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Origine : http://www.reseau-ipam.org/article.php3?id_article=743&var_recherche=messica
La série de soubresauts qui secouent l’institution
scolaire (échec scolaire, illettrisme, bilinguisme, sécuritarisme,
laïcité, réhabilitation du colonialisme dans
les programmes scolaires, traitement de la violence, du racisme
et de l’antisémitisme, socle scolaire minimal) apparaît
comme le symptôme d’une crise identitaire qui déplace
les fractures classiques entre les partisans d’une école
élitiste et les partisans d’une école «
sociale ». Comment la crise identitaire et sociale s’est
- elle cristallisée sur l’école et quelles en
sont les conséquences ?
Depuis les années 60, le modèle républicain
de l’école est soumis à de fortes pressions
caractérisées par des évolutions contradictoires
avec d’une part une poussée démocratique (allongement
de la scolarité), d’autre part de nouvelles formes
de ségrégation et sélection scolaires. Ségrégation,
sélection sociale et discrimination résultent à
la fois de causes externes comme la ségrégation urbaine,
de causes sociétales (mais en lien avec le fonctionnement
interne de l’Éducation Nationale) comme les stratégies
parentales pour accéder à des établissements
de bonne réputation ou l’usage coûteux de soutiens
scolaires, enfin de causes internes au système scolaire comme
la mise en place de filières, classes de niveau ou à
options aux effets ségrégatifs. Ces évolutions
font peser sur l’école des enjeux de nature à
favoriser une territorialisation de l’action éducative
en adaptant les différentes offres (aides aux devoirs, activités
sportives, artistiques et culturelles, offre d’accueil) aux
spécificités des territoires et de leurs habitants
à travers les Contrats Éducatifs Locaux. Ces derniers
sont fondés sur le principe de discrimination positive et
visent une mobilisation de toute la communauté éducative
(élus, Éducation Nationale, associations, parents
d’élèves) autour des enjeux éducatifs.
Cependant, le passage du Contrat Éducatif Local qui concerne
des quartiers défavorisés au Projet Éducatif
Local qui englobe toute la ville témoigne d’un déplacement
des priorités déterminé par la volonté
de retenir les classes moyennes et moins défavorisées
dans le périmètre d’écoles désormais
classées en fonction de la performance des élèves.
L’articulation ou l’intégration des Contrats
éducatifs locaux aux Contrats locaux de sécurité
et les accords nationaux entre la Police et l’Éducation
Nationale conduisent à des pratiques mêlant indistinctement
la surveillance et la répression de l’absentéisme
considérée comme relevant d’une forme de protection
des mineurs, la sécurisation des écoles et l’ouverture
de l’école à des opérations de Police
pour des actes et des motifs sans rapport avec la vie dans les établissements
(délits commis ailleurs ou expulsion de familles de sans
-papiers) . Par ailleurs, toutes ces politiques motivées
en partie par le souci de maintenir une relative mixité sociale
dans les établissements se conjuguent avec une reproduction
de la ségrégation mais à l’intérieur
par le biais de filières et la promotion de classes d’excellence.
Il s’agit d’endiguer la fuite des classes moins défavorisées
dont les préoccupations deviennent celles des classes moyennes
ou la fuite des classes moyennes quand elles habitent dans des périmètres
à forte concentration de logement sociaux. Or, chacun sait
que même au collège, les élèves se connaissent
et se fréquentent entre eux principalement parce qu’ils
sont de la même classe ou du même quartier (on se rend
au collège ensemble par exemple). La ségrégation
se reproduit d’autant plus aisément au collège
que les élèves habitants les mêmes ensembles
sociaux se retrouvent aussi dans les mêmes classes de niveau
plus ou moins faibles. Pourtant, la création en 1981 des
Zones d’Éducation Prioritaire inspirée par la
politique de discrimination positive des Etats-Unis vise à
corriger ces effets en obtenant par une augmentation de moyens dans
les quartiers défavorisés une amélioration
des résultats scolaires des élèves les plus
en difficulté. On constate cependant en 2003 que les résultats
des établissements en ZEP et en REP [1]restent sensiblement
les mêmes. En fin de CM2, 35 % des élèves de
ZEP sont classés dans les catégories les plus faibles
tandis qu’au collège, ce pourcentage bien qu’encore
élevé descend à 25, 7 %. À caractéristiques
sociales égales, les chances de devenir bachelier des élèves
scolarisés en ZEP et celles des élèves hors
ZEP sont les mêmes. La politique de discrimination positive,
accusée soit d’une insuffisance de moyens, soit d’être
un investissement peu rentable, est menacée.
La Police à l’école
« La violence et la délinquance n’ont rien à
faire à l’Ecole. Elles s’attaquent prioritairement
aux plus faibles et aux plus démunis sur le plan social.
Nous la combattrons sans aucun état d’âme, en
nous inspirant de l’excellent rapport du sénateur Demuynck
sur la violence à l’école qui énumère
toute une série de mesures pour enrayer cet engrenage inacceptable.
C’est notamment pourquoi j’ai décidé avec
les ministres de l’intérieur et de la justice de multiplier
les relations de travail entre l’établissement scolaire
et les forces de police, de gendarmerie, la justice et les associations.
Les élèves qui perturbent gravement le déroulement
des classes seront pris en charge et encadrés par des dispositifs-relais
dont le nombre sera accru. 200 classes relais de plus chaque année
pendant 5 ans sont prévues, ce qui représente 13 Millions
supplémentaires par an. » Discours de François
Fillon. 15 Mars 2005 C’est seulement depuis les années
1993 [2]que la violence à l’école fait l’objet
d’une politique de signalement d’abord (création
du logiciel signa et obligation de déclaration par les chefs
d’établissements de tous les actes de violence ou d’incivilité
se déroulant dans l’établissement) et de mesures
disciplinaires plus systématiques. Surtout, elle entre désormais
clairement dans le cadre plus général de la prévention
de la délinquance d’abord avec des Plans Départementaux
dans les années 80-90, puis avec les Contrats Locaux de Sécurité
adossés au Contrat Educatif Local. C’est dans ce contexte
qu’en 1995 et 1996, deux circulaires précisent les
modalités de collaboration entre l’école et
la Police :
- Signalement systématique au Parquet de la non-fréquentation
scolaire et de tous les actes de violence commis en milieu scolaire
: l’absentéisme scolaire ente donc désormais
dans le cadre de la Prévention de la délinquance
- Traitement en temps réel des procédures engagées
pour des faits délictueux
- Information en retour par le parquet de la Police et de l’Éducation
Nationale La coopération Police - Justice -Education s’appuie
également sur la loi du 2 octobre 1998 et le protocole d’accord
Education -Intérieur du 4 octobre 2004. La circulaire du
2 octobre 1998, renforce le partenariat avec la Justice, ce qui
se traduit par une augmentation exponentielle de la saisine des
juges des enfants au pénal : dans l’académie
de Montpellier, par exemple, au cours de l’année scolaire
2003-2004, il y a eu plus de procédures en milieu scolaire
en 3 mois qu’au cours des 10 années précédentes.
Cependant de nombreux enseignants s’opposent à la présence
d’un policier posté en permanence dans les établissements.
De plus en plus fréquente, l’intervention de la Police
dans les établissements scolaires ne répond plus seulement
à une demande des écoles. En 2004 et 2005, plusieurs
interventions en témoignent : les policiers vont chercher
dans une école maternelle un enfant ramené en France
par la mère alors que la garde avait été confiée
au père qui vivait à l’étranger, puis
des enfants de parents sans papiers ou des mineurs étrangers
isolés, enfin elle procède à des arrestations
pour des actes commis à l’extérieur des établissements.
Face à ces situations, le Réseau Education Sans Frontières
regroupant de travailleurs sociaux, des associations et syndicats
d’enseignants, de parents et de sans papiers, multiplie les
protestations et occupations d’écoles, en particulier
pour empêcher l’expulsion des enfants, de leurs familles
et des jeunes.
Le 6 janvier 2005, suite à une circulaire émise par
le garde des Sceaux le 3 janvier [3] , le Ministre de l’Intérieur,
lance en accord avec l’Éducation Nationale une «
opération nationale de sécurisation » aux abords
des établissements scolaires de « quartiers sensibles
». Au programme : contrôles d’identité
massifs, fouilles collectives avec chiens renifleurs. Syndicats
de magistrats, enseignants et fédérations de parents
d’élèves dénoncent énergiquement
cette action qui s’inscrit dans une logique d’une coopération
qui dépasse de loin l’objectif affiché de sécurisation
des écoles.
Dans ce contexte, les lois Darcos - Perben - Sarkozy - Fillon constituent
une rupture radicale avec les politiques de discrimination positive.
Elles déclinent dans une même logique la restauration
de l’autorité des enseignants (délits d’outrage
à enseignant, « restauration » de la liberté
pédagogique, retour des punitions collectives), la répression
envers les familles (amendes et risques d’incarcération
pour absentéisme scolaire, stages obligatoires de parentalité),
la lutte contre l’illettrisme et l’échec scolaire.
Les logiques de ré-appropriation par les collectivités
locales des enjeux éducatifs sont désormais mises
au service de deux priorités : la prise en charge de la délinquance
(remise en cause du secret professionnel pour les acteurs de la
prévention spécialisée par exemple) et la sécurisation
des écoles. Le concept d’élèves «
au centre de l’école » qui se serait substitué
aux « savoirs au centre de l’école » est
violemment dénoncé. C’est dans ce sens qu’on
peut parler d’une crise identitaire d’autant plus paradoxale
qu’elle rend finalement l’élève responsable
des dangers qui pèsent sur l’école. Alors que
le système est de plus en plus performant pour les catégories
les plus favorisées qui sont « initiées au système
» et dont le niveau progresse, ce sont une fois de plus les
classes défavorisées qui sont doublement pénalisées
: par l’échec scolaire [4] qui se maintient d’une
part mais aussi par des mesures répressives et de remise
en cause du collège à vocation unique...
Interrogé par le Nouvel Observateur [5] au sujet des mauvais
résultats de la France dans la dernière enquête
diligentée par l’OCDE en 2004 sur le système
scolaire de 41 pays industrialisés (pays d’Europe,
Canada, Japon, Etats-Unis), le directeur adjoint de l’Éducation
Nationale Bernard Hugonnier observe que ces mauvaises performances
sont liées à l’importance de l’écart
de résultats entre les bons élèves (qui sont
meilleurs en France que dans de nombreux pays étrangers)
et les mauvais élèves dont les résultats sont
beaucoup plus bas qu’à l’étranger : «
On peut simplement observer que, dans les pays les plus performants,
les élèves ont plaisir à apprendre, les relations
avec les professeurs sont très bonnes, le climat est moins
à la répression qu’à l’autodiscipline.
Les enseignants se situent dans une optique d’accompagnement.
Une chose est frappante : ces pays, Finlande, Japon, sont souvent
des sociétés traditionnelles, avec des populations
homogènes. Les textes, la hiérarchie, les maîtres
y sont très respectés et leur autorité reconnue.
C’est loin d’être toujours le cas en France...
Le rejet de l’autorité ou de l’école s’observe
avant tout dans les pays où l’intégration des
populations immigrées est mal faite. Ne se sentant pas acceptés,
les jeunes issus de l’immigration rejettent la culture qui
refuse de les intégrer. L’intégration des étrangers
et de ces jeunes est d’ailleurs un point essentiel pour la
bonne marche d’un système scolaire...Croire qu’en
« offrant » des voies différentes d’orientation,
pour permettre à chaque élève de réussir
selon ses moyens, est une illusion. De fait, ces systèmes
de filières isolent les élèves faibles ou en
difficulté. Résultat : les bons élèves
progressent à peine plus, alors que les élèves
moyens et les élèves plus faibles perdent beaucoup.
Si bien qu’au final les performances de ces pays très
sélectifs sont moyennes, et nettement moins bonnes que dans
les pays où l’école est plus démocratique.
Où l’on choisit de ne pas trier les élèves
mais au contraire de favoriser au maximum la diversité dans
les classes. C’est le cas par exemple en Finlande où,
grâce à un suivi individualisé, l’hétérogénéité
des classes est gérée au mieux. A contrario, l’Allemagne,
qui trie plus tôt que nous encore et, dès le début
du collège, oriente une partie de ses élèves
vers des enseignements techniques et professionnels, obtient de
mauvais scores ».
Comment en imputant aux carences familiales et aux familles d’origine
étrangère l’échec scolaire et l’illettrisme,
on justifie le maintien d’une école élitiste
La notion d’échec scolaire n’apparaît
véritablement que dans les années soixante, soit une
dizaine d’années après la publication du rapport
Wallon commandé sous le Front Populaire à la «
Commission de l’enfance déficiente ». Dans les
années 50, l’échec scolaire est considéré
comme une incohérence étudiée principalement
sur les cas d’enfants bien classés aux tests de quotient
intellectuel et dont les résultats scolaires sont mauvais.
Mais c’est après la prolongation de l’obligation
scolaire jusqu’à 16 ans (réformes de 1959 et
1963) que la question de l’échec scolaire s’impose
véritablement. L’ouvrage de Pierre Bourdieu et Jean
-Claude Passeron, « Les héritiers » [6] montre
le décalage entre l’objectif de faire progresser des
élèves de milieux sociaux défavorisés
et un fonctionnement et une pédagogie, en particulier dans
le secondaire, destinés à une élite.
Dans les années 70 et 80, tous les efforts qui tendent vers
une plus grande démocratisation de l’école visent
un rapprochement entre la pédagogie et le public hétérogène
des écoles et des collèges. Pendant cette période,
l’allongement de la scolarité s’accompagne de
l’accès à des emplois plus qualifiés.
Mais avec la crise des années soixante-dix et la montée
du chômage des jeunes, le débat sur l’échec
scolaire rebondit sur l’école accusée de mal
former les élèves. En outre, l’urbanisme favorise
la concentration de logements sociaux dans des quartiers isolés
des centres près desquels sont construits de grands collèges
et lycées. Les effets de la ségrégation urbaine
et de la discrimination scolaire par voie de filières et
le classement des collèges en fonction de la réussite
des élèves se traduisent par une géographie
de la réussite et de l’échec scolaire qui détruit
les acquis de la démocratisation.
La crise du collège « unique »
Pour comprendre le succès ultérieur du concept de
l’illettrisme et la manière dont il va cautionner la
remise en cause des objectifs égalitaires de l’école,
il faut se resituer dans la perspective de la circulaire Jospin
en 1989 qui vise à la fois une démocratisation de
l’école et la généralisation de l’accès
aux diplômes.
En 1989, avec la réforme mise en œuvre par Lionel Jospin
et l’objectif de mener 80 % d’une classe d’âge
au BAC, on voit apparaître la notion d’obligation de
résultats pour l’école. En outre, l’orientation
est repoussée de la 5e à la 3e favorisant le maintien
dans les filières générales d’élèves
autrefois orientés plus tôt. Cependant, l’inadaptation
de l’enseignement à la massification, l’absence
de dispositifs accompagnant la loi amplifient la querelle sur la
pertinence du Collège unique qui maintient de toutes manières
un système ségrégatif de filières simplement
repoussé de deux ans. Le collège dit unique est accusé
de faire baisser le niveau alors que toutes les études démontrent
que le niveau des bons élèves progresse tandis que
celui des élèves moyens se maintient. En revanche,
le phénomène de décrochage scolaire est d’autant
plus visible que la scolarité s’est allongée.
Ce débat s’amplifie au fur et à mesure que la
crise s’installe et avec elle, le chômage. Il débouche
sur une réflexion sur l’illettrisme et ses causes qui
se traduira ultérieurement par le concept de socle commun
minimum de la Loi Fillon en 2005.
La redécouverte de l’illettrisme
Le concept d’illettrisme apparu dans les années 70
quand l’association ATD Quart-Monde constate que les personnes
démunies dont elle s’occupe, bien que scolarisées
antérieurement, n’ont pas acquis une connaissance suffisante
de la langue pour l’utiliser aisément dans la vie quotidienne
donne lieu en 1981 au rapport OHEIX intitulé : « Contre
la précarité et la pauvreté : 60 propositions
» . Le terme apparaît dans le dictionnaire Robert en
1983 puis en 1984, dans un rapport demandé par Pierre Mauroy
intitulé : « Des illettrés en France ».
Ce rapport débouchera sur la création du Groupe Permanent
de lutte contre l’illettrisme (GPLI), un temps présidé
par François Bayrou, futur ministre de l’Éducation
Nationale.
Très vite, la redécouverte de l’illettrisme
sert de caution à la remise en cause du collège unique.
En l’absence de définition claire du phénomène,
les conclusions de l’expert Alain Bentolia sont utilisées
principalement pour dénoncer l’égalitarisme
républicain incarné par l’école dite
« unique ». En outre, comme selon le Ministère
de la Justice « À leur entrée en maison d’arrêt,
[7] près d’un quart des détenus sont en très
grande difficulté par rapport à l’écrit
», la préoccupation des pouvoirs publics vis-à-vis
de l’illettrisme se déplace . Elle établit un
lien entre illettrisme et délinquance comme ultérieurement,
le rapport Bénisti associera délinquance et bilinguisme
des enfants d’immigrés.
Les études les plus récentes [8] situent l’illettrisme
dans une fourchette de 4 à 6%. 11 % des élèves
français n’atteindraient que le niveau I, celui de
tâches de lecture simple et de compréhension d’éléments
simples et sans relations et 10 % des élèves d’une
classe d’âge sortent aujourd’hui du collège
sans qualification ni diplôme (contre 35 % en 1965). En outre,
dans un contexte où la concurrence est vive sur le marché
de l’emploi, l’échec scolaire se traduit par
une exclusion sociale et professionnelle. Mais le plan contre l’illettrisme
lancé en 2002 par Luc Ferry est surtout un moyen pour le
Ministre de conspuer la démocratisation de l’école,
la perte d’autorité de l’institution, les méthodes
éducatives et scolaires qui se situent dans le sillage du
mouvement Freinet et la méthode d’apprentissage de
lecture dite « globale » (l’enfant reconnaît
des syllabes et des mots sans épeler les lettres), laquelle
très peu utilisée par les maîtres obtient de
toute façon des résultats identiques à ceux
obtenus par des méthodes traditionnelles. Preuve du peu d’intérêt
pour l’enjeu pédagogique de la lutte contre l’illettrisme
: on ne dispose aujourd’hui d’aucune évaluation
de ce plan.
Le maintien du redoublement en France alors que dans la majorité
des pays d’Europe, il n’existe pas et que de nombreuses
études démontrent sa nocivité sauf dans certains
cas et dans des classes précises, la 5e par exemple, montre
d’ailleurs que ni l’autorité des maîtres,
ni la liberté pédagogique ne sont en réalité
menacée. En effet, les chiffres sont éloquents [9]
: moins d’un élève redoublant le C.P. sur 10
obtient son baccalauréat en fin de parcours, 43 % des élèves
redoublant le C.P et 30 % des élèves redoublant la
6e sortent de la scolarité soit prématurément
soit sans diplôme. Enfin dans tous les pays qui ont aboli
le redoublement, les performances des élèves à
15 ans sont supérieures à celles qui sont obtenues
en France. Au primaire, en 40 ans le redoublement a certes beaucoup
régressé : il est passé en C.P de 22 % à
7 % et au CM2 de 52 % à 20 %. Cependant, il s’agit
bien d’un bastion puisque les deux ministres qui se succèdent,
Luc Ferry et François Fillon, veulent tous deux supprimer
le droit des parents à effectuer des recours contre les décisions
de redoublement. Dans ce contexte, le redoublement semble moins
répondre à des objectifs pédagogiques qu’à
la volonté de montrer que l’école sanctionne,
sélectionne et ne baisse pas ses exigences.
Le lien entre la lutte contre l’illettrisme imputé
en toute mauvaise foi aux innovations pédagogiques et à
la démocratisation de l’école, le maintien de
procédures de sélection connues pour leur nocivité,
la tendance à faire porter aux familles la responsabilité
de l’échec scolaire, enfin l’articulation entre
politiques éducatives et politiques sécuritaires témoigne
d’une régression du droit à l’école
pour tous au profit d’une série de mesures favorisant
des processus d’exclusion et de pénalisation des élèves.
Le bilinguisme des populations immigrées.
En 2005, le pré-rapport sur la prévention de la délinquance
du député UMP du Val-de-Marne et Maire de Villiers-sur-Marne
Jacques Alain Benisti suscite une polémique. En effet, ce
dernier établit un lien de causalité entre bilinguisme,
échec scolaire et délinquance. Il vise ainsi le bilinguisme
dans les langues de l’immigration non européenne. Interrogé
le 9 mars 2005 par Africa.com, voici ce qu’il déclare
: « La délinquance est majoritairement le fait des
immigrés. Selon l’Observatoire national de la délinquance,
il y a une augmentation impressionnante des délits commis
par les jeunes issus de l’immigration. Je n’invente
rien, les chiffres sont là. Sachant cela, deux solutions
s’offrent à nous : soit on n’en parle pas, soit
on règle le problème... Il ne s’agit en aucun
cas de supprimer le bilinguisme. Mais le schéma est le suivant
: sur une semaine complète, soit 168 h, un jeune d’origine
étrangère entendra parler 28 h de français
à l’école et 140 h du dialecte de son pays à
la maison. Forcément, il va finir par connaître des
difficultés scolaires et au bout du compte, décrocher,
se replier sur lui-même. Ce qui entraînera encore une
augmentation de son retard. Plus grave encore, non seulement ce
jeune en difficulté fait des bêtises, mais il nuit
aux autres élèves, les faisant même régresser.
Mais à force de fustiger le cancre, de l’isoler, son
besoin d’exister va trouver son épanouissement dans
la délinquance. On peut d’ailleurs le constater par
l’augmentation de la délinquance mineure depuis 1996.
En ce qui concerne la langue, le jeune ne doit toutefois pas perdre
de vue ses origines et son dialecte maternel, comme l’Arabe
par exemple ou le " gambara " ...Dans ce pré-rapport,
nous proposons la création d’une structure au sein
de l’école, qui offrirait un programme d’alphabétisation
et d’accompagnement des élèves difficiles par
un personnel professionnel et adapté : pédopsychiatre,
psychiatres, médecins scolaires, professeurs, etc. ...Ce
programme pourrait éventuellement concerner les jeunes dyslexiques,
les jeunes en situation familiale difficile ou en échec scolaire,
mais resterait essentiellement basé sur les jeunes immigrés
... Le maire doit être au cœur du dispositif car il connaît
sa population et les problématiques qui la concernent. Il
interviendrait en cas de danger de mort, d’inceste, de pédophilie,
etc. Les travailleurs sociaux devraient en conséquence partager
leur secret avec lui : c’est la notion de secret partagé...Car
les familles africaines ne reconnaissant qu’une autorité
: " Le chef de la tribu ", en l’occurrence, le maire,
qu’ils écoutent. Ce système éviterait
bien des procédures longues et fastidieuses. »
En réponse à ce pré-rapport, plusieurs groupes
de linguistes protestent contre des conclusions en contradiction
avec toutes les recherches menées sur ces questions depuis
des décennies [10] : « Si c’est d’abord
comme citoyens que nous avons pris connaissance de ce texte, c’est
ici en tant que professionnels de l’étude du langage,
des langues et de leur apprentissage que nous réagissons
à la lecture de ce document. Celui-ci ne pouvait nous laisser
indifférents, tant il regorge de simplifications outrancières,
de contrevérités et de pseudo - évidences.
Avant de proposer des mesures qui se veulent préventives,
les rédacteurs se livrent à un examen, période
par période et dès " le berceau ", du parcours
type d’un jeune délinquant. Or, dans ce parcours type,
le fait d’avoir des " parents d’origine étrangère
" susceptibles d’utiliser " le parler patois du
pays " à la maison constituerait, dans la chaîne
des causes, le premier facteur potentiellement générateur
de déviance. Les auteurs établissent ainsi d’emblée
un lien implicite mais néanmoins direct entre bilinguisme
et trajectoire déviante, tout en ciblant, par le recours
à la désignation dévalorisante " parler
patois du pays ", certains bilinguismes. Partant de ce postulat,
ils préconisent que les parents s’obligent " à
parler le français dans leur foyer pour habituer les enfants
à n’avoir que cette langue pour s’exprimer "
(p. 9). S’ensuit toute une série de mesures à
mettre en œuvre dans le cas où les parents passeraient
outre cette injonction première. Ces mesures médicalisent
et partant, stigmatisent les pratiques langagières et les
locuteurs, alors même que le rapport s’émeut
plus loin des effets possibles de la stigmatisation sur les enfants
en échec scolaire (p. 15).
D’un point de vue sociolinguistique, ces déclarations
appellent plusieurs remarques : Il est indéniable que la
maîtrise du français, langue de l’école
et de la société est indispensable à l’insertion
sociale des futurs citoyens. Mais, il n’en reste pas moins
qu’assimiler, toujours de manière implicite, le bilinguisme
à une pathologie et le mettre en rapport avec la délinquance
est scientifiquement non fondé. En tant que linguistes, nous
sommes en mesure d’affirmer, sur la base de nombreux travaux
réalisés en France comme à l’étranger,
depuis maintenant plus d’une trentaine d’années,
que les choix de langues dans la communication familiale ne constituent
pas en soi un facteur de risque.... »
Loin d’être « technique », le débat
sur l’échec scolaire témoigne de la façon
dont la critique du système scolaire, de la politique sociale
et des phénomènes discriminatoires se déplace
vers une responsabilisation et culpabilisation des familles socialement
déshéritées et/ou d’origine étrangère.
La question des moyens mis à disposition pour lutter contre
cet échec scolaire, soit à « minima »
en concentrant les efforts sur l’acquisition d’aptitudes
de bases (loi Fillon) soit en adaptant le système à
tous les élèves incluant ceux qui sont en difficulté
n’oppose plus seulement ceux qui promeuvent une pédagogie
différente, inspirée globalement par le mouvement
Freinet, aux libéraux pour qui l’école doit
s’adapter aux besoins économiques et former d’un
côté les élites, de l’autre les employés
et ouvriers. Car à travers l’affirmation d’une
supériorité des pédagogies traditionnelles
qui d’ailleurs ont toujours cours, ce n’est pas la «
technicité » de la pédagogie qui est en cause
mais bien le projet social de l’école.
C’est pourquoi, la remise en cause d’un enseignement
homogène au profit d’une individualisation n’a
pas la neutralité du bon sens à un moment où
les mesures de compensation des inégalités sont abandonnées
au profit de l’aggravation de la ségrégation
par filière et de l’exclusion des voies nobles auquel
conduit le BAC général. La loi Fillon qui se propose
de développer la contractualisation (augmentation du nombre
de contrats de réussite signés par les élèves
et les parents), renforce la responsabilité des élèves
et des parents dans l’éventuel échec scolaire.
C’est l’abandon - au nom de l’individualisation
- de tout projet de démocratie sociale et la destruction
des droits collectifs que le mouvement lycéen, dans un isolement
qui témoigne de la perte de repères politiques vis-à-vis
de la question scolaire, a tenté de combattre.
La laïcité et les signes religieux à l’école
Dès 1989, la décision prise par trois jeunes filles
de confession musulmane de se présenter dans leur collège
coiffées d’un foulard islamique provoque l’une
des plus importantes polémiques scolaires qui sera relancée
de manière spectaculaire et très médiatisée
en 2003-2004. Le 18 septembre 1989, les trois jeunes filles sont
provisoirement exclues des cours par le proviseur. Après
discussion avec l’Inspection, les parents et des associations,
elles reprennent les cours au collège le 9 octobre. Elles
sont autorisées à garder le foulardjusqu’à
l’entrée en classe et doivent l’enlever pendant
les cours. Mais dix jours plus tard, les trois collégiennes
rompent leur accord en remettant leur foulard pendant les cours.
Le proviseur les fait conduire en bibliothèque et l’affaire
de Creil s’emballe dans une polémique largement médiatisée.
Il s’ensuit un débat sur la définition de la
laïcité qui oppose partisans d’une laïcité
« ouverte » et partisans d’une laïcité
qui s’applique non seulement aux agents de l’Éducation
Nationale mais également aux « usagers », c’est-à-dire
les élèves. C’est la Ligue de l’Enseignement
qui va lancer un grand chantier de réflexion aboutissant
au concept de laïcité « plurielle ». La
laïcité plurielle consiste à traiter de manière
égale les différences culturelles et religieuses.
En face, se développe un discours d’intégration
définissant l’école comme le lieu où
sont gommées les différences et les origines. Ces
deux discours se réclament de la laïcité, de
l’intégration et de l’égalité.
Le 27 novembre 1989, le Conseil d’Etat rend l’avissuivant
: « ...Le principe de la laïcité de l’enseignement
public, qui est un des éléments de la laïcité
de l’Etat et de la neutralité de l’ensemble des
services publics, impose que l’enseignement soit dispensé
dans le respect d’une part de cette neutralité par
les programmes et les enseignants et d’autre part de la liberté
de conscience des élèves...La liberté ainsi
reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer
et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur
des établissements scolaires... Dans les établissements
scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels
ils entendent manifester leur appartenance à une religion
n’est pas par lui-même incompatible avec le principe
de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice
de la liberté d’expression et de manifestations de
croyances religieuses... ».
Cependant, cette liberté s’exerce « dans le
respect du pluralisme et de la liberté d’autrui, et
sans qu’il soit porté atteinte aux activités
d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation
d’assiduité. » et « cet exercice peut être
limité dans la mesure où il ferait obstacle à
l’accomplissement des missions dévolues par le législateur
au service public de l’éducation » . En outre,
les élèves ne peuvent arborer « des signes d’appartenance
religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles
ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou
par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient
un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de
propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à
la liberté de l’élève ou des autres membres
de la communauté éducative, compromettraient leur
santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement
des activités d’enseignement et le rôle éducatif
des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement
ou le fonctionnement normal du service public »
Ces définitions laissent une large marge d’interprétation
: qu’est-ce qu’un signe « ostentatoire »,
« provocateur », quand commence le prosélytisme
? C’est pourquoi, dans les années qui suivent, le Conseil
d’État est amené à se prononcer plusieurs
fois sur des règlements intérieurs et les exclusions
d’élèves qui en résultent. Dans plusieurs
cas, les décisions d’exclusion d’élèves
sont annulées mais dans certains cas, elles sont confirmées.
Les décisions ne sont pas cohérentes entre elles.
La circulaire Bayrou du 20 septembre 1994 affirme quant à
elle qu’il existe « des signes si ostentatoires que
leurs significations est précisément de séparer
certains élèves des règles de vie commune de
l’école » et que « ces signes sont, en
eux-mêmes, des éléments de prosélytisme
». C’est la première fois qu’une circulaire
vise implicitement le port du foulard. Dans un communiqué
publié le 1er décembre 1994, la Ligue des droits de
l’Homme déclare : « Cette circulaire désigne,
de fait, au nom de l’idéal laïque et nationale,
une confession particulière comme source de tous les problèmes
alors que d’autres manifestations religieuses sont tolérées
au sein des établissements scolaires, dès lors qu’elles
ne ressortent pas de l’Islam ».
L’affaire du voile au lycée Henry Wallon à
Aubervilliers
À la rentrée 2003, deux jeunes filles, Lila et Alma,
se présentent au Lycée Henri Wallon à Aubervilliers
avec un voile islamique. Leur présence suscite de nombreux
remous dans l’établissement, l’affaire est retransmise
par la presse : s’ensuivent une série d’interventions,
d’articles, de tracts opposant les professeurs de l’établissement
qui ne sont pas d’accord entre eux mais aussi des associations
qui interviennent ainsi que des intellectuels. Très vite,
la situation aboutit à la réunion d’un Conseil
de discipline le 10 octobre qui décide l’exclusion
des deux élèves.
L’avocat des jeunes filles annonce sa décision de
porter l’affaire devant le tribunal administratif tandis que
le conseil français du culte musulman (CFCM) propose sa médiation
dans les affaires de voile islamique à l’école.
En visite à la Grande Mosquée de Paris, le Premier
ministre estime alors que le débat ne doit être tranché
"qu’en dernière extrémité"
par une loi. Le gouvernement estime à 200 tout au plus le
nombre d’élèves voilées en France. Cependant,
durant plusieurs mois, l’affaire continue dans les médias
: réactions des associations antiracistes et des droits de
l’homme, communiqués d’enseignants, débats
intellectuels. Cette affaire et sa médiatisation aboutiront
à la mise en place de la Commission Stasi et à la
promulgation d’une nouvelle loi interdisant les signes religieux
« ostensibles » à l’école. Entre
ces deux dates charnières (1989-2004), le débat a
largement débordé la question scolaire en particulier
autour des enjeux identitaires, historiques et concernant plus largement
l’intégration.
Quelques repères historiques
La première loi de laïcisation concerne l’état
civil avec l’instauration du mariage civil en 1787. Au moment
de la Révolution française, la déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789
d’une part et d’autre part, la Constitution du 3 septembre
1791 consacrent le principe de liberté de conscience : «
Nul ne peut être empêché d’exercer, en
se conformant aux lois, le culte qu’il a choisi. » .
Le Concordat de 1801va régir l’Eglise jusqu’en
1905 : le culte catholique, les deux principales Eglises protestantes
et le culte israélite sont sous l’autorité d’un
Ministère et d’un Budget des cultes. En 1879, à
la veille des grandes lois laïques, sur 37 000 congréganistes
enseignants, la moitié exerce dans les écoles primaires
publiques. La laïcisation du corps enseignant n’en est
qu’à ses débuts. Jules Ferry, appuyé
par la Ligue de l’Enseignement, créée en 1866
par Jean Macé va instaurer graduellement la laïcité
à l’école : gratuité et obligation de
l’école primaire par deux lois successives promulguées
le 16 juin 1881, le 28 mars 1882 et la loi organique du 30 octobre
1886. La laïcisation des programmes consiste à remplacer
l’enseignement religieux à l’école publique
par "l’instruction morale et religieuse » . Elle
sera suivie par le remplacement progressif des membres des congrégations
enseignantes dans les écoles publiques par du personnel laïque.
La laïcisation de l’enseignement secondaire suit immédiatement
mais dans l’enseignement supérieur, aucune réglementation
ne voit le jour.
À côté des lois scolaires, une série
de dispositions législatives vont mettre fin à toute
influence de l’Eglise dans les services publics : suppression
du caractère confessionnel des cimetières, établissement
du divorce, suppression par la loi du 12 juillet 1880, du repos
dominical, enfin vote de la loi du 7 juillet 1904 interdisant l’enseignement
dans les écoles privées aux membres de toutes les
congrégations, autorisées ou non.
Le 25 juillet 1904, c’est la rupture des relations diplomatiques
entre la France et le Vatican aboutissant à la promulgation
de la loi du 9 décembre 1905, avec l’article 2 qui
stipule « la République ne reconnaît, ne salarie,
ni ne subventionne aucun culte. » La neutralité de
l’État vis-à-vis de la religion ne sera interrompue
que par les lois de Vichy qui seront abrogées à la
Libération à l’exception de la restauration
des congrégations enseignantes.
Au plan constitutionnel, l’article 2 du 4 octobre 1958 déclare
: « La France est une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale. Elle assure l’égalité
devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine,
de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
.En ce qui concerne l’école publique, le Préambule
de la Constitution du 27 octobre 1946 affirme : « La Nation
garantit l’égal accès de l’enfant et de
l’adulte à l’instruction, à la formation
professionnelle et à la culture. L’organisation de
l’enseignement public gratuit et laïque à tous
les degrés est un devoir de l’Etat. » L’ordonnance
du 6 janvier 1959 fixe la limite des 16 ans révolus tandis
que le décret du 30 août 1985 confie au règlement
intérieur des établissements secondaires le soin de
déterminer les modalités selon lesquelles seront mis
en application le respect des principes de laïcité et
de pluralisme (article 3, alinéa 1er). Pour l’enseignement
supérieur public, sa laïcité est précisée
par la loi du 26 janvier 1984, dite " loi Savary " par
son article 3 : « Le service public de l’enseignement
supérieur est laïc et indépendant de toute emprise
politique, économique, religieuse ou idéologique...
». La loi du 31 décembre 1959 précise que l’enseignement
religieux doit être dispensé hors des cours et de l’obligation
scolaire.
La France est le seul Etat laïque de l’Union Européenne,
c’est-à-dire qui connaît la séparation
juridique totale de l’Eglise et de l’Etat. Certains
pays sont placés sous le régime du Concordat avec
le Vatican, d’autres, comme le Danemark ou le Royaume-Uni,
ont une religion d’Etat. La France est le seul Etat dans lequel
la religion est totalement exclue de l’école publique.
Au plan juridique, l’article 55 de la Constitution de 1958
reconnaît aux traités et aux accords, régulièrement
ratifiés ou approuvés, une valeur supérieure
à celle de la loi interne et ceci dès leurs publications.
Or, le droit international ne connaît pas la notion de laïcité
et insiste sur la liberté religieuse. La France a ratifié
plusieurs conventions qui reconnaissent cette liberté de
manifester sa religion : il s’agit en particulier du Pacte
de 1966 relatif aux droits civils et politiques, de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales, et plus récemment de la Convention
internationale sur les droits de l’enfant.
Le rapport de la Commission Stasi
La commission Stasi auditionne pendant plusieurs mois les partisans
et les opposants à une loi. Les premiers, proches des milieux
enseignants ou de courants divers de droite et de gauche, parfois
anti-racistes ou féministes, insistent sur la nécessité
d’une loi pour éviter les recours contre les chefs
d’établissements, considérant en outre le caractère
exceptionnel de la laïcité française. Les seconds
parmi lesquels des associations des Droits de l’homme, des
associations des droits de l’enfant, des féministes,
des associations anti-racistes et des associations de parents d’élèves
s’appuient globalement sur les droits de l’enfant et
de l’élève et s’opposent à toute
loi qui se traduirait par l’exclusion des jeunes filles voilées.
Les syndicats enseignants sont divisés comme de nombreux
partis et mouvements. Le syndicalisme enseignant actuel est le fruit,
de plusieurs scissions à l’intérieur d’un
syndicat d’origine, la FEN qui regroupe actuellement 140.
000 adhérents. Depuis 1992, le SNES et le SNEP ne sont plus
affiliés à la FEN. De cette scission est née
la Fédération Syndicale Unitaire (FSU) qui regroupe
plusieurs syndicats dont principalement le SNES (80.000 adhérents),
le SNEP, le SNETAA, le SNUIPP et totalise 160.000 adhérents
en 1995.
La FEN revendique la nationalisation de l’enseignement et
a fustigé la laïcité ouverte : elle est donc
favorable à une loi interdisant tout signes religieux. La
FSU se prononce majoritairement contre toutes dispositions aboutissant
à des exclusions d’élèves. Le SGEN-CFDT
considérant le voile comme un symbole inacceptable de soumission
de la femme est favorable à la loi. La FCPE et les associations
de défense des droits de l’homme et des droits de l’enfant
s’opposent à toute loi se traduisant par des exclusions
d’élèves.
Des droits collectifs des élèves à l’individualisation,
de la criminalisation des familles à celle des identités
collectives
Les débats qui se sont cristallisés autour de l’école
peuvent se résumer à deux questions simples en apparence
mais qui déterminent des fractures et configurations politiques
complexes.
La première - l’échec scolaire, à qui
la faute ? - s’est traduite de manière contradictoire
par une responsabilisation individuelle et des familles et une crispation
identitaire de l’école sur son identité (loi
interdisant les signes religieux à l’école),
par la « restauration » de l’autorité des
enseignants et par l’application d’une politique sécuritaire
à l’école. De nouvelles fractures apparaissent
: les tenants d’une école plus égalitaire peuvent
s’opposer à l’individualisation et à la
méritocratie tout en approuvant aussi bien la loi contre
les signes religieux à l’école (au nom justement
de l’égalité) que la restauration de l’autorité
de l’enseignant pour contrer le consumérisme parental.
En réalité, ils s’arc-boutent à une vision
de l’école « idéale » où
la mixité sociale et ethnique justifieraient un enseignement
et une organisation homogènes dans un objectif d’intégration
et d’égalité qui se poseraient dans les mêmes
termes qu’au XIXe siècle. Tout en s’opposant
souvent à une politique répressive et d’exclusion
envers les élèves, les tenants d’une école
égalitaire sont souvent favorables à une politique
autoritariste, voire répressive envers les parents. Or, comme
le montrent les études sur la ségrégation scolaire,
une politique visant une plus grande égalité face
à l’école repose sur des processus internes
et externes à l’école visant précisément
à lutter contre cette ségrégation. Les libéraux
peuvent quant à eux se montrer assez indifférents
à l’égard des signes religieux mais favorables
à la mise en place de filières dans lesquelles puiser
les cadres de demain et les employés et ouvriers tous formés
à l’obéissance et aux exigences de l’entreprise.
Dans ce contexte, ils restent assez extérieurs au débat
sur les religions ou sur la violence scolaire car l’école
se présente à leurs yeux comme un marché.
La deuxième question concerne la mission d’intégration
au sens large de l’école. Comment articuler la pluralité
des histoires, cultures et origines avec la production d’une
culture commune alors que ni les approches pédagogiques,
ni les programmes n’incluent l’intégration et
l’ouverture à l’histoire des autres ? Comment
lutter contre les crispations identitaires alors même que
l’école, se sentant menacée, donne le mauvais
exemple ? Comment, dans un contexte de réhabilitation du
colonialisme, comme en témoigne la loi du 23 février
2005 qui indique dans son article 4 que « les programmes de
recherche universitaire accordent à l’histoire de la
présence française outre-mer, notamment en Afrique
du Nord, la place qu’elle mérite et que les programmes
scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de
la présence française outre-mer, notamment en Afrique
du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices
des combattants de l’armée française issus de
ces territoires la place éminente à laquelle ils ont
droit ... » assurer l’intégration de tous les
élèves par la reconnaissance de leurs histoires singulières
et de leur égalité et grâce au respect réciproque
?
Ce qui se joue aujourd’hui n’est pas la restauration
d’une école qui n’est égalitaire que dans
nos phantasmes mais sa re-fondation envers et contre les vents mauvais
qui l’agitent. Il ne s’agit pas d’opposer les
individualités à l’intérêt collectif,
ce dernier étant socialement stratifié, mais de promouvoir
à l’école une « démocratie sociale
» reconnaissant les droits collectifs des élèves
(droits au savoir, droits à la réussite, droits à
l’expression) et les identités collectives (culturelles,
religieuses, politiques) tout en luttant contre le clientélisme
des intérêts économiques, des classes moyennes/supérieures
ou de quelques groupes défendant des intérêts
communautaires en les dissociant d’un projet social englobant
tous les exclus de la réussite scolaire.
En réponse à l’échec scolaire, la politique
d’éducation nationale n’a jusqu’ici que
conforté ces clientélismes tout en offrant aux enseignants
la restauration de valeurs républicaines au contenu implicitement
identitaire. Or, l’impensé de l’échec
scolaire, c’est aussi la coexistence d’histoires familiales,
culturelles et identitaires qui sont collectives et singulières
à la fois et s’intègrent à des appartenances
sociales déterminant des intérêts et des luttes
partagés . Les identités historiques, culturelles,
religieuses, sexuelles et la spécificité des luttes
qui s’y attachent (féminisme, lutte contre les discriminations)
si elle ne se résorbent pas dans le concept de classes sociales
ne peuvent pas davantage dissoudre les antagonismes de classes qui
les traversent. C’est par la remise en jeu d’identités
et d’appartenances sociales, métissées, en devenir,
ne s’inscrivant pas dans une généalogie mais
dans plusieurs que l’école pourra relever le défi
d’une démocratie encore inexistante et d’une
lutte authentique contre l’inégalité scolaire.
La série de soubresauts qui secouent l’institution
(échec scolaire, illettrisme, bilinguisme, sécuritarisme,
laïcité, réhabilitation du colonialisme dans
les programmes scolaires, traitement de la violence, du racisme
et de l’antisémitisme) apparaît comme le symptôme
d’une crise identitaire qui déplace les fractures classiques
entre les partisans d’une école élitiste et
les partisans d’une école « sociale ».
En effet, les partisans d’une école élitiste
ne s’opposent pas à la démocratisation de l’école,
synonyme à leurs yeux - et dans les faits - d’un enseignement
différent en fonction des catégories d’élèves
soit dans des écoles, soit dans des classes différentes.
En revanche, un courant de plus en plus important de partisans d’une
école sociale favorisant la mixité associe le droit
des élèves, le droit des parents et tous les acquis
démocratiques de l’école à des logiques
libérales alors que celles-ci sont effectivement à
l’œuvre mais indépendamment de toute conquête
démocratique. Dans sa défense de l’institution
scolaire, de ses fondements républicains et au bout du compte
de son autoritarisme, ce courant est de plus en plus perméable,
en contradiction avec ses valeurs sociales, aux logiques sécuritaires.
Ce faisant il renforce le courant élitiste - démocrate
qui veut bien renoncer aux libertés collectives tant que
la liberté individuelle qui triomphe avec le clientélisme
n’est pas remise en cause.
[1] Réseaux d’Éducation Prioritaires
[2] Voir « la prévention et le traitement des violences
dans les établissements scolaires » Séminaire
ENA Promotion Averroès. Territoires et sécurité.
[3] Cette circulaire ordonne à la Justice de subordonner
son action aux priorités déterminées par la
police et dans le cadre de la lutte « contre les trafics et
violences divers
[4] En témoigne le taux d’accès des enfants
d’ouvriers aux grandes écoles qui est passé
de 16 % environ il y a vingt ans à moins de 5 % aujourd’hui
[5] Semaine du jeudi 7 avril 2005 - n°2109
[6] Pierre Bourdieu, Jean-Pierre Passeron, Les héritiers,
Paris, Ed. de Minuit, 1964
[7] Insee-première n°706 : « L’histoire
familiale des détenus », avril 2000
[8] Voir à ce sujet : « Le traitement de la grande
difficulté scolaire au collège et à la fin
de la scolarité obligatoire » André Hussenet
en collaboration avec Philippe Santane. Haut Conseil de l’Évaluation
de l’école. N=° 13. Novembre 2004
[9] Ibid. Haut Conseil de l’Évaluation. Novembre 2004
[10] Réaction de l’Association des Linguistes de l’Enseignement
Supérieur (ALES)
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