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La psychanalyse dans CQFD
SI TOUS LES DIVANS DU MONDE... FAUDRAIT QU’ON SE CAUSE !
Gilles Lucas. CQFD N° 38 Octobre 2006

Ortigine : http://www.cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=1174

En ces temps de précarisation et d’isolement, recevoir des gens, les écouter, les laisser parler, ne porter aucun jugement, et être payé par la Sécu pour cette gâche-là, ça s’appelle être un psychanalyste. CQFD en a vu un, l’a écouté, l’a laissé parler...

CQFD : En quoi consiste ton travail ?

Christian [1] : Je reçois des gens. Des gens qui ne viennent d’aucun milieu particulièrement défini. Je refais avec eux ce que moi-même j’ai fait un jour avec un autre. C’est-à-dire une analyse qui m’avait sorti d’impasses personnelles et autres interrogations. Je dois dire que l’analyste en tant que tel, ça n’existe pas. Il n’y a qu’un analysant. Et puis, il est faux de dire que la psychanalyse est scientifique. C’est à la fois un délire scientifique et la science du délire.

À quoi ça sert ?

À parler avec quelqu’un, comme on dit. Quelqu’un à qui « l’ on doit parler ». « On doit parler » veut dire que puisque qu’on ne trouve personne à qui parler, et que l’on « doit » parler, il n’y a pas d’autre possibilité. De plus, il n’y a pas un rapport d’autorité ou de hiérarchie. C’est un fou qui rencontre un autre fou dans un rapport d’égalité. Un « fou », c’est celui qui s’applique à ne pas se conformer, qui ne veut pas se conformer à la névrose dont on est tous atteints. Ce qui est paradoxal puisqu’en général le bon sens dit que ne pas vouloir se conformer est le signe d’une maladie de la tête. La question n’est pas de soigner ces maladies de la tête, mais d’en faire autre chose. Les gens qui viennent me voir ne sont pas résignés.

Mais pourquoi te parler à toi ?

Parce qu’avec quelqu’un comme moi, il n’y a pas de dette. La personne ne me doit rien et je ne lui dois rien. Il n’y a aucun devoir entre nous.

Tu penses que cette « nécessité » est quelque chose de nouveau ou bien ça a toujours existé ?

Sûrement pas. Cette situation s’est développée à la fin du XIXe avec la montée de l’individualisme auquel s’ajoutent les principes de la science, la rationalisation, la mise en catégories, la morale bourgeoise, l’enfermement. Et puis, il n’y a plus d’Au-delà. Voir « quelqu’un » n’a rien à voir avec la confession : il n’y a aucune promesse de rédemption ou de quoi que ce soit. Mon intervention consiste à être un prestidigitateur, à faire des tours de passe-passe. La psychanalyse est une espèce de bluff.

À quoi ça sert plus généralement, dans la société ?

C’est sûr que tout cela peut servir à réguler les conflits, à maintenir ou à aggraver l’oppression. Mais ça échappe. Si les pouvoirs veulent s’en servir pour pouvoir enfermer, à mon niveau, dans la pratique, c’est plutôt une activité destinée à sortir de l’enfermement. La psychanalyse peut être un très bel outil pour appuyer l’aliénation, mais aussi pour lui porter des coups. S’il y a un but, il est assez simple : c’est de passer entre le fait d’être passivement aliéné et celui de cesser temporairement de l’être. Ce que la société demande à chacun c’est d’être « sage comme une image ». D’être comme une image d’Épinal. D’être à l’image de la beauté parfaite en quête constante de la pureté. Et ça ne marche pas. Le regard de ceux qui sont en haut dans la société n’a rien à voir avec ce que ressentent la majorité des gens. Et aussi d’une certaine manière, on pourrait dire merci à ceux qui sont en haut d’avoir favorisé un outil d’oppression qui peut être utilisé contre eux. Mais la Psychanalyse ne peut pas être un moyen de libération et d’émancipation générale. Il s’agit de prendre ce qu’il y a au bord de la route et pas ce qu’on nous contraint de prendre. C’est pour ça que je pense qu’une telle activité est subversive. Subversive mais pas révolutionnaire, même si la République des conseils de Budapest, en 1919, avait créé un ministère de la psychanalyse avec Ferenczi, l’ami de Freud.

Beaucoup de gens font des psychanalyses ?

Les gens que je vois ne sont pas des malades mentaux, dans le sens où ils auraient de graves pathologies. Ils veulent tenir le coup. Ils profitent de la Sécurité sociale pour se cultiver. Et je continue à penser que tant qu’il y aura des gens qui ressentent le besoin de parler comme une condition vitale, rien n’est définitivement perdu.


Article publié dans CQFD n° 38, octobre 2006.

Precisum : Pour mettre fin aux longues files d’attente devant les cabinets de psychanalystes suite cet article paru dans le n°38, la rédaction tient à préciser que Christian est un psychiatre conventionné.

[1] Christian est membre de « l’École démembrée de l(a)dit(e) solution ».