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Comment la crise identitaire et sociale se cristallise sur l’école
Par MESSICA Fabienne le 8 mai 2005

Origine : http://www.reseau-ipam.org/article.php3?id_article=743&var_recherche=messica

La série de soubresauts qui secouent l’institution scolaire (échec scolaire, illettrisme, bilinguisme, sécuritarisme, laïcité, réhabilitation du colonialisme dans les programmes scolaires, traitement de la violence, du racisme et de l’antisémitisme, socle scolaire minimal) apparaît comme le symptôme d’une crise identitaire qui déplace les fractures classiques entre les partisans d’une école élitiste et les partisans d’une école « sociale ». Comment la crise identitaire et sociale s’est - elle cristallisée sur l’école et quelles en sont les conséquences ?

Depuis les années 60, le modèle républicain de l’école est soumis à de fortes pressions caractérisées par des évolutions contradictoires avec d’une part une poussée démocratique (allongement de la scolarité), d’autre part de nouvelles formes de ségrégation et sélection scolaires. Ségrégation, sélection sociale et discrimination résultent à la fois de causes externes comme la ségrégation urbaine, de causes sociétales (mais en lien avec le fonctionnement interne de l’Éducation Nationale) comme les stratégies parentales pour accéder à des établissements de bonne réputation ou l’usage coûteux de soutiens scolaires, enfin de causes internes au système scolaire comme la mise en place de filières, classes de niveau ou à options aux effets ségrégatifs. Ces évolutions font peser sur l’école des enjeux de nature à favoriser une territorialisation de l’action éducative en adaptant les différentes offres (aides aux devoirs, activités sportives, artistiques et culturelles, offre d’accueil) aux spécificités des territoires et de leurs habitants à travers les Contrats Éducatifs Locaux. Ces derniers sont fondés sur le principe de discrimination positive et visent une mobilisation de toute la communauté éducative (élus, Éducation Nationale, associations, parents d’élèves) autour des enjeux éducatifs. Cependant, le passage du Contrat Éducatif Local qui concerne des quartiers défavorisés au Projet Éducatif Local qui englobe toute la ville témoigne d’un déplacement des priorités déterminé par la volonté de retenir les classes moyennes et moins défavorisées dans le périmètre d’écoles désormais classées en fonction de la performance des élèves. L’articulation ou l’intégration des Contrats éducatifs locaux aux Contrats locaux de sécurité et les accords nationaux entre la Police et l’Éducation Nationale conduisent à des pratiques mêlant indistinctement la surveillance et la répression de l’absentéisme considérée comme relevant d’une forme de protection des mineurs, la sécurisation des écoles et l’ouverture de l’école à des opérations de Police pour des actes et des motifs sans rapport avec la vie dans les établissements (délits commis ailleurs ou expulsion de familles de sans -papiers) . Par ailleurs, toutes ces politiques motivées en partie par le souci de maintenir une relative mixité sociale dans les établissements se conjuguent avec une reproduction de la ségrégation mais à l’intérieur par le biais de filières et la promotion de classes d’excellence. Il s’agit d’endiguer la fuite des classes moins défavorisées dont les préoccupations deviennent celles des classes moyennes ou la fuite des classes moyennes quand elles habitent dans des périmètres à forte concentration de logement sociaux. Or, chacun sait que même au collège, les élèves se connaissent et se fréquentent entre eux principalement parce qu’ils sont de la même classe ou du même quartier (on se rend au collège ensemble par exemple). La ségrégation se reproduit d’autant plus aisément au collège que les élèves habitants les mêmes ensembles sociaux se retrouvent aussi dans les mêmes classes de niveau plus ou moins faibles. Pourtant, la création en 1981 des Zones d’Éducation Prioritaire inspirée par la politique de discrimination positive des Etats-Unis vise à corriger ces effets en obtenant par une augmentation de moyens dans les quartiers défavorisés une amélioration des résultats scolaires des élèves les plus en difficulté. On constate cependant en 2003 que les résultats des établissements en ZEP et en REP [1]restent sensiblement les mêmes. En fin de CM2, 35 % des élèves de ZEP sont classés dans les catégories les plus faibles tandis qu’au collège, ce pourcentage bien qu’encore élevé descend à 25, 7 %. À caractéristiques sociales égales, les chances de devenir bachelier des élèves scolarisés en ZEP et celles des élèves hors ZEP sont les mêmes. La politique de discrimination positive, accusée soit d’une insuffisance de moyens, soit d’être un investissement peu rentable, est menacée.

La Police à l’école

« La violence et la délinquance n’ont rien à faire à l’Ecole. Elles s’attaquent prioritairement aux plus faibles et aux plus démunis sur le plan social. Nous la combattrons sans aucun état d’âme, en nous inspirant de l’excellent rapport du sénateur Demuynck sur la violence à l’école qui énumère toute une série de mesures pour enrayer cet engrenage inacceptable. C’est notamment pourquoi j’ai décidé avec les ministres de l’intérieur et de la justice de multiplier les relations de travail entre l’établissement scolaire et les forces de police, de gendarmerie, la justice et les associations. Les élèves qui perturbent gravement le déroulement des classes seront pris en charge et encadrés par des dispositifs-relais dont le nombre sera accru. 200 classes relais de plus chaque année pendant 5 ans sont prévues, ce qui représente 13 Millions supplémentaires par an. » Discours de François Fillon. 15 Mars 2005 C’est seulement depuis les années 1993 [2]que la violence à l’école fait l’objet d’une politique de signalement d’abord (création du logiciel signa et obligation de déclaration par les chefs d’établissements de tous les actes de violence ou d’incivilité se déroulant dans l’établissement) et de mesures disciplinaires plus systématiques. Surtout, elle entre désormais clairement dans le cadre plus général de la prévention de la délinquance d’abord avec des Plans Départementaux dans les années 80-90, puis avec les Contrats Locaux de Sécurité adossés au Contrat Educatif Local. C’est dans ce contexte qu’en 1995 et 1996, deux circulaires précisent les modalités de collaboration entre l’école et la Police :
- Signalement systématique au Parquet de la non-fréquentation scolaire et de tous les actes de violence commis en milieu scolaire : l’absentéisme scolaire ente donc désormais dans le cadre de la Prévention de la délinquance
- Traitement en temps réel des procédures engagées pour des faits délictueux
- Information en retour par le parquet de la Police et de l’Éducation Nationale La coopération Police - Justice -Education s’appuie également sur la loi du 2 octobre 1998 et le protocole d’accord Education -Intérieur du 4 octobre 2004. La circulaire du 2 octobre 1998, renforce le partenariat avec la Justice, ce qui se traduit par une augmentation exponentielle de la saisine des juges des enfants au pénal : dans l’académie de Montpellier, par exemple, au cours de l’année scolaire 2003-2004, il y a eu plus de procédures en milieu scolaire en 3 mois qu’au cours des 10 années précédentes. Cependant de nombreux enseignants s’opposent à la présence d’un policier posté en permanence dans les établissements.

De plus en plus fréquente, l’intervention de la Police dans les établissements scolaires ne répond plus seulement à une demande des écoles. En 2004 et 2005, plusieurs interventions en témoignent : les policiers vont chercher dans une école maternelle un enfant ramené en France par la mère alors que la garde avait été confiée au père qui vivait à l’étranger, puis des enfants de parents sans papiers ou des mineurs étrangers isolés, enfin elle procède à des arrestations pour des actes commis à l’extérieur des établissements. Face à ces situations, le Réseau Education Sans Frontières regroupant de travailleurs sociaux, des associations et syndicats d’enseignants, de parents et de sans papiers, multiplie les protestations et occupations d’écoles, en particulier pour empêcher l’expulsion des enfants, de leurs familles et des jeunes.

Le 6 janvier 2005, suite à une circulaire émise par le garde des Sceaux le 3 janvier [3] , le Ministre de l’Intérieur, lance en accord avec l’Éducation Nationale une « opération nationale de sécurisation » aux abords des établissements scolaires de « quartiers sensibles ». Au programme : contrôles d’identité massifs, fouilles collectives avec chiens renifleurs. Syndicats de magistrats, enseignants et fédérations de parents d’élèves dénoncent énergiquement cette action qui s’inscrit dans une logique d’une coopération qui dépasse de loin l’objectif affiché de sécurisation des écoles.

Dans ce contexte, les lois Darcos - Perben - Sarkozy - Fillon constituent une rupture radicale avec les politiques de discrimination positive. Elles déclinent dans une même logique la restauration de l’autorité des enseignants (délits d’outrage à enseignant, « restauration » de la liberté pédagogique, retour des punitions collectives), la répression envers les familles (amendes et risques d’incarcération pour absentéisme scolaire, stages obligatoires de parentalité), la lutte contre l’illettrisme et l’échec scolaire. Les logiques de ré-appropriation par les collectivités locales des enjeux éducatifs sont désormais mises au service de deux priorités : la prise en charge de la délinquance (remise en cause du secret professionnel pour les acteurs de la prévention spécialisée par exemple) et la sécurisation des écoles. Le concept d’élèves « au centre de l’école » qui se serait substitué aux « savoirs au centre de l’école » est violemment dénoncé. C’est dans ce sens qu’on peut parler d’une crise identitaire d’autant plus paradoxale qu’elle rend finalement l’élève responsable des dangers qui pèsent sur l’école. Alors que le système est de plus en plus performant pour les catégories les plus favorisées qui sont « initiées au système » et dont le niveau progresse, ce sont une fois de plus les classes défavorisées qui sont doublement pénalisées : par l’échec scolaire [4] qui se maintient d’une part mais aussi par des mesures répressives et de remise en cause du collège à vocation unique...

Interrogé par le Nouvel Observateur [5] au sujet des mauvais résultats de la France dans la dernière enquête diligentée par l’OCDE en 2004 sur le système scolaire de 41 pays industrialisés (pays d’Europe, Canada, Japon, Etats-Unis), le directeur adjoint de l’Éducation Nationale Bernard Hugonnier observe que ces mauvaises performances sont liées à l’importance de l’écart de résultats entre les bons élèves (qui sont meilleurs en France que dans de nombreux pays étrangers) et les mauvais élèves dont les résultats sont beaucoup plus bas qu’à l’étranger : « On peut simplement observer que, dans les pays les plus performants, les élèves ont plaisir à apprendre, les relations avec les professeurs sont très bonnes, le climat est moins à la répression qu’à l’autodiscipline. Les enseignants se situent dans une optique d’accompagnement. Une chose est frappante : ces pays, Finlande, Japon, sont souvent des sociétés traditionnelles, avec des populations homogènes. Les textes, la hiérarchie, les maîtres y sont très respectés et leur autorité reconnue. C’est loin d’être toujours le cas en France... Le rejet de l’autorité ou de l’école s’observe avant tout dans les pays où l’intégration des populations immigrées est mal faite. Ne se sentant pas acceptés, les jeunes issus de l’immigration rejettent la culture qui refuse de les intégrer. L’intégration des étrangers et de ces jeunes est d’ailleurs un point essentiel pour la bonne marche d’un système scolaire...Croire qu’en « offrant » des voies différentes d’orientation, pour permettre à chaque élève de réussir selon ses moyens, est une illusion. De fait, ces systèmes de filières isolent les élèves faibles ou en difficulté. Résultat : les bons élèves progressent à peine plus, alors que les élèves moyens et les élèves plus faibles perdent beaucoup. Si bien qu’au final les performances de ces pays très sélectifs sont moyennes, et nettement moins bonnes que dans les pays où l’école est plus démocratique. Où l’on choisit de ne pas trier les élèves mais au contraire de favoriser au maximum la diversité dans les classes. C’est le cas par exemple en Finlande où, grâce à un suivi individualisé, l’hétérogénéité des classes est gérée au mieux. A contrario, l’Allemagne, qui trie plus tôt que nous encore et, dès le début du collège, oriente une partie de ses élèves vers des enseignements techniques et professionnels, obtient de mauvais scores ».

Comment en imputant aux carences familiales et aux familles d’origine étrangère l’échec scolaire et l’illettrisme, on justifie le maintien d’une école élitiste

La notion d’échec scolaire n’apparaît véritablement que dans les années soixante, soit une dizaine d’années après la publication du rapport Wallon commandé sous le Front Populaire à la « Commission de l’enfance déficiente ». Dans les années 50, l’échec scolaire est considéré comme une incohérence étudiée principalement sur les cas d’enfants bien classés aux tests de quotient intellectuel et dont les résultats scolaires sont mauvais. Mais c’est après la prolongation de l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans (réformes de 1959 et 1963) que la question de l’échec scolaire s’impose véritablement. L’ouvrage de Pierre Bourdieu et Jean -Claude Passeron, « Les héritiers » [6] montre le décalage entre l’objectif de faire progresser des élèves de milieux sociaux défavorisés et un fonctionnement et une pédagogie, en particulier dans le secondaire, destinés à une élite.

Dans les années 70 et 80, tous les efforts qui tendent vers une plus grande démocratisation de l’école visent un rapprochement entre la pédagogie et le public hétérogène des écoles et des collèges. Pendant cette période, l’allongement de la scolarité s’accompagne de l’accès à des emplois plus qualifiés. Mais avec la crise des années soixante-dix et la montée du chômage des jeunes, le débat sur l’échec scolaire rebondit sur l’école accusée de mal former les élèves. En outre, l’urbanisme favorise la concentration de logements sociaux dans des quartiers isolés des centres près desquels sont construits de grands collèges et lycées. Les effets de la ségrégation urbaine et de la discrimination scolaire par voie de filières et le classement des collèges en fonction de la réussite des élèves se traduisent par une géographie de la réussite et de l’échec scolaire qui détruit les acquis de la démocratisation.

La crise du collège « unique »

Pour comprendre le succès ultérieur du concept de l’illettrisme et la manière dont il va cautionner la remise en cause des objectifs égalitaires de l’école, il faut se resituer dans la perspective de la circulaire Jospin en 1989 qui vise à la fois une démocratisation de l’école et la généralisation de l’accès aux diplômes.

En 1989, avec la réforme mise en œuvre par Lionel Jospin et l’objectif de mener 80 % d’une classe d’âge au BAC, on voit apparaître la notion d’obligation de résultats pour l’école. En outre, l’orientation est repoussée de la 5e à la 3e favorisant le maintien dans les filières générales d’élèves autrefois orientés plus tôt. Cependant, l’inadaptation de l’enseignement à la massification, l’absence de dispositifs accompagnant la loi amplifient la querelle sur la pertinence du Collège unique qui maintient de toutes manières un système ségrégatif de filières simplement repoussé de deux ans. Le collège dit unique est accusé de faire baisser le niveau alors que toutes les études démontrent que le niveau des bons élèves progresse tandis que celui des élèves moyens se maintient. En revanche, le phénomène de décrochage scolaire est d’autant plus visible que la scolarité s’est allongée. Ce débat s’amplifie au fur et à mesure que la crise s’installe et avec elle, le chômage. Il débouche sur une réflexion sur l’illettrisme et ses causes qui se traduira ultérieurement par le concept de socle commun minimum de la Loi Fillon en 2005.

La redécouverte de l’illettrisme

Le concept d’illettrisme apparu dans les années 70 quand l’association ATD Quart-Monde constate que les personnes démunies dont elle s’occupe, bien que scolarisées antérieurement, n’ont pas acquis une connaissance suffisante de la langue pour l’utiliser aisément dans la vie quotidienne donne lieu en 1981 au rapport OHEIX intitulé : « Contre la précarité et la pauvreté : 60 propositions » . Le terme apparaît dans le dictionnaire Robert en 1983 puis en 1984, dans un rapport demandé par Pierre Mauroy intitulé : « Des illettrés en France ». Ce rapport débouchera sur la création du Groupe Permanent de lutte contre l’illettrisme (GPLI), un temps présidé par François Bayrou, futur ministre de l’Éducation Nationale.

Très vite, la redécouverte de l’illettrisme sert de caution à la remise en cause du collège unique. En l’absence de définition claire du phénomène, les conclusions de l’expert Alain Bentolia sont utilisées principalement pour dénoncer l’égalitarisme républicain incarné par l’école dite « unique ». En outre, comme selon le Ministère de la Justice « À leur entrée en maison d’arrêt, [7] près d’un quart des détenus sont en très grande difficulté par rapport à l’écrit », la préoccupation des pouvoirs publics vis-à-vis de l’illettrisme se déplace . Elle établit un lien entre illettrisme et délinquance comme ultérieurement, le rapport Bénisti associera délinquance et bilinguisme des enfants d’immigrés.

Les études les plus récentes [8] situent l’illettrisme dans une fourchette de 4 à 6%. 11 % des élèves français n’atteindraient que le niveau I, celui de tâches de lecture simple et de compréhension d’éléments simples et sans relations et 10 % des élèves d’une classe d’âge sortent aujourd’hui du collège sans qualification ni diplôme (contre 35 % en 1965). En outre, dans un contexte où la concurrence est vive sur le marché de l’emploi, l’échec scolaire se traduit par une exclusion sociale et professionnelle. Mais le plan contre l’illettrisme lancé en 2002 par Luc Ferry est surtout un moyen pour le Ministre de conspuer la démocratisation de l’école, la perte d’autorité de l’institution, les méthodes éducatives et scolaires qui se situent dans le sillage du mouvement Freinet et la méthode d’apprentissage de lecture dite « globale » (l’enfant reconnaît des syllabes et des mots sans épeler les lettres), laquelle très peu utilisée par les maîtres obtient de toute façon des résultats identiques à ceux obtenus par des méthodes traditionnelles. Preuve du peu d’intérêt pour l’enjeu pédagogique de la lutte contre l’illettrisme : on ne dispose aujourd’hui d’aucune évaluation de ce plan.

Le maintien du redoublement en France alors que dans la majorité des pays d’Europe, il n’existe pas et que de nombreuses études démontrent sa nocivité sauf dans certains cas et dans des classes précises, la 5e par exemple, montre d’ailleurs que ni l’autorité des maîtres, ni la liberté pédagogique ne sont en réalité menacée. En effet, les chiffres sont éloquents [9] : moins d’un élève redoublant le C.P. sur 10 obtient son baccalauréat en fin de parcours, 43 % des élèves redoublant le C.P et 30 % des élèves redoublant la 6e sortent de la scolarité soit prématurément soit sans diplôme. Enfin dans tous les pays qui ont aboli le redoublement, les performances des élèves à 15 ans sont supérieures à celles qui sont obtenues en France. Au primaire, en 40 ans le redoublement a certes beaucoup régressé : il est passé en C.P de 22 % à 7 % et au CM2 de 52 % à 20 %. Cependant, il s’agit bien d’un bastion puisque les deux ministres qui se succèdent, Luc Ferry et François Fillon, veulent tous deux supprimer le droit des parents à effectuer des recours contre les décisions de redoublement. Dans ce contexte, le redoublement semble moins répondre à des objectifs pédagogiques qu’à la volonté de montrer que l’école sanctionne, sélectionne et ne baisse pas ses exigences.

Le lien entre la lutte contre l’illettrisme imputé en toute mauvaise foi aux innovations pédagogiques et à la démocratisation de l’école, le maintien de procédures de sélection connues pour leur nocivité, la tendance à faire porter aux familles la responsabilité de l’échec scolaire, enfin l’articulation entre politiques éducatives et politiques sécuritaires témoigne d’une régression du droit à l’école pour tous au profit d’une série de mesures favorisant des processus d’exclusion et de pénalisation des élèves.

Le bilinguisme des populations immigrées.

En 2005, le pré-rapport sur la prévention de la délinquance du député UMP du Val-de-Marne et Maire de Villiers-sur-Marne Jacques Alain Benisti suscite une polémique. En effet, ce dernier établit un lien de causalité entre bilinguisme, échec scolaire et délinquance. Il vise ainsi le bilinguisme dans les langues de l’immigration non européenne. Interrogé le 9 mars 2005 par Africa.com, voici ce qu’il déclare : « La délinquance est majoritairement le fait des immigrés. Selon l’Observatoire national de la délinquance, il y a une augmentation impressionnante des délits commis par les jeunes issus de l’immigration. Je n’invente rien, les chiffres sont là. Sachant cela, deux solutions s’offrent à nous : soit on n’en parle pas, soit on règle le problème... Il ne s’agit en aucun cas de supprimer le bilinguisme. Mais le schéma est le suivant : sur une semaine complète, soit 168 h, un jeune d’origine étrangère entendra parler 28 h de français à l’école et 140 h du dialecte de son pays à la maison. Forcément, il va finir par connaître des difficultés scolaires et au bout du compte, décrocher, se replier sur lui-même. Ce qui entraînera encore une augmentation de son retard. Plus grave encore, non seulement ce jeune en difficulté fait des bêtises, mais il nuit aux autres élèves, les faisant même régresser. Mais à force de fustiger le cancre, de l’isoler, son besoin d’exister va trouver son épanouissement dans la délinquance. On peut d’ailleurs le constater par l’augmentation de la délinquance mineure depuis 1996. En ce qui concerne la langue, le jeune ne doit toutefois pas perdre de vue ses origines et son dialecte maternel, comme l’Arabe par exemple ou le " gambara " ...Dans ce pré-rapport, nous proposons la création d’une structure au sein de l’école, qui offrirait un programme d’alphabétisation et d’accompagnement des élèves difficiles par un personnel professionnel et adapté : pédopsychiatre, psychiatres, médecins scolaires, professeurs, etc. ...Ce programme pourrait éventuellement concerner les jeunes dyslexiques, les jeunes en situation familiale difficile ou en échec scolaire, mais resterait essentiellement basé sur les jeunes immigrés ... Le maire doit être au cœur du dispositif car il connaît sa population et les problématiques qui la concernent. Il interviendrait en cas de danger de mort, d’inceste, de pédophilie, etc. Les travailleurs sociaux devraient en conséquence partager leur secret avec lui : c’est la notion de secret partagé...Car les familles africaines ne reconnaissant qu’une autorité : " Le chef de la tribu ", en l’occurrence, le maire, qu’ils écoutent. Ce système éviterait bien des procédures longues et fastidieuses. »

En réponse à ce pré-rapport, plusieurs groupes de linguistes protestent contre des conclusions en contradiction avec toutes les recherches menées sur ces questions depuis des décennies [10] : « Si c’est d’abord comme citoyens que nous avons pris connaissance de ce texte, c’est ici en tant que professionnels de l’étude du langage, des langues et de leur apprentissage que nous réagissons à la lecture de ce document. Celui-ci ne pouvait nous laisser indifférents, tant il regorge de simplifications outrancières, de contrevérités et de pseudo - évidences.

Avant de proposer des mesures qui se veulent préventives, les rédacteurs se livrent à un examen, période par période et dès " le berceau ", du parcours type d’un jeune délinquant. Or, dans ce parcours type, le fait d’avoir des " parents d’origine étrangère " susceptibles d’utiliser " le parler patois du pays " à la maison constituerait, dans la chaîne des causes, le premier facteur potentiellement générateur de déviance. Les auteurs établissent ainsi d’emblée un lien implicite mais néanmoins direct entre bilinguisme et trajectoire déviante, tout en ciblant, par le recours à la désignation dévalorisante " parler patois du pays ", certains bilinguismes. Partant de ce postulat, ils préconisent que les parents s’obligent " à parler le français dans leur foyer pour habituer les enfants à n’avoir que cette langue pour s’exprimer " (p. 9). S’ensuit toute une série de mesures à mettre en œuvre dans le cas où les parents passeraient outre cette injonction première. Ces mesures médicalisent et partant, stigmatisent les pratiques langagières et les locuteurs, alors même que le rapport s’émeut plus loin des effets possibles de la stigmatisation sur les enfants en échec scolaire (p. 15).

D’un point de vue sociolinguistique, ces déclarations appellent plusieurs remarques : Il est indéniable que la maîtrise du français, langue de l’école et de la société est indispensable à l’insertion sociale des futurs citoyens. Mais, il n’en reste pas moins qu’assimiler, toujours de manière implicite, le bilinguisme à une pathologie et le mettre en rapport avec la délinquance est scientifiquement non fondé. En tant que linguistes, nous sommes en mesure d’affirmer, sur la base de nombreux travaux réalisés en France comme à l’étranger, depuis maintenant plus d’une trentaine d’années, que les choix de langues dans la communication familiale ne constituent pas en soi un facteur de risque.... »

Loin d’être « technique », le débat sur l’échec scolaire témoigne de la façon dont la critique du système scolaire, de la politique sociale et des phénomènes discriminatoires se déplace vers une responsabilisation et culpabilisation des familles socialement déshéritées et/ou d’origine étrangère. La question des moyens mis à disposition pour lutter contre cet échec scolaire, soit à « minima » en concentrant les efforts sur l’acquisition d’aptitudes de bases (loi Fillon) soit en adaptant le système à tous les élèves incluant ceux qui sont en difficulté n’oppose plus seulement ceux qui promeuvent une pédagogie différente, inspirée globalement par le mouvement Freinet, aux libéraux pour qui l’école doit s’adapter aux besoins économiques et former d’un côté les élites, de l’autre les employés et ouvriers. Car à travers l’affirmation d’une supériorité des pédagogies traditionnelles qui d’ailleurs ont toujours cours, ce n’est pas la « technicité » de la pédagogie qui est en cause mais bien le projet social de l’école.

C’est pourquoi, la remise en cause d’un enseignement homogène au profit d’une individualisation n’a pas la neutralité du bon sens à un moment où les mesures de compensation des inégalités sont abandonnées au profit de l’aggravation de la ségrégation par filière et de l’exclusion des voies nobles auquel conduit le BAC général. La loi Fillon qui se propose de développer la contractualisation (augmentation du nombre de contrats de réussite signés par les élèves et les parents), renforce la responsabilité des élèves et des parents dans l’éventuel échec scolaire. C’est l’abandon - au nom de l’individualisation - de tout projet de démocratie sociale et la destruction des droits collectifs que le mouvement lycéen, dans un isolement qui témoigne de la perte de repères politiques vis-à-vis de la question scolaire, a tenté de combattre.

La laïcité et les signes religieux à l’école

Dès 1989, la décision prise par trois jeunes filles de confession musulmane de se présenter dans leur collège coiffées d’un foulard islamique provoque l’une des plus importantes polémiques scolaires qui sera relancée de manière spectaculaire et très médiatisée en 2003-2004. Le 18 septembre 1989, les trois jeunes filles sont provisoirement exclues des cours par le proviseur. Après discussion avec l’Inspection, les parents et des associations, elles reprennent les cours au collège le 9 octobre. Elles sont autorisées à garder le foulardjusqu’à l’entrée en classe et doivent l’enlever pendant les cours. Mais dix jours plus tard, les trois collégiennes rompent leur accord en remettant leur foulard pendant les cours. Le proviseur les fait conduire en bibliothèque et l’affaire de Creil s’emballe dans une polémique largement médiatisée.

Il s’ensuit un débat sur la définition de la laïcité qui oppose partisans d’une laïcité « ouverte » et partisans d’une laïcité qui s’applique non seulement aux agents de l’Éducation Nationale mais également aux « usagers », c’est-à-dire les élèves. C’est la Ligue de l’Enseignement qui va lancer un grand chantier de réflexion aboutissant au concept de laïcité « plurielle ». La laïcité plurielle consiste à traiter de manière égale les différences culturelles et religieuses. En face, se développe un discours d’intégration définissant l’école comme le lieu où sont gommées les différences et les origines. Ces deux discours se réclament de la laïcité, de l’intégration et de l’égalité. Le 27 novembre 1989, le Conseil d’Etat rend l’avissuivant : « ...Le principe de la laïcité de l’enseignement public, qui est un des éléments de la laïcité de l’Etat et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit dispensé dans le respect d’une part de cette neutralité par les programmes et les enseignants et d’autre part de la liberté de conscience des élèves...La liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires... Dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestations de croyances religieuses... ».

Cependant, cette liberté s’exerce « dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité. » et « cet exercice peut être limité dans la mesure où il ferait obstacle à l’accomplissement des missions dévolues par le législateur au service public de l’éducation » . En outre, les élèves ne peuvent arborer « des signes d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou des autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public »

Ces définitions laissent une large marge d’interprétation : qu’est-ce qu’un signe « ostentatoire », « provocateur », quand commence le prosélytisme ? C’est pourquoi, dans les années qui suivent, le Conseil d’État est amené à se prononcer plusieurs fois sur des règlements intérieurs et les exclusions d’élèves qui en résultent. Dans plusieurs cas, les décisions d’exclusion d’élèves sont annulées mais dans certains cas, elles sont confirmées. Les décisions ne sont pas cohérentes entre elles.

La circulaire Bayrou du 20 septembre 1994 affirme quant à elle qu’il existe « des signes si ostentatoires que leurs significations est précisément de séparer certains élèves des règles de vie commune de l’école » et que « ces signes sont, en eux-mêmes, des éléments de prosélytisme ». C’est la première fois qu’une circulaire vise implicitement le port du foulard. Dans un communiqué publié le 1er décembre 1994, la Ligue des droits de l’Homme déclare : « Cette circulaire désigne, de fait, au nom de l’idéal laïque et nationale, une confession particulière comme source de tous les problèmes alors que d’autres manifestations religieuses sont tolérées au sein des établissements scolaires, dès lors qu’elles ne ressortent pas de l’Islam ».

L’affaire du voile au lycée Henry Wallon à Aubervilliers

À la rentrée 2003, deux jeunes filles, Lila et Alma, se présentent au Lycée Henri Wallon à Aubervilliers avec un voile islamique. Leur présence suscite de nombreux remous dans l’établissement, l’affaire est retransmise par la presse : s’ensuivent une série d’interventions, d’articles, de tracts opposant les professeurs de l’établissement qui ne sont pas d’accord entre eux mais aussi des associations qui interviennent ainsi que des intellectuels. Très vite, la situation aboutit à la réunion d’un Conseil de discipline le 10 octobre qui décide l’exclusion des deux élèves.

L’avocat des jeunes filles annonce sa décision de porter l’affaire devant le tribunal administratif tandis que le conseil français du culte musulman (CFCM) propose sa médiation dans les affaires de voile islamique à l’école. En visite à la Grande Mosquée de Paris, le Premier ministre estime alors que le débat ne doit être tranché "qu’en dernière extrémité" par une loi. Le gouvernement estime à 200 tout au plus le nombre d’élèves voilées en France. Cependant, durant plusieurs mois, l’affaire continue dans les médias : réactions des associations antiracistes et des droits de l’homme, communiqués d’enseignants, débats intellectuels. Cette affaire et sa médiatisation aboutiront à la mise en place de la Commission Stasi et à la promulgation d’une nouvelle loi interdisant les signes religieux « ostensibles » à l’école. Entre ces deux dates charnières (1989-2004), le débat a largement débordé la question scolaire en particulier autour des enjeux identitaires, historiques et concernant plus largement l’intégration.

Quelques repères historiques

La première loi de laïcisation concerne l’état civil avec l’instauration du mariage civil en 1787. Au moment de la Révolution française, la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 d’une part et d’autre part, la Constitution du 3 septembre 1791 consacrent le principe de liberté de conscience : « Nul ne peut être empêché d’exercer, en se conformant aux lois, le culte qu’il a choisi. » . Le Concordat de 1801va régir l’Eglise jusqu’en 1905 : le culte catholique, les deux principales Eglises protestantes et le culte israélite sont sous l’autorité d’un Ministère et d’un Budget des cultes. En 1879, à la veille des grandes lois laïques, sur 37 000 congréganistes enseignants, la moitié exerce dans les écoles primaires publiques. La laïcisation du corps enseignant n’en est qu’à ses débuts. Jules Ferry, appuyé par la Ligue de l’Enseignement, créée en 1866 par Jean Macé va instaurer graduellement la laïcité à l’école : gratuité et obligation de l’école primaire par deux lois successives promulguées le 16 juin 1881, le 28 mars 1882 et la loi organique du 30 octobre 1886. La laïcisation des programmes consiste à remplacer l’enseignement religieux à l’école publique par "l’instruction morale et religieuse » . Elle sera suivie par le remplacement progressif des membres des congrégations enseignantes dans les écoles publiques par du personnel laïque. La laïcisation de l’enseignement secondaire suit immédiatement mais dans l’enseignement supérieur, aucune réglementation ne voit le jour.

À côté des lois scolaires, une série de dispositions législatives vont mettre fin à toute influence de l’Eglise dans les services publics : suppression du caractère confessionnel des cimetières, établissement du divorce, suppression par la loi du 12 juillet 1880, du repos dominical, enfin vote de la loi du 7 juillet 1904 interdisant l’enseignement dans les écoles privées aux membres de toutes les congrégations, autorisées ou non.

Le 25 juillet 1904, c’est la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican aboutissant à la promulgation de la loi du 9 décembre 1905, avec l’article 2 qui stipule « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. » La neutralité de l’État vis-à-vis de la religion ne sera interrompue que par les lois de Vichy qui seront abrogées à la Libération à l’exception de la restauration des congrégations enseignantes.

Au plan constitutionnel, l’article 2 du 4 octobre 1958 déclare : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » .En ce qui concerne l’école publique, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 affirme : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. » L’ordonnance du 6 janvier 1959 fixe la limite des 16 ans révolus tandis que le décret du 30 août 1985 confie au règlement intérieur des établissements secondaires le soin de déterminer les modalités selon lesquelles seront mis en application le respect des principes de laïcité et de pluralisme (article 3, alinéa 1er). Pour l’enseignement supérieur public, sa laïcité est précisée par la loi du 26 janvier 1984, dite " loi Savary " par son article 3 : « Le service public de l’enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique... ». La loi du 31 décembre 1959 précise que l’enseignement religieux doit être dispensé hors des cours et de l’obligation scolaire.

La France est le seul Etat laïque de l’Union Européenne, c’est-à-dire qui connaît la séparation juridique totale de l’Eglise et de l’Etat. Certains pays sont placés sous le régime du Concordat avec le Vatican, d’autres, comme le Danemark ou le Royaume-Uni, ont une religion d’Etat. La France est le seul Etat dans lequel la religion est totalement exclue de l’école publique. Au plan juridique, l’article 55 de la Constitution de 1958 reconnaît aux traités et aux accords, régulièrement ratifiés ou approuvés, une valeur supérieure à celle de la loi interne et ceci dès leurs publications. Or, le droit international ne connaît pas la notion de laïcité et insiste sur la liberté religieuse. La France a ratifié plusieurs conventions qui reconnaissent cette liberté de manifester sa religion : il s’agit en particulier du Pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et plus récemment de la Convention internationale sur les droits de l’enfant.

Le rapport de la Commission Stasi

La commission Stasi auditionne pendant plusieurs mois les partisans et les opposants à une loi. Les premiers, proches des milieux enseignants ou de courants divers de droite et de gauche, parfois anti-racistes ou féministes, insistent sur la nécessité d’une loi pour éviter les recours contre les chefs d’établissements, considérant en outre le caractère exceptionnel de la laïcité française. Les seconds parmi lesquels des associations des Droits de l’homme, des associations des droits de l’enfant, des féministes, des associations anti-racistes et des associations de parents d’élèves s’appuient globalement sur les droits de l’enfant et de l’élève et s’opposent à toute loi qui se traduirait par l’exclusion des jeunes filles voilées.

Les syndicats enseignants sont divisés comme de nombreux partis et mouvements. Le syndicalisme enseignant actuel est le fruit, de plusieurs scissions à l’intérieur d’un syndicat d’origine, la FEN qui regroupe actuellement 140. 000 adhérents. Depuis 1992, le SNES et le SNEP ne sont plus affiliés à la FEN. De cette scission est née la Fédération Syndicale Unitaire (FSU) qui regroupe plusieurs syndicats dont principalement le SNES (80.000 adhérents), le SNEP, le SNETAA, le SNUIPP et totalise 160.000 adhérents en 1995.

La FEN revendique la nationalisation de l’enseignement et a fustigé la laïcité ouverte : elle est donc favorable à une loi interdisant tout signes religieux. La FSU se prononce majoritairement contre toutes dispositions aboutissant à des exclusions d’élèves. Le SGEN-CFDT considérant le voile comme un symbole inacceptable de soumission de la femme est favorable à la loi. La FCPE et les associations de défense des droits de l’homme et des droits de l’enfant s’opposent à toute loi se traduisant par des exclusions d’élèves.

Des droits collectifs des élèves à l’individualisation, de la criminalisation des familles à celle des identités collectives

Les débats qui se sont cristallisés autour de l’école peuvent se résumer à deux questions simples en apparence mais qui déterminent des fractures et configurations politiques complexes.

La première - l’échec scolaire, à qui la faute ? - s’est traduite de manière contradictoire par une responsabilisation individuelle et des familles et une crispation identitaire de l’école sur son identité (loi interdisant les signes religieux à l’école), par la « restauration » de l’autorité des enseignants et par l’application d’une politique sécuritaire à l’école. De nouvelles fractures apparaissent : les tenants d’une école plus égalitaire peuvent s’opposer à l’individualisation et à la méritocratie tout en approuvant aussi bien la loi contre les signes religieux à l’école (au nom justement de l’égalité) que la restauration de l’autorité de l’enseignant pour contrer le consumérisme parental. En réalité, ils s’arc-boutent à une vision de l’école « idéale » où la mixité sociale et ethnique justifieraient un enseignement et une organisation homogènes dans un objectif d’intégration et d’égalité qui se poseraient dans les mêmes termes qu’au XIXe siècle. Tout en s’opposant souvent à une politique répressive et d’exclusion envers les élèves, les tenants d’une école égalitaire sont souvent favorables à une politique autoritariste, voire répressive envers les parents. Or, comme le montrent les études sur la ségrégation scolaire, une politique visant une plus grande égalité face à l’école repose sur des processus internes et externes à l’école visant précisément à lutter contre cette ségrégation. Les libéraux peuvent quant à eux se montrer assez indifférents à l’égard des signes religieux mais favorables à la mise en place de filières dans lesquelles puiser les cadres de demain et les employés et ouvriers tous formés à l’obéissance et aux exigences de l’entreprise. Dans ce contexte, ils restent assez extérieurs au débat sur les religions ou sur la violence scolaire car l’école se présente à leurs yeux comme un marché.

La deuxième question concerne la mission d’intégration au sens large de l’école. Comment articuler la pluralité des histoires, cultures et origines avec la production d’une culture commune alors que ni les approches pédagogiques, ni les programmes n’incluent l’intégration et l’ouverture à l’histoire des autres ? Comment lutter contre les crispations identitaires alors même que l’école, se sentant menacée, donne le mauvais exemple ? Comment, dans un contexte de réhabilitation du colonialisme, comme en témoigne la loi du 23 février 2005 qui indique dans son article 4 que « les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite et que les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ... » assurer l’intégration de tous les élèves par la reconnaissance de leurs histoires singulières et de leur égalité et grâce au respect réciproque ?

Ce qui se joue aujourd’hui n’est pas la restauration d’une école qui n’est égalitaire que dans nos phantasmes mais sa re-fondation envers et contre les vents mauvais qui l’agitent. Il ne s’agit pas d’opposer les individualités à l’intérêt collectif, ce dernier étant socialement stratifié, mais de promouvoir à l’école une « démocratie sociale » reconnaissant les droits collectifs des élèves (droits au savoir, droits à la réussite, droits à l’expression) et les identités collectives (culturelles, religieuses, politiques) tout en luttant contre le clientélisme des intérêts économiques, des classes moyennes/supérieures ou de quelques groupes défendant des intérêts communautaires en les dissociant d’un projet social englobant tous les exclus de la réussite scolaire.

En réponse à l’échec scolaire, la politique d’éducation nationale n’a jusqu’ici que conforté ces clientélismes tout en offrant aux enseignants la restauration de valeurs républicaines au contenu implicitement identitaire. Or, l’impensé de l’échec scolaire, c’est aussi la coexistence d’histoires familiales, culturelles et identitaires qui sont collectives et singulières à la fois et s’intègrent à des appartenances sociales déterminant des intérêts et des luttes partagés . Les identités historiques, culturelles, religieuses, sexuelles et la spécificité des luttes qui s’y attachent (féminisme, lutte contre les discriminations) si elle ne se résorbent pas dans le concept de classes sociales ne peuvent pas davantage dissoudre les antagonismes de classes qui les traversent. C’est par la remise en jeu d’identités et d’appartenances sociales, métissées, en devenir, ne s’inscrivant pas dans une généalogie mais dans plusieurs que l’école pourra relever le défi d’une démocratie encore inexistante et d’une lutte authentique contre l’inégalité scolaire. La série de soubresauts qui secouent l’institution (échec scolaire, illettrisme, bilinguisme, sécuritarisme, laïcité, réhabilitation du colonialisme dans les programmes scolaires, traitement de la violence, du racisme et de l’antisémitisme) apparaît comme le symptôme d’une crise identitaire qui déplace les fractures classiques entre les partisans d’une école élitiste et les partisans d’une école « sociale ». En effet, les partisans d’une école élitiste ne s’opposent pas à la démocratisation de l’école, synonyme à leurs yeux - et dans les faits - d’un enseignement différent en fonction des catégories d’élèves soit dans des écoles, soit dans des classes différentes. En revanche, un courant de plus en plus important de partisans d’une école sociale favorisant la mixité associe le droit des élèves, le droit des parents et tous les acquis démocratiques de l’école à des logiques libérales alors que celles-ci sont effectivement à l’œuvre mais indépendamment de toute conquête démocratique. Dans sa défense de l’institution scolaire, de ses fondements républicains et au bout du compte de son autoritarisme, ce courant est de plus en plus perméable, en contradiction avec ses valeurs sociales, aux logiques sécuritaires. Ce faisant il renforce le courant élitiste - démocrate qui veut bien renoncer aux libertés collectives tant que la liberté individuelle qui triomphe avec le clientélisme n’est pas remise en cause.


[1] Réseaux d’Éducation Prioritaires

[2] Voir « la prévention et le traitement des violences dans les établissements scolaires » Séminaire ENA Promotion Averroès. Territoires et sécurité.

[3] Cette circulaire ordonne à la Justice de subordonner son action aux priorités déterminées par la police et dans le cadre de la lutte « contre les trafics et violences divers

[4] En témoigne le taux d’accès des enfants d’ouvriers aux grandes écoles qui est passé de 16 % environ il y a vingt ans à moins de 5 % aujourd’hui

[5] Semaine du jeudi 7 avril 2005 - n°2109

[6] Pierre Bourdieu, Jean-Pierre Passeron, Les héritiers, Paris, Ed. de Minuit, 1964

[7] Insee-première n°706 : « L’histoire familiale des détenus », avril 2000

[8] Voir à ce sujet : « Le traitement de la grande difficulté scolaire au collège et à la fin de la scolarité obligatoire » André Hussenet en collaboration avec Philippe Santane. Haut Conseil de l’Évaluation de l’école. N=° 13. Novembre 2004

[9] Ibid. Haut Conseil de l’Évaluation. Novembre 2004

[10] Réaction de l’Association des Linguistes de l’Enseignement Supérieur (ALES)