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La Fatigue d’être soi Dépression et société
A Ehrenberg.

Origine : http://perso.orange.fr/memscpobdx/fichelect/fatigueetresoi.html

I - Étude du texte.

Le sociologue français Alain Ehrenberg rédige cet ouvrage, La Fatigue d’être soi, publié en 2000 chez Odile Jacob, en s’interrogeant sur le lien qui serait susceptible d’exister entre la société et le mal-être de l’individu actuel, matérialisé par la dépression. Ainsi celui-ci va tenter dans ce livre de décortiquer la « dépression », d’établir un historique de celle-ci dans un premier temps pour enfin l’aborder vis-à-vis de l’individu au sein de la société, pour confronter dépression et individu contemporain. A partir d’une étude complète des œuvres de psychiatres, psychanalystes, sociologues, médecins, psychologues, etc., Ehrenberg se propose ici d’analyser l’état psychique de l’individu dans la société contemporaine, en proie à ses propres mutations. Il se souciera aussi de la médicalisation de la dépression aujourd’hui liée aux formes multiples que ce mal prend.

Nous allons ainsi étudier, partie par partie, chapitre par chapitre, en suivant la voie tracée par l’auteur, l’étude sociologique de la dépression menée par Alain Ehrenberg.

Première partie : « UN SUJET MALADE. »

1. Chapitre 1 : Genèse de la créature psychique.

Ce chapitre reprend chronologiquement les différentes phases de la construction de la « dépression » que nous connaissons à l’heure actuelle. D’abord l’auteur insiste sur le caractère spécial de la psychiatrie, qui contrairement aux autres branches de la médecine, se confronte à de réels problèmes moraux, car cette discipline touche fondamentalement à l’esprit humain, et aux douleurs de celui-ci, aux douleurs morales. La psychiatrie se place, comme le dit Ehrenberg, « entre le médical et le moral » ; en laïcisant l’âme, la transformant en esprit faisant partie intégrante du corps, la personne atteinte de folie, de délire, de tristesse n’en est plus responsable, mais elle en est au contraire atteinte.

La folie est la première pathologie de la liberté : « la notion de maladie mentale est un corollaire de l’idée d’individu.

La seconde pathologie qui touche directement à l’esprit humain est la mélancolie ; elle trouve son apogée au 18°siècle. D’abord considérée comme signe de grandeur d’âme (elle était fréquente dans les milieux intellectuels), elle se diffuse ensuite autour du thème du mal de vivre, et devient alors une vraie maladie. La mélancolie est étroitement liée à l’exacerbation de la conscience de soi qui va en augmentant depuis la période de l’humanisme, vers le 16°siècle. La mélancolie n’est pas forcément liée à la folie, mais est associée à une irritation des nerfs à cause des circonstances extérieures qui perturbent la vie du mélancolique. Les problèmes appelés autrefois moraux deviennent alors des problèmes psychologiques. Le mélancolique souffre profondément. Intervient alors le problème du réflexe. Sa physiologie est un élément de plus dans la laïcisation de l’âme, dans le sens où l’étude de celle-ci (de sa physiologie) révèle que la conscience n’est pour rien dans cet acte qu’est le réflexe. C’est un phénomène automatique, inconscient, qui ouvre ainsi les portes de l’esprit, et non plus de l’âme.

La troisième pathologie évoquée par Ehrenberg est la neurasthénie qui apparaît lors des vingt dernières années du 19°siècle. La réaction pathologique, les transformations de l’esprit d’une personne sont alors intimement liées à un événement extérieur. La neurasthénie représente alors en cette période la « dimension nerveuse de la fatigue industrielle », directement associée à la Révolution Industrielle. Le facteur social, mais aussi les notions de fatigue et de surmenage jouent un rôle essentiel dans l’élaboration de cette pathologie. Le monde a changé, et l’homme doit changer avec lui, parfois malgré lui. La neurasthénie connaît un réel effet de mode : c’est la maladie de l’époque ; on dit qu’elle est due à un affaiblissement des nerfs, causé par la fatigue, le surmenage et des traumatismes liés à l’extérieur, selon Charcot. Puis la névrose naît. Causée elle aussi par des traumatismes, cette maladie mentale ne connaît qu’une seule thérapie efficace : l’hypnose.

Enfin Ehrenberg évoque la dernière psychopathologie avant la dépression : c’est la psychasthénie, définie pour la première fois par Janet (1859-1947. Selon lui toute névrose est maladie des fonctions de l‘esprit, non des organes. Cette maladie, comme nous le verrons par la suite pour la dépression, est avant tout déficitaire, c’est une pathologie de l’insuffisance psychique. Son symptôme essentiel est l’obsession, et, comme pour la névrose, le seul remède connu efficace reste l’hypnose, qui permet de connaître mieux les problèmes du patient. Freud parlera quant à lui, au sujet des névroses, de psychonévroses, « maladies du conflit », qu’il soit en rapport avec l’extérieur ou l’intérieur du patient, l‘angoisse étant la cause principale des troubles névrotiques.

2. Chapitre 2 « Électrochoc : technique, humeur et dépression »

Comment soigner la dépression ? C’est la question que se pose Ehrenberg dans ce chapitre. Il remarque que les soins administrés aux dépressifs peuvent être dissociés en trois groupes. Dans un premier temps, la psychanalyse. Un spécialiste, appelé psychanalyste, propose au patient déprimé de retrouver dans son passé personnel ce qui a pu provoquer en lui à l’heure actuelle une telle psychopathologie, et ceci par l’hypnose, mais surtout par le dialogue. Cette discipline qu’est la psychanalyse est essentielle dans le traitement psychologique du patient, car nombre de déprimés s’adressent à des généralistes qui ne sont pas aptes à bien les écouter pour ensuite bien les soigner. Les omnipraticiens considèrent d’un mauvais angle la dépression et les dépressifs, les prenant pour des malades simulateurs ou imaginaires et ce jusque dans les années 1950-60. Mais la souffrance morale de ceux-ci est bien réelle et c’est ce qu’ont compris les psychanalystes. Il est aussi compris que les mutations de la société engendraient certains troubles psychiques, car les institutions ont un rôle majeur dans la vie des individus, qui lui sont soumis. Si les mœurs changent, si les institutions changent, si la société change, l’individu change, en mal ou en bien. Ces changements provoquent en lui des troubles psychiques parfois, que le thérapeute se doit d’analyser et de soigner.

Dès 1950, des espoirs de guérison amorcée par de nouvelles voies que la psychanalyse apparaissent : les techniques biologiques, et l’électrochoc, inventé en 1938 par Ugo Cerletti. Ce sont les deux moyens de plus qui sont susceptibles de soigner la dépression. Celle-ci est une maladie des fonctions de l’esprit, et elle n’est donc pas directement liée aux organes mêmes. Ce constat bouleverse radicalement le rapport de la biochimie à la dépression. Les traitements biologiques concernant l’esprit connaissent de véritables révolutions à partir des années 50. Le premier neuroleptique apparaît en 1952. La chimiothérapie évolue et est même considérée comme un traitement complémentaire de la psychiatrie. En ce qui concerne l’électrochoc, c’est un traitement qui fait ses preuves contre la mélancolie. Il doit donc s’appliquer à des entités bien définies pour être efficace, c’est un traitement spécifique que l’on ne peut administrer à toutes les formes de dépression. Se pose ainsi le problème de la classification des diverses formes d’une dépression que l’on ne parvient toujours pas à définir véritablement.

3. Chapitre 3 « La socialisation d’une pathologie indéfinissable »

Comment la dépression est-elle devenue un phénomène social d’une telle ampleur à l‘heure actuelle ? Depuis 1965, la dépression est « une réalité du quotidien » pour la population française notamment. Les médias ne parlent que d’elle, l’industrie pharmaceutique s’y intéresse de plus en plus. Les psychiatres deviennent libéraux : la dépression se socialise. Mais on ne parvient pas à lui donner de définition réelle ; c’est un terme vague, générique, flou, aujourd’hui encore. Ses seules caractéristiques sont qu’elle est à la fois hétérogène et universelle. Hétérogène comme l’hystérie, universelle comme l’anxiété. On peut aussi distinguer au sein de la dépression deux courants : la dépression névrotique et la dépression endogène.

La dépression se sociabilise aussi car ses traitements sont de plus en plus nombreux et efficaces, l’industrie pharmaceutique commençant à s’intéresser à partir de 1955 à ces troubles psychiques. Les antidépresseurs permettent de répondre aux demandes médicamenteuses des dépressifs de plus en plus fréquentes. Ceux-ci ont des effets sur les dépressions endogènes, issues de l’individu lui-même, mais aussi sur les névroses ou dépressions exogènes, dues à un traumatisme extérieur. Mais la psychothérapie reste quand même toujours prépondérante sur la chimiothérapie, malgré ses progrès. L’essentiel est que le traitement, qu’il soit biologique, chimique ou psychiatrique, concerne au plus près de la vie de chaque patient. L’écoute et la connaissance du patient sont primordiales pour bien le soigner. « Le médecin est médicament. » Les généralistes, sujets de plus en plus à des demandes de dépressifs semblent toujours confus face à ces troubles, qu’ils ont du mal à diagnostiquer n’ayant pas suivi de formation psychopathologique. Celle-ci semble alors essentielle. Ces mutations de la vie moderne permettent aux individus de porter un regard nouveau sur leur psyché, de s’y intéresser davantage pour mieux se connaître. On assiste alors à une ‘psychologisation’ de la société.

Deuxième partie « LE CREPUSCULE DE LA NEVROSE »

1. Chapitre 4 « Le front psychologique : la culpabilité sans consigne »

On dénombre trois grands groupes de dépression : la dépression endogène, problème résultant de l’individu lui-même ; la dépression névrotique, qui est causée par la personnalité du patient, le sujet est le sujet de ses conflits ; et enfin la dépression exogène ou réactionnelle, causée par des éléments extérieurs, des traumatismes. Le sujet développé dans le chapitre 4 se résume à cette phrase de l’introduction de la 2°partie : « la dépression est le drame d’une nouvelle normalité qui est en même temps nouvelle normativité ». Ehrenberg va vraiment s’intéresser aux rapports société-dépression dans ce chapitre.

Premier constat : en 1970, environ 3% de la population mondiale souffrait de dépression, et ce chiffre n’a depuis cessé d’augmenter aux dires d’Ehrenberg. La société déprime. Pourquoi ? L’individu est trop livré à lui-même ; il peut, il doit se construire sa propre identité mais l’individu fragile a avant tout besoin de structures ; ainsi il entre dans une phase d’insécurité identitaire’. De plus, cet individu aborde la dépression face aux mutations de la société ; non, comme on pourrait le croire à juste titre, par rapport à une crise économique et sociale, mais au contraire face à une surabondance croissante au sein de notre société occidentale. L’épidémiologie constate que la dépression est une pathologie du changement qui va semble-t-il continuer à croître au fil du temps et des améliorations sociales. De plus, on constate une augmentation de la couverture médiatique de la dépression ; en en parlant, en témoignant pour divers magazines, le dépressif déculpabilise le dépressif en puissance. Celui-ci a une nouvelle conscience de lui-même, réfléchit davantage sur son intimité propre, etc. Les thèmes récurrents en ce qui concerne la dépression dans les magazines sont l’angoisse, l’insomnie et le surmenage. Ce sont ce que l’on peut appeler les maux de la deuxième moitié du 20°siècle, qui seront largement décortiqués, analysés, étudiés dans la presse, notamment féminine. La société pousse l’individu à réussir sa vie seul, à devenir lui-même à tout prix. Cette idée d’émancipation est liée à la répression des affects dans la société, qui de ce fait culpabilise l’individu.

Une nouvelle espèce de patients va apparaître dans le milieu psychiatrique : les états-limites. Sans conflit psychique interne, sans réelle angoisse, ils sont « chroniquement vides »et surtout « prisonniers de leur humeur». Cet état déficitaire est une pathologie de l’identité ; l’individu a du mal à s’identifier. On appelle cela une pathologie « narcissique » ; les états-limites ont une vision de leur Moi trop idéale pour se concrétiser, ils vivent ainsi dans un manque, un vide, une attente passive sans conflit.

Si la névrose est une maladie liée à la loi, à la culpabilité, au conflit, la dépression au contraire est fondamentalement associée à un déficit, à une insuffisance. Le conflit qui règne au sein de tout être névrosé pourrait être un soutien de taille, un moteur pour le dépressif qui manque de tout. Pour pallier ce vide, de plus en plus de dépressifs recourent à la drogue, pour se donner une contenance contre ce vide omniprésent, ou pour fuir simplement leur dépression. Observant ce manque de conflictualité au sein de la dépression, Ehrenberg constate alors que le débat est passé à un autre niveau : de l’angoisse d’être soi, c’est maintenant la fatigue d’être soi qui prime.

2. Chapitre 5 « Le front médical : les voies nouvelles de l’humeur dépressive »

Les années 70 ont vu la diffusion d’une nouvelle psychologique mais aussi biologique, et c’est ce à quoi Ehrenberg va s’attacher dans ce chapitre. Deux niveaux permettent de constater et comprendre ces mutations : la médecine générale et les modèles diagnostiques. Premièrement on observe une amélioration des techniques épidémiologiques et aussi médicamenteuses (apparition de nouveaux antidépresseurs stimulants)et d’autre part on abandonne la tripartition dépressive (endogène, psychogène (névrotique), exogène. La médecine généraliste est de plus en plus requise pour soigner les dépressions, dont le nombre augmente sans cesse. Mais le problème est toujours le même: les médecins généralistes n’étant pas des spécialistes de la question psychiatrique, ils éprouvent des difficultés à bien cerner les états dépressifs et donc à bien aider le dépressif. La dépression est fondamentalement liée à la société, et trois symptômes de cette psychopathologie sont des réponses directes aux mutations de la société occidentale contemporaine : asthénie, insomnie, anxiété. Deux autres symptômes de la dépression qui se révèlent de plus en plus fondamentaux : l’inhibition et l’anxiété, qui jusqu’alors possédait ‘sa propre maladie’.

On peut parler de deux voies principales sur le front médical : les moyens biologiques décuplés et une autre voie qui repose sur l’épidémiologie psychiatrique, la voie de la classification des dépressions qui conduira la psychiatrie à sa deuxième révolution, la première étant celle de la découverte des médicaments de l’esprit. De plus en plus le traitement du patient ne passe plus par l’écoute ; la psychanalyse est moribonde de part la création de ces traitements biochimiques toujours plus efficaces, et par la place croissante qu’occupent les médecins généralistes sur le ‘marché’ de la dépression.

Troisième partie « L’INDIVIDU INSUFFISANT »

1- Chapitre 6 « La panne dépressive »

A la fin du 20°siècle, la dépression connaît une crise de remise en question. La notion même de syndrome dépressif explose ; ce qui importe maintenant n’est plus la douleur morale mais le manque d’action, le manque d’initiative. La dépression est donc aujourd’hui davantage une pathologie de l’inactivité, de l’inaction qu’une pathologie de souffrance morale, d’humeur déréglée.

La conjoncture aussi paraît quasi idéale pour la dépression. « Vous n’auriez pas pu choisir un meilleur moment dans l’histoire humaine pour vous sentir malheureux » écrit le psychiatre américain Mark Gold. Il y a de fortes avancées dans le domaine pharmacologique, avec notamment l’étude de la sérotonine, neuromédiateur essentiel dans la dépression. En se fixant sur ce neuromédiateur « impliqué dans tout, mais qui n’est responsable de rien », l’industrie pharmaceutique met au point des antidépresseurs capables de redresser l’humeur du patient et de diminuer son inhibition en même temps. C’est une révolution, car en plus de tout ça les effets secondaires sont quasiment réduits à néant. Autant dire que la psychanalyse aussi…

Le problème c’est que le nombre de dépressifs augmente de plus en plus : on constate une augmentation de 50% entre le début des années 80 et celui des années 90. Ehrenberg parle même de « vogue de la souffrance ». Ces dépressions s’accompagnent d’alcoolisme, de dépendances aux drogues dures, de suicides : le danger est réel pour l’individu ; à partir de maladies psychiques les maux deviennent physiques.

De plus l’action aujourd’hui connaît une individualisation. L’initiative des individus est essentielle, surtout au niveau professionnel, au sein de l’entreprise. Au niveau des médicaments antidépresseurs, le langage publicitaire est lui aussi en plein changement. Les antidépresseurs, sensés à la base guérir le malade, semblent aujourd’hui avoir pour vocation de l’aider à se ressaisir pour mieux agir. L’action est un thème central de notre société actuelle. « Le Prozac n’est pas la pilule du bonheur mais celle de l’initiative » écrit Ehrenberg. A bien y réfléchir, l’industrie pharmaceutique n’est pas encore apte à soigner l’esprit humain, à le maîtriser. Les antidépresseurs ont un effet sur l’esprit c’est certain ; ils agissent sur tout, mais ne guérissent pas forcément. La dépression apparaît alors comme une maladie incurable, en tout cas pour encore un bon nombre d’années.

2. Chapitre 7 « Le sujet incertain de la dépression et l’individualité fin de siècle »

Nous avons donc pu constater que l’action est un thème central aujourd’hui : elle est le noyau de la socialisation aujourd’hui, et en manquer est le trouble fondamental de la dépression. La dépression est la double manifestation pathologique de la libération psychique et de l’initiative individuelle exigées par la société actuelle. Si l’on a cru à un moment aux possibilités véritables de guérison, que ce soit par voie psychiatrique ou par voie médicamenteuse, la question aujourd’hui est relancée : peut-on parler de guérison réelle ou seulement de soins ? De plus en plus de dépressions deviennent chroniques et/ou résistent à tout traitement. Les antidépresseurs et les soins psychiatriques ne sont donc pas si efficaces. L’individualité contemporaine semble se détourner de l’horizon de la guérison.

La dépression est une maladie chronique. C’est pourquoi le patient doit avoir la plus grande conscience possible de sa maladie, savoir exactement quand il y a une rechute pour pouvoir prévenir son médecin qui alors le prendra en charge ; soigner la dépression est la charge aussi bien du médecin que du patient. La psychanalyse retrouve de son importance à l’heure actuelle, comme un retour aux sources. L’étude du comportement et du passé du malade est en vérité essentielle pour invoquer un quelconque espoir de guérison. La guérison ne se trouve ni dans les médicaments, ni dans les médecins qui ne sont que des aides, des soins ; elle est profondément ancrée dans le patient lui-même. Les solutions se trouvent en lui, et les thérapeutes, les médecins, les médicaments sont seulement là pour l’aider à retrouver ces solutions.

L’homme moderne agit dans un espoir de bien-être, de mieux-vivre, de bonheur ; ceci devient à l’heure actuelle un risque de dépendance pour l’individu. L’homme pathologique a changé : c’est aujourd’hui un traumatisé plus qu’un névrosé. L’extérieur prédomine sur l’intérieur, les exigences de la société actuelle étant celles qu’elles sont (elles poussent à l’initiative individuelle et à la libération psychique) on peut comprendre que l’individu un peu fragile puisse craquer. La dépression, pathologie identitaire chronique d’une époque trop exigeante.

L’idée de conflit est de plus en plus en déclin dans notre société, que ce soit au niveau psychique ou même au niveau politique. L’individualité se redessine par rapport à l’automédication, à l’action publique individualisante, et se décentre du conflit, ancien mode d’être de cette individualité. Les individus contemporains ont changé leur point de vue entre la vérité et l’erreur, et la frontière qui existait entre le citoyen, public et l’individu, privé semble elle aussi remise en jeu. Le psychique devient chose sociale, chose publique : la société a un pouvoir inédit sur l’individu.

Réfléchir à des corrélations entre la société et la crise identitaire de l’individu actuel qu’est la dépression est vraiment une chose digne d’intérêt et qui s’avère utile pour mieux comprendre l’homme contemporain, pour mieux nous comprendre nous mêmes.

Conclusion

Les mutations de la société et les conséquences de celles-ci sur nous, individus actuels, nous permettent simplement d’explorer un peu plus notre Moi véritable. Devenir propriétaire de soi n’est pas une chose aisée, n’implique pas forcément que tout est possible, et c’est ce que nous a montré la dépression. De plus en plus aujourd’hui la dépendance liée à la drogue remplace la dépression : l’addiction permet à l’homme de se sentir quelqu’un, lui permet de ne plus se sentir vide et insuffisant comme le dépressif. « La dépression et l’addiction sont les noms donnés à l’immaîtrisable quand il ne s’agit plus de conquérir sa liberté, mais de devenir soi et de prendre l’initiative d’agir. » La dépression et l’addiction aujourd’hui sont les « mots de passe » de notre époque, elles permettent aux plus faibles de survivre, ou plutôt de vivre dans un monde différent, moins exigeant. Le dépressif survit par le vide, le drogué survit par la fuite. L’homme déficitaire, le dépressif, et l’homme compulsif, le drogué, sont les réponses de l’individu à la société exigeante.

II- Commentaire

Ehrenberg nous offre dans cet essai une étude complète du phénomène psychopathologique qu’est la dépression, lui inférant de plus une dimension totalement inédite : l’analyse de celle-ci par rapport aux mutations sociales, et donc aux mutations des individus. Cette œuvre est passionnante, très enrichissante pour qui s’intéresse un peu (plutôt beaucoup) à la psychologie ou à la psychiatrie, mais aussi et surtout à la sociologie. De très nombreuses références jalonnent le livre, c’est une véritable mine d’information, et au final, bien que peut-être légèrement désorienté face à ce flux culturel incessant, le lecteur a l’impression agréable de mieux connaître sa société, les indivis qui la composent et donc une partie de lui-même, son Moi social. Il commencera peut-être même à se poser des questions sur son intimité et si mal-être il y a, sur les raisons de celui-ci.

Ce livre est définitivement bien fait et peut tout à fait symboliser notre société occidentale actuelle, tourmentée et centrée (un peu trop ? ) sur son nombril, tout comme l’individu composant de cette société.