Origine : http://www.reseau-ipam.org/article.php3?id_article=338&var_recherche=messica
En Europe, l’évolution des conceptions de l’éducation
et de la justice des mineurs est caractérisée par
une remise en cause de l’équilibre entre éducation,
protection et punition en faveur d’une politique qui met l’accent
sur la responsabilisation des jeunes, celle des familles, l’apprentissage
des normes sociales et la revalorisation de l’enfermement
comme réponse à la délinquance des mineurs.
Pour le moment, trois pays européens résistent à
ces évolutions : l’Ecosse, l’Allemagne et la
Suisse.
Ces évolutions conduisent à des expérimentations
dont l’objectif n’est pas nécessairement d’accentuer
la répression mais parfois d’intervenir de la façon
la plus préventive possible. L’accent mis sur la prévention
peut conduire in fine à traduire par des mesures précoces,
une diminution constante du niveau de tolérance face aux
comportements “déviants” ou contraires aux normes
sociales. C’est le cas en Angleterre , avec la loi 1988 “Crime
and Disorder” et 1999 “Youth Justice and Criminal Evidence”.
Ces lois n’ont pas eu pour but d’accentuer la répression
dans un contexte où les conservateurs avaient obtenu une
augmentation notable des mesures d’enfermement pour les mineurs
mais au contraire, d’infléchir ces évolutions
; elles traduisent néanmoins un nouveau regard sur l’enfance.
La notion d’incapacité chez l’enfant à
discerner le bien ou le licite et le mal ou l’interdit est
remise en cause. Cette remise en cause traduit d’ailleurs
les difficultés à distinguer justement des notions
morales (bien et mal) et des notions de droit (permis et interdit).
Ces mesures aboutissent, au nom de la prévention, à
une diminution unique en Europe de l’âge de la responsabilité
pénale qui est abaissé à 10 ans.
Les principaux points de ces lois sont les suivants :
- la présomption que les jeunes de 10 à 14 ans ne
sont pas capables de distinguer le bien et le mal est abolie. Le
rappel à la loi ne suffit donc pas, le jeune doit comprendre
qu’il a commis un acte grave ;
- en accord avec la police, les autorités locales peuvent
instaurer un couvre-feu pour les enfants de moins de 10 ans sur
un quartier donné entre 21 heures et 6 heures du matin sur
une période n’excédant pas 90 jours ;
- au civil, une mesure pour comportement asocial peut être
appliquée ;
- deux avertissements peuvent être prononcés avant
que les délits ne soient traités au pénal ;
- les enfants de 10 à 17 ans peuvent faire l’objet
de mesures de détention dans des centres de formation en
remplacement des peines d’enfermement ;
- des commissions locales “ Youth Offendind Teams”
sont chargées d’appliquer localement les mesures liées
à la réforme judiciaire. Elles sont coiffées
par une administration centrale Youth Justice Board ;
- les procédures judiciaires doivent respecter des délais,
autrement dit être plus rapides dans leur application.
Les Yots sont des équipes locales composées au minimum
d’un agent de probation, d’un travailleur social, d’un
représentant de la Direction locale des services de santé
et des services d’éducation. Ces commissions travaillent
avec les autorités locales, les associations et les habitants.
Avec la Police, ce sont elles qui sont chargées d’effectuer
les rappels à la loi (au nombre de deux) et qui doivent s’assurer
qu’en cas de récidive, les jeunes seront rapidement
transférés devant les tribunaux. Les Yots assurent
le suivi des mesures de réparation et d’éducation
décidées par les tribunaux. Ils répondent à
un besoin d’une justice dite “de proximité”.
Le risque de confusion entre mœurs et justice
La loi de 1999 permet aux jeunes primo-délinquants mineurs
qui ont reconnu leur délit devant le tribunal d’éviter
l’emprisonnement et d’être renvoyés devant
un Yot.
Lorsqu’un jeune délinquant est renvoyé devant
un Yot, celui-ci doit se réunir dans les 15 jours. La présence
des parents est obligatoire à chaque convocation et leur
absence, sans excuse valable, peut entraîner une procédure
d’outrage à magistrat. Les avocats du jeune n’interviennent
ni comme défenseurs légaux, ni en simple soutien.
Le Yot a pour but de passer un contrat avec le jeune incluant des
mesures de réparation. S’il refuse ou si, en cours
de contrat, il se soustrait aux obligations qu’entraîne
le contrat, il est renvoyé devant le tribunal pour y être
rejugé.
Les Yots privilégient une prise en charge “communautaire”
de la question de la délinquance des mineurs. Cependant,
cette communauté est indéfinie et elle repose sur
l’idée discutable d’un consensus moral, à
l’échelle locale, d’une communauté composée
de forces hétérogènes et dont le degré
de légitimité reconnue est tout à fait inégal.
La famille qui participe obligatoirement aux processus n’a
par exemple pas la même légitimité que les professionnels,
institutionnels ou pas.
Par ailleurs, le rythme accentué des procédures et
la faible implication des délinquants dans le processus de
réparation sont contradictoires avec les objectifs éducatifs.
La communautarisation implique en effet d’être beaucoup
moins centrée sur le cas individuel de chaque enfant ou jeune.
Cet intérêt individuel des mineurs peut en effet entrer
en contradiction avec les politiques locales qui visent à
rendre visible la sécurité et “invisibles”
les délinquants. Il n’est pas non plus certain que
l’intégration à la “communauté”
soit bénéfique à tous les jeunes : certains
ont été maltraités par leur famille, rejeté
par leurs voisins, exclus par le système éducatif.
Enfin l’abolition de la présomption de doli incapax
(incapacité à avoir une conscience claire du préjudice),
l’instauration de couvre-feux pour enfants et de l’ASBO
(mesure de comportement asocial) tendent à criminaliser des
actes qui ne l’étaient pas auparavant. Ce processus
est le même que la pénalisation des incivilités
en France, par exemple l’interdiction de stationner dans les
halls d’immeubles. Le risque est d’évoluer vers
une justice plus dépendante des mœurs locales que de
principes généraux .
Ces législations qui tendent à satisfaire des exigences
contradictoires de rapidité et d’efficacité
de la justice, de prévention précoce des déviances,
d’éducation, de participation communautaire et de “décentralisation”
de la justice tendent à abolir les frontières entre
justice et morale et paraissent de plus en plus illisibles.
Quelques pistes de réflexions
Ces tendances ouvrent plusieurs pistes de réflexions à
compléter et à affiner :
- le sens du contrat : ce concept fortement coercitif puisqu’alternatif
au pénal est contradictoire avec la définition libérale
du contrat qui implique deux contractants aussi libres l’un
que l’autre de contractualiser. Selon Emmanuel Kant, la sanction
a bien pour but de réintégrer le délinquant
dans le contrat obligatoire et contraignant sur lequel repose la
communauté mais elle ne fait pas l’objet de négociation.
La contractualisation alternative à la sanction pénale
est d’une tout autre nature. Au plan de la responsabilité,
le mineur a le même statut qu’un adulte mais il a le
choix entre une mesure éducative et de réparation
alternative et une sanction pénale. La question de ce qui
est souhaitable pour ce mineur précis n’est pas tranchée
et la démarche repose sur un a priori de responsabilité
pleine et entière du mineur puisqu’il peut choisir
et sera responsable en cas d’échec.
- la fonction parentale : l’expérience menée
actuellement par le parquet de Toulon auprès de plusieurs
familles, consistant à proposer des stages parentaux comme
mesures alternatives aux poursuites pénales menées
sur la base de l’article 227-17 du code pénal, pose
d’autres problèmes. Cet article permet de poursuivre
des parents s’ils compromettent la santé, la moralité
ou l’éducation de leur enfant mineur. Mais les stages
parentaux qui ne concernent que les cas de délinquance des
mineurs, placent en priorité, non l’enfance en danger
mais l’enfance dangereuse. Surtout ils abordent la responsabilité
parentale avec des dispositifs identiques à ceux qui s’appliquent
aux enfants délinquants.
La question qui se pose concerne donc le maintien ou pas d’une
distinction entre justice des mineurs et justice des adultes et
dans ce contexte, la place et la perception de la parentalité
comme fonction, dont on ne voit pas clairement si elle est adulte
ou pas et quelles sont ses frontières. La place traditionnel
du parent auprès de son enfant en soutien, voire en défenseur
à tort ou à raison, est en tous les cas clairement
remise en cause puisque le parent est placé dans la même
situation que l’enfant délinquant.
Quelle est en somme l’identité distincte du parent
par rapport à l’identité de l’enfant délinquant
dans des circonstances où enfants et parents sont “rééduqués”
? Parmi les cinq familles ayant fait l’objet de la première
expérimentation de stage de parentalité à Toulon,
une mère a été condamnée à un
an de prison ferme pour ne s’être pas rendue aux convocations
à partir de la deuxième, une autre mère a fait
une tentative de suicide.
- l’approche “communautaire” : quelle est la
place de l’enfant “en tant qu’individu”
dans cette approche ?
- l’approche territoriale ou les politiques de proximité,
dites “territoriales” ou “décentralisées”
: quelles problèmes posent ces approches en terme de prégnance
des intérêts politiques locaux et en termes de relation
entre la sphère morale et des mœurs et celle de la justice
? Quelle peuvent être néanmoins les effets positifs
d’une approche privilégiant la proximité ?
- la tendance à privilégier l’enfermement des
mineurs. La fin de l’éducation en milieu ouvert ?
- quelles relations entre la politique judiciaire et les politiques
éducatives et scolaires ?
- une société de plus en plus morale et de moins
en moins en moins juste ? Quelles relations avec le recul ou l’abandon
de la lutte contre les inégalités sociales ?
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