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Origine : http://www.saphirnews.com/L-intellectuel-colonise-et-post-colonise_a2308.html
http://icietlabas.lautre.net/spip.php?article155
"Où t'es-tu perdu, marcheur solitaire? il te faut revenir
sur tes pas ; dans ce désert on ne trouve que mort et désespoir."
Ali Shariati
“La grande nuit dans la quelles nous fumes plongés,
il nous faut la secouer et en sortir. Le jour nouveau qui déjà
se lève doit nous trouver fermes, avisé et résolus.
Il nous faut quitter nos rêves et nos amitiés d'avant
la vie. Ne perdons pas de temps en stériles litanies ou en
mimétismes nauséabonds. Quittons cette Europe qui
n'en finit pas de parler de l'homme tout en le massacrant partout
où elle le rencontre, à touts les coins de ses propres
rues, à tous les coins du monde.” Frantz Fanon
L'intellectuel colonisé et post-colonisé
L'intellectuel, selon la définition la plus couramment admise,
est une personne dont la profession comporte essentiellement une
activité de l'esprit ou qui a un goût affirmé
pour les activités de l'esprit. Cette définition doit
cependant être relativisée.
Dans une perspective gramciste[1], les intellectuels doivent être
considérés en fonction de l'ensemble du système
des rapports sociaux dans lesquels les activités intellectuelles
et les groupes qui les personnifient sont situés. Les intellectuels
doivent être étudiés en fonction des rapports
de domination fondamentaux et des forces productives. Dans la société
coloniale et post-coloniale un des rapports de domination axiale,
pour ne pas dire le rapport de domination axiale, est celui qui
permet la domination du colonisateur sur le colonisé et du
post-colonisateur sur le post-colonisé; et au-delà
la domination de la civilisation occidentale sur les autres civilisations.
Selon Antonio Gramsci, les intellectuels sont les fonctionnaires
des superstructures politiques, culturelles et sociales. Par leur
action ils permettraient à la société politique
d'assurer "légalement" et "loyalement"
la discipline des groupes subalternes ; dans notre cas les colonisés
ou les post-colonisés. Dans cette perspective, ils aident
à l'organisation de la société civile, par
la production du "consensus" de la majorité aux
formes de vie, aux modes de comportement, de pensée et aux
pratiques institutionnelles imposées par le groupe dominant,
pour nous les colonisateurs, comme autant de forme de direction.
L'intellectuel à donc une fonction éminemment politique
et idéologico-culturelle.
L'intellectuel peut aussi avoir un rôle "subversif"
en décidant de devenir un intellectuel organique d'une fraction
dominée de la société. Il devient dès
lors un grain de sable dans l'hégémonie construite
par le bloc historique dominant. Dans cette perspective, les intellectuels
participeront à la production d'un nouveau bloc historique
par la mise en crise, sur le plan politique et idéologico-culturel,
du rapport de domination entre dominant et dominé ; entre
colonisateur et colonisé. La production de ce nouveau bloc
historique passe par le refus des colonisés puis des post-colonisés,
et notamment des "intellectuels" parmi ceux-ci, de l'acceptation
passive leur de subalternité.
Ce refus de la subalternité est capital dans la lutte contre
le colonialisme puisque sa structure repose entièrement sur
une idéologie instituant une hiérarchie entre les
différents groupes humains. Dans la société
coloniale ou post-coloniale, le colonisé ou le post-colonisé
représente physiquement le groupe dominé politiquement,
institutionnellement, idéologiquement et culturellement.
De fait l'"intellectuel" peut avoir un rôle capital
dans le refus de cette domination.
Parmi les intellectuels du Sud qui refusèrent cette domination
idéologico-culturelle Frantz Fanon, Ali Shariati et Edward
Saïd eurent un rôle d'avant-garde intellectuel. Leur
pensée s'est avant tout caractérisée par un
refus de voir les cultures non occidentales enfermées dans
un statut de subalternité. Tout trois se voulurent des penseurs
critiques et autonomes face au discours dominant produit en Occident.
Frantz Fanon est né à Fort-de-France en Martinique
en 1925. Engagé dans l'armée française durant
la seconde guerre mondiale, il est blessé au combat et décoré
de la croix de guerre. En 1947, bénéficiant d'une
bourse d'état, Frantz Fanon s'installe dans l'hexagone afin
d'étudier le médecine à la faculté de
Lyon. Il décide de se spécialiser en psychiatrie.
En 1952, il publie son premier ouvrage, Peau noire masques blancs,
dans lequel il aborde les rapports inégalitaires entre Noir
et Blanc. L'année suivante, il est nommé à
l'hôpital psychiatrique de Blida en Algérie. De là,
il observe la réalité des rapports de dominations
coloniaux, c'est-à-dire d'un monde dominé par les
colonisateurs européens. Quelques mois après le déclanchement
de la révolution algérienne, Fanon rentre en contact
avec le Front de Libération National. En 1956, Frantz Fanon
démissionne de son poste de médecin psychiatre et
rallie le FLN. Il devient collaborateur de la presse nationaliste
algérienne et publie en 1959 un essaie fracassant, L'an V
de la révolution algérienne. Peu après il apprend
qu'il est atteint d'un leucémie. Franz Fanon meurt en décembre
1961 alors que son ouvrage majeur, Les damnés de la terre,
sort des imprimeries des éditons Maspero. Ouvrage culte,
des sa sortie Les damnés de la terre exerça une influence
considérable sur une grande partie des intellectuels et des
militants des pays du tiers-monde, et notamment sur Ali Shariati
et Edward Saïd.
Ali Shariati est né en 1933 à Mazinan dans le Nord-est
de l'Iran. En 1952, à la fin de son 1ier cycle des études
secondaires, il devient enseignant des lycées. L'année
suivante il adhère au Mouvement de Résistance Nationale
qui défend les idées de Mossadegh. En 1955, il rentre
à la faculté des Lettres de Machad. Il obtient une
bourse qui lui permet de se rendre en France en 1959. Là,
il entre en contact avec le FLN et découvre l'?uvre de Fanon
qu'il traduit partiellement en persan. Outre ses activités
militantes il suit les cours de Louis Massignon, Jacques Berque
et Georges Gurvitch. En 1963, il obtient un doctorat ès lettres
à la Sorbonne. Il retourne en Iran 19 64 et devient professeur
à l'université de Machhad jusqu'en 1972. Il donne
de nombreuses conférences à travers tout le pays mais
il est finalement interdit de publication et de toute intervention
publique par la SAVAK, la police secrète du Shah d'Iran.
Entre 1973 et 1975 il est détenu durant dix-huit mois par
cette même police secrète. Le 17 mai 1977, Ali Shariati
quitta l'Iran pour l'Angleterre. Deux mois plus tard, le 19 juin,
il fut retrouvé mort à Southampton sans que les causes
de cette mort mystérieuse ne soient vraiment élucidées.
Ali Shariati exerça une influence considérable sur
toute une génération d'iranien et plus généralement
dans l'ensemble du monde musulman. Car Ali Shariati, à la
différence de Frantz Fanon ou d'Edward Saïd, était
un homme de foi et il étudia les problèmes sociopolitiques
"en intellectuel et en croyant"[2] pour reprendre ses
propres termes. A ce titre il peut être considéré
comme l'un des précurseurs de ce que Hassan Hanafi appellera
plus tard la "gauche islamique" ou d'une "théologie
islamique de la libération".
Enfin, Edward W. Saïd est né en 1935 à Jérusalem.
Il passa son adolescence en ?gypte puis parti poursuivre ses études
aux Etats-Unis. Edward W. Saïd fut professeur de littérature
anglaise et de littérature comparée à la Columbia
University de New York. Dans son ouvrage majeur, L'Orientalisme,
publié en 1978, il analysa le système de représentation
par lequel l'Occident a créé puis enfermé l'Orient.
Puis, dans la dernière partie de sa vie, Edward Saïd
s'est battu contre la diabolisation de l'Islam et pour la dignité
du peuple palestinien. Homme engagé, il fut membre du Conseil
national palestinien à partir de la fin des années
1970. Il du démissionner du fait de son opposition aux accords
d'Oslo et à la politique de Yasser Arafat, qui fit interdire
ses livres dans les territoires "autonomes" palestiniens.
Pour lui, "l'autonomie n'est rien d'autre que la poursuite
de l'occupation par d'autres moyens ". Edward Saïd était
opposé au partage de la Palestine et se déclara pour
la constitution d'un état bi-national. Il défendit
une conception exigeante du rôle de l'intellectuel engagé.
Il analysa les réalités du brassage des cultures et
affirma que les oppositions entre les civilisations sont des constructions
humaines. Edward Saïd fut largement influencé par Frantz
Fanon comme en témoigne son ouvrage intitulé Culture
et impérialisme. Dans ce livre il qualifie Les damnés
de la terre d'ouvrage "visionnaire et novateur". Atteint
d'une leucémie, Edward Saïd est décédé
en septembre 2003.
Comme nous venons de le voir, ces trois intellectuels, dont nous
allons étudier les positions, ont joué un rôle
particulièrement important dans la lutte idéologico-culturelle
menée par les peuples et les cultures dominés dans
le monde colonial et post-colonial. Tous trois peuvent être
considérés comme des références de la
lutte idéologico-culturelle en pays colonisés.
Lundi 20 Février 2006
Youcef Girard
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