiffre supérieur à 300 pour ce qui concerne les foyers de l’aide sociale à l’enfance de Seine St Denis. Officiellement l’enquête suit donc son court, officieusement elle piétine, tout le monde sait, tout le monde constate que de nombreuses jeunes femmes majeures quittent le tribunal avec des gens qu’elles ne connaissent pas, que beaucoup de mineurs placées d’office arrivent avec un numéro de téléphone portable, que de nombreuses jeunes femmes qui se disent mineurs mais sont déclarées majeures après un très contesté examen osseux effectué sous la responsabilité de la PAF (Police aux frontières) disparaissent, que des avocats exercent de façon très particulière. Que faire sinon confiance en la police ? Dans le même temps on assiste à Paris puis dans l’ensemble de la France à la démultiplication sur les boulevards de jeunes femmes d’origine africaines qui se prostituent et quoi qu’il arrive ne disent pas un mot. « En 1999 on estimait le nombre de jeunes femmes venant de l’est et des Balkans prostituées sur les boulevards à entre 250 et 300 et à moins de 100 pour celle d’Afrique. En 2001, la proportion était d’environ 350 à 400 pour celles de l’est et des Balkans et à environ 450 pour celles d’Afrique » résume le commissaire divisionnaire Rigourd de la BRP (Brigade de répression du proxénétisme).

Au total en 2001 l’OCRETH (Office central de répression de la traite des êtres humains démantèlera en 2001, 4 filières nigérianes et 1 camerounaise sur les 14 qu’elle aura réalisée.

Des observations persistantes au tribuna
l

Durant l’hiver 200-2001, la Croix rouge qui offre une assistance d’urgence aux étrangers qui arrivent crée un poste permanent au tribunal de Bobigny pour accompagner les personnes qui n’ont personne en France et le veulent bien. Dans un bureau de l’aérogare 1 de Roissy Aurélie Neveu responsable du poste ayant mission d’assistance aux « arrivants » raconte : « Comment dire aux femmes, ne venez pas, restez dans les camps de réfugiés ? Les contrôles aux frontières permettent juste de les renvoyer dans le pays de départ » résume t-elle pour ne pas déplorer l’absence d’efficacité des autorités sur le sujet. Dans le meilleur des cas logés en urgence dans de petits hôtels situés à proximité de la gare du nord, qu’elle chance une femme même majeure qui ne parle pas français, mal l’anglais et souvent seulement crio ou peul a t-elle d’échapper à des réseaux quand les principaux lieux de rendez vous des filières se trouvent justement à la gare du nord ? De l’avis général aucune. Sierra léonaises, soudanaises, libériennes demandeuses d’asile c’est aussi de nombreuses jeunes femmes du Nigeria qui arrivent via de petites filières majoritairement gérés en France par des « Mamas » d’anciennes prostituées qui les contrôlent et expédient régulièrement l’argent de leur dette dans un autre pays européen voire en Afrique. « Elles ne veulent pas communiquer, on leur trouve un hébergement mais dès le lendemain elles sont partis » raconte encore Aurélie Neveu de la Croix rouge. Avec les mois qui passent, le climat à Bobigny devient tel que pour assurer la défense d’un étranger mineur placé en zone d’attente de nombreux avocats en arrivent à demander de recevoir des mandats officiels et des justificatifs des personnes demandant une aide juridique pour « leur soeur, leur cousine, leur nièce ». Suspicion donc à plus forte raison quand la demande vient de Belgique, de Hollande, d’Espagne, d’Italie ou d’Allemagne où les réseaux proxénètes sont également très présents. Dans les coulisses c’est aussi de trafic de diamant depuis l’Angola, la Sierra Leone et les deux Congo, de jeunes qui ne seraient que des mules qui sont régulièrement évoqués. Focalisé sur le sommet de l’iceberg : les mineurs, les majeures elles seront passés par pertes et profits jugés capables de se débrouiller... « Il y a eut un moment où on avait l’impression que c’était le marché aux esclaves » raconte sous couvert d’anonymat une personne qui travaille au tribunal souhaitant garder l’anonymat. Logique de réseaux, logique d’administrations, logique de castes qui composent le personnel du tribunal, logique de routine administrative de gens non formés pour comprendre. Suite à des suspicions contre un avocat c’est de fait le bâtonnier qui donnera son aval ou non pour qu’il y ait des suites... « Les mesures qui permettraient de sauver la mise des personnes qui risquent d’être récupérés par des réseaux ne sont pas prises pour des raisons de pouvoir interne » résume sous couvert d’anonymat un bénévole fidèle du tribunal. Pourtant tout le monde sait, tout le monde voit. « Il y a des policiers, des juges, des avocats, des associations qui font leur possible mais rien n’avance» conclue ce témoin anonyme écoeuré. A mots couverts chacun raconte donc son petit bout d’histoire, ce qu’il a pus observer et ce qu’il continue à observer et face à quoi il est impuissant. Plus de vingt mois après le début d’une enquête, l’instruction est finie : un mandat d’arrêt international a été lancé et cinq personnes passeront au tribunal correctionnel en début d’année 2003. Un procès « pour la forme » qui ne concernera donc que les faits commis durant l’hiver 2000-2001, depuis rien n’a pourtant changé, comme chaque citoyen pourrait aller lui même le constater chaque jour en se rendant au tribunal de Bobigny. Sur les boulevards des maréchaux, les contrôles et arrestations de prostituées étrangères se multiplient, entrées elles en Europe par l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne elles demeurent plus que jamais isolées. Mi-Juin le ministère de l’intérieur annonçait qu’il préparait une loi qui réprimerait spécifiquement les prostituées étrangères par une peine d’interdiction du territoire sanctionnant toute personne étrangère coupable de racolage ou d’exhibitionnisme. Le 5 Novembre dernier, cette loi passait au Sénat avant de suivre le traditionnel cheminement législatif malgré in tollé des associations travaillant sur ces questions.

Pour Jean François qui travaille pour la Cimade en centre de rétention, les antichambres des expulsions « le plus beau cadeau qu’on puisse faire a un proxénète c’est de lui renvoyer sa marchandise. C’est complètement contre-performant ». Comme le notait un communiqué du « bus des femmes » en Février 2002 « les proxénètes donnent à leurs victimes la consigne de ne pas s’opposer à l’expulsion. Car si des mesures de protections des victimes étaient mises en place, ils perdraient la « marchandise » dans laquelle ils ont investis ». Absence de volonté politique, profond mépris pour les étrangers, justice répétitive et expéditive, complaisance envers ces collègues de salle d’audience fussent t’il des partis adverses, les principaux concernés les étrangers et étrangères arrivant en France sont devenus pour beaucoup à tel point invisibles et interchangeables que leur sort n’est bien souvent plus que l’objet d’un rituel et leur avenir dans le meilleur des cas une anecdote. En France, moins d’une vingtaine de jeunes femmes étrangère ont été extraites des réseaux de proxénétisme depuis 1999. En Italie où un cadre légal existe depuis 1998, de l’ordre de 600 femmes seraient prises en charge chaque année. En Belgique où des procédures existent également et sont utilisées pour protéger les victimes de la traite humaine environ 300 personnes sont en ce moment prises en charge. Présumés délinquantes ou présumées victimes de la traite des êtres humains ? les solutions tiennent à cette équation. A Bruxelles les associations sont en tout cas formelles : une très grande partie des jeunes femmes africaines mineures ou majeures dont ils s’occupent sont passés par Paris soit en arrivant en Europe soit pour y exercer...

P.Luther


* Ce rapport est consultable sur le site :
http://www.gisti.org/doc/actions/2001/zone-attente/audiences

* ANAFE (Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers).
* GISTI Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés.
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ZPAJOL liste sur les mouvements de sans papiers
http://listes.rezo.net/mailman/listinfo/zpajol;