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« Contre la criminalisation des familles »


GROUPE DE TRAVAIL AITEC
« Contre la criminalisation des familles »
NOVEMBRE 2002

Cette réunion s’est déroulée en plusieurs temps :
- un temps de présentation
- un temps d’état des lieux
- un temps d’analyse
- un temps de conclusion

Présentation
L’OBJECTIF est de réunir dans un groupe de travail différents acteurs (professionnels, associatifs, syndicalistes…) afin de définir, à partir des pratiques de chacun, des modes de résistance à la criminalisation des familles les plus marginalisées. En effet, on note ces dernières années, une volonté de modifier les lois et règlements reflétant un changement dans la perception des familles et de l’éducation A TRAVERS l’idée de parentalité.
Il s’agit donc, d’une part, d’en comprendre la genèse ; d’autre part de mettre à plat les pratiques et les représentations des différentes catégories professionnelles afin de comprendre comment ces dernières ont pu produire ou reproduisent cette tendance.
Comment peut-on y répondre autrement que par l’opposition: « éducatif contre répressif » ?
Qu’est-ce qui dans les pratiques « normales » de la société produit ce constat de dépolitisation, de marginalisation totale… ?
Enfin, qu’est-ce qui dans ces pratiques peut produire de la résistance ?
Dans un premier temps, il s’est agi de dresser un état des lieux qui pourrait permettre de dégager les grandes tendances de l’évolution du contexte socio-politique.

L’état des lieux

- logique comptable du secteur social
Le glissement vers une logique comptable du secteur social est situé au début des années 80. On constate aujourd’hui que les politiques sociales sont menées en périodes préélectorales, cela peut s’exprimer par des pressions exercées par les élus au niveau du Parquet, pour ce qui concerne le judiciaire…
Aujourd’hui, l’enjeu se situe pour certains au niveau de la gestion de l’APA (Allocations personnalisées Personnes Agées). Avec sa mise en place, les budgets sociaux devraient exploser au détriment du secteur sanitaire et social. Par conséquent, ce qui ne pourrait pas être pris en charge par les dépenses publiques devraient l’être par les associations caritatives, les ONG… Ce déplacement signe la tendance actuelle, prônée par le MEDEF : le retour à la charité.

- pénalisation du traitement de la délinquance avec un retour à l’enfermement et déjudiciarisation de la protection de l’enfance (synthèse des différentes interventions)
Il existe un contexte national de déjudiciarisation de la Protection de l’Enfance : ainsi, sur Paris, l’Assistance Educative en Milieu Ouvert (AEMO) connaît une baisse d’activité significative depuis quelques années : il suffit de déclarer qu’il n’y a plus d’enfance en danger pour la voir disparaître. Le tassement des signalements est bien organisé et s’exprime par un blocage au niveau du Conseil Général. Il est évident que les conseils généraux, faute de pouvoir contrôler les décisions des magistrats, opèrent en amont par la maîtrise qu’ils ont des signalements. La saturation amène les services sociaux à moins signaler car ils ne voient aucun résultat aboutir. Ce processus, en cours, se fait au nom des excellents parents qu’ils sont et dans le souci de les libérer du carcan des éducateurs. Ainsi, on fait semblant de requalifier la famille au nom de la contractualisation : chacun est responsable de son malheur ou de son bonheur. Il n’y a plus de politique sociale, chacun fait sa politique chez lui. Cela nous amène à individualiser les problématiques donc à dépolitiser les pratiques.
Ainsi, le tarissement de la source d’enfants à protéger se fait au profit des enfants délinquants. En effet, le discours selon lequel les mineurs seraient de plus en plus dangereux, de plus en plus jeunes, portent ses fruits même si aucun indicateur ne permet de le vérifier. Ce discours est d’ailleurs repris par les travailleurs sociaux. Il y a une vigilance accrue dans les établissements scolaires, mais surtout une angoisse indescriptible des parents d’élèves par rapport à la violence des enfants. Les conseils de discipline se multiplient ; toutefois un établissement scolaire qui renvoie trop d’élèves est mal noté…On renvoie, donc, cette charge à l’extérieur, vers le judiciaire, et le Juge se retrouve en première ligne pour traiter les petites infractions.
De la même manière, ces mêmes établissements ont créés les commissions disciplinaires qui permettent, avant leur mise en place, l’exclusion temporaire d’un élève. La règle n’a plus d’importance… L’enfant est considéré comme coupable et on ne s’embarrasse plus de la procédure qui permet de le protéger.
Il existe une volonté réelle de réprimer les jeunes et de multiplier les poursuites pour des faits jusqu’ici considérés comme « normaux ». Cet excès de pénalisation qui était en germe depuis l’époque des incivilités recouvre des réalités qui touchent des petits délits mais qui permet l’amalgame et la stigmatisation.

Analyse
Sont évoqués plusieurs points par différentes personnes:

- apparition du concept communautaire au niveau juridique
Le concept d’incivilité est une notion morale qui est confondue avec un aspect juridique. La tendance est de tirer ce concept vers un traitement juridique. Cette confusion permet d’entretenir des rapports de moralisation. Le résultat est visible : les familles qui correspondent à des classes sociales identifiables sont jugées moralement. Ceci pose alors la question de ce qu’est la loi.
Par ailleurs, le développement du travail autour du soutien à la parentalité pose la question de ce qu’est la parentalité : pourquoi existerait-il une bonne ou une mauvaise parentalité ? Que signifie « le moins d’ingérence » ? Moins de responsabilité collective pour plus de responsabilité de la part des parents ?
Nous sommes face à un mélange de sens commun avec en même temps, un mélange de catégories : il y a effectivement individualisation mais également communautarisation dans la mesure où si la famille devient collectivement responsable, elle devient un concept communautaire. En effet, la tradition juridique, en France, ne reconnaît que des individus et pas de communautés d’individus. Ainsi, chaque individu a des droits respectifs parce qu’il y a sérialisation. Or, quand on dit qu’une famille doit payer le délit d’un des leurs, on se trouve dans un concept de communautarisation.

- la faillite des systèmes de régulation « traditionnels »
L’un des participants fait le constat que les systèmes de régulation « traditionnels » (en fait issus de la période précédente, celle de l’Etat-providence) ne fonctionnent plus. L’Etat, la République et le travail ne sont plus à la hauteur. De la même manière, dans la période où l’on est passé de la féodalité à la République, les Eglises sont devenues caduques… Et, il faut du temps pour que de nouvelles relations prennent forme et demeurent stables. Ce qui contribue à cette stabilité, c’est la manière dont l’égalité est conceptualisée. Le mouvement ouvrier, par exemple, a permis de penser la manière dont on pouvait dépasser la situation du moment, ainsi que l’école publique. Les systèmes de régulation sont donc des constructions qui donnent des raisons d’être ensemble. L’école, le travail, la loi 1901… symbolisent ces constructions car au début du siècle, ils ont créé des contenants à l’isolement et aux inégalités qui étaient devenus insupportables.
Aujourd’hui, il semble qu’on soit revenu à un stade où les systèmes de régulation ne fonctionnent plus. Le Pen se saisit d’une période où il n’y a plus de démocratie, plus de politique, plus « ce qui faisait autorité » autrefois… Il y a un vide politique, un vide de régulation qui par ailleurs, sont des places qui ne demandent qu’à être occupées.
Dans l’Histoire, c’est le mouvement social qui produit du politique. Aujourd’hui, la politique fait l’assistante sociale du marché. Il n’y a pas de régulation du marché. Il serait intéressant que les personnes en difficulté occupent une place dans le débat public. Nos pratiques professionnelles pourraient produire cela si on considérait l’action collective comme outil de repolitisation. C‘est un choix que les travailleurs sociaux peuvent faire.

- tendance au niveau de l’échelle européenne
L’enjeu est ici de comprendre, d’être capable d’analyser ce qui est en jeu dans la manière dont l’Europe est en train de penser le social.
Les grandes tendances sont : dérégulation, politiques ramenées à une définition « minimale » de l’Etat… Le niveau social saute, il serait remplacé par un niveau de type communautaire. C’est le nouveau système anglais : le parti travailliste émet l’idée de créer des groupes transversaux au niveau local avec pour objectif de surveiller et de contractualiser avec les populations en difficulté. Cette expérience est présentée comme progressiste car elle renvoie le passage devant les tribunaux à plus tard…
Le problème n’est pas, plus ou moins d’état mais «existe t-il encore des sujets de droits » ?
Il serait intéressant de réfléchir à la dimension du social, à l’échelle européenne, en terme d’analyse sociale.

Conclusion
Plusieurs pistes, non exhaustives, sont évoquées pour continuer la réflexion à partir des points précédemment cités :
- existe t-il encore des sujets de droits ?
- comment l’Europe est en train de penser le social ?
- la place de l’économique dans ce qui se met en place ?

Février 2003

Le collectif “Contre la criminalisation des familles” a pour objectif de travailler sur la question de la famille avec des intervenants institutionnels et associatifs dans le domaine social, de la prévention spécialisée, de la justice et de l’éducation et avec des familles. Il s’agit de s’interroger sur les évolutions de la question sociale et sa transformation en “question familiale” à travers les pratiques et les expériences vécues.

En effet, la cascade de mesures du Projet Loi Sécurité et Liberté n’est pas seulement la réinvention du concept de “classes dangereuses”. Elle vise moins des “classes” que des familles, donc des mœurs. Ce que nous appelons la “criminalisation des familles”, même si elle atteint en premier lieu les couches populaires, traduit un changement d’optique qu’on ne saurait réduire à une opposition diamétrale entre l’éducatif et le répressif. Viser la famille, c’est viser un lieu spécifique de transmission et de transformation des mœurs. C’est donc, dans le contexte d’une politique pénale, sociale, sanitaire et éducative, modifier sensiblement les interventions. Celles-ci ne viseraient plus un individu qu’il s’agit d’éduquer, d’amender ou d’intégrer mais des familles dont les mœurs sont mauvaises et qu’il faut donc punir et rééduquer collectivement. Nous posons le postulat qu’il s’agit d’un enfermement supplémentaire : dans les quartiers d’abord, dans la famille ensuite.

S’appuyant sur la dégradation des relations avec les jeunes et les enfants, cette politique tend à opérer au sein d’une classe sociale défavorisée une distinction claire entre ceux qui sont pauvres mais honnêtes et ceux qui protègent et abritent des enfants “mal élevés” ou délinquants. C’est pourquoi elle répond à certaines attentes au sein des classes populaires, notamment au besoin d’être respecté, et de recouvrir sa dignité face aux plus jeunes. Sont ainsi remises en cause des dynamiques de quartier reposant sur une solidarité plus large que celle de la famille: notamment, la prise en charge collective des problèmes éducatifs et de comportement posés par des enfants, des jeunes ou des groupes.

Les nouvelles mesures (amendes, incarcération ou rééducation des parents) semblent bien entendu marquer un tournant répressif. Mais elle se fondent sur un présupposé qui n’est pas différent de la prise en charge ou accompagnement de la fonction parentale. Comme le soutien, elles désignent la famille comme le lieu d’une solidarité obligée et comme la cause d’un “pathos social”. Cette cause est déliée des conditions de vie des gens et des multiples interactions avec la société et les institutions. Elle est perçue comme “cause interne”.

Nous vous proposons donc de réfléchir ensemble à nos pratiques et expériences sur la “parentalité” afin de rechercher des alternatives et des modes de lutte.


Réalisé en Fevrier 2003 au CICP
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