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Origine : http://www.cemea.asso.fr/article.php3?id_article=1149
À tout niveau, sous toute latitude, le faible est distancé
et souvent malmené par le fort. Les Déclarations universelles
des droits de l’homme ou de l‘enfant n’y ont pas
mis fin. Comment affirmer son identité sans recourir à
la révolte, ou pire au désespoir ? Frantz Fanon -
psychiatre et penseur des aliénations coloniales - a ouvert
des pistes. À nous de savoir les reprendre dans le contexte
d’aujourd’hui. Ce qui vaut pour le colonisé d’hier
ne serait-il pas valable pour l’immigré, le marginalisé,
le handicapé et même l’adolescent... ?
Au moment où nous avons choisi ce titre, la flambée
de violence urbaine que nous avons connue en novembre n’était
pas encore advenue. Il n’existait que les braises courantes
qui éclairent régulièrement les espaces des
quartiers que l’on dit sensibles, mais nous étions
les uns et les autres inquiets.
Inquiets de voir s’élargir le fossé entre les
possédants et les pauvres ; inquiets de voir les discriminations
faire leur sillon dans le groupe des « petits », faisant
voler en éclats les solidarités et la valeur de fraternité
; inquiets de voir nos dirigeants répondre par la répression,
et laisser se dégrader faute de moyens et de reconnaissance
véritable les actions susceptibles de soigner, de soutenir,
d’aider ; inquiets devant cette « superbe », dominatrice,
provocante, agressive, maniant l’insulte et la promesse de
sanction, avec un tel mépris des situations où la
misère et la souffrance sont lot quotidien. Nous sentions
bien l’odeur de la poudre, et nous ne savions pas ce qui allait
advenir. Certes aujourd’hui, les grands feux sont éteints,
souvent au détriment encore de ceux qui peinent, mais les
braises persistent, qui nous rappellent que les causes n’ont
pas été tout à fait comprises, et qu’il
suffit d’un rien pour que les flammes reprennent.
J’ai vécu auprès de Frantz Fanon la douloureuse
aventure algérienne. J’y ai compris le sens et l’intérêt
de la révolte, quand le débat est devenu impossible
ou truqué. Il m’a semblé utile de retrouver
le sens des événements qui conduisent à la
révolte, d’analyser les traumatismes qui en résultent,
et d’ouvrir une ou deux portes à d’autres moyens
que ceux de la force : la reconnaissance et la négociation.
Le séminaire consacré à Fanon par les ceméa
martiniquais, à l’occasion du cinquantième anniversaire
de leur naissance, nous a semblé un point de départ
intéressant, coïncidant avec des publications, des rééditions,
des réflexions qui situent notre époque comme sensible
aux phénomènes de domination et de révolte.
Au lieu de jouer à faire peur, à l’aide de multiples
rapports qui rejettent la culpabilité sur ceux qui se sentent
exclus, confortant cette exclusion par des commentaires «
insupportables », abordons avec lucidité les problèmes
qui se posent.
Jacques Ladsous
Dossier coordonné par Jacques Ladsous, Jean-François
Gomez, Davyd Duval
Article extrait de Vie Sociale et Traitements n°89
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