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Origine : http://fr.wikipedia.org/wiki/Frantz_Fanon
Frantz Fanon est un psychiatre et écrivain martiniquais
né le 20 juillet 1925 à Fort-de-France en Martinique,
et mort d'une leucémie le 6 décembre 1961 à
Washington DC aux États-Unis d'Amérique. Il laisse
derrière lui son épouse (Josie Dublé, née
1925, mort 13/07/1960) avec ses deux enfants (Olivier, né
1955) et Mireille (veuve de Bernard Mendès-France).
Vie
Pendant la Seconde Guerre mondiale il rejoint les forces françaises
libres puis s'engage dans l'armée régulière
après le ralliement des antiles françaises au Général
de Gaulle. Il combat avec l'armée française du général
de Lattre et est blessé dans les Vosges. Après son
retour en Martinique où il passe le baccalauréat il
revient en France métropolitaine et poursuit ensuite des
études en Médecine, tout en suivant les leçons
de philosophie et de psychologie à l'Université de
Lyon. En 1953 il devient médecin-chef d'une division de l'hôpital
psychiatrique de Blida-Joinville et y introduit des méthodes
modernes de "sociothérapie" qu'il adapte à
la culture des patients musulmans algériens, travail qui
sera explicité dans la thèse de son élève
J. Azoulay. Il entreprend ensuite avec ses internes une exploration
des mythes et rites traditionels de la culture algérienne;
sa volonté de désaliénation/décolonisation
du milieu psychiatrique algérien lui vaut l'hostilité
d'une partie de ses collègues.
Dès le début de la guerre de libération il
s'engage auprès de la résistance algérienne
et a des contacts avec certains officiers de l'ALN (Armée
de Libération Nationale) et avec la direction politique du
FLN, Abane Ramdane et Benyoucef Benkhedda en particulier. Il donne
sa démission de Médecin Chef de l'Hôpital de
Blida-Joinville en décembre 1956, puis est expulsé
d'Algérie en Janvier 1957. Il rejoint le FLN à Tunis,
où il collabore à l'organe central du FLN "El
Moudjahid."
Dans ses livres les plus connus, Frantz Fanon analyse le processus
de décolonisation sous l'angle sociologique, philosophique
et psychiatrique. Mais il a également écrit des articles
importants dans sa discipline, la psychiatrie.
Fanon est aussi devenu un maître à penser pour de
nombreux intellectuels du Tiers-Monde. Son livre le plus connu est
Les Damnés de la terre, qu'il conçut comme un manifeste
pour la lutte anticoloniale et l'émancipation du tiers monde.
Cet ouvrage, vraisemblablement fondateur de la critique tiers-mondiste,
a inspiré les mouvements de libération en Afrique
ou encore le Black Panther Party aux États-Unis.
Aujourd'hui encore, Fanon est revisité par de nombreux auteurs.
Le courant de critiques post-coloniales notamment initie une relecture
de l'auteur martiniquais. Edward Said, dans Culture et Impérialisme,
reprend très souvent les écrits de Frantz Fanon.
Pensée
Maître et esclave
La dialectique hégélienne du maître et de l’esclave
(telle qu’interprétée par Kojève dans
ses cours à l’École des Hautes Études
entre 1933 et 1939) est le cadre dans lequel Fanon ne cessera de
s’inscrire de Peau Noire, masques blancs jusqu’aux Damnés
de la terre. Dans le premier de ces deux ouvrages, il insiste sur
la nécessité pour le Noir colonisé d’une
lutte ouverte pour la reconnaissance que l’abolition de l’esclavage
n’a fait que rendre plus improbable : « Un jour le Maître
Blanc a reconnu sans lutte le nègre esclave (…) Le
Blanc est un maître qui a permis à ses esclaves de
manger à sa table ». Outre le fait que le Noir n’a
pas été sujet de sa libération, il s’est
vu conféré, dit Fanon, une liberté purement
abstraite, non pas une liberté effective mais une idée
de la liberté qui est peut-être la condition de possibilité
de l’assujettissement colonial. Le Noir est une personne (Hegel),
un esclave émancipé (Marx), il n’a pas encore
été reconnu comme homme. C’est pourquoi il demeure
fixé dans son être pour l’autre, cet autre, le
Blanc, dans lequel « se condense le sens de sa vie ».
Plus encore, le Noir n’est pas seulement pour le Blanc, il
est, dans le monde colonial, construit en sa nature par lui : s’inspirant
des réflexions sartriennes sur la question juive («
c’est l’antisémite qui fait le juif »),
Fanon écrit que c’est le Blanc qui par ses gestes,
attitudes, regards, fixe le Noir « dans le sens où
l’on fixe une préparation par un colorant ».
C’est en ce sens qu’il déclare devoir abandonner
l’ontologie hégélienne parce qu’elle ne
saurait expliquer ce qu’on peut appeler l’être
par l’autre du Noir, sa surdétermination extérieure
; elle ne saurait rendre compte de l’impureté, de la
tare introduite par le Blanc dans la weltanschauung du colonisé.
Il devient impossible de penser l’être du Noir «
car le Noir n’a plus à être noir, mais à
l’être en face du blanc ». La réflexion
ne peut plus alors porter que sur l’existence. C’est
ici que Fanon rejoint l’existentialisme de Sartre. Mais si
en un sens ce dernier fournit des clés à la compréhension
de la situation existentielle du Noir colonisé, en un autre
sens, il rend impossible tout dépassement de cette situation.
D’une part, affirmant que le soi-disant « problème
juif » est « notre problème », Sartre avance
l’idée, intolérable pour Fanon, que le Juif
ne peut rien à sa propre libération à l’égard
de l’antisémitisme. Sartre pose une extériorité
de la liberté qui, rappelant étrangement le moment
de l’abolition, interdit toute forme de lutte. D’autre
part, dans son introduction à l’Anthologie de la poésie
noire et malgache, il affirme que le mouvement de la Négritude
est le temps faible, le moment nécessaire de la négativité
dans une progression dialectique s’acheminant vers la synthèse
ou réalisation de l’humain. Fanon y voit à nouveau
une forme de dépossession de ses moyens d’action, l’inscription
de cette dernière dans un mouvement dont le sens le précède
et le détermine : ce n’est pas lui qui va « foutre
le feu afin d’incendier ce monde, mais c’est le flambeau
qui était là, attendant cette chance historique. »
Fanon reproche à Sartre cet « hégélien-né
», d’avoir oublié que « la conscience a
besoin de se perdre dans la nuit de l’absolu ». Cet
absolu, signe d’un retour à Hegel, c’est lui
qui sera à l’œuvre dans Les Damnés de la
terre, œuvre dans laquelle la lutte de libération nationale
du peuple algérien, lutte nécessitant le recours à
la violence, ne sera rien d’autre que cette lutte à
mort pour la reconnaissance pensée par Hegel, et qui seule,
pour Fanon, offre la perspective d’une conscience de soi authentique.
Double conscience et clivage du moi
En réalité, la mise à distance de la pensée
sartrienne a lieu dans Peau noire, masques blancs, non pas uniquement
lorsqu’il s’agit de penser les moyens de libération
mais dès la position du problème de l’ «
être par l’autre ». En effet, Fanon affirme que
les réflexions que Sartre développe dans l’être
et le néant sur l’être-pour-autrui sont fausses
pour une conscience nègre car « le Blanc n’est
pas seulement l’Autre mais le maître, réel ou
imaginaire d’ailleurs ». Cette affirmation, qui est
à nouveau le signe d’une profonde fidélité
à Hegel, porte cependant en elle les germes d’une transformation
essentielle, voire d’une subversion du processus dialectique.
Fanon cite René Ménil évoquant « l’instauration
dans la conscience des esclaves, à la place de l’esprit
africain « refoulé », d’une instance représentative
du Maître, instance instituée au tréfonds de
la collectivité et qui doit la surveiller comme une garnison
la ville conquise ». Or, il y a là une reprise presque
littérale de la définition que Freud donnait du Surmoi
dans Malaise dans la civilisation. L’autorité blanche
est intériorisée, introjectée ; le Blanc se
présente alors comme une nouvelle instance psychique du moi
du colonisé, instance d’observation, de critique, de
censure. Fanon, explicitant les relations entre antillais n’affirme
pas autre chose lorsqu’il écrit qu’elles ne sont
pas des relations à deux termes polarisées par le
moi, mais qu’elles sont coiffées par un troisième
terme, le Blanc en tant que fiction dirigeante. Or Freud, dans L’inquiétante
étrangeté, affirmait que dans les cas pathologiques
du désir de surveillance, il y a dissociation du moi par
clivage. C’est une telle pathologie que Fanon détecte
chez le Noir colonisé ; elle constitue même l’objet
principal de ses réflexions dans Peau noire, masques blancs.
C’est ce qu’on peut appeler le problème de la
double conscience, en référence à la pensée
de l’écrivain afro-américain W.E.B Du Bois avec
laquelle la philosophie de Fanon présente des affinités
remarquables. Fanon, décrivant l’imposition culturelle
des valeurs blanches du colonisateur (la Blanche Justice, la Blanche
Vérité, la Blanche Vierge), constate que le Noir en
vient à posséder le même inconscient collectif
que le Blanc. Or, dans cet inconscient, le Noir est le signe de
toutes les « contre-valeurs », du pêché,
du laid, du mal ; il est identifié à ce « croissant
excessivement noir, où sommeillent les pulsions les plus
immorales, les désirs moins avouables ». C’est
ainsi que le Noir en vient à se dédoubler, à
se désigner lui-même comme ce qu’il a à
combattre, : « après avoir été esclave
du Blanc, il s’auto-esclavagise ». La haine du Noir
ne saurait cependant suffire à un tel dédoublement.
Ce dernier implique d’autre part (et simultanément)
un processus d’identification aux « valeurs blanches
» (que Fanon expose notamment dans sa relecture du stade du
miroir de Lacan). Prenant notamment l’exemple des jeunes Antillais
se délectant des aventures des héros blanc des histoires
illustrées, Fanon pose qu’il y a une identification
intégrale du Noir au Blanc : « le jeune Noir adopte
subjectivement une attitude de Blanc ». C’est que le
Blanc n’est pas seulement instance de censure, il est aussi
celui qui est reconnu comme supérieur, il est le modèle
auquel il faut ressembler, il joue le rôle d’idéal
du moi. D’où ce désir de lactification, dont
la romancière antillaise Mayotte Capécia est le symbole,
un symbole d’aliénation en ce qu’il révèle
que cette identification, qui se présente comme totale, ne
peut jamais être « accomplie » dans la mesure
où elle est toujours refusée (en même temps
que prescrite) par le Blanc. Car le monde colonial est un monde
manichéiste, traçant une frontière infranchissable
entre Noir et Blanc, colonisateur et colonisé. C’est
ce clivage social, matériel, qui est introjecté par
le Noir, qui devient clivage du moi : « à partir du
moment où le Noir accepte le clivage imposé par l’Européen,
il n’a plus de répit. » Le Noir reconnaît
et dénie simultanément son absence de blancheur (dans
l’hallucination spéculaire, il se dit « sans
couleur »). Il produit un substitut de réalité,
un fétiche, qu’on peut nommer l’âme blanche
(comme ensemble des comportements, attitudes, paroles, « propriétés
de revêtement » du Blanc) et qui masque la différence
raciale. Cependant, il ne faudrait pas penser que seul le colonisé
soit conduit à un tel fétichisme ; l’aliénation
dans le monde colonial est nécessairement aliénation
réciproque (tout comme l’est la reconnaissance chez
Hegel). Homi K. Bhabha, s’inspirant de Fanon, a ainsi dévoilé
la nature de fétiche du stéréotype racial,
celui-ci n’étant rien d’autre qu’un instrument
permettant d’ « accueillir » la différence
raciale et culturelle mais ceci qu’en tant qu’elle peut
être résorbée dans du « déjà
connu », c’est-à-dire déniée en
tant que différence. Ce même auteur a de plus su tirer
certaines conséquences de la pénétration de
Fanon dans le « côté noir de l’homme »,
conséquences devant lesquelles le psychiatre martiniquais
lui-même aurait reculées. Déjà Freud
avait affirmé que le clivage du moi mettait profondément
en question cette conception de la « synthèse du moi
comme allant de soi ». De même Bhabha montre que les
jeux de dédoublement ayant lieu dans le monde colonial rendent
problématique l’idée d’une conscience
de soi, rompant avec la dualité et se définissant,
enfin, en son identité. Si comme l’affirme Fanon lui-même,
le désir, dans la situation coloniale, se situe toujours
en référence à la place qu’occupe l’Autre
(le colonisé veut prendre la place du colon, rêve d’une
« inversion des rôles »), si par conséquent
ce désir inscrit toujours l’individu à au moins
deux places à la fois, ne faut-il pas en conclure que l’assignation
phénoménologique des places du maître et de
l’esclave, leur fixation en une posture d’opposition
ou de contradiction non équivoque, est impossible ? En ce
sens, n’est-ce pas le souhait hégélien de Fanon
d’une réconciliation ultime qui s’avère
être une chimère ? Bhabha, dont il ne faut pas méconnaître
qu’il conduit à ses extrémités la pensée
de Fanon et la prolonge par la sienne propre plutôt qu’il
ne l’interprète, oppose, à l’idée
d’un dépassement de l’opposition ou du clivage,
une stratégie de subversion, employée parfois par
Fanon lui-même, et qui use du clivage comme d’une arme
du colonisateur retournée contre celui-ci.
La politique du corps et les noms de race
Cette stratégie de subversion pourrait peut-être être
illustrée par ce qu’on appellera la politique du corps
de Fanon. La présence du maître blanc provoque une
explosion du corps qui n’est pas sans rappeler, en l’inversant,
« la crainte narcissique de la lésion du corps propre
» qui chez Lacan commande la crainte du « Maître
absolu » qu’est la mort. Clivage du moi et morcellement
du corps sont indissociables, la tâche de Fanon se présentant
alors comme une tentative de re-corporisation : « J’explosai.
Voici les menus morceaux par un autre moi réunis ».
C’est une tâche de reconstruction de l’image du
corps qui doit faire face aux difficultés rencontrées
dans le monde blanc par « l’homme de couleur (…)
dans l’élaboration de son schéma corporel ».
La dialectique, « hégélienne », du colonisateur
et du colonisé, ne va pas sans cette dialectique effective
qui « s’installe entre mon corps et le monde ».
L’expérience vécue du Noir, dont l’explicitation
occupe un chapitre entier de Peau noire, masques blancs, est un
vécu corporel, une expérience du moi-corps. C’est
ici que la rencontre chez Fanon entre existentialisme et psychanalyse
se fait la plus fructueuse (le rôle de Merleau-Ponty, dont
Fanon a suivi les cours à Lyon, demande ainsi à être
étudié). Si le vécu corporel est si essentiel
pour Fanon, c’est parce que dans la situation coloniale, le
corps, en tant que peau et en tant que race, est littéralement
l’opérateur ou l’instrument du clivage. Au schéma
corporel se substitue ainsi un schéma épidermique
racial ; la peau, cette enveloppe, cette limite du moi et du monde,
du moi et des autres, devient, en raison de sa sensibilité
et de sa visibilité, l’objet premier du racisme colonial.
Fanon, loin de s’appuyer sur une dénégation,
sur une revendication de l’absence de fondements des catégories
et valeurs du racisme, loin donc de défendre une universalité,
donnée a priori, de l’homme (l’universalité
devenant chez lui tension, en un sens quasi-physique, vers l’universel)
ou de participer à une nouvelle estimation de la valeur des
cultures africaines (à la manière des penseurs de
la Négritude), accepte de faire de la race et du moi-peau
à la fois l’origine et l’enjeu même de
son discours. C’est en ce sens qu’il y aura subversion
du discours discriminatoire. Fanon, décrivant l’expérience
vécue du Noir, qui n’est rien d’autre que la
sienne propre, fait s’exprimer le corps : « les talons
vigoureux contre le flanc du monde », « les artères
du monde », « rougir de sang », etc. Il ne faut
pas ignorer qu’ici, le psychiatre martiniquais retrace sa
propre genèse et en ce sens, rend compte d’étapes
ou moment à présent dépassés. Il n’en
reste pas moins que lorsqu’il écrit : « Je secrétais
une race », race titubant sous le poids du rythme, élément
ô combien corporel, il y a là la préfiguration
de cette stratégie essentielle d’écriture consistant
à user sans mesure des noms de races (le nègre, la
conscience noire, etc.) pour contester, en les conduisant à
leurs limites, les « propriétés » dites
naturelles qui y sont fixées ; pour défaire, en en
développant les formes, les effets du discours discriminatoire.
Cette pensée du corps, Fanon la prolonge dans Les Damnés
de la terre ; L’idée fanonienne d’une nécessité
de la violence dans la lutte de libération du peuple algérien
ne répond pas tant à une stratégie, qu’elle
soit rationnelle ou irrationnelle, qu’elle suscite l’approbation
ou la condamnation, qu’à une économie corporelle.
Les violences et frustrations de tout ordre exercées par
le colonisateur sur le colonisé sont l’origine d’une
tension musculaire accumulée dont la décharge se présente
comme une nécessité physiologique. S’il y a
stratégie, elle concernera bien plutôt les modalités
de cette décharge, l’enjeu devenant d’éviter
l’auto-destruction et de mobiliser la violence dans un rapport
de forces, dans une lutte où seule elle peut s’exercer
à profit en tant qu’elle se retourne contre sa source
même. Nous terminons en citant les dernières paroles
de Fanon dans Peau noire, masques blancs : « Mon ultime prière
: O mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge ».
Œuvre
* Peau noire, masques blancs, 1952.
* L'An V de la révolution algérienne, 1959.
* Les Damnés de la terre, 1961.
* Pour la révolution africaine, 1964.
Bibliographie
David Macey, Frantz Fanon, Granta Books, London, 640 p.
Une biographie très complète d'un personnage important
de la lutte des Africains pour la décolonisation.
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