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La solidarité internationale comme défi
Par Fabienne Messica & Monique Crinon


La notion de solidarité internationale pose d'emblée un problème de vocabulaire qui interroge nos pratiques de la solidarité dans un contexte où l'internationalisme - qui avait toute sa pertinence dans le cadre de la lutte anti-coloniale ou de la politique de non-alignement - n'est plus un concept opérationnel. La mondialisation et l'émergence des différencialismes réactualisent une question qui fût, ces dernières années, reléguée aux associations humanitaires et aux experts géo-politique.
Comment définir cette solidarité caractérisée par le fait qu'elle implique, par delà la diversité des situations, la mise en commun d'espériences et de luttes alors qu'une philosophie et une stratégie commune sont rarement posés comme des préalables? A quels critères répond la solidarité internationale quand elle peut s'exprimer indifféremment par des revendications de type "globale" - comme la suppression de la dette pour les pays les plus pauvres - ou par des revendications spécifiques dans un cadre national ou local? comment éviter qu'elle n'apparaisse comme une pratique à une plus grande échelle, plus ou moins contradictoire avec le fait d'agir sur une situation locale ou sur une problématique limitée? Comment éviter enfin qu'elle ne soit perçue comme une spécialité, un domaine à part de la solidarité, requérant des connaissances spécifiques et mettant en jeu "des forces qui nous dépassent"? Dans ce contexte, l'enjeu est de penser l'internationalisation des luttes non comme une spécialité ou une dangereuse extension mais comme ce qui est inhérent à certaines pratiques et se développe à partir d'elles alors que c'est précisément sur la singularité des luttes et des situations que l'accent est mis aujourd'hui.

LE RELATIVISME DES LUTTES
Son caractère international n'apparaît ni dans un mode d'organisation de type "international" ni dans la priorité donnée à des revendications dont la spécificité serait de tout poser en terme de globalité. Elle apparaît ainsi soit comme une solidarité à une plus grande échelle plus ou moins contradictoire avec le fait d'agir sur une situation locale ou une problématique donnée, soit comme une spécialité dans la solidarité.
Comment, dans ce contexte, penser l'internationalité des luttes autrement que comme une contradiction avec le fait d'agir ici et maintenant , ou comme une spécificité, une "solidarité étrangère", coupée des luttes locales ?
Ces questions ne sont pas nouvelles, mais elles se pensent aujourd'hui dans un contexte caractérisé par l'absence d'une grille d'analyse applicable à toutes les situations. L'enjeu n'est plus de choisir entre l'action de proximité et l'action sur le global, d'être réformiste ou révolutionnaire, mais de dégager, à travers la solidarité, du lien entre le local et le global. C'est autour de "l'internationalité" que se joue la possibilité de ce lien.
Mais la solidarité dite "internationale" n'est pas forcément vécue comme une composante de la lutte des sans papiers, des sans logis, des chômeurs etc.... Alors que l'adhésion à ces luttes peut être directe, se passer de médiation et relever d'une évidence, la solidarité internationale souffre, non pas du manque d'information sur les événements ou sur les situations, mais du fait que toute totalisation est vécue comme une dépossession. Les nouveaux modes d'échanges, immatériaux et virtuels, contribuent à cette dépossession et ce, d'autant plus, qu'ils sont porteurs de totalisations dont l'expression politique n'est pas repérable. C'est pourquoi le global, y compris comme mode de penser l'engagement, est vécu comme potentiellement totalitaire ou synonyme d'impuissance. La logique du "penser globalement" nous contraint en effet à abandonner la cause prochaine au profit de la cause lointaine et à négliger la singularité des situations. Symétriquement, le fait de ne jamais relier la singularité des situations à des logiques qui s'appliquent aussi à d'autres situations et renvoient à des causes globales (capitalisme, impérialisme, libéralisme) se traduit immanquablement par un repli sur le partiel et sur la gestion des spécificités.

A la globalisation qui impose une sorte de déterriorialisation répondent de nouveaux ancrages territoriaux totalement éclatés et parcellisés entre eux. Face à cette situation, de grands mouvements de "solidarité internationale" se dessinent autour de deux axes : la critique de la mondialisation mise en oeuvre par le libéralisme et le refus des replis identitaires et de leur logique d'exclusion et d'extermination.On peut observer sans peine que les adversaires des "nationalismes" ne s'opposent pas nécessairement à la mondialisation et qu'inversement, certaines revendications culturelles, religieuses ou identitaires peuvent être porteuses d'une forme de résistance à la mondialisation. C'est pourquoi, dans la pratique, ce que l'on appelle aujourd'hui la solidarité internationale ne se fonde pas nécessairement au départ sur une vision globale mais se caractérise par des relations transversales entre des groupes appartenant à des aires géographiques diverses et qui sont confrontés à des problèmes dont chacun doit tout d'abord mesurer la singularité.
Comment la singularité de la lutte des femmes en Algérie, de celle des paysans sans terre en Amérique latine, des paysans en France, des immigrés, des sans logis, des chômeurs, de la cause du ou des tiers-mondes ou des combats pour les droits de l'homme, peut elle faire l'objet d'une appropriation commune sans sacrifier la spécificité des pratiques et leur existence même à une exigence de totalité ? Ces enjeux -réussir l'articulation du singulier et de l'universel, vaincre l'isolement sans se perdre- appellent aussi à une réflexion sur les moyens. De quels outils peut on se doter pour rendre possible cette articulation sans pour autant poser la globalité comme ce qui conditionne l'existence des luttes et sans les inféoder à l'outil ? Faut-il consentir des alliances avec des groupes qui partagent des objectifs partiels, parfois en contradiction avec notre analyse globale ? Concernant les moyens, la distinction subtile entre tactique et stratégie nous renvoie à la question de la construction d'un mouvement qui intègre la notion de durée. Ainsi, l'internationalité, notion apparemment spatiale, nous oblige-t-elle, par le truchement de la question des moyens, à réintégrer une notion de temporalité qui elle même implique de repenser les finalités.

L'importance de ces enjeux, si elle n'est pas toujours clairement perçue, se traduit par de nombreuses réticences. De nombreux mouvements voient dans la pratique de la solidarité internationale un risque de récupération, de dispersion, de perte d'efficacité et pour finir de non reconnaissance de leur spécificité. Qui agit ici et maintenant sur une question spécifique s'inquiète de perdre tout maîtrise de sa lutte en la liant à d'autres luttes ailleurs sur la même question ou pire encore sur des questions plus larges. Le risque est une captation de l'action et du discours par des experts.

La solidarité internationale, humanitarisée et professionnalisée semble être l'apanage des experts. L'éloignement, la méconnaissance du contexte et de l'histoire des luttes dans le monde, rend difficile la construction et l'appropriation d'une histoire commune qui ne soit pas seulement fondée sur des principes mais également sur du vécu, de l'expérience, de l'échange, de l'interaction. C'est seulement dans le contexte de l'action humanitaire que la solidarité internationale est expérimentée. Mais elle relève ici d'une solidarité envers des populations et non d'un engagement commun avec ces populations. Quant au concept de partenariat, il n'a permis de résoudre cette difficulté que partiellement : s'il met en avant la réciprocité, c'est seulement dans le cadre d'actions qui mettent en relation, de façon binaire, du local avec du local.
C'est pourquoi la solidarité internationale est perçue, non pas comme une dimension potentielle de chaque lutte mais comme une pratique spécifique de la solidarité. En tant que telle, elle a du mal à se dégager de l'humanitaire et de l'urgence. Tout se passe comme s'il fallait choisir entre cette solidarité dotée aux yeux de certains d'une plus grande dignité et la solidarité locale. Certes, de nombreuses organisations humanitaires mènent à la fois des actions locales et internationales. Il n'en demeure pas moins que le local et l'international sont compartimentés. Par ailleurs, ce fait même nous interroge. L'humanitaire est-il le seul mode de solidarité internationale ?

La notion de solidarité à l'échelle mondiale suppose que, sans perdre leurs spécificités, toutes ces luttes dégagent du commun qui permette d'articuler - et non d'opposer - le local ou le spécifique et le global. Les récents succès des mouvements contre la mondialisation montrent que divers courants partant de situations locales ou de problématiques spécifiques peuvent acquérir une globalité dans leur approche et pratiquer une solidarité transversale sans pour autant perdre de vue les luttes d'ici et maintenant.
L'enjeu est la radicalité de ces mouvements qui, sans solidarité internationale, pourraient se noyer dans une gestion, à terme normalisée, de la réalité. Il s'agit, bien sûr, de penser la planète comme un territoire en soi, qui n'est pas la simple addition des territoires nationaux ni la résultante des compromis entre les Etats mais un espace politique commun. Au-delà, la solidarité internationale nous conduit à penser l'action politique comme une construction inscrite dans une temporalité qui n'est pas celle du "temps réel" des luttes mais qui est la dimension du temps dans les luttes, laquelle intègre les perspectives.

Si la solidarité à l'échelle mondiale ne se traduit pas nécessairement par une expansion ou une internationalisation des organisations, elle est virtuellement inscrite dans toute forme de contestation radicale mais non exclusive de la société. Cette tension vers l'altérité qui vise à produire une intelligibilité commune des situations, tant locales et spécifiques que globales et pourvues d'une universalité immanente, peut-elle et doit-elle se formaliser ? Dans l'affirmative, la référence à la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ne risque-t-elle pas d'exprimer, si elle n'est pas explicitée et développée, une position de repli sur un minimum commun, repli contradictoire avec l'idée d'internationalisation, c'est à dire d'intégration de l'altérité et de sa richesse dans une logique expansive ? Poser la question de la solidarité internationale ne devrait pas, en tous les cas, se réduire à la redécouverte d'un humanisme qui à résisté mais permettre de fonder, sur ce qui se produit aujourd'hui, des pratiques communes.

Fabienne Messica et Monique Crinon



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