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Surveillance et répression : La justice simplifie le fichage génétique
Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg)
LEMONDE.FR | 03.07.07
Jean Marc Manach

Origine : http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3224,50-928518,0.html

Une circulaire du ministère de la justice, en date du 31 mai dernier rendue publique par la Ligue des droits de l'homme de Toulon, simplifie la gestion du Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg). Cette réforme est justifiée par "un accroissement exponentiel du nombre d'analyses génétiques à réaliser". En effet, rappelle le texte, "limité initialement aux seules infractions de nature sexuelle, [le Fnaeg] a été considérablement élargi" avec la loi sur la sécurité quotidienne (votée, sous le gouvernement Jospin, en novembre 2001) et celle sur la sécurité intérieure (adoptée en 2003 sous l'impulsion du ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy). Aujourd'hui, les trois quarts des affaires traitées dans les tribunaux peuvent entraîner un fichage génétique, à l'exception notable de la délinquance financière, ou encore de l'alcoolisme au volant, précise Ollivier Joulin, du Syndicat de la magistrature. Le Fnaeg recenserait ainsi près de 500 000 profils génétiques, contre 6 000 en 2003.

Afin de "réduire le coût humain et financier engendré par la constitution et l'envoi des rapports d'analyse" par les laboratoires - qui les facturent - et les juridictions - qui doivent les classer -, leur transmission à la justice n'est dorénavant plus considérée comme "nécessaire". Les magistrats, qui recevaient jusque-là le résultat des analyses qu'ils avaient requises, ne recevront plus désormais que la mention de la découverte, ou non, d'un rapprochement entre le profil génétique envoyé et ceux présents dans la base de données.

D'autre part, et "afin de simplifier les exigences de prestation de serment pesant sur les personnes" non inscrites sur les listes d'experts judiciaires, les employés des laboratoires privés chargés d'effectuer les analyses génétiques pour le compte des magistrats et des officiers de police judiciaire des laboratoires d'analyse n'auront plus à prêter serment, par écrit, qu'à l'occasion de leur première réquisition, et non, comme ils devaient le faire jusqu'alors, à chacune des opérations d'analyses qui leur seront confiées.

DES RISQUES D'ERREURS ET DE DÉTOURNEMENTS

"Sous couvert de faire du chiffre, d'économiser du temps et de l'argent, le ministère de la justice ne mettra plus l'autorité judiciaire en mesure de contrôler de manière effective l'inscription au Fnaeg, estime Ollivier Joulin. Selon une méthode éprouvée, dans un premier temps on justifie une atteinte générale aux libertés publiques en insistant sur le caractère exceptionnel [infractions sexuelles graves] et sur l'importance des modes de contrôles, en particulier concernant l'habilitation des personnels et les protocoles à mettre en œuvre. Ils nous avaient été vantés pour rassurer les personnes qui criaient aux risques d'atteintes aux libertés. Puis on élargit le champ d'application du Fnaeg, qui concerne aujourd'hui presque toutes les infractions, et on réduit les possibilités de contrôle. L'exception devient la norme."

Cette démarche, poursuit le magistrat, pourrait "entraîner un surcroît d'erreurs : ne plus demander de rapport, ni de prestation de serment, supprimer la solennité et l'engagement du scientifique qui procède à l'analyse peut conduire à une déresponsabilisation". Les Etats-Unis, notamment, ont déjà fait les frais d'erreurs dans l'analyse de leurs profils génétiques conduisant à l'incarcération, voire la condamnation à mort d'innocents.

Olivier Joullin dénonce également la "perméabilité" des fichiers : pour lui, le risque ne vient pas tant des autorités publiques ("sauf dérapage de type écoutes de l'Elysée") que de la possibilité de les voir détournés par des gens du secteur privé, ou des autorités d'autres pays hors du contrôle des juridictions françaises. Les ministres de l'intérieur de l'Union ont ainsi décidé, le 12 juin dernier, de mettre en réseau leurs bases de données génétiques, sans pour autant parvenir à se mettre d'accord sur le régime de protection des données privées échangées, qui ne sont pour l'instant pas couvertes par le droit européen.

"PLUS LE FICHIER EST ÉTOFFÉ, PLUS IL EST PERFORMANT"

Guillaume Didier, porte-parole du ministère de la justice, tempère ces critiques, en notant que la nomination des experts est de toute façon validée par une commission d'agrément, et qu'il ne s'agit pas de dévaluer la qualité de leur expertise, mais bien de réduire les frais et procédures "qui n'apportent rien" au fichier. Ainsi, seuls sont concernées par la circulaire les prélèvements génétiques d'individus, pas ceux des traces répertoriées sur des scènes de crime et dont les rapports complets d'expertise continueront à être transmis aux magistrats.

En effet, le volet administratif du fichage génétique atteindrait des sommets, mobilisant plusieurs fonctionnaires au parquet de Paris - qui "entasse les rapports" - et onze employés administratifs par expert dans les laboratoires d'analyse génétique. Situation d'autant plus absurde que ces prélèvements ne concernent pas des affaires en cours et que "le but des analyses est d'alimenter le fichier à l'avenir". L'objectif du Fnaeg est, en effet, d'une part, d'identifier les coupables lorsqu'une trace génétique a été prélevée sur la scène d'un crime, mais aussi et surtout de collecter un maximum d'identifiants génétiques de personnes, au cas où ceux-ci continueraient, par la suite, de commettre crimes et délits.

Guillaume Didier rappelle enfin que cette circulaire s'inspire des recommandations d'un audit effectué en 2005 et qui visait à maîtriser les coûts des empreintes génétiques afin de faciliter les enregistrements au Fnaeg, et d'augmenter le volume du fichier. "C'est une évidence, mais il faut le rappeler: plus le fichier est étoffé, plus il est performant."

Jean Marc Manach