"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
De la retraduction de Les Damnés de la terre de Frantz Fanon
By Siendou A. Konaté,
Comparatist,
Comparative Literature/Department of Romance Langs and Lits,
Binghampton University,
State University of New York, U.S.A.

Origine : http://www.translationdirectory.com/article1110.htm

siendouk [at] yahoo.com

Traduire une œuvre ou un ouvrage, d’une langue donnée à une autre, relève du besoin que le traducteur sent. Ce besoin peut être celui de construire un pont entre les deux cultures que représentent les langues impliquées dans la traduction. Le pont peut être celui qui vise la compréhension entre, l’entente interculturelle, l’acceptation de la différence (accepter l’autre tel qu’il ou elle est). Le pont en question ici peut également servir de moyen de subjugation, d’asservissement comme il a été le cas avec l’apprentissage des langues nationales africaines par les missionnaires européens et les traductions de la Bible dans ces langues plus tard par les mêmes acteurs du prosélytisme évangélique en Afrique. Ces traductions, au-delà de la propagation de la Bonne Nouvelle aux « sans-foi », peuples des régions reculées et sauvages du monde, ont servi de soubassement à l’impérialisme occidental en Afrique. Ne dit-ton pas que pendant la rencontre des Africains avec les Occidentaux, les seconds avaient la Bible et les premiers avaient les terres, et qu’après avoir fermé et rouvert les yeux, les Africains avaient la Bible et les Occidentaux les terres ? C’est dire que la traduction à un côté hégémonique à ne point minimiser.

Qu’en est-il de la retraduction ? Quelles en sont les raisons ou bien quels sont les facteurs qui contribuent à retraduire une œuvre littéraire ou non littéraire ?

Ces interrogations fondamentales sont soulevées afin de savoir pourquoi Les Damnés de la terre que Fanon publia en 1961, et qui a été traduit par Constance Farrington en 1963, se voit retraduit en 2004 par Richard Philcox, soit quarante-et-un ans après.

I

La retraduction d’un ouvrage est guidée par un certain nombre de facteurs. Ces facteurs incluent que le temps écoulé généralement, et ce parmi tant d’autres. En effet, la traduction premièrement faite d’une œuvre peut s’avérer souvent désuète et obsolète parce qu’elle peut poser un problème de compréhension pour le lectorat, si celui-ci est séparé par de nombreuses années d’avec la période de la traduction originelle. La traduction des œuvres du Grec Homère au 18e siècle par Mme Anne Dacier (L’Iliade en 1699 et l’Odyssée en 1708), celle de Charles Marie René Leconte de Lisle au 19e siècle (L’Iliade en1866, et l’Odyssée en 1867), et enfin l’Odyssée que Philippe Jacottet traduit au 20e siècle (2000), répondent toutes à des exigences temporelles et spatiales différentes. Parmi ces exigences, l’on ne peut aucunement minimiser le facteur langue. La langue a évolué, la culture avec elle. Si la culture a évolué, les goûts et les manières d’écrire doivent avoir connu une évolution substantielle. Ainsi donc, le Français parlé au 18e siècle ne peut être aisé à comprendre pour les usagers de cette langue au 19e et au 20e siècle. Il peut y avoir des différences du point de vue de la morphologie, la phonologie, la syntaxe, et souvent la sémantique lexicale (le sens des mots) entre le français parlé dans les différents siècles. Ces différences morphologiques, phonologiques, syntactiques et lexicales peuvent aussi charrier des problèmes de goûts et de mode. C’est pourquoi une mise à jour linguistique et culturelle s’impose à texte. Dans la retraduction de Les Damnés de la terre, qu’est ce qui a été sa feuille de route ? Ou pour être clair, qu’est-ce qui a guidé le pas du (re-)traducteur ? En somme, pourquoi la retraduction de cette œuvre du tout ?

II

La parution de Les Damnés de la terre en 1961 répondait à un besoin de conscientisation, à une responsabilité ou exigence d’exhortation à la prise de conscience des peuples aliénés par le colonialisme occidental. Comme Jean-Paul Sartre le dit si bien dans la préface qu’il écrit pour l’œuvre, Fanon, dans cette œuvre magistrale, indique qu’il s’est assigné le devoir de mettre ses lecteurs et lectrices (surtout ses frères et sœurs d’Afrique) en garde contre les aliénations découlant de leur contact avec la France en particulier, et l’Occident en général : « le leader, le culte de la personne, la culture occidentale et tout aussi bien, le retour du lointain passe de la culture africaine& ». Il s’engageait à confronter les problèmes qui ont conduit à ce que l’on peut sans crainte d’être accusé d’Afro-pessimisme, et sans erreur majeure, appeler l’échec de l’Etat postcolonial. Une lecture oblongue (c’est-à-dire une interprétation de son œuvre) par les lecteurs autres que ceux et celles a qui l’œuvre était initialement destinée a conduit à l’élargissement du cercle de lecteurs. En somme, l’horizon d’attente s’est agrandie, non seulement en Afrique anglophone, mais également en dehors même de l’Afrique : certains pays membres du groupe des pays non-alignés, issus de la conférence de Bandung en 1955, ont embrassé les thèses de Fanon. La traduction donc de Farrington obéit également à cette logique. Les Black Panthers des Etats-Unis et bien d’autres mouvements d’auto-détermination doivent la majeure partie de leur praxis à cette œuvre de Fanon. Il n’y a qu’à lire Black Power : The Politics of Liberation in America de Stockley Carmichael et Charles V. Hamilton pour s’en convaincre. N’eut-été la traduction du Français à l’anglais, Les Damnés de la terre ne servirait pas de recours non seulement aux mouvements de libération du monde afro-anglophone d’Afrique, aux activistes et « indépendantistes » noir-américains qui identifiaient leur combat contre la ségrégation et la discrimination raciale à celui des africains qui se libéraient du joug colonial, mais aussi aux théoriciens africanistes et postcolonialistes qui furent, et continuent de faire toutes sortes d’extrapolation de l’œuvre après sa traduction en anglais. Ainsi donc, la traduction de Fanon, pour des lecteurs et lectrices anglais et américains, était une traduction du besoin d’explorer des moyens de l’Histoire, c’est-à-dire, les modes de changement de la société.

Les raisons apparentes de la traduction étant sues, à quoi sert donc une retraduction de Fanon en 2004 ? Pour quoi ou pour qui Philcox a-t-il retraduit Les Damnés de la terre ?

Selon Philcox, dans le protocole de sa traduction de l’œuvre de Fanon qu’il intitule « On Retranslating Fanon, Retrieving a Lost Voice » la question de l’adéquation de l’œuvre de Fanon avec la société d’aujourd’hui constitue une partie des facteurs qui l’ont impulsé à entreprendre une retraduction de Fanon. Il nous apprend qu’un jour alors qu’il s’en était allé à la librairie FNAC à Paris pour se procurer une copie de Les Damnés de la terre, il s’est enquis de la présence de l’œuvre sur les rayons à une jeune libraire. La jeune libraire consulta son ordinateur pour vérifier la présence de Fanon dans ses locaux. Philcox fut surpris de ce que Frantz Fanon n’avait pas laissé de marque dans cette partie de Paris.

Un autre facteur qui a inspiré la retraduction de Fanon par Philcox est non seulement la persistance des « damnés de la terre » presque partout dans le monde aujourd’hui, mais aussi la similitude entre la condition des colonisés d’Afrique et les mouvements de libération d’Afrique (et surtout d’Algérie) qui ont informé Fanon dans l’écriture de son ouvrage, et le lumpenprolétariat de l’Afrique d’aujourd’hui, de l’Afghanistan, l’Iraq, la Palestine, et même ceux et celles des anciens pays communistes de l’Europe de l’Est. Il va sans dire que retraduire Fanon est une occasion salutaire aux « damnés » des espaces énumérés ci-haut. Ce n’est pas en tout cas Homi K. Bhabha qui nous dira le contraire. L’Indien abonde dans la même veine que Jean Paul dans sa préface qui explique les raisons qui ont présidé à l’écriture de la seconde œuvre de Fanon, mais cette fois-ci dans une introduction à la nouvelle traduction de The Wrecthed of the Earth, disant que « The Wretched of the Earth emerges, year after year, in Oakland, Natal, Belfast, Tehran, Washington, Paris, to say nothing of Bombay&, or wherever you may be today as the book fall into your hands» (Bhabha Foreward, The Wretched of the Earth. Trans R. Philcox xxxi) [Les Damnés de la terre surgit à Oakland, au Natal, à Belfast, à Tehran, à Washington, à Paris, sans parler de Bombay& ou bien partout où que vous soyez quand ce livre vous tombe entre les mains](Ma traduction). Ainsi donc, l’universalisation des conditions des africains est une réalité et Fanon peut ou doit être réapproprié pour rendre compte de la condition de ces nouveaux « damnés de la terre ». Une œuvre, qu’elle soit littéraire, non littéraire, culturelle ou non est retraduite pour répondre à la réception nouvelle de cette œuvre, pour élargir l’horizon d’attente qui est en perpétuel changement a l’image des êtres humains, surtout ceux de l’âge hyper-technologique dans lequel nous vivons. Grosso modo, derrière la retraduction de Fanon, il y a un désir de mettre l’œuvre sur le même diapason avec le potentiel lectorat qui ne parle pas originellement français comme ceux ou celles dont Fanon nous pourvoyait la psychologie dans Les Damnés de la terre : les colons français et les colonisés d’Afrique et des Antilles françaises. Et mettre le lectorat à la même page que l’œuvre c’est de tirer des enseignements qui cadrent avec les réalités et les expériences sociales qui sont propres à chaque lecteur et chaque lectrice. Ainsi donc, pour l’Afrique, une relecture de Fanon consiste à méditer sur le message de celui-ci dans les «mésaventures de la conscience nationale » où il traite de questions qui continuent d’être d’actualité dans les pays africains dont il parlait dans les premières années des indépendances. Ce qui précède est vrai pour les africains francophones, et il n’en demeure pas moins pour les africains d’autres expressions étrangères (qui parlent par exemple, l’anglais, le portugais, l’espagnol sur le continent). Pour ceux-là, la retraduction ou la relecture s’avère très nécessaire et salutaire.

Pour revenir à la retraduction de cette œuvre de marque de Fanon, il faut dire que l’on se rend compte de ce qu’un certain nombre de termes à lourdes connotations aujourd’hui ont été revus et corrigés là où le besoin se faisait sentir. Ce sont les mots « nègre » « noir », « indigène », et « colon ». Constance Farrington, dans sa traduction, nous donne « negro » indifféremment pour « nègre » et « noir » qui sont des mots qui s’appliquent différemment selon les contextes africains et africains américains. 1 « Indigène » est traduit par « native » et vidé de son caractère politique et raciste que les colons français lui avait confère, et le mot colon, quant à lui en appelle à beaucoup d’hésitation pour le re-traducteur de Les Damnés de la terre. Philcox nous dit par exemple le problème qu’il eut à traduire le terme colon qui est équivoque :

I was tempted to use the colonizer since it sounded right pitted against the word colonized. But a colonizer composes the original force that colonized the country and does not convey the meaning of the European who settled, lived, worked, and was born in the colony. Colonial has two different associations, one for the English, especially in East Africa, and one for the Americans, pertaining to the thirteen British colonies that became the United States of America or to that period; settler was being used by the media in the Mideast crisis to refer to the Jewish settlers and would be the immediate reference for a reader.

[J’étais tenté d’utiliser le mot « colonizer» d’autant plus qu’il est l’antonyme de « colonized ». Cependant, le colonisateur constitue en soi cette force originale qui colonisa le territoire, et le mot ne véhicule pas l’idée de l’Européen qui s’était installé, qui a vécu et travaillé, et qui est né dans la colonie. « Colonial » a deux associations, l’une pour les anglais surtout en Afrique de l’Est, et l’autre pour les américains, en ce qui concerne la treizième colonie britannique qui devint les Etats-Unis, ou à cette période-là ; « settler » était en train d’être utilisé par les media pour se référer aux colons juifs, et ce mot donnerait une référence immédiate aux lecteurs et lectrices] (Ma traduction).

Cependant, il optera pour le mot « colonist » de concert avec son éditeur. C’est là une des raisons de la retraduction : corriger les erreurs ou les insuffisances sémantiques de la première traduction.

Au delà des mots équivoques ou à connotations diverses, il y a dans la traduction de Philcox des changements qui sont apportés aux sous-titres de la traduction de Farrington. Ainsi, quand Farrington traduit « sur la violence » comme « Concerning Violence », Philcox traduit ce sous-titre comme « On Violence », ce qui est une traduction quasiment mot-à-mot. En ce qui concerne « Grandeur et faiblesses de la spontanéité » que Farrington traduit comme « Spontaneity : Its Strength and Weakness », Philcox le rend comme « Grandeur and Weakness of Spontaneity ». La portion du livre qui traite de la question fondamentale de la psychologie et la conscience du colonisé, c’est-à-dire « Mésaventures de la conscience nationale » que Farrington traduit comme « The Pitfalls of National Consciousness », Philcox nous forunit une toute traduction, et plus « épicée » qui est « The Trials and Tribulations of National Consciousness ». Quant à « Sur la conscience nationale », ce titre est traduit par « On National Culture » qui est traduction un peu littérale comme « On Violence » que Phillcox utilise pour rendre « Sur la Violence ». Le sous-titre « Guerres coloniales et troubles mentaux » est traduit textuellement de la même manière par Philcox et Farrington : le premier le rend par « Colonial War and Mental Disorder » et la seconde par « Colonial War and Mental Disorder ».

On voit donc que Philcox a opéré un aménagement sérieux dans les sous-titres. Ces aménagements restituent souvent l’idée française dans leur splendeur et/ou laideur telles que l’auteur les a voulues. Par exemple, les mésaventures ne sont bien rendues en anglais que par Philcox, c’est-à-dire comme « Trials and tribulations », car « pitfall » ne signifie pas « mésaventure », mais plutôt « piège » ou « trappe » en Français.

Ce que l’on peut pourtant considérer comme problème dans la traduction de Philcox est le maintien du titre en anglais tel que Farrington nous l’offre en 1963 : « The Wretched of the Earth ». Selon Cassell’s French-English/English/French Dictionary, « wretched » signifie « misérable » « malheureux », « pitoyable », « vilain » et « triste ». (Voir p. 631). En ce qui concerne « damné » en anglais, selon le même dictionnaire, il se rend en anglais par « damned ». « Damné » pour moi pouvait mieux se rendre par « cursed » comme dans le mot « maudit ». Ainsi, on aurait « The Cursed of the Earth » si l’on veut tenir à la traduction littéraliste ou pseudo-fidèle que Philcox nous donne dans son réaménagement des sous-titres en anglais. En d’autres termes, les deux titres sont les mêmes, si bien que l’on se demande pourquoi Philcox a retraduit Farrington, au lieu de Fanon. N’est-ce pas pour des besoins mercantilistes que Grove Press a tenu à retraduire cette œuvre ? Une retraduction par la même maison peut s’interpréter comme une correction des ratés. Oui. Mais cela ne dégage pas les suspicions légitimes des lecteurs comme votre serviteur ici qui pense que le titre devait carrément est retraduit à cause raisons avancées ci-haut.

En fin de compte, il faut dire que l’on saurait les motivations profondes et les défis que Farrington a eu à traverser si elle nous avait fourni un protocole ou une note sur sa traduction de Fanon. Philcox, lui, nous en pourvoit, ou il nous dissuade de l’accuser de la crise de chaque traducteur. Le proverbe en traductologie ne nous dit-il pas que « traduttore traditore » (Le traducteur est un traitre)? Oui, chaque traduction a ses propres défis et idéologies qui incitent le traducteur à soit exciser des parties du sens des mots ou d’en rajouter. Le rajout ou la soustraction de sens s’impose au traducteur qui est le seul maître du texte dans le navire qu’est l’acte de traduire. Si le traducteur n’est pas digne de foi, s’il est un traître, le retraducteur est un traître, mais à la différence du traducteur, il peut ou doit être accusé doublement de la même charge. Non seulement le retraducteur traduit le texte original, mais aussi il retraduit aussi le texte déjà traduit. Il semble ici faire un travail d’excision et d’ajout de sens sur le texte original et sur la traduction déjà offerte. Les modifications (c’est-à-dire les ajouts et soustractions) de sens original, pour que celui-ci soit mieux accommodé dans la langue cible, sont donc partie intégrante de la traduction et nul traducteur ne peut s’en défaire. Ces modifications peuvent se remédier si l’auteur(e) est vivant(e). Il ou elle peut apporter les correctifs qui s’imposent, défendant ainsi son texte des falsifications et interprétations tendancieuses et erronées. Fanon est de l’autre monde. Qui le défend des traducteurs ? Philcox semble tenter de nous soulager du fardeau lourd de ce souci et nous dit ceci :

You might think that translating the dead gives you a whole lot of freedom - there’s nobody there looking over your shoulder or making rude comments. But in fact there are crowds of people looking over your shoulder - from the readers of the original translation to the postcolonial scholars who have staked their reputation on Fanon’s ideas. Translating a dead man means stepping very warily through a minefield littered with the debris of another time and another translation. But the very fact of looking back was a driving force to modernize the text and look ahead. In Fanon’s case, translating the dead was a case of translating life itself. I felt I had to bring a dead translation back to life.(Philcox, On Retranslating Fanon The Wretched of the Earth, 251)

[Vous pourriez penser que traduire les œuvres des morts vous offre plus de liberté - car il n’y a personne qui vous regarde par dessus les épaules, ou personne qui puisse vous opposer des contradictions assez dures. Mais en fait, il y a une multitude de personnes, des lecteurs et lectrices de l’œuvre dans sa version originale aux intellectuels des études postcoloniales qui ont fait asseoir leur crédibilité sur les idées de Fanon, qui vous regardent par dessus les épaules. Traduire les œuvres d’un mort veut dire marcher très bravement sur un terrain mine qui est jonche des débris d’un autre temps et d’une autre traduction. Cependant, le fait même de regarder en arrière était une force motrice qui a permis de moderniser le texte et d’aller de l’avant. Dans le cas de Fanon, traduire un mort équivalait à traduire la vie même. J’avais comme l’impression de ramener à la vie une traduction mort](Ma traduction).

Ici, Philcox a usé de ressources audio appartenant à Fanon. Il a écouté les récitations et voix de Fanon. Il a rencontré l’homme à plusieurs reprises. Choses qui lui permettent d’affirmer que regarder en arrière était une source d’énergie qui lui a permis de « moderniser le texte » afin qu’il puisse convenir au lectorat d’aujourd’hui. Il serait plutôt intéressant que le lectorat se modèle après le message original. Qu’il entende et comprenne le message selon l’intention « auteuriale » (l’intention de l’auteur). « Moderniser le texte » est un acte quelque peu tronqueur, pour ne pas dire trompeur.

Aussi, il faut dire que c’est vrai qu’il était sous le panoptisme (l’œil surveillant, inquisiteur et questionneur) des intellectuels qui ont assis leur réputation sur Fanon, aussi bien que les lecteurs de la première traduction. Cela n’exclut pas que ces intellectuels ont pu bâtir leur entreprise académique sur certaines des idées erronées de la première traduction. Leur apport correcteur serait plus salutaire si ceux-ci basaient leur réputation sur la version originale de l’œuvre, c’est-à-dire en langue française.

III

Ces réserves considérées, la retraduction de l’œuvre de Fanon ne semble pas bien expliquée par Philcox, si bien que l’on devait être tenté de s’en tenir à la première traduction, que le retraducteur semble d’ailleurs avoir repiqué d’une manière ou d’une autre. Et puis, il faut avoir le courage de le dire haut et fort, considérer la traduction de Farrington comme « une traduction morte » est quelque peu dur comme mot lorsque l’on sait que c’est sur les cendres de la traduction de Farringon que Philcox a pu « remanier » et « rajuster » les sens qui sont devenus anachroniques et désuets pour le lecteur d u 21e siècle.


Note

1 Pour peu que l’on lise l’œuvre originale et ses différentes traductions, l’on se rendra compte des différences et/ou variations sémantiques dans Philcox et Farrington en ce qui concerne les mots lourdement charges que Fanon a utilise dans les années 60, mais qui semble avoir des connotations différentes aujourd’hui.


Bibliographie

Fanon, Frantz. (1961) Les damnés de la terre. Paris : Cahiers libres/Editions la Découverte, 1987.

---------------. The Wretched of the Earth. Trans. Constance Farrington. New York: Grove Press, 1963.

--------------. The Wretched of the Earth. Trans. Richard Philcox. New York: Grove Press, 2004.