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Forum Social Libertaire
Salon du Livre Anarchiste
Du 11 au 16 novembre 2003 à Paris et Saint Ouen (93)
Origine : http://fsl-sla.eu.org/article.php3?id_article=15
page d'accueil http://fsl-sla.eu.org/rubrique.php3?id_rubrique=7
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Criminalisation de la misère et apartheid social
Débat animé par Laetitia (AL), JC (OLS), Stéphane (CGA)
Vendredi - 15h
Saint Ouen (Salles Eurosites : 31 rue Bodillot (rue du docteur
Bauer) à Saint-Ouen (93))
Contre l'apartheid social, révolutionnons le nouvel ordre
mondial
Depuis la crise des années 70 se met en place un Nouvel Ordre
Mondial qui a vu son accélération à la suite de la chute du mur
de Berlin et de la guerre du Golfe. Mondialisation, développement
séparé ou apartheid social, différencialisme deviennent les vecteurs
dominants de cette évolution du capitalisme ; évolution qui
induit une nouvelle période dans l'histoire du capitalisme.
La période comprise entre la fin de la seconde guerre mondiale
et le début de la crise actuelle a été marquée par l'instauration
de la production et la consommation de masse d'un côté, le renforcement
de l'Etat providence de l'autre. Ce nouveau mode d'exploitation
capitaliste (le fordisme), basé sur un compromis historique entre
la classe dirigeante et les structures représentatives des travailleurs,
permis d'assurer à ces derniers un minimum vital : santé, logement,
éducation, etc. La pensée économique du fordisme, fondée sur les
idées de l'économiste Keynes, peut se résumer ainsi : pour
résoudre les crises engendrées par la surproduction (par exemple
la crise de 29), il importe de s'appuyer sur le marché intérieur
que constitue l'ensemble de la population d'un pays, d'où la mise
en place d'économies nationales autocentrées en Occident.
« … la demande nationale s'adresse en priorité à l'offre
nationale. Inversement, en réaction à la crise latente du fordisme,
qui se développe à partir du milieu des années 60, on va assister
à une internationalisation croissante des marchés : la part
des importations et des exportations va croître dans le volume global
des échanges, de même que la part des investissements à l'étranger. »
La mondialisation de l'économie va donc pouvoir se caractériser
ainsi : d'une part une interpénétration et interdépendance
accrues des économies centrales, d'où le besoin pour ces pays de
se spécialiser sur des secteurs compétitifs (par exemple le nucléaire
en France). D'autre part, l'investissement direct à l'étranger (I.D.E.),
qui prend le pas sur les échanges dans le processus d'internationalisation :
« L'I.D.E. est marqué par un degré élevé de concentration au
sein des pays avancés[…]Le recentrage a lieu aux dépens des
pays en développement. » Le monde se construit autour de trois
pôles hégémoniques et concurrentiels entre eux : le continent
nord-américain (A.L.E.N.A.), l'Europe de Maastricht et le Japon
avec le sud-est asiatique.
Autre phénomène, les marchés et les multinationales acquièrent
de plus en plus de puissance, limitant à la portion congrue la réalité
du pouvoir que détiennent les Etats ; ces derniers ne peuvent
plus déterminer ni contrôler les politiques monétaires, industrielles…
Certains chiffres sont éloquents et parlent d'eux-mêmes : environ
1200 milliards de dollars circulent en permanence sur la planète.
Pour aider au renflouement de l'économie mexicaine après sa récente
crise financière, les grands Etats de la planète (dont les Etats-Unis),
le Fond Monétaire International (F.M.I.) et la Banque Mondiale ont
réussi à réunir 50 milliards de dollars, somme considérable en soi
mais petite à côté des 500 milliards de dollars que contrôlent les
trois premiers fonds de pensions américains. En clair les marchés
imposent de plus en plus leur diktat ; ce sont eux qui déterminent
les choix politiques en fonction des finalités qu'ils se sont fixées.
Ils détiennent le pouvoir sur lequel aucun contrôle ne peut être
exercé tant leur autonomie est grande. Une certaine politique sociale
ne leur plaît pas, alors la bourse s'effondre ; une grande
politique de restructuration avec des milliers de perte d'emploi
leur plaît, alors la bourse monte en flèche.
Cette mondialisation économique n'aurait évidemment pas été possible
sans quelques outils adéquats, tels que le G7, sorte de gouvernement
mondial où les 7 pays les plus riches de la planète discutent en
vrac de la politique à venir du monde (travail, terrorisme, nucléaire,
écologie, flux migratoires…) ; le F.M.I. qui pérennise
la domination des pays du Nord sur ceux du Sud et de l'Est à coups
de plans d'ajustements structurels (économies vivrières démantelées,
politiques sociales sabrées pour que les pays du Sud et de l'Est
alimentent unilatéralement les transits vers le Nord) ; la
Banque Mondiale ; l'Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C.)
qui prépare le marché du XXIème siècle, totalement libéralisé et
dérèglementé. Et derrière ces institutions médiatiques existent
aussi des tables rondes d'industriels ou des forums internationaux
comme celui de Davos où chefs d'Etat, banquiers, financiers, patrons
de multinationales méditent gaiement sur notre dos des avantages
et inconvénients de la mondialisation, un verre de champagne à la
main et un toast au caviar dans l'autre. Mais tous ces outils politiques
n'auraient pas suffit au développement de l'économie de marché si
parallèlement l'explosion des technologies n'avait permis des échanges
toujours plus rapides de marchandises, voire maintenant immédiats
pour les transferts de capitaux et l'industrie de la communication.
Les échanges monétaires se fond de plus en plus à l'aide d'ordinateurs
(monnaie électronique) au détriment de la monnaie fiduciaire (monnaie
de papier). Ainsi des masses de capitaux voyagent dans les fibres
de compagnies de téléphone sans qu'elles n'aient d'existence concrète.
Cette virtualisation de l'économie rend le système très fragile
ou du moins il comporte plus de risques pour les capitalistes (krach
de la Banque du Mexique, de la Barings par exemple) car il devient
plus difficile de prévoir les évolutions du marché.
Autre conséquence de cette économie virtuelle : jusqu'à un
passé récent, le profit était extrait essentiellement de l'exploitation
de la force du travail ; depuis une quinzaine d'années, la
principale source de profit est la spéculation. Cela renforce d'autant
le besoin des capitalistes de se doter de moyen pouvant limiter
les risques, donc de prévoir, autrement dit de « redonner confiance
aux marchés. »
Redéfinition du rôle de l'Etat
Le rôle de l'Etat s'est affaibli ; il n'a plus guère de capacité
d'intervention dans cette nouvelle variante du capitalisme :
ne déterminant plus les politiques industrielle, monétaire, budgétaire,
sociale…, il ne peut plus garantir une adéquation nationale
entre la sphère de production et celle de la consommation. « On
assiste à l'émergence d'une finance mondiale toute-puissante, que
personne ne contrôle mais qui dessaisit progressivement les Etats
de leurs prérogatives politiques et, bien sûr, de leur souveraineté. »
L'objectif est toujours d'offrir des conditions d'exploitation
de la force de travail les plus profitables pour les capitalistes.
Mais maintenant cela passe principalement par une déréglementation
des conditions de travail (développement du travail précaire et
flexibilité) et par une réduction drastique des coûts d'entretien
et de reproduction de la force de travail (réduction des budgets
sociaux - par exemple la santé -, d'éducation…).
Les Etats deviennent donc de gros ministères de l'intérieur chargés
de réduire les coûts de la force de travail, d'en durcir les modes
d'exploitation et de se doter des moyens de répressions suffisants
pour parer à toutes éventualités si les exploités et les opprimés
en viennent à remettre en cause cet ordre mondial.
En raison de ce déplacement du pouvoir au profit des marchés et
des multinationales, la démocratie bourgeoise - ou parlementaire
- n'est qu'une notion vide de réalité concrète. Les Etats démocratiques
ont en fait de moins en moins de possibilité de « contrôler
l'usage qui est fait de la richesse »… « La souveraineté
nationale appartient-elle encore au peuple, à ses représentants
élus et gouvernements chargés de l'exprimer et de la mettre en oeuvre ?
Insidieusement, par pans entiers, n'est-elle pas en train de passer
sous la tutelle d'un nouveau détenteur, co-souverain illégitime :
le marché ? » […] « … l'avènement du
marché laisse les démocraties sans voix ; il apparaît comme
un fondement de l'ordre naturel des choses… » Ainsi vouloir
conquérir l'Etat ne peut répondre à nos aspirations dans la mesure
où celui-ci n'a plus les moyens de lutter contre la mondialisation.
« Quelques centaines d'opérateurs puissants finissent par substituer
leurs anticipations plus ou moins clairvoyantes aux votes des citoyens
et décident, dans les faits, des taux de croissance et de l'emploi
d'une bonne partie du monde. »
Dans ce contexte, le clivage droite/gauche n'a plus guère de sens ;
il se situe bien plus entre les uns défendant l'Europe de Maastricht,
militant pour la mondialisation, et les autres s'y opposant. Ce
clivage traverse l'ensemble de la caste politique faisant fi des
frontières entre les partis. Les anti-maastrichtiens sont pour la
plupart réactionnaires voulant reconstruire un Etat-nation fort ;
cette « perspective » se fonde sur un retour vers une
économie autocentrée reposant sur le nationalisme et, pour certains,
s'affirmant progressistes, il n'y aurait point de salut sans retour
aux valeurs républicaines. Cela conduit à des impasses car les uns
comme les autres ne pourront jamais lutter contre la puissance des
marchés et des multinationales ; ceux-ci ont les moyens de
détruire tous projets contraire à leurs intérêts.
Impérialisme et racisme différencialiste
Avec la crise, le « mythe du développement » a fait
long feu ! L'évolution de l'impérialisme impose de nouvelles
nécessités. Jusqu'aux années 70, cette politique qui met certaines
populations ou certains Etats sous sa dépendance était expansionniste,
maintenant elle a conquis l'ensemble de la planète : autrement
dit d'une phase de conquête les pays impérialistes sont passés à
une gestion totale de celle-ci, au détriment des pays de la périphérie.
« Ceux-ci ne sont plus seulement des pays subordonnés, réserves
de matières premières subissant les effets conjoints de la domination
politique et de l'échange inégal, comme à l'époque classique de
l'impérialisme. Ce sont des pays qui ne présentent plus d'intérêts,
ni économique ni stratégique (fin de la « guerre froide »),
pour les pays et les firmes situées au coeur de l'oligopole. Ce
sont des fardeaux purs et simples. Ce ne sont plus des pays promis
au « développement », mais des zones de « pauvreté »
(mot qui a envahi le langage de la Banque Mondiale) dont les émigrants
menacent les « pays démocratiques ». »
Parallèlement l'idéologie raciste a, elle aussi, évolué. Le racisme
différencialiste a pris le pas sur le racisme fondé sur la supériorité
de la « race blanche ». D'une hiérarchisation raciale,
on passe alors à un apartheid social : isoler les pays pauvres,
garantir l'étanchéité des frontières, imposer l'idée que les communautés
ne peuvent vivre leurs spécificités que par opposition aux autres
et dans leurs limites territoriales respectives. La misère engendrée
par les rapports Nord/Sud/Est révèle au grand jour la barbarie capitaliste
et le comportement crapuleux des décideurs politiques et économiques
des pays du Centre. Se prémunir des pressions migratoires des populations
du Sud et de l'Est pour ces rejetons de la mère Pouvoir et du père
Profit une préoccupation majeure. Politiques anti-immigrés, réformes
constitutionnelles, accords de Shengen, soutiens à des gouvernements
plus que douteux dans des pays pouvant servir de « zones tampons »
contenant les flux migratoires (les pays du Maghreb par exemple) :
tout est bon pour rendre les frontières quasiment hermétiques à
l'égard des populations venant d'Afrique, mais aussi des pays de
l'ex-pacte de Varsovie.
Nous assistons donc à la mise en place d'un nouveau racisme qui
puise son idéologie dans le différencialisme. Le racisme différentialiste
conduit à systématiser le « droit à la différence ». Cela
consiste à penser que les différents modes de vie, les différentes
cultures sont étanches les uns par rapport aux autres ; concrètement
cela signifie que chacun et chacune doit rester vivre dans sa propre
aire culturelle, qui recouperait, au regard de l'Histoire, les aires
géographiques. « Idéologiquement, le racisme actuel, centré
chez nous sur le complexe de l'immigration, s'inscrit dans le cadre
d'un « racisme sans race » déjà développer hors de France,
notamment dans les pays anglo-saxons : un racisme dont le thème
dominant n'est pas l'hérédité biologique, mais l'irréductibilité
des différences culturelles ; un racisme qui… postule…
la nocivité de l'effacement des frontières, l'incompatibilité des
genres de vie et des traditions : ce qu'on a pu appeler à juste
titre un racisme différencialiste ».
Développement séparé ou apartheid social
Un nouvel ordre mondial se fait jour : la mise en place d'un
véritable développement séparé ou apartheid social. Trois points
de vue concourent à étayer ce concept :
l'exclusion sociale ;
la construction européenne ;
les rapports Nord/Sud/Est.
Pour le premier, on reteindra que pendant les Trente Glorieuses,
l'Etat avait pour objectif d'intégrer l'ensemble des catégories
de la population ; c'était la tâche essentiel de l'Etat-providence.
La crise de celui-ci remet en cause une de ses fonctions essentielles.
L'Etat social a tendance à disparaître ; il avait pour charge
de partager, de manière plus ou moins équitable, selon des critères
capitalistes - c'est-à-dire entretenant les inégalités économiques
et sociales - les bénéfices du progrès. L'on percevait ce dernier,
depuis la Révolution française, comme éternel. Cette conception
(cette idéologie) de l'évolution est maintenant tombée en désuétude ;
le progrès n'est plus inéluctable ; il est source de destruction,
des êtres humains et de destruction écologique.
Face à cette crise profonde, les gouvernants et autres décideurs
font le choix de sacrifier des pans entiers de la population. A
la volonté d'intégration - économique et sociale - de l'ensemble
des couches de la population, ils optent maintenant pour l'exclusion
de certaines de celles-ci. Les réponses politiques sont de plus
en plus autoritaires et sécuritaires pour les victimes de l'exclusion,
et de plus en plus libérales en ce qui concerne les formes de gestion
économique (déréglementation du travail, ce qui se traduit par la
croissance du travail précaire et de la flexibilité). L'instauration
du RMI traduit au mieux cette nouvelle conception de gestion de
la force de travail. Il signifie concrètement que l'Etat pense qu'il
y a un nombre - sans doute en évolution - de personnes qui sont,
sinon à jamais, du moins durablement exclues de la sphère de production
et de celle de consommation ; on leurs donne environ 2 000
Frs par mois et qu'elles se débrouillent ! En conséquence des
catégories de la population sont marginalisées ou en voie de l'être
et ce délibérément ; cela traduit une rupture par rapport à
la période historique précédente. Cela se vérifie par l'instauration
de véritables quartiers ghetto et des régions sacrifiées. Ce clivage
de la société française se confirmera lors du vote sur le traité
Maastricht, où les exclus ou ceux et celles en passe de l'être voteront
contre et les autres pour.
L'ensemble des dispositifs, regroupé sous le terme générique de
« politique de la ville », dans lequel on peut y inclure
les mesures prises par rapport à l'école (par exemple la création
de Zones d'Education Prioritaire, les fameuses Z.E.P.), les politiques
sécuritaires et dernièrement le projet de créer des zones franches,
a pour objectif essentiel de masquer la réalité de cette évolution.
On évite ainsi de poser les problèmes à partir de ces choix politiques
et de société. On stigmatise les populations qui sont victimes de
l'exclusion et que l'on retrouve principalement dans ces quartiers
ghettos : « les banlieues ». De même le terme immigré
prend de plus en plus une connotation sociale. Une personne d'origine
japonaise ou américaine sera très rarement vécue comme un ou une
immigré ; par contre l'immigré regroupe bien souvent ceux qui
seraient source de problème : les habitants des quartiers ghetto.
De plus en plus l'immigré symbolise « ceux qui vivent là-bas. »
Les nouvelles « classes dangereuses » seraient aux portes
de nos centre ville.
A l'échelle de la ville, la juxtaposition des cités ghettos, de
l'ennui et de la misère, face aux quartiers chics, éclatants de
luxe et d'opulence, participe à cette logique de développement séparé,
d'apartheid social.
Un des fondements de la construction européenne est la mise
en concurrence - à l'échelle européenne - des régions entre elles.
Certaines ont de réels moyens pour être performantes, comme la région
Ile de France et d'autres n'ont plus aucun avenir, si ce n'est pour
certaines le tourisme, se transformant ainsi en vastes parcs folkloriques !
Cette concurrence va profiter bien évidemment aux régions déjà les
plus riches, ou à celles permettant une exploitation plus intensive
de la force de travail.
Les régions deviennent ainsi de véritables Etats dans l'Etat,
aspirant à devenir des pôles économiques de plus en plus autonomes.
Pour se faire les notables régionaux étendent leur pouvoir et leur
influence à tous les aspects qui touchent de près ou de loin la
vie économique :
politique de développement régional qui va de paire avec
la formation, l'éducation. L'objectif est de créer des bassins d'emploi
auxquels correspondent les instruments de formation que sont les
établissement scolaires et les instituts de formation. C'est pourquoi
il y a actuellement de fortes pressions pour démanteler l'Education
nationale au profit de sa régionalisation. La commission Fouroux
fait des grands pas en ce sens en proposant que 20 % des programmes
scolaires soient déterminés par les régions, ce qui revient à terme
à remettre en cause la notion de diplômes nationaux ; ou bien
les chefs d'établissement participent au recrutement de leur personnel…
politique de transport ; le contrat plan de la SNCF
prévoit une régionalisation de plus en plus poussée de celle-ci ;
les Conseils Régionaux détermineront les choix concernant leur territoire
en matière ferroviaire.
santé ; la loi d'aménagement du territoire (là aussi
appelée Loi Pasqua) prévoit de transférer le pouvoir aux Conseils
Régionaux afin qu'ils déterminent la politique hospitalière. En
outre, il y a tout lieu de craindre que l'étatisation de la Sécurité
Sociale (plan Juppé 1995) aboutisse à une régionalisation de cette
dernière en confiant la gestion des caisses maladie, voire celles
des retraites aux régions [9]. Cela conduirait inévitablement à
une remise en cause de l'égalité des remboursements et des soins ;
en effet ceux-ci seront déterminés par les capacités financières
et les infrastructures dont disposera chaque région. Les institutions
régionales déploient de véritables ambassadeurs qui ont pour charge
de trouver des marchés, mais aussi des industriels intéressés pour
s'implanter sur leur territoire.
En France, ce processus a été réellement engagé par la loi de
décentralisation de Deferre en 1982 et confirmé par la loi d'aménagement
du territoire de Pasqua. On assiste là aussi à la mise en place
du développement séparé : d'un côté des régions riches et de
l'autre des régions pauvres, avec pour conséquence, à terme, l'émergence
de flux migratoires des régions pauvres vers les riches.
Cette évolution fait déjà des ravages en Europe. En Italie (Lombardie),
en Grèce (Macédoine), en Belgique (Wallonie, Flandres), la crise
des Etats-nations se traduit, entre autre, par des volontés séparatistes
motivées par l'apartheid social. La guerre de purification ethnique
dans l'ex-Yougoslavie en est la forme la plus exacerbée.
L'éclatement de la Yougoslavie est en partie dû au pari qu'ont
fait certaines régions la composant ; pari reposant sur la
possibilité d'intégration à la communauté européenne, ou du moins
visant à un rapprochement significatif avec l'Allemagne. En effet,
ce sont tout d'abord la Slovénie puis la Croatie (les deux régions
les plus riches de la Yougoslavie) qui souhaitèrent, en ultime recours,
leur indépendance. Un des thèmes qui les motivaient, était leur
volonté de pouvoir faire partie, à terme, d'un pôle économique hégémonique
sur le continent européen afin d'entrer dans la cour des grands.
Par exemple, un des arguments de la campagne menée en Slovénie pour
l'indépendance, était qu'il valait mieux être le dernier à la ville,
plutôt que le premier au village - la ville étant la CEE et le village
la Yougoslavie. Face à cette évolution qui consistait à faire en
sorte que les « riches » se regroupent entre eux au détriment
des pauvres, l'argument nationaliste devint prépondérant. Ainsi
on vit resurgir l'attachement à un passé mythique : la renaissance
de la Grande Serbie ; la Croatie entrait elle aussi dans la
danse. Sous couvert de nationalisme - voire de religions -,
chacune des deux puissances s'affrontèrent, essayant de conquérir
le plus de territoire sur l'autre. Pour se faire, on institua l'horreur
en système dans le but d'obliger les populations des territoires
convoités à émigrer afin d'y substituer - ou du moins de la rendre
hégémonique - celles dont la puissance tente d'annexer ceux-ci :
c'est la purification ethnique.
Un des enjeux idéologique de la guerre en Bosnie-Herzégovine est
de détruire toute idée de multiculturalité au profit de la constitution
de nations « pures », c'est-à-dire purifiées ethniquement.
Autrement dit, le but est de constitué des nations, pour ainsi dire,
« monoculturelles », notion qui n'est pas sans rappeler
le concept de racisme différencialiste élaboré par A. de Besnoit
Mais ce processus se vérifie aussi au niveau des rapports
Nord/Sud/Est. Auparavant les rapports entre le Centre et la Périphérie
se caractérisaient par « l'échange inégal ». Idéologiquement
les pays occidentaux imposaient aux pays dits « sous-développés »
le modèle du développement ; autrement dit on leur proposait
de se développer selon le modèle occidental. Ainsi ils pourraient
à terme jouir des « bienfaits de la démocratie ». Ce discours
postulait le développement comme une fin en soi - puisque le progrès
était éternel et devait profiter à tous - sans se soucier des réalités
culturelles, économiques, sociales de ces pays et encore moins des
aspirations des populations. Concrètement, beaucoup de pays ont
effectivement fait le pari du développement, et ont basé leur économie
sur des marchandises d'exportation (pétrole, coton, arachide, café,
etc.). Ils étaient donc tributaires des marchés internationaux,
qu'ils ne contrôlaient pas ; ainsi les pays du Centre purent
- peuvent - piller les pays du Tiers monde. Les élites politiques
de ces pays bénéficient grandement de cette forme d'échange ;
elles sont totalement liées, par des intérêts communs - entre autre
leur maintien au pouvoir -, avec les gouvernements des pays
occidentaux.
Avec l'évolution de l'impérialisme et de l'idéologie différentialiste
qui le sous-tend, un véritable apartheid social se met en place
à l'échelle de la planète : des continents entiers sont laissés
à l'abandon, en particulier l'Afrique noire mais aussi l'Amérique
du sud. Une grande partie des populations est ainsi condamnée à
mourir de faim, de guerre, d'épidémie… par les décideurs économiques
et politiques. Leur cynisme du raisonnement des gestionnaires de
la planète est poussé à son comble : plus il y a de morts,
moins la pression migratoire sera importante !
Quelques perspectives
Ce qui est le plus significatif dans les luttes récentes (logement,
précarité, sans-papiers…) c'est qu'elles débordent le cadre
des revendications quantitatives (réduction du temps de travail,
hausse des salaires…) pour poser la question de nos conditions
d'existence dans la société. En outre les exigences autour de la
volonté de vivre « dignement » tendent à rentrer en contradiction
avec des piliers idéologiques de la société bourgeoise, mais aussi
avec des dispositifs liés à la mondialisation de l'économie. En
effet le droit de propriété doit-il prévaloir sur le fait de disposer
d'un logement décent ? Doit-on encore accepter que le travail
- ou son absence - détermine nos conditions de vie aussi bien par
les revenus qu'il procure, qu'au niveau de l'organisation matérielle :
choix du lieu d'habitation, organisation du temps… ?
Qu'en est-il de la libre circulation des individus dans une Europe
qui se renferme comme une forteresse ?… En dernière instance,
c'est bien la question des normes/valeurs qui doivent fonder la
société qui est posée.
Que se soient les luttes sur le logement, contre la précarité
et dernièrement celle des sans-papiers, elles ont un point commun :
ce sont des personnes qui survivent dans des conditions inextricables
et qui disent « stop ! On arrête, on ne peut plus continuer
à vivre de la sorte ». Ces luttes imposent des débats sur des
choix de société : pouvons-nous accepter que des individus
ne puissent se loger sous prétexte qu'un propriétaire leur réclame
des loyers et garanties qu'ils ne pourront jamais fournir ;
autrement dit, le droit de propriété doit-il prévaloir sur le fait
de pouvoir se loger ? On peut espérer que dans un proche avenir
des personnes n'acceptent plus d'être réduites à la mendicité, à
la charité, ou de risquer d'être emprisonnées pour vol afin de se
nourrir, se vêtir, se cultiver, se divertir…
De même les sans-papiers, en revendiquant la libre circulation
des individus, l'ouverture des frontières, interrogent la société
sur son devenir. Voulons-nous vivre dans un monde de « petits
blancs » complètement repliés sur eux-mêmes, au sein d'une
Europe forteresse, et ayant peur de tout ce qui leur est extérieur,
étranger ; un monde dans lequel les populations, en particulier
les pauvres, seraient fixées sur leur territoire, un monde dans
lequel les cultures seraient étanches les unes par rapport aux autres ?
Ou voulons-nous au contraire vivre comme on le veut, avec qui l'on
veut et où l'on veut, ce qui passe inévitablement par la reconnaissance
de valeurs comme la solidarité, l'égalité, la liberté, l'interculturalité
et la libre circulation des hommes des femmes et des idées ?
Il nous faut donc lutter contre toutes les exclusions (sociale,
raciale, sexuelle…) qui forment le terreau des pratiques autoritaires
et sécuritaires, divisent les populations en catégories ayant des
capacités d'action sociales inégales.
La société bourgeoise fonctionne sur le principe de quantification,
c'est-à-dire que tout est quantifié, la valeur d'échange prévaut
sur la valeur d'usage ; autrement dit ce n'est pas l'utilité
d'une marchandise qui prime mais ce qu'elle peut rapporter comme
bénéfice à celui qui la détient et veut la vendre. On produit des
marchandises non pas en fonction des besoins qu'elles satisferaient,
mais parce qu'elles vont, par leur vente, faire fructifier le capital
investi pour leur réalisation. En conséquence, des marchandises
qui nous sont utiles peuvent cesser d'être produites car elles ne
seront pas suffisamment rentables (c'est-à-dire produisant des profits
estimés suffisants par et pour le capitaliste) ; l'objectif
de la rationalité du capitalisme n'est pas de satisfaire nos besoins,
mais de dégager des profits à partir du capital investi. Par exemple,
les laboratoires pharmaceutiques, selon W. Rozenbaum, sacrifient
la recherche d'un vaccin contre le sida sur l'autel du profit. « Ces
laboratoires sont des entreprises privées soumises aux règles du
marché et dont la prospérité repose sur la vente de médicaments
en grandes quantité dans les pays riches. Il est donc plus intéressant
pour un labo de trouver un produit efficace contre la maladie du
coeur ou le cholestérol que de mobiliser des fonds pour le sida,
qui concerne en premier lieu des régions insolvables (Afrique, Asie)
et qui, dans les pays riches, restent une pathologie affectant un
nombre relativement limité de personnes. » […] « …
dans cette logique de marché, il n'est pas intéressant pour les
laboratoires de pousser certaines recherches, non seulement parce
que celles-ci ne sont pas rentables, mais aussi parce qu'il existe
des sources de profits plus attractives encore que la vente de médicaments :
je veux parler de la bourse. Un jack-pot en bourse rapporte plus
que la vente de dix milles comprimés. N'oublions pas non plus que
dans les laboratoires les vrais décideurs ne sont pas les scientifiques
ou les chercheurs, mais les actionnaires qui, eux, n'ont pas d'états
d'âme. »
Revendiquer la gratuité des transports pour tous et toutes, le
libre accès au logement - même si l'on n'a pas de ressources -,
la liberté et la gratuité de la contraception et de l'avortement,
de la santé en général… c'est lutter contre cette hiérarchie
sociale fondée sur l'importance de nos ressources financières, elles-mêmes
soumises aux aléas d'une conjoncture économique nous échappant totalement.
Ce qui nous importe ce n'est pas combien vaut telle ou telle marchandise
et quels profits va-t-elle dégager, mais qu'elle est l'utilité de
tel ou tel produit pour satisfaire nos besoins et nos désirs.
La misère est avant tout un problème politique ; la combattre
relève d'un débat sur le choix de société dans laquelle nous voulons
vivre. Par exemple, il y a assez de logements, en France, pour loger
tous les SDF et les mal-logés décemment. « … durant ces
10 dernières années, le nombre de logements vacants a oscillé autour
des 2 million d'unités (1 919 000 en 1984, 2 156 000 en 1988, 1977
000 en 1992), soit environ 8 % du parc locatif. Autrement dit, de
quoi loger ou reloger la totalité des sans-abri et des mal-logés. »
JC (OLS)
Origine : http://fsl-sla.eu.org/article.php3?id_article=15
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