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Origine : http://www.reseau-ipam.org/article.php3?id_article=339&var_recherche=messica
La politique éducative et scolaire mise en œuvre par
Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l’éducation
nationale et de la recherche et par Xavier Darcos, ministre délégué
à l’enseignement scolaire se caractérise par
trois éléments fondamentaux : tout d’abord,
elle prolonge, sans les modifier, les dispositifs des ministères
précédents comme les classes-relais ; en second lieu,
elle se distingue par des mesures symboliques et spectaculaires
dont le but affiché est de “ rétablir l’autorité
dans les établissements” ; enfin elle met un terme
à la progression du budget de l’Education Nationale.
Cette politique s’inscrit dans un contexte marqué
par deux tendances majeures : le glissement de la question éducative
vers la question sécuritaire, comme en témoigne l’articulation
forte entre le Contrat Éducatif Local et le Contrat Local
de Sécurité : dans certains cas, le contrat Éducatif
Local est purement et simplement intégré au Contrat
Local de Sécurité ; la tendance à une territorialisation
de l’action éducative, notamment en favorisant l’implication
des collectivités locales ou communautés d’agglomération
dans la vie scolaire, y compris pour les établissements d’enseignement
secondaires qui jusqu’à présent dépendaient
du Conseil Général . La décentralisation prévoit
un glissement progressif de certaines compétences de l’Etat
et du Département dans la gestion des Collèges vers
la Région et les collectivités territoriales. Dans
le même esprit, il est prévu un transfert de l’assistance
éducative et de l’investigation au civil et du personnel
concerné vers les Conseil Généraux.
A côté de cette politique éducative scolaire
se développent des expériences - pilotes de stages
parentaux en direction de parents de mineurs délinquants.
L’expérience menée actuellement par le parquet
de Toulon auprès de plusieurs familles consiste à
proposer des stages parentaux comme mesures alternatives aux poursuites
pénales menées sur la base de l’article 227-17
du code pénal. Cet article permet de poursuivre des parents
s’ils compromettent la santé, la moralité ou
l’éducation de leur enfant mineur. Il pourrait donc
s’appliquer dans les cas d’absentéisme scolaire
prolongé. Parmi les cinq familles ayant fait l’objet
de cette expérimentation, la mère d’un des mineurs
délinquants âgé de 13 ans a été
condamnée à accomplir sa peine, un an de prison ferme
pour n’avoir pas poursuivi le stage. Six autres familles ont
entrepris ces stages parentaux alternatifs à l’emprisonnement
à Toulon. Dominique Perben, garde des Sceaux, a récemment
signé une circulaire incitant les autres parquets français
à généraliser cette initiative.
Un projet éducatif et scolaire inexistant
La politique éducative et scolaire s’inscrit donc
désormais de plus en plus dans la dépendance à
d’autres politiques, comme celles de la justice, de la Jeunesse,
de la décentralisation. Cette absence d’ambition propre
se fonde sur l’idée que l’école a atteint
ses limites en termes de capacité à scolariser et
à mener jusqu’au niveau du baccalauréat une
proportion de plus en plus importante d’élèves.
Xavier Darcos oppose ainsi à un objectif “quantitatif”
- augmenter la proportion de bacheliers - un objectif qualitatif
qui est double : lutter contre l’illettrisme et améliorer
l’articulation entre l’enseignement général
et les filières professionnelles, lutter contre d’absentéisme
scolaire. Il est à noter que, pour créer l’illusion
d’optique d’une politique scolaire, l’importance
du phénomène de l’illettrisme a été
largement surévaluée de même que celles de d’absentéisme
scolaire (il peut faire l’objet d’un signalement à
partir de 4 demi-journées dans un mois) et des violences
scolaires. Ces questions tiennent lieu actuellement de “projet”
de l’Education Nationale.
La lutte contre les violences scolaires
Au cours des années 80, le processus de massification et
la suppression des filières pré-professionnelles en
cours de collège ont fait rentrer et rester au collège
l’ensemble d’une classe d’âge. Les enseignants
ont dû gérer des publics scolaires très hétérogènes
alors que leurs formations initiales avaient peu évolué.
Le thème de la violence à l’école a alors
pris une importance de plus en plus forte, devenant la catégorie
principale avec laquelle sont pensés les conflits qui accompagnent
les relations maîtres - élèves. C’est
à partir des années 90 que se mettent en place les
premiers systèmes de comptabilité, tant au niveau
de l’Education nationale qu’à celui du Ministère
de l’Intérieur.
En 1993, les plaintes déposées sont très peu
nombreuses : 771 pour coups et blessures volontaires sur élèves
et 210 sur des personnels enseignants (pour une population scolaire
de 14 millions d’élèves). En 1998, sur 240 000
incidents déclarés, seulement 2,6 % étaient
considérés comme des “ faits graves ”
sur l’ensemble des incidents déclarés. Ces “
faits graves ” ayant fait l’objet d’un signalement
au procureur sont des violences verbales (70,8 %) des coups et blessures
(22,4 %) du racket (3,3 %).... Les auteurs sont à 86 % des
élèves, les victimes sont à 78 % des élèves,
à 20 % des personnels. Des incidents de gravité très
diverses sont signalés par les chefs d’établissement.
Il existe en effet une différence d’appréciation
de la gravité des incidents selon les régions ou la
situation de l’établissement, une tendance à
“ gonfler ” ou à diminuer le nombre d’incidents
en fonction des conséquences estimées sur la réputation
de l’établissement, une tendance à ne pas signaler
les violences mineures, verbales par exemple, quand elles sont le
fait du personnel adulte des établissements.
Le dernier logiciel mis en place, Signa, ne comptabilise plus que
les “ actes pénalement répréhensibles,
les signalements à la justice, à la police ou aux
services sociaux ainsi que les incidents qui peuvent perturber fortement
l’établissement”, alors que les précédents
modes de comptabilisation signalaient l’ensemble des incidents,
quel que soit leur degré estimé de gravité.
Ceci explique sans doute que de 240 000 incidents signalés
en 1998, on soit passé à 85 000 pour l’année
scolaire 2001-2002. Avec des données très proches,
Jack Lang constatait “ une stabilisation voire une amélioration
”, alors que Luc Ferry considère que les chiffres actuels
sont tout simplement “ calamiteux ” (Le Monde du 31
octobre, p. 11).
En fait ces chiffres recouvrent des réalités très
différentes selon les régions et les établissements
: 40 % de ceux qui sont reliés à Signa n’ont
rien signalé et 8 % des répondants ont signalé
10 incidents ou plus et 70 % des établissements ne rentrent
pas leurs données sur le logiciel.
Les dernières mesures de prévention de la violence
à l’école présentées par le gouvernement
actuel reprennent des axes déjà observés sous
les gouvernements précédents : développement
des classes-relais et des internats scolaires, ouverture des établissements
scolaires pendant les congés (école ouverte), encouragement
de parcours diversifiés, mise en place d’un contrat
de vie scolaire, développement des partenariats .Ces mesures
s’accompagnent de la suppression de 5600 postes de surveillants,
anticipant la refonte de l’ensemble des 50 000 postes de surveillants
et la suppression annoncée des 20 000 aides-éducateurs,
remplacés à terme par des étudiants, des jeunes
retraités ou des “ mères de famille ”.
Les innovations en matière de lutte contre les violences
scolaires s’inscrivent dans la prolongation de la loi d’orientation
et de programmation pour la justice (loi Perben) votée par
les députés, le 3 août 2002. Adoptant les conclusions
du rapport du Sénat remis en juin 2002 (Délinquance
des mineurs. La République en quête de respect), la
loi Perben remet en cause les principe qui ont inspiré l’ordonnance
de 1945. Ces principes étaient les suivants : la justice
ne peut traiter un enfant comme un adulte, les sanctions doivent
être accompagnées de mesures éducatives et elles
nécessitent l’intervention d’un juge spécialisé.
Enfin, la société a une responsabilité collective
à l’égard des jeunes. Pour autant, cette ordonnance
n’a jamais exclu des mesures répressives, y compris
des peines d’emprisonnement. Ainsi ces dernières années,
le nombre de mineurs condamnés pour délits a été
multiplié par quatre, passant de 9 404 condamnations en 1995
à 36 787 en 1999 et 40 000 en 2002 soit près de deux
fois plus qu’en 1990.
Plusieurs de ces principes fondamentaux sont remis en cause par
les nouvelles dispositions : création de sanctions dès
l’âge de 10 ans, possibilité d’une détention
provisoire pour les 13-16 ans en cas de violation du contrôle
judiciaire, mise en place de “ centres éducatifs fermés
” et de “ centres de détention pour mineurs ”,
application de la comparution immédiate à l’égard
des mineurs multirécidivistes, institution de juges de proximité
concernant les petits délits, sanctions à l’égard
des familles des mineurs délinquants, nouvelle qualification
pénale des injures proférées à l’encontre
des enseignants...
Des relations plus fortes entre l’école et la police
et l’éviction de la prévention spécialisée.
Depuis le milieu des années 90, les relations de l’école
avec la police et la justice se sont renforcées : la police
est aujourd’hui un partenaire reconnu et apprécié
de l’école, plus sans doute que le secteur de l’éducation
spécialisée. Un des signes de cette évolution
est la tendance actuelle à intégrer le Contrat Éducatif
Local dans le Contrat Local de Sécurité. Voici ce
qu’on peut lire au sujet des “rackets”, qualification
portant indifféremment sur le vol de goûter, billes,
vêtements ou argent dans le guide pratique “ approches
partenariales en cas d’infractions dans un établissement”
(B.O. n° 11, octobre 1988, p. 23) :” l’extorsion
est passible de 7 ans d’emprisonnement et de 700 000 francs,
ces peines peuvent être portées à 10 ans et
1 000 000 F lorsque la victime est particulièrement vulnérable”.
Une politique double : de contractualisation et de pénalisation
d’actes traités jusque là au civil.
La circulaire du 13 juillet 2000, (Bulletin Officiel n° 8)
tentait d’établir des principes de droit dans les sanctions
: interdiction des punitions collectives, principe de la proportionnalité
de la sanction, interdiction de baisser une note sanctionnant les
connaissances en fonction de l’appréciation du comportement
de l’élève... Alors que ces directives tendent
à réduire le sentiment d’injustice fréquemment
observé chez les élèves et à fournir
un cadre clair à l’ensemble des acteurs de la vie scolaire,
un tournant a été adopté avec le vote d’un
nouveau délit : l’outrage à enseignant. Avant
le vote de cette loi, il existait une disposition du code pénal
(Article 433-5) qui permettait d’infliger 7500 euros d’amende,
aux individus auteurs de paroles, de gestes, de menaces, d’écrits
ou d’images, de l’envoi d’objets quelconques adressés
à une personne chargée d’une mission de service
public, et de nature à porter atteinte à sa dignité
ou au respect de sa fonction. Avec les modifications introduites
par la loi “Perben“, l’outrage commis en milieu
scolaire, peut donner lieu à 6 mois d’emprisonnement
et toujours 7500 euros d’amende. Entre les deux dispositifs,
les nouveautés concernent la possibilité d’envoyer
les auteurs de ce type de manquements en prison et les enseignants
deviennent potentiellement, au même titre que les magistrats
et les policiers, dépositaires de l’ordre public. Même
traitement pour les parents dans les cas de manquement à
l’obligation scolaire ou de carences éducatives jugées
responsables de l’accomplissement de délits par les
mineurs.
Pour “restaurer l’autorité et la responsabilité
et assurer la paix à l’école”, la politique
de “contractualisation” est largement soutenue. En échange
d’un “traitement” (stage de parentalité
pour les parents, suivi thérapeutique ou sanction éducative
comme les travaux d’intérêt général
pour des élèves), une sanction peut être suspendue
puis levée. De manière générale, cette
politique tend à individualiser les cas et à mettre
un terme à une réflexion et remise en cause des fonctionnements
de l’enseignement public.
Une politique de décentralisation de l’Education Nationale
Il s’agit d’introduire, dans la prolongation de la
politique de décentralisation, un glissement des compétences
de l’Etat vers les Régions et vers les collectivités
locales. Xavier Darcos veut "être certain que chaque
compétence concernant chaque degré d’enseignement
se trouve au bon échelon territorial. Nous nous posons donc
la question de savoir s’il serait judicieux de donner un statut
juridique aux réseaux d’écoles, en particulier
en milieu rural. Cela permettrait de placer à la tête
de chaque réseau, un directeur, qui du même coup, aurait
le vrai statut de directeur. Il me semble que cela irait dans le
sens d’un service public plus fort. Les régions font
entendre ce souhait depuis longtemps mais depuis peu, les collectivités
locales les rejoignent. “ [1]
Pour autant, le Département ne perd pas toutes ces prérogatives
: “La relance actuelle de la décentralisation ne peut
que confirmer que le département constitue un niveau essentiel
de proximité, celui où la stratégie académique,
conçue et portée par le recteur et les Inspecteurs
d’Académie, peut entretenir un lien direct avec les
établissements et les usagers, ainsi qu’avec de nombreux
autres services de l’Etat” [2]
L’objectif inavoué est de fragmenter les syndicats
enseignants. Il s’agit de casser le syndicalisme enseignant
tout en cherchant à séduire la profession par des
signes divers : réaffirmation de l’autorité
du corps enseignant tant vis à vis des élèves
que des parents, primauté du scolaire sur l’éducatif,
affirmation de la responsabilité parentale dans les échecs,
valorisation de l’enseignement professionnel et remise en
cause à peine voilée du principe du Collège
unique et des objectifs de réussite scolaire pour tous.
Parallèlement, le Ministre affirme que l’Education
Nationale passera d’une “logique de moyens” à
une “logique de résultats”, autrement dit à
une logique plus libérale avec un encadrement pédagogique
et administratif par des chefs d’établissements dotés
d’un pouvoir hiérarchique. Ce pouvoir hiérarchique
était jusque là détenu uniquement par les Inspecteurs
de l’Education Nationale.
La question des familles
La politique à l’égard des familles se caractérise
par une réorientation des objectifs éducatifs puisqu’il
ne s’agit plus prioritairement d’éduquer l’enfant
mais ses parents. L’école est redéfinie essentiellement
à partir de sa vocation scolaire, la transmission des connaissances,
tandis que les familles font l’objet d’une éducation
à la parentalité d’inspiration humaniste ou
philanthropique (réseaux de soutien et d’appui à
la parentalité) dont les stages parentaux, comme alternative
à la sanction pénale, sont le reflet dévoyé.
En effet, la participation à des groupes d’appuis et
de soutien à la parentalité se fonde sur le volontariat
des familles. Les stages parentaux se présentant comme des
alternatives à une sanction pénale sont au contraire
tout à fait contraignants car tout en ayant le choix, les
familles peuvent difficilement préférer un an de prison
plutôt que quelques séances de morale.
Dedans, dehors
Les politiques actuelles sont guidées par une obsession
: que les enfants et les adolescents soient “ dedans ”.
Ils doivent se trouver dans l’école, à la maison,
dans des centres de loisirs ou autres, dans des centres fermés
pour les jeunes délinquants, dans des internats etc... Les
expériences d’éducation en milieu ouvert qui
ont pourtant fait leurs preuves risquent donc d’être
abandonnées au profit de pratiques éducatives “enfermantes”.
Or de nombreuses familles disposent de logements beaucoup trop exigus
pour y garder toute la famille le mercredi et le week-end par exemple
et il n’est nullement prouvé que le vase clos familial
soit propice à un meilleur développement pour l’enfant.
Les logements sociaux ne comportent d’ailleurs pratiquement
pas d’appartements de plus de 5 pièces et le quota
des 5 pièces est très faible. Il est fréquent
de voir cohabiter dans un même appartement de 3 à 4
pièces maximum le couple de parents, leurs enfants âgés,
mariés, avec leurs enfants et bien entendu leurs 3 ou 4 autres
enfants plus jeunes. La tendance actuelle est de résidentialiser
les ensembles de logements sociaux (mettre des barreaux et des codes
partout), supprimer les espaces de jeux pour enfants, supprimer
les allées de promenades et les bancs, créer des espaces
fleuris protégés (pour que ce soit joli en regardant
par la fenêtre) ; en sorte qu’il deviendra impossible
de laisser ses enfants jouer devant la porte de l’immeuble
en les surveillant de la fenêtre. Plus il y aura d’interdits
(stationner dans les halls d’immeuble, se regrouper dans les
allées des résidences), plus il y aura de parents
“délinquants”. Cette même “tolérance
zéro” s’applique désormais de plus en
plus fréquemment dans les établissements scolaires
où s’institue le pointage, le renvoi de la cantine
pour non paiement à temps, où les espaces sont grillagés
et où des caméras sont placées partout. “Si
on s’asseoit derrière un arbre , on est puni parce
qu’ils ne voient pas ce qu’on fait” racontait
récemment l’élève d’un Collège
d’une ville du Nord.
Démagogie et réforme en douceur
L’actuelle politique éducative se caractérise
par une série de petites réformes destinées
à modifier en profondeur l’école tout en contournant
l’Education Nationale et le corps enseignant. On réforme
mais à travers les lois d’orientation de la Justice
et les lois de décentralisation.
On pratique enfin un discours démagogique à l’égard
des enseignants (restauration de l’autorité, fin de
l’égalitarisme) et des classes moyennes (obligation
de résultats de l’école publique, éviction
des élèves indisciplinés ou violents) tout
en réaffirmant les fondements de l’école républicaine
: primauté du scolaire, développement de la citoyenneté...
Derrière le “bon sens” proverbial de Xavier Darcos
qui déclarait récemment à des profs en grève
pour cause de violences scolaires “qu’on ne choisit
pas ses élèves”, se profile bien mais, l’air
de rien, la restauration d’une école élitiste
et sans ambitions sociales, une école alliant conservatisme,
libéralisation et mise au pas des enseignants.
[1] Réunion interacadémique. Rouen. Septembre 2002
[2] Conférence de presse de Luc Ferry et Xavier Darcos,
2 Septembre 2002
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