|
Origine : http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3224,50-928518,0.html
Une circulaire du ministère de la justice, en date du 31
mai dernier rendue publique par la Ligue des droits de l'homme de
Toulon, simplifie la gestion du Fichier national automatisé
des empreintes génétiques (Fnaeg). Cette réforme
est justifiée par "un accroissement exponentiel du nombre
d'analyses génétiques à réaliser".
En effet, rappelle le texte, "limité initialement aux
seules infractions de nature sexuelle, [le Fnaeg] a été
considérablement élargi" avec la loi sur la sécurité
quotidienne (votée, sous le gouvernement Jospin, en novembre
2001) et celle sur la sécurité intérieure (adoptée
en 2003 sous l'impulsion du ministre de l'intérieur Nicolas
Sarkozy). Aujourd'hui, les trois quarts des affaires traitées
dans les tribunaux peuvent entraîner un fichage génétique,
à l'exception notable de la délinquance financière,
ou encore de l'alcoolisme au volant, précise Ollivier Joulin,
du Syndicat de la magistrature. Le Fnaeg recenserait ainsi près
de 500 000 profils génétiques, contre 6 000 en 2003.
Afin de "réduire le coût humain et financier
engendré par la constitution et l'envoi des rapports d'analyse"
par les laboratoires - qui les facturent - et les juridictions -
qui doivent les classer -, leur transmission à la justice
n'est dorénavant plus considérée comme "nécessaire".
Les magistrats, qui recevaient jusque-là le résultat
des analyses qu'ils avaient requises, ne recevront plus désormais
que la mention de la découverte, ou non, d'un rapprochement
entre le profil génétique envoyé et ceux présents
dans la base de données.
D'autre part, et "afin de simplifier les exigences de prestation
de serment pesant sur les personnes" non inscrites sur les
listes d'experts judiciaires, les employés des laboratoires
privés chargés d'effectuer les analyses génétiques
pour le compte des magistrats et des officiers de police judiciaire
des laboratoires d'analyse n'auront plus à prêter serment,
par écrit, qu'à l'occasion de leur première
réquisition, et non, comme ils devaient le faire jusqu'alors,
à chacune des opérations d'analyses qui leur seront
confiées.
DES RISQUES D'ERREURS ET DE DÉTOURNEMENTS
"Sous couvert de faire du chiffre, d'économiser du
temps et de l'argent, le ministère de la justice ne mettra
plus l'autorité judiciaire en mesure de contrôler de
manière effective l'inscription au Fnaeg, estime Ollivier
Joulin. Selon une méthode éprouvée, dans un
premier temps on justifie une atteinte générale aux
libertés publiques en insistant sur le caractère exceptionnel
[infractions sexuelles graves] et sur l'importance des modes de
contrôles, en particulier concernant l'habilitation des personnels
et les protocoles à mettre en œuvre. Ils nous avaient
été vantés pour rassurer les personnes qui
criaient aux risques d'atteintes aux libertés. Puis on élargit
le champ d'application du Fnaeg, qui concerne aujourd'hui presque
toutes les infractions, et on réduit les possibilités
de contrôle. L'exception devient la norme."
Cette démarche, poursuit le magistrat, pourrait "entraîner
un surcroît d'erreurs : ne plus demander de rapport, ni de
prestation de serment, supprimer la solennité et l'engagement
du scientifique qui procède à l'analyse peut conduire
à une déresponsabilisation". Les Etats-Unis,
notamment, ont déjà fait les frais d'erreurs dans
l'analyse de leurs profils génétiques conduisant à
l'incarcération, voire la condamnation à mort d'innocents.
Olivier Joullin dénonce également la "perméabilité"
des fichiers : pour lui, le risque ne vient pas tant des autorités
publiques ("sauf dérapage de type écoutes de
l'Elysée") que de la possibilité de les voir
détournés par des gens du secteur privé, ou
des autorités d'autres pays hors du contrôle des juridictions
françaises. Les ministres de l'intérieur de l'Union
ont ainsi décidé, le 12 juin dernier, de mettre en
réseau leurs bases de données génétiques,
sans pour autant parvenir à se mettre d'accord sur le régime
de protection des données privées échangées,
qui ne sont pour l'instant pas couvertes par le droit européen.
"PLUS LE FICHIER EST ÉTOFFÉ, PLUS IL
EST PERFORMANT"
Guillaume Didier, porte-parole du ministère de la justice,
tempère ces critiques, en notant que la nomination des experts
est de toute façon validée par une commission d'agrément,
et qu'il ne s'agit pas de dévaluer la qualité de leur
expertise, mais bien de réduire les frais et procédures
"qui n'apportent rien" au fichier. Ainsi, seuls sont concernées
par la circulaire les prélèvements génétiques
d'individus, pas ceux des traces répertoriées sur
des scènes de crime et dont les rapports complets d'expertise
continueront à être transmis aux magistrats.
En effet, le volet administratif du fichage génétique
atteindrait des sommets, mobilisant plusieurs fonctionnaires au
parquet de Paris - qui "entasse les rapports" - et onze
employés administratifs par expert dans les laboratoires
d'analyse génétique. Situation d'autant plus absurde
que ces prélèvements ne concernent pas des affaires
en cours et que "le but des analyses est d'alimenter le fichier
à l'avenir". L'objectif du Fnaeg est, en effet, d'une
part, d'identifier les coupables lorsqu'une trace génétique
a été prélevée sur la scène d'un
crime, mais aussi et surtout de collecter un maximum d'identifiants
génétiques de personnes, au cas où ceux-ci
continueraient, par la suite, de commettre crimes et délits.
Guillaume Didier rappelle enfin que cette circulaire s'inspire
des recommandations d'un audit effectué en 2005 et qui visait
à maîtriser les coûts des empreintes génétiques
afin de faciliter les enregistrements au Fnaeg, et d'augmenter le
volume du fichier. "C'est une évidence, mais il faut
le rappeler: plus le fichier est étoffé, plus il est
performant."
Jean Marc Manach
|
|