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Origine :
http://www.reseau-ipam.org/article.php3?id_article=381&var_recherche=messica#
Tant que le judaïsme n’avait pas d’Etat, il n’opprimait
personne et se trouvait partout en situation de minorité
opprimée ou dominée. En Europe, il en résulte
une culture de l’oppression subie (honte de soi) mais également
une opiniâtre capacité de résistance et volonté
d’immersion dans le monde. Cependant aujourd’hui, ceux
- et ils sont nombreux - qui se revendiquent de l’éthique
universaliste juive oublient souvent qu’au moment de créer
un Etat-nation, cette éthique n’a plus eu cours.
Tant que le christianisme n’avait pas de pouvoir politique,
il n’opprimait personne et fut réprimé, moins
durablement cependant que les minorités juives. Mais qui
se revendique aujourd’hui de l’universalisme chrétien,
oublie la terrible et puissante oppression du catholicisme institutionnalisé
et détenant un pouvoir politique. Ses crimes sont vastes
et proportionnels à ce pouvoir : guerres saintes, inquisitions,
massacres et génocides, appui à toutes les entreprises
de conquêtes, de colonisation, d’exploitation. En chassant
d’Espagne Juifs et Musulmans, Isabelle-la-Catholique a peut-être
la première engagé le grand mouvement d’épuration
ethnique de l’ère moderne. Il résulte de cette
histoire, à la fois un idéalisme de la victime et
de la souffrance (idéalisation de la figure du martyr, mépris
pour le corps, faire souffrir la victime pour son bien) et un universalisme
sécularisé dans l’invention inégalée
des droits de l’homme.
Tant que l’Islam se développait au sein d’empires
transcendant toute forme d’Etat-nation, même majoritaire,
il dominait sans actes d’oppression véritable des peuples
au statut de “protégés”. Il résulte
néanmoins de l’histoire du monde arabe et de ses luttes,
une culture fière, orgueilleuse, humiliée par les
colonialismes, l’impérialisme et plus récemment,
par le sionisme. D’où le rôle de l’Islam
dans l’expression de la révolte. Néanmoins,
qui se revendique de l’éthique universelle musulmane
occulte volontiers la montée d’un nationalisme ou de
pouvoirs locaux coupables de massacres, d’épurations
ethniques et d’oppressions de minorités ethniques ou
confessionnelles. Quant à la condition inférieure
de la femme, bien qu’universelle, elle constitue aujourd’hui
au sein des Islams, un noyau coutumier résistant. Pourtant
et malgré cela, Judaïsme, Christianisme et Islam portent
en eux des dimensions universelles. Ce sont des universalismes à
la fois proches et concurrents. Ce sont aussi bien sûr des
particularismes (ou singularités) au regard de l’histoire
qui les détermine dans leurs évolutions et leurs dynamiques.
En aucun cas, pourtant, on ne saurait porter un jugement qui distingue
dans ces trois religions un universalisme supérieur à
un autre. Pendant des siècles, la pensée politique
était théologique et tous les courants de pensées
se croisaient, s’empruntaient ou s’affrontaient au sein
de ces religions. Ces dialogues et ces luttes étaient possibles
parce qu’aucune de ces religions ne portait dans son essence
même une particularité qui ne soit pas historique.
Au plan de la morale, de la place de Dieu, du politique, de la justice,
les débats internes à chaque religion et externe (entre
religions) recouvraient les mêmes désaccords et les
mêmes enjeux. En revanche, les religions ont connu des devenirs
et des succès divers, d’ailleurs fort difficiles à
évaluer si l’on se place du point de vue du contenu
éthique et politique. Il est frappant de constater la proximité
entre le judaïsme et l’islam dans les pays arabes, tant
du point de vue du rapport à la tradition, du statut de la
femme, de la conception de la famille, de la relation au sacré.
De même, le judaïsme qui s’est développé
en pays chrétien comporte une relation à la souffrance
et à la culpabilité qu’on peut aisément
lier, non seulement à l’histoire, mais à la
proximité avec le christianisme. En terre d’Islam,
il n’y eût jamais de “juif errant”, ni l’idée
d’une malédiction qui frapperait “à juste
titre” le peuple juif. Ces syncrétismes, ces croisements,
la façon dont dans l’histoire, l’opprimé
s’est souvent pensé lui-même avec les concepts
de l’oppresseur, doivent nous amener à réfléchir
à l’universalisme de la manière la plus circonspecte.
L’universel ne doit ni être confondu avec une culture
dominante, ni relativisé. En effet, si l’extrême
droite relativiste reconnaît et valorise ce qu’elle
appelle les différences identitaires, si elle s’affirme
anticolonialiste, antisioniste et tiers-mondiste, c’est que,
persuadée de la supériorité de l’Occident,
elle ne prend aucun risque en défendant la revendication
identitaire des opprimés et des exploités. Au nom
de cette différence, elle justifie et soutient les régimes
les plus autoritaire, l’islam le plus extrémiste et
l’oppression des femmes. Si cette extrême droite s’oppose
à la guerre en Irak par exemple, ses motivations ne sont
pas les mêmes que celle des mouvements qui luttent contre
une mondialisation libérale et pour le droit. Ces derniers
se fondent en effet sur un principe universel de réciprocité
et d’égalité. Pour cette raison, ils doivent
veiller à ne pas reprendre à leur compte une vision
du monde qui poserait une supériorité de l’universalisme
européen et un relativisme quant à la question de
la démocratie dans le monde. En particulier, ces mouvements
devraient assumer la défense de toutes les victimes même
dans un contexte où cette défense pourrait servir
l’adversaire impérialiste. Car qu’est-ce qui
distingue un anti-impérialisme américain “européocentrisme”
d’un universalisme anti-impérialiste ? C’est
ce qui différencie les opinions qui se répandent (
avec une assurance toute cocardière ) de ce qui, à
un moment donné, est vécu par des hommes comme une
augmentation commune de leur être et de leur liberté,
c’est-à-dire l’universel.
La période que nous vivons est marquée par un débat
théologico-politique et pas simplement politique, éthique
et stratégique. D’où l’urgence d’analyser
le monde non pas en termes d’essences (celles par exemple
du judaïsme, du christianisme et de l’islam) mais en
fonction de situations dans lesquelles le même, ce jeu entre
universalismes et particularismes, se présente toujours sous
une autre figure, avec des rapports de forces historiques et à
chaque fois, singuliers. Il n’existe aucune logique unilatérale
qui permette d’expliquer l’évolution de telle
ou telle religion mais une série de circonstance qui les
détermine d’une manière ou d’une autre,
selon les moments. Cette évidence mérite d’être
rappelée à un moment où les rapports historiques,
sociaux, mondiaux risquent d’être ramenés à
une série de logique internes, qui porteraient chacune en
elles de manière originelle, comme la graine porte le fruit,(
sans frictions, syncrétismes, oppositions internes et externes
déterminantes), leur expression actuelle.
Ainsi la singularité de notre situation risque-t-elle d’être
aplatie, condensée, le devenir historique ramené à
de l’originel, identique, répétitif, bref, une
essentialisation de l’histoire qui conduirait, sinon à
sa fin, du moins à sa perpétuelle réapparition
dans de pâles reflets. Refuser et traquer toute forme d’essentialisation,
y compris la théorisation de l’universalisme et du
particularisme, est plus que jamais un combat actuel car l’essentialisation
est au cœur de notre culture. Ainsi, la lutte contre les racismes
théologiques et sacralisés s’impose t-elle comme
une priorité. Elle consiste à affirmer qu’aucune
culture n’est en soi plus universelle qu’une autre mais
que tout acte qui est saisi comme universel relève d’un
universalisme vivant, historique. Il ne s’agit pas d’une
tautologie car l’universel n’est pas une conception
figée, ni un dogme mais bien au contraire un moment dynamique.
Nous sommes sans doute dans une période non seulement théologico-politique
mais où l’universalisme, bien que sécularisé
dans certains de ses aspects, n’a pas le souffle puissant
des passions guerrières qui triomphent. La symétrie
actuelle des discours sectaires et simplificateurs masque en creux
cet essoufflement universaliste dont témoigne sans doute
le regain de puissance religieuse. Dans ce climat où l’agresseur
dicte sa réponse à l’agressé et à
un moment où s’immiscent, dans les luttes les plus
justes, les pires sectarismes et les haines les plus séculaires,
sommes-nous en guerre, déjà, sommes-nous en guerre
encore et savons-nous ce qui, dans un ni guerre, ni paix, fera vraiment
la différence ?
Fabienne Messica.
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