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Femmes, nature et société
Leirn (site  Chiennes de Garde)


Pourquoi donc s'acharner à défendre une égalité des sexes ?
Pourquoi ne pas valider une nature féminine, ou un « éternel féminin », voire une supériorité éternelle de l'homme sur la femme qui alors justifierait des traitements différents, ne serait-ce que pour niveler ces inégalités de chances au départ ? N'est-il pas normal et intelligent de fournir l'éducation la plus adaptée aux capacités réelles du sujet, à savoir, les femmes ? Enfin, ne risque-t-on pas de gâcher ce bien si précieux qu'est la féminité en donnant aux femmes la possibilité de se conduire comme les hommes ?
Bien sûr, ce paragraphe est une pure provocation de ma part. Mais plutôt que de poser comme postulat l'égalité des hommes et des femmes, je préfère commencer par détruire quelques idées reçues, (ou inconsciemment reçues) pour démontrer clairement que la spécificité féminine de prétendues capacités moindres ou même différentes n'a pas lieu d'être.

Observations biologiques
« La femme est le produit d'un os surnuméraire. » a prétendu Bossuet, justifiant ainsi, avec l'appui de la parole divine la subordination originelle de l'homme sur la femme. Mais la religion ne fait plus recette et il est difficile de se référer à Adam et Eve pour confirmer sérieusement une supériorité masculine. Toutefois la science a remplacé de nos jours la religion, en terme de convictions et de références. Et c'est dans la biologie et l'observation du règne animal qu'on va aller chercher de multiples preuves de la supériorité masculine. Même Simone de Beauvoir n'arrive pas, me semble-t-il, à se dégager de cette impression que le fondement de la soumission des femmes est dans la nature. Bien qu'elle cite la reproduction des éponges et d'un certain nombre d'autres animaux plus ou moins évolués, elle paraît bloquée sur le fait que dans les rapports sexuels des animaux 'supérieurs' (et volontiers cités en exemple, comme le lion ou le loup), le mâle a toujours le dessus et la femelle se cantonne dans un rôle passif (Beauvoir 1949 chap. 1er) : le mâle couvre la femelle, cette constatation provient de l'observation la plus élémentaire.
Bien sûr, elle n'y trouve pas la justification de la domination masculine mais malgré ses affirmations, j'ai l'impression qu'un doute désagréable traîne dans son esprit, un doute qui lui ferait dire : éloignons-nous du modèle animal, nous sommes maintenant suffisamment évolués pour nous défaire de nos instincts les plus primitifs. Et je pense que ce point de vue est très largement partagé. Au fond de l'esprit de la plupart des gens reste le sentiment que l'homme est plus fort, court plus vite, qu'il en est de même pour les mâles dans la nature et que cette prédisposition malheureuse pour les femmes les condamne à la condescendance ou à la galanterie.

Pourtant, ces observations biologiques, même dans leurs interprétations les plus littérales sont culturellement biaisées. Le terme passif n'a aucun sens dans ce cadre. L'utilisation de justifications causales est inadaptée à tous les phénomènes évolutifs et introduit des biais de sens très importants. Soit on fait de la stricte observation scientifique et le vocabulaire supérieur / inférieur n'a pas de sens, soit on plaque des considérations anthropomorphiques sur des observations éthologiques. Mais là, ce n'est plus de la science, mais du mythe ou de la métaphore. Le terme de 'couvrir' qu'emploie volontiers Simone de Beauvoir pour décrire la supériorité du mâle sur la femelle au moment de l'acte sexuel n'a un sens qu'en terme d'interprétation : le 'haut' est associé culturellement au masculin et au positif, tout comme 'l'action', mais en termes biologiques, le couple haut / actif n'a pas de raison d'avoir une valeur positive (Bourdieu 1998). Dieu pas plus que la biologie ne pourront légitimer une domination masculine.

Influences sociétales
Les écarts de comportements sont sociétaux, plutôt que « naturels ». L'éducation des enfants ne s'effectue pas exclusivement à l'école. C'est d'abord dans le cadre de la famille que les petites filles grandissent. Or, il est significatif que les parents regardent les bébés selon leur sexe, et ce, même avant la naissance. Ensuite, dès la prime enfance, les enfants sont l'objet d'attentes collectives très différentes. Le bébé fille sera encouragé à plus de passivité, on la voudra 'gentille', 'mignonne', ses tenues auront tendance à être moins pratique (il est difficile de marcher à quatre pattes, quand on est en robe), on l'encouragera moins à marcher. Les petites filles sont plus maternées, elle reçoivent plus d'aide que les garçons qu'on a tendance à laisser se débrouiller tout seul. On fait également moins attention à l'état des vêtements des garçons quand ils rentrent après avoir joué. On considère que c'est normal qu'ils se salissent, ils sont exubérants, plein de vie, il faut qu'ils se dépensent.
Les jouets qui sont proposés aux enfants sont également de nature très différente. Les jouets traditionnellement pour petites filles se rapportent au domaine maternel ou domestique. Alors que les jouets pour garçons sont plus diversifiés, plus créatifs, plus scientifiques. C'est dans le choix des jouets qu'on retrouve aujourd'hui les orientations de l'école républicaine. Il est à mon sens significatif que la préférence pour les jouets de l'autre sexe soit beaucoup plus marquée chez les filles. D'une part, parce que les domaines abordés sont plus vastes, et d'autre part parce qu'il n'y a pas de honte pour les filles à aimer les jouets de garçons. Alors que l'inverse est faux. Les garçons mépriseront les décors mièvres et les activités serviles proposés par les jouets domestiques.

Mais le choix des jouets et des habits reste du ressort des parents et de la famille, à destination d'enfants clairement identifiés, considérés comme des individus distincts. Sans que l'expression ne se veuille péjorative, l'école fournit un enseignement de masse, laïque et sexuellement indifférencié. Pourtant, un tri s'effectue semble-t-il naturellement parmi les élèves : les filles font moins d'études longues, réussissent moins bien dans les matières scientifiques ou se dirigent en masse vers les filières littéraires. Enfin, certaines professions, incarnant des valeurs telles que le dévouement, le soin porté aux autres, sont des bastions féminins, tel le métier d'infirmières. Faut-il en conclure à une sélection naturelle qui voudrait que dans un enseignement sexuellement indifférencié, les prédispositions innées des femmes leur fassent choisir les orientations qui leur conviennent le mieux ?

C'est encore à grand renfort de biologie que les tenants de cette hypothèse voudront démontrer leur croyance. De nombreux tests ont été effectués sur des hommes et des femmes, afin de déterminer comment étaient réparties les aptitudes. Il semblerait que les femmes aient plus de facilité à reconnaître des objets, à fonctionner par associations d'idées, elles seraient meilleures en perception et en communication et enfin, meilleures en arithmétique. Par ailleurs, les hommes excelleraient en représentation spatiale de tout type et en raisonnement mathématique pur (Kimura).

Néanmoins, pour aller à l'encontre de ce genre de déterminisme biologique, il faut signaler le caractère tardif de l'émergence de la plupart de ces prédispositions, c'est-à-dire, post socialisation, et le caractère très changeant et sensible au contexte. (Pour les hommes, comme pour les femmes, les cycles hormonaux semblent faire fluctuer leurs aptitudes). Les seuls points sur lesquels on pourrait peut-être avancer des résultats significativement précoces (avant 6 ans) seraient une plus forte agressivité et une meilleure reconnaissance spatiale chez les garçons, ainsi que des prédispositions au langage chez les filles. Mais là encore, peut-on parler de nature ? Un bébé est considéré comme garçon ou fille par ses parents parfois même avant sa naissance. Les bébés filles vocalisent davantage. Mais les mères parlent davantage aux bébés filles. Alors, qui a commencé ? Des tests de reconnaissance de visages ont été faits sur des bébés. Ils mettent en évidence qu'à l'âge de 4 mois, les bébés filles et les bébés garçons n'utilisent pas en général leurs hémisphères cérébraux de la même manière (les filles utilisant les deux et les garçons uniquement le droit, sauf les garçons gauchers qui pensent en gros, « comme les filles »). Peut-on pour autant en déduire directement des compétences différentes ?

Néanmoins, il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit que de moyennes, que les différences entre individus d'un même sexe ont toujours été supérieures aux différences supposées d'un sexe à l'autre et enfin, qu'une prédisposition biologique n'est pas suffisante pour induire un comportement. Et puis, il faut intégrer le fait que les tests comportementaux sont lus par des individus sexués ayant leurs propres préjugés (involontaires) sur les individus sexués et qu'il est possible que les lectures elles-mêmes soient doublement influencées par la variable sexe.
Il est évident que nous sommes influencés par notre biologie. Quelques soient les performances en matière d'égalité des sexes, il a y peu de chance qu'un jour les hommes accouchent, de même, il est peu probable que les femmes possèdent un pénis. Il serait ridicule de nier ces différences et bien entendu, ce n'est pas mon propos. Ce que je veux dire c'est que je crois que la culture est capable de réinterpréter toute la biologie à sa guise. Selon les endroits, les époques et les civilisations, la femme était responsable à elle seule de la reproduction ou en était totalement étrangère. Cette interprétation se faisait en face d'une même biologie. Les héros grecs pleuraient comme des Madeleines à la mort de leurs amis et personne ne les traitait de femmelette, alors que les vrais hommes de nos civilisations occidentales ne pleurent jamais. Sur des biologies différentes, les constructions sociales sont puissantes et peuvent interpréter tout et le contraire. Le problème n'est pas que les hommes soient physiologiquement plus forts que les femmes. Mais que le fait d'être plus fort soit une valeur essentielle, associée à ce qui est bien. Le problème n'est pas que les femmes accouchent, mais que cette fonction soit considérée comme passive et sans prestige. De sorte qu'on en arrive à ce paradoxes : il y a plus de noblesse à prendre la vie qu'à donner la vie (Simone de Beauvoir 1949). Voilà une valeur culturelle qui est indiscutablement « contre-nature ».


Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, Gallimard, Paris 1949

Pierre Bourdieu, La domination masculine, Seuil, Paris, 1998 (même si on peut critique l'originalité de ses propos et le réel féminisme de son discours)

D. Kimura, Le sexe du cerveau, Pour la science, N° 181


Femmes, nature et société, Leirn, site  Chiennes de Garde

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