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Politique éducative, scolaire et sécuritaire
Par MESSICA Fabienne le 8 juin 2004

Origine : http://www.reseau-ipam.org/article.php3?id_article=339&var_recherche=messica

La politique éducative et scolaire mise en œuvre par Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche et par Xavier Darcos, ministre délégué à l’enseignement scolaire se caractérise par trois éléments fondamentaux : tout d’abord, elle prolonge, sans les modifier, les dispositifs des ministères précédents comme les classes-relais ; en second lieu, elle se distingue par des mesures symboliques et spectaculaires dont le but affiché est de “ rétablir l’autorité dans les établissements” ; enfin elle met un terme à la progression du budget de l’Education Nationale.

Cette politique s’inscrit dans un contexte marqué par deux tendances majeures : le glissement de la question éducative vers la question sécuritaire, comme en témoigne l’articulation forte entre le Contrat Éducatif Local et le Contrat Local de Sécurité : dans certains cas, le contrat Éducatif Local est purement et simplement intégré au Contrat Local de Sécurité ; la tendance à une territorialisation de l’action éducative, notamment en favorisant l’implication des collectivités locales ou communautés d’agglomération dans la vie scolaire, y compris pour les établissements d’enseignement secondaires qui jusqu’à présent dépendaient du Conseil Général . La décentralisation prévoit un glissement progressif de certaines compétences de l’Etat et du Département dans la gestion des Collèges vers la Région et les collectivités territoriales. Dans le même esprit, il est prévu un transfert de l’assistance éducative et de l’investigation au civil et du personnel concerné vers les Conseil Généraux.

A côté de cette politique éducative scolaire se développent des expériences - pilotes de stages parentaux en direction de parents de mineurs délinquants. L’expérience menée actuellement par le parquet de Toulon auprès de plusieurs familles consiste à proposer des stages parentaux comme mesures alternatives aux poursuites pénales menées sur la base de l’article 227-17 du code pénal. Cet article permet de poursuivre des parents s’ils compromettent la santé, la moralité ou l’éducation de leur enfant mineur. Il pourrait donc s’appliquer dans les cas d’absentéisme scolaire prolongé. Parmi les cinq familles ayant fait l’objet de cette expérimentation, la mère d’un des mineurs délinquants âgé de 13 ans a été condamnée à accomplir sa peine, un an de prison ferme pour n’avoir pas poursuivi le stage. Six autres familles ont entrepris ces stages parentaux alternatifs à l’emprisonnement à Toulon. Dominique Perben, garde des Sceaux, a récemment signé une circulaire incitant les autres parquets français à généraliser cette initiative.

Un projet éducatif et scolaire inexistant

La politique éducative et scolaire s’inscrit donc désormais de plus en plus dans la dépendance à d’autres politiques, comme celles de la justice, de la Jeunesse, de la décentralisation. Cette absence d’ambition propre se fonde sur l’idée que l’école a atteint ses limites en termes de capacité à scolariser et à mener jusqu’au niveau du baccalauréat une proportion de plus en plus importante d’élèves. Xavier Darcos oppose ainsi à un objectif “quantitatif” - augmenter la proportion de bacheliers - un objectif qualitatif qui est double : lutter contre l’illettrisme et améliorer l’articulation entre l’enseignement général et les filières professionnelles, lutter contre d’absentéisme scolaire. Il est à noter que, pour créer l’illusion d’optique d’une politique scolaire, l’importance du phénomène de l’illettrisme a été largement surévaluée de même que celles de d’absentéisme scolaire (il peut faire l’objet d’un signalement à partir de 4 demi-journées dans un mois) et des violences scolaires. Ces questions tiennent lieu actuellement de “projet” de l’Education Nationale.

La lutte contre les violences scolaires

Au cours des années 80, le processus de massification et la suppression des filières pré-professionnelles en cours de collège ont fait rentrer et rester au collège l’ensemble d’une classe d’âge. Les enseignants ont dû gérer des publics scolaires très hétérogènes alors que leurs formations initiales avaient peu évolué. Le thème de la violence à l’école a alors pris une importance de plus en plus forte, devenant la catégorie principale avec laquelle sont pensés les conflits qui accompagnent les relations maîtres - élèves. C’est à partir des années 90 que se mettent en place les premiers systèmes de comptabilité, tant au niveau de l’Education nationale qu’à celui du Ministère de l’Intérieur.
En 1993, les plaintes déposées sont très peu nombreuses : 771 pour coups et blessures volontaires sur élèves et 210 sur des personnels enseignants (pour une population scolaire de 14 millions d’élèves). En 1998, sur 240 000 incidents déclarés, seulement 2,6 % étaient considérés comme des “ faits graves ” sur l’ensemble des incidents déclarés. Ces “ faits graves ” ayant fait l’objet d’un signalement au procureur sont des violences verbales (70,8 %) des coups et blessures (22,4 %) du racket (3,3 %).... Les auteurs sont à 86 % des élèves, les victimes sont à 78 % des élèves, à 20 % des personnels. Des incidents de gravité très diverses sont signalés par les chefs d’établissement. Il existe en effet une différence d’appréciation de la gravité des incidents selon les régions ou la situation de l’établissement, une tendance à “ gonfler ” ou à diminuer le nombre d’incidents en fonction des conséquences estimées sur la réputation de l’établissement, une tendance à ne pas signaler les violences mineures, verbales par exemple, quand elles sont le fait du personnel adulte des établissements.
Le dernier logiciel mis en place, Signa, ne comptabilise plus que les “ actes pénalement répréhensibles, les signalements à la justice, à la police ou aux services sociaux ainsi que les incidents qui peuvent perturber fortement l’établissement”, alors que les précédents modes de comptabilisation signalaient l’ensemble des incidents, quel que soit leur degré estimé de gravité. Ceci explique sans doute que de 240 000 incidents signalés en 1998, on soit passé à 85 000 pour l’année scolaire 2001-2002. Avec des données très proches, Jack Lang constatait “ une stabilisation voire une amélioration ”, alors que Luc Ferry considère que les chiffres actuels sont tout simplement “ calamiteux ” (Le Monde du 31 octobre, p. 11).

En fait ces chiffres recouvrent des réalités très différentes selon les régions et les établissements : 40 % de ceux qui sont reliés à Signa n’ont rien signalé et 8 % des répondants ont signalé 10 incidents ou plus et 70 % des établissements ne rentrent pas leurs données sur le logiciel.

Les dernières mesures de prévention de la violence à l’école présentées par le gouvernement actuel reprennent des axes déjà observés sous les gouvernements précédents : développement des classes-relais et des internats scolaires, ouverture des établissements scolaires pendant les congés (école ouverte), encouragement de parcours diversifiés, mise en place d’un contrat de vie scolaire, développement des partenariats .Ces mesures s’accompagnent de la suppression de 5600 postes de surveillants, anticipant la refonte de l’ensemble des 50 000 postes de surveillants et la suppression annoncée des 20 000 aides-éducateurs, remplacés à terme par des étudiants, des jeunes retraités ou des “ mères de famille ”.

Les innovations en matière de lutte contre les violences scolaires s’inscrivent dans la prolongation de la loi d’orientation et de programmation pour la justice (loi Perben) votée par les députés, le 3 août 2002. Adoptant les conclusions du rapport du Sénat remis en juin 2002 (Délinquance des mineurs. La République en quête de respect), la loi Perben remet en cause les principe qui ont inspiré l’ordonnance de 1945. Ces principes étaient les suivants : la justice ne peut traiter un enfant comme un adulte, les sanctions doivent être accompagnées de mesures éducatives et elles nécessitent l’intervention d’un juge spécialisé. Enfin, la société a une responsabilité collective à l’égard des jeunes. Pour autant, cette ordonnance n’a jamais exclu des mesures répressives, y compris des peines d’emprisonnement. Ainsi ces dernières années, le nombre de mineurs condamnés pour délits a été multiplié par quatre, passant de 9 404 condamnations en 1995 à 36 787 en 1999 et 40 000 en 2002 soit près de deux fois plus qu’en 1990.

Plusieurs de ces principes fondamentaux sont remis en cause par les nouvelles dispositions : création de sanctions dès l’âge de 10 ans, possibilité d’une détention provisoire pour les 13-16 ans en cas de violation du contrôle judiciaire, mise en place de “ centres éducatifs fermés ” et de “ centres de détention pour mineurs ”, application de la comparution immédiate à l’égard des mineurs multirécidivistes, institution de juges de proximité concernant les petits délits, sanctions à l’égard des familles des mineurs délinquants, nouvelle qualification pénale des injures proférées à l’encontre des enseignants...

Des relations plus fortes entre l’école et la police et l’éviction de la prévention spécialisée.
Depuis le milieu des années 90, les relations de l’école avec la police et la justice se sont renforcées : la police est aujourd’hui un partenaire reconnu et apprécié de l’école, plus sans doute que le secteur de l’éducation spécialisée. Un des signes de cette évolution est la tendance actuelle à intégrer le Contrat Éducatif Local dans le Contrat Local de Sécurité. Voici ce qu’on peut lire au sujet des “rackets”, qualification portant indifféremment sur le vol de goûter, billes, vêtements ou argent dans le guide pratique “ approches partenariales en cas d’infractions dans un établissement” (B.O. n° 11, octobre 1988, p. 23) :” l’extorsion est passible de 7 ans d’emprisonnement et de 700 000 francs, ces peines peuvent être portées à 10 ans et 1 000 000 F lorsque la victime est particulièrement vulnérable”.

Une politique double : de contractualisation et de pénalisation d’actes traités jusque là au civil.

La circulaire du 13 juillet 2000, (Bulletin Officiel n° 8) tentait d’établir des principes de droit dans les sanctions : interdiction des punitions collectives, principe de la proportionnalité de la sanction, interdiction de baisser une note sanctionnant les connaissances en fonction de l’appréciation du comportement de l’élève... Alors que ces directives tendent à réduire le sentiment d’injustice fréquemment observé chez les élèves et à fournir un cadre clair à l’ensemble des acteurs de la vie scolaire, un tournant a été adopté avec le vote d’un nouveau délit : l’outrage à enseignant. Avant le vote de cette loi, il existait une disposition du code pénal (Article 433-5) qui permettait d’infliger 7500 euros d’amende, aux individus auteurs de paroles, de gestes, de menaces, d’écrits ou d’images, de l’envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect de sa fonction. Avec les modifications introduites par la loi “Perben“, l’outrage commis en milieu scolaire, peut donner lieu à 6 mois d’emprisonnement et toujours 7500 euros d’amende. Entre les deux dispositifs, les nouveautés concernent la possibilité d’envoyer les auteurs de ce type de manquements en prison et les enseignants deviennent potentiellement, au même titre que les magistrats et les policiers, dépositaires de l’ordre public. Même traitement pour les parents dans les cas de manquement à l’obligation scolaire ou de carences éducatives jugées responsables de l’accomplissement de délits par les mineurs.
Pour “restaurer l’autorité et la responsabilité et assurer la paix à l’école”, la politique de “contractualisation” est largement soutenue. En échange d’un “traitement” (stage de parentalité pour les parents, suivi thérapeutique ou sanction éducative comme les travaux d’intérêt général pour des élèves), une sanction peut être suspendue puis levée. De manière générale, cette politique tend à individualiser les cas et à mettre un terme à une réflexion et remise en cause des fonctionnements de l’enseignement public.

Une politique de décentralisation de l’Education Nationale

Il s’agit d’introduire, dans la prolongation de la politique de décentralisation, un glissement des compétences de l’Etat vers les Régions et vers les collectivités locales. Xavier Darcos veut "être certain que chaque compétence concernant chaque degré d’enseignement se trouve au bon échelon territorial. Nous nous posons donc la question de savoir s’il serait judicieux de donner un statut juridique aux réseaux d’écoles, en particulier en milieu rural. Cela permettrait de placer à la tête de chaque réseau, un directeur, qui du même coup, aurait le vrai statut de directeur. Il me semble que cela irait dans le sens d’un service public plus fort. Les régions font entendre ce souhait depuis longtemps mais depuis peu, les collectivités locales les rejoignent. “ [1]

Pour autant, le Département ne perd pas toutes ces prérogatives : “La relance actuelle de la décentralisation ne peut que confirmer que le département constitue un niveau essentiel de proximité, celui où la stratégie académique, conçue et portée par le recteur et les Inspecteurs d’Académie, peut entretenir un lien direct avec les établissements et les usagers, ainsi qu’avec de nombreux autres services de l’Etat” [2]

L’objectif inavoué est de fragmenter les syndicats enseignants. Il s’agit de casser le syndicalisme enseignant tout en cherchant à séduire la profession par des signes divers : réaffirmation de l’autorité du corps enseignant tant vis à vis des élèves que des parents, primauté du scolaire sur l’éducatif, affirmation de la responsabilité parentale dans les échecs, valorisation de l’enseignement professionnel et remise en cause à peine voilée du principe du Collège unique et des objectifs de réussite scolaire pour tous.

Parallèlement, le Ministre affirme que l’Education Nationale passera d’une “logique de moyens” à une “logique de résultats”, autrement dit à une logique plus libérale avec un encadrement pédagogique et administratif par des chefs d’établissements dotés d’un pouvoir hiérarchique. Ce pouvoir hiérarchique était jusque là détenu uniquement par les Inspecteurs de l’Education Nationale.

La question des familles

La politique à l’égard des familles se caractérise par une réorientation des objectifs éducatifs puisqu’il ne s’agit plus prioritairement d’éduquer l’enfant mais ses parents. L’école est redéfinie essentiellement à partir de sa vocation scolaire, la transmission des connaissances, tandis que les familles font l’objet d’une éducation à la parentalité d’inspiration humaniste ou philanthropique (réseaux de soutien et d’appui à la parentalité) dont les stages parentaux, comme alternative à la sanction pénale, sont le reflet dévoyé. En effet, la participation à des groupes d’appuis et de soutien à la parentalité se fonde sur le volontariat des familles. Les stages parentaux se présentant comme des alternatives à une sanction pénale sont au contraire tout à fait contraignants car tout en ayant le choix, les familles peuvent difficilement préférer un an de prison plutôt que quelques séances de morale.

Dedans, dehors

Les politiques actuelles sont guidées par une obsession : que les enfants et les adolescents soient “ dedans ”. Ils doivent se trouver dans l’école, à la maison, dans des centres de loisirs ou autres, dans des centres fermés pour les jeunes délinquants, dans des internats etc... Les expériences d’éducation en milieu ouvert qui ont pourtant fait leurs preuves risquent donc d’être abandonnées au profit de pratiques éducatives “enfermantes”. Or de nombreuses familles disposent de logements beaucoup trop exigus pour y garder toute la famille le mercredi et le week-end par exemple et il n’est nullement prouvé que le vase clos familial soit propice à un meilleur développement pour l’enfant. Les logements sociaux ne comportent d’ailleurs pratiquement pas d’appartements de plus de 5 pièces et le quota des 5 pièces est très faible. Il est fréquent de voir cohabiter dans un même appartement de 3 à 4 pièces maximum le couple de parents, leurs enfants âgés, mariés, avec leurs enfants et bien entendu leurs 3 ou 4 autres enfants plus jeunes. La tendance actuelle est de résidentialiser les ensembles de logements sociaux (mettre des barreaux et des codes partout), supprimer les espaces de jeux pour enfants, supprimer les allées de promenades et les bancs, créer des espaces fleuris protégés (pour que ce soit joli en regardant par la fenêtre) ; en sorte qu’il deviendra impossible de laisser ses enfants jouer devant la porte de l’immeuble en les surveillant de la fenêtre. Plus il y aura d’interdits (stationner dans les halls d’immeuble, se regrouper dans les allées des résidences), plus il y aura de parents “délinquants”. Cette même “tolérance zéro” s’applique désormais de plus en plus fréquemment dans les établissements scolaires où s’institue le pointage, le renvoi de la cantine pour non paiement à temps, où les espaces sont grillagés et où des caméras sont placées partout. “Si on s’asseoit derrière un arbre , on est puni parce qu’ils ne voient pas ce qu’on fait” racontait récemment l’élève d’un Collège d’une ville du Nord.

Démagogie et réforme en douceur

L’actuelle politique éducative se caractérise par une série de petites réformes destinées à modifier en profondeur l’école tout en contournant l’Education Nationale et le corps enseignant. On réforme mais à travers les lois d’orientation de la Justice et les lois de décentralisation.

On pratique enfin un discours démagogique à l’égard des enseignants (restauration de l’autorité, fin de l’égalitarisme) et des classes moyennes (obligation de résultats de l’école publique, éviction des élèves indisciplinés ou violents) tout en réaffirmant les fondements de l’école républicaine : primauté du scolaire, développement de la citoyenneté... Derrière le “bon sens” proverbial de Xavier Darcos qui déclarait récemment à des profs en grève pour cause de violences scolaires “qu’on ne choisit pas ses élèves”, se profile bien mais, l’air de rien, la restauration d’une école élitiste et sans ambitions sociales, une école alliant conservatisme, libéralisation et mise au pas des enseignants.

[1] Réunion interacadémique. Rouen. Septembre 2002

[2] Conférence de presse de Luc Ferry et Xavier Darcos, 2 Septembre 2002