Origine : http://alpesolidaires.org/instruire-pour-revolter-rencontre-avec-la-scop-le-pave-autour-d-incultures
Après avoir présenté Inculture(s)1 en novembre
dernier à Grenoble, la scop le Pavé revient les 16
et 18 juin nous faire partager leurs réflexions sur l'engagement
politique et l'éducation. L'occasion de rencontrer ces factieux
facétieux de l’éducation populaire qui revisitent
les fondamentaux de la démocratie. Rencontre avec l’un
des animateurs, Anthony Brault.
La scop le Pavé affiche une radicalité inhabituelle
dans sa démarche d’éducation populaire, à
quelle nécessité veut donc répondre votre projet
?
Celui de la révolution ! Notre projet, c’est instruire
pour révolter. C’est bien sur provocateur, mais nous
faisons le constat que l’éducation populaire se pratique
aujourd’hui dans un cadre qui l’assujettit et l’empêche
de jouer son rôle d’émancipation des personnes,
d’expérimentation sociale et d’incitation à
l’engagement politique dans les affaires de la cité.
Ces beaux principes subissent en pratique des contraintes fortes
que nous analysons de trois ordres : le système de subventionnement,
l’encadrement administratif et le poids de la hiérarchie
interne. C’est dans ce contexte que s’exerce l’éducation
populaire que ce soit dans les centres sociaux, les associations
et fédérations, les collectivités locales ou
les services décentralisés de l’état.
L’éducation populaire doit se dégager de ces
contraintes pour retrouver ses fondamentaux.
Vous proposez un spectacle intitulé « Inculture(s),
ou petits contes politiques et autres récits non autorisés
», en quoi cette animation relève de l’éducation
populaire et comment initie-t-elle à la révolte ?
Inculture(s) est le premier d'une série de cinq spectacles
de théâtre que nous appelons plutôt « conférences
gesticulées ». Chacun de ces spectacles traite d’un
thème ; l’éducation populaire mais aussi l’Education
nationale, l’engagement citoyen, la faim du pétrole,
le travail, l'argent... Sous forme humoristique, Inculture(s) donne
des clés d’analyse, notamment sur le langage. Nous
tentons de montrer comment le langage courant tend à évacuer
les rapports de force qui sont pourtant au cœur de la réalité
sociale qu’ils désignent. Il n’est pas anodin,
par exemple, de remplacer les « chômeurs » par
les « demandeurs d'emploi », de parler de "zone
sensible" plutôt que de "quartier pauvre" ou
d’afficher "vidéo protection" plutôt
que "vidéo surveillance". Le langage commun est
le résultat de rapport de force et ses mots construisent
notre réalité. Il y a un enjeu politique à
dévoiler ce que dissimule cette apparence de consensus. A
la fin du spectacle, nous invitons les spectateurs à compléter
la liste des mots qui masquent les réalités ordinaires
dans leur cadre de travail ou ailleurs. Puis nous proposons de poursuivre
ce travail de dévoilement par des ateliers de « sculpture
de langue de bois » ou de « désintoxication citoyenne
» qui s’organisent sur une demi-journée ou plus
dans la foulée de la conférence.
A quels résultats concrets peuvent mener ces ateliers
?
Nous intervenons à l’invitation d’équipes
professionnelles qui cherchent à remobiliser leurs forces
ou à relancer leur projet. En donnant à voir aux spectateurs
les enjeux sociaux qui travaillent leur champs d’action, Inculture(s)
offre une première appropriation de sujets autrement considérés
comme hors de portée, complexes ou insolubles. Le temps des
ateliers permet ensuite aux participants de se mobiliser plus concrètement
sur une question large comme celle de la transformation sociale
ou sur une problématique plus spécifique. Les ateliers
recourent à plusieurs outils d’animation qui aident
à mobiliser les imaginaires vers l’élaboration
commune de solutions concrètes destinées à
transformer la situation. En prenant au sérieux l’invention
de solutions communes, les participants deviennent plus conscients
des actions possibles dans un horizon de changement. La dynamique
créée doit se traduire par la mise en œuvre de
nouvelles pratiques des uns envers les autres. Nous cherchons à
nous outiller collectivement pour maintenir cette dynamique.
Quelles sont vos autres formes d’intervention ?
Nous déclinons l’éducation populaire sous toutes
ses formes : activités artistiques, animations, formations
et conseils et toujours avec cette volonté de reposer ces
principes de bases. Nous intervenons auprès de structures
d’éducation populaire, locales ou nationale, d'institutions
ou de collectivités territoriales, sur des questions de rapport
au public, au projet, au fonctionnement. Nous animons débats,
rencontres, séminaires ou assemblées générales
en proposant des outils qui renouvellent ces réunions publiques
en garantissant la mise en pratique de règles simples favorisant
la libre expression de tous les participants, et recherchant un
temps de parole égal et une écoute réciproque.
Nous sommes également sollicités pour animer la mise
en place de politiques publiques dans les secteurs de l’enfance,
de la jeunesse ou de la culture… Et pour transmettre notre
savoir faire, nous sommes organisme de formation professionnelle
pour les animateurs intéressés par notre démarche.
Pourquoi le statut coopératif pour professer dans
l’éducation populaire ?
La création de la Scop le Pavé est en fait l’aboutissement
d’une recherche-action menée par un groupe de professionnels
socio-culturels de Bretagne. A la suite d’un colloque sur
le thème « Réinventer l’international
et l’éducation populaire », ce groupe a choisi
de poursuivre la réflexion initiée et s’est
engagé dans une recherche approfondie en aménageant
un cadre de travail hors des contraintes ordinaires du métier.
De 2003 à 2005, à raison de 3 jours par mois et de
manière bénévole, ils se sont offert un espace
de liberté pour échanger, se former, élaborer
à plusieurs des propositions d’actions et les mettre
en œuvre. Le sous-groupe qui travaillait la question de la
posture professionnelle a trouvé dans le statut coopératif
le moyen d’appliquer ses principes : pas de hiérarchie,
des décisions prises collectivement, des salaires égaux,
et l’interchangeabilité le plus possible des missions,
des postes, des personnes… Des principes que nous continuons
d’appliquer du mieux que nous pouvons.
Quel regard portez-vous sur le secteur de l’éducation
populaire qui traverse actuellement une crise institutionnelle sans
précédant depuis sa création ?
Le désengagement actuel de l’état constitue
peut être l’occasion pour le secteur de se poser la
question de son institutionnalisation à travers le temps.
Pour nous, l’éducation populaire est plutôt une
démarche instituante pour ceux qui à partir d’une
prise de conscience sur eux-mêmes et sur leur monde se mettent
en route pour agir dans la société et changer les
choses. Quand l’éducation populaire devient une institution
organisée et omniprésente, elle perd sa capacité
instituante et il arrive de surcroît que sa présence
sur un territoire ou un quartier empêche de voir ce qui se
fait de manière informelle, par des groupes non-institués.
« Inculture(s) » « L'éducation populaire,
monsieur, ils n'en ont pas voulu » ou une autre histoire de
la culture
Texte de la représentation avec Franck Lepage du 25 octobre
2006 A Bruxelles A l'occasion du 60ème anniversaire des CEMEA
http://www.scoplepave.org/docus/FL_incultures1_txt.pdf
La coopérative d’éducation populaire Le Pavé
http://www.scoplepave.org/
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