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Origine : http://www.translationdirectory.com/article1110.htm
siendouk [at] yahoo.com
Traduire une œuvre ou un ouvrage, d’une langue donnée
à une autre, relève du besoin que le traducteur sent.
Ce besoin peut être celui de construire un pont entre les
deux cultures que représentent les langues impliquées
dans la traduction. Le pont peut être celui qui vise la compréhension
entre, l’entente interculturelle, l’acceptation de la
différence (accepter l’autre tel qu’il ou elle
est). Le pont en question ici peut également servir de moyen
de subjugation, d’asservissement comme il a été
le cas avec l’apprentissage des langues nationales africaines
par les missionnaires européens et les traductions de la
Bible dans ces langues plus tard par les mêmes acteurs du
prosélytisme évangélique en Afrique. Ces traductions,
au-delà de la propagation de la Bonne Nouvelle aux «
sans-foi », peuples des régions reculées et
sauvages du monde, ont servi de soubassement à l’impérialisme
occidental en Afrique. Ne dit-ton pas que pendant la rencontre des
Africains avec les Occidentaux, les seconds avaient la Bible et
les premiers avaient les terres, et qu’après avoir
fermé et rouvert les yeux, les Africains avaient la Bible
et les Occidentaux les terres ? C’est dire que la traduction
à un côté hégémonique à
ne point minimiser.
Qu’en est-il de la retraduction ? Quelles en sont les raisons
ou bien quels sont les facteurs qui contribuent à retraduire
une œuvre littéraire ou non littéraire ?
Ces interrogations fondamentales sont soulevées afin de
savoir pourquoi Les Damnés de la terre que Fanon publia en
1961, et qui a été traduit par Constance Farrington
en 1963, se voit retraduit en 2004 par Richard Philcox, soit quarante-et-un
ans après.
I
La retraduction d’un ouvrage est guidée par un certain
nombre de facteurs. Ces facteurs incluent que le temps écoulé
généralement, et ce parmi tant d’autres. En
effet, la traduction premièrement faite d’une œuvre
peut s’avérer souvent désuète et obsolète
parce qu’elle peut poser un problème de compréhension
pour le lectorat, si celui-ci est séparé par de nombreuses
années d’avec la période de la traduction originelle.
La traduction des œuvres du Grec Homère au 18e siècle
par Mme Anne Dacier (L’Iliade en 1699 et l’Odyssée
en 1708), celle de Charles Marie René Leconte de Lisle au
19e siècle (L’Iliade en1866, et l’Odyssée
en 1867), et enfin l’Odyssée que Philippe Jacottet
traduit au 20e siècle (2000), répondent toutes à
des exigences temporelles et spatiales différentes. Parmi
ces exigences, l’on ne peut aucunement minimiser le facteur
langue. La langue a évolué, la culture avec elle.
Si la culture a évolué, les goûts et les manières
d’écrire doivent avoir connu une évolution substantielle.
Ainsi donc, le Français parlé au 18e siècle
ne peut être aisé à comprendre pour les usagers
de cette langue au 19e et au 20e siècle. Il peut y avoir
des différences du point de vue de la morphologie, la phonologie,
la syntaxe, et souvent la sémantique lexicale (le sens des
mots) entre le français parlé dans les différents
siècles. Ces différences morphologiques, phonologiques,
syntactiques et lexicales peuvent aussi charrier des problèmes
de goûts et de mode. C’est pourquoi une mise à
jour linguistique et culturelle s’impose à texte. Dans
la retraduction de Les Damnés de la terre, qu’est ce
qui a été sa feuille de route ? Ou pour être
clair, qu’est-ce qui a guidé le pas du (re-)traducteur
? En somme, pourquoi la retraduction de cette œuvre du tout
?
II
La parution de Les Damnés de la terre en 1961 répondait
à un besoin de conscientisation, à une responsabilité
ou exigence d’exhortation à la prise de conscience
des peuples aliénés par le colonialisme occidental.
Comme Jean-Paul Sartre le dit si bien dans la préface qu’il
écrit pour l’œuvre, Fanon, dans cette œuvre
magistrale, indique qu’il s’est assigné le devoir
de mettre ses lecteurs et lectrices (surtout ses frères et
sœurs d’Afrique) en garde contre les aliénations
découlant de leur contact avec la France en particulier,
et l’Occident en général : « le leader,
le culte de la personne, la culture occidentale et tout aussi bien,
le retour du lointain passe de la culture africaine& ».
Il s’engageait à confronter les problèmes qui
ont conduit à ce que l’on peut sans crainte d’être
accusé d’Afro-pessimisme, et sans erreur majeure, appeler
l’échec de l’Etat postcolonial. Une lecture oblongue
(c’est-à-dire une interprétation de son œuvre)
par les lecteurs autres que ceux et celles a qui l’œuvre
était initialement destinée a conduit à l’élargissement
du cercle de lecteurs. En somme, l’horizon d’attente
s’est agrandie, non seulement en Afrique anglophone, mais
également en dehors même de l’Afrique : certains
pays membres du groupe des pays non-alignés, issus de la
conférence de Bandung en 1955, ont embrassé les thèses
de Fanon. La traduction donc de Farrington obéit également
à cette logique. Les Black Panthers des Etats-Unis et bien
d’autres mouvements d’auto-détermination doivent
la majeure partie de leur praxis à cette œuvre de Fanon.
Il n’y a qu’à lire Black Power : The Politics
of Liberation in America de Stockley Carmichael et Charles V. Hamilton
pour s’en convaincre. N’eut-été la traduction
du Français à l’anglais, Les Damnés de
la terre ne servirait pas de recours non seulement aux mouvements
de libération du monde afro-anglophone d’Afrique, aux
activistes et « indépendantistes » noir-américains
qui identifiaient leur combat contre la ségrégation
et la discrimination raciale à celui des africains qui se
libéraient du joug colonial, mais aussi aux théoriciens
africanistes et postcolonialistes qui furent, et continuent de faire
toutes sortes d’extrapolation de l’œuvre après
sa traduction en anglais. Ainsi donc, la traduction de Fanon, pour
des lecteurs et lectrices anglais et américains, était
une traduction du besoin d’explorer des moyens de l’Histoire,
c’est-à-dire, les modes de changement de la société.
Les raisons apparentes de la traduction étant sues, à
quoi sert donc une retraduction de Fanon en 2004 ? Pour quoi ou
pour qui Philcox a-t-il retraduit Les Damnés de la terre
?
Selon Philcox, dans le protocole de sa traduction de l’œuvre
de Fanon qu’il intitule « On Retranslating Fanon, Retrieving
a Lost Voice » la question de l’adéquation de
l’œuvre de Fanon avec la société d’aujourd’hui
constitue une partie des facteurs qui l’ont impulsé
à entreprendre une retraduction de Fanon. Il nous apprend
qu’un jour alors qu’il s’en était allé
à la librairie FNAC à Paris pour se procurer une copie
de Les Damnés de la terre, il s’est enquis de la présence
de l’œuvre sur les rayons à une jeune libraire.
La jeune libraire consulta son ordinateur pour vérifier la
présence de Fanon dans ses locaux. Philcox fut surpris de
ce que Frantz Fanon n’avait pas laissé de marque dans
cette partie de Paris.
Un autre facteur qui a inspiré la retraduction de Fanon
par Philcox est non seulement la persistance des « damnés
de la terre » presque partout dans le monde aujourd’hui,
mais aussi la similitude entre la condition des colonisés
d’Afrique et les mouvements de libération d’Afrique
(et surtout d’Algérie) qui ont informé Fanon
dans l’écriture de son ouvrage, et le lumpenprolétariat
de l’Afrique d’aujourd’hui, de l’Afghanistan,
l’Iraq, la Palestine, et même ceux et celles des anciens
pays communistes de l’Europe de l’Est. Il va sans dire
que retraduire Fanon est une occasion salutaire aux « damnés
» des espaces énumérés ci-haut. Ce n’est
pas en tout cas Homi K. Bhabha qui nous dira le contraire. L’Indien
abonde dans la même veine que Jean Paul dans sa préface
qui explique les raisons qui ont présidé à
l’écriture de la seconde œuvre de Fanon, mais
cette fois-ci dans une introduction à la nouvelle traduction
de The Wrecthed of the Earth, disant que « The Wretched of
the Earth emerges, year after year, in Oakland, Natal, Belfast,
Tehran, Washington, Paris, to say nothing of Bombay&, or wherever
you may be today as the book fall into your hands» (Bhabha
Foreward, The Wretched of the Earth. Trans R. Philcox xxxi) [Les
Damnés de la terre surgit à Oakland, au Natal, à
Belfast, à Tehran, à Washington, à Paris, sans
parler de Bombay& ou bien partout où que vous soyez quand
ce livre vous tombe entre les mains](Ma traduction). Ainsi donc,
l’universalisation des conditions des africains est une réalité
et Fanon peut ou doit être réapproprié pour
rendre compte de la condition de ces nouveaux « damnés
de la terre ». Une œuvre, qu’elle soit littéraire,
non littéraire, culturelle ou non est retraduite pour répondre
à la réception nouvelle de cette œuvre, pour
élargir l’horizon d’attente qui est en perpétuel
changement a l’image des êtres humains, surtout ceux
de l’âge hyper-technologique dans lequel nous vivons.
Grosso modo, derrière la retraduction de Fanon, il y a un
désir de mettre l’œuvre sur le même diapason
avec le potentiel lectorat qui ne parle pas originellement français
comme ceux ou celles dont Fanon nous pourvoyait la psychologie dans
Les Damnés de la terre : les colons français et les
colonisés d’Afrique et des Antilles françaises.
Et mettre le lectorat à la même page que l’œuvre
c’est de tirer des enseignements qui cadrent avec les réalités
et les expériences sociales qui sont propres à chaque
lecteur et chaque lectrice. Ainsi donc, pour l’Afrique, une
relecture de Fanon consiste à méditer sur le message
de celui-ci dans les «mésaventures de la conscience
nationale » où il traite de questions qui continuent
d’être d’actualité dans les pays africains
dont il parlait dans les premières années des indépendances.
Ce qui précède est vrai pour les africains francophones,
et il n’en demeure pas moins pour les africains d’autres
expressions étrangères (qui parlent par exemple, l’anglais,
le portugais, l’espagnol sur le continent). Pour ceux-là,
la retraduction ou la relecture s’avère très
nécessaire et salutaire.
Pour revenir à la retraduction de cette œuvre de marque
de Fanon, il faut dire que l’on se rend compte de ce qu’un
certain nombre de termes à lourdes connotations aujourd’hui
ont été revus et corrigés là où
le besoin se faisait sentir. Ce sont les mots « nègre
» « noir », « indigène », et
« colon ». Constance Farrington, dans sa traduction,
nous donne « negro » indifféremment pour «
nègre » et « noir » qui sont des mots qui
s’appliquent différemment selon les contextes africains
et africains américains. 1 « Indigène »
est traduit par « native » et vidé de son caractère
politique et raciste que les colons français lui avait confère,
et le mot colon, quant à lui en appelle à beaucoup
d’hésitation pour le re-traducteur de Les Damnés
de la terre. Philcox nous dit par exemple le problème qu’il
eut à traduire le terme colon qui est équivoque :
I was tempted to use the colonizer since it sounded right pitted
against the word colonized. But a colonizer composes the original
force that colonized the country and does not convey the meaning
of the European who settled, lived, worked, and was born in the
colony. Colonial has two different associations, one for the English,
especially in East Africa, and one for the Americans, pertaining
to the thirteen British colonies that became the United States of
America or to that period; settler was being used by the media in
the Mideast crisis to refer to the Jewish settlers and would be
the immediate reference for a reader.
[J’étais tenté d’utiliser le mot «
colonizer» d’autant plus qu’il est l’antonyme
de « colonized ». Cependant, le colonisateur constitue
en soi cette force originale qui colonisa le territoire, et le mot
ne véhicule pas l’idée de l’Européen
qui s’était installé, qui a vécu et travaillé,
et qui est né dans la colonie. « Colonial » a
deux associations, l’une pour les anglais surtout en Afrique
de l’Est, et l’autre pour les américains, en
ce qui concerne la treizième colonie britannique qui devint
les Etats-Unis, ou à cette période-là ; «
settler » était en train d’être utilisé
par les media pour se référer aux colons juifs, et
ce mot donnerait une référence immédiate aux
lecteurs et lectrices] (Ma traduction).
Cependant, il optera pour le mot « colonist » de concert
avec son éditeur. C’est là une des raisons de
la retraduction : corriger les erreurs ou les insuffisances sémantiques
de la première traduction.
Au delà des mots équivoques ou à connotations
diverses, il y a dans la traduction de Philcox des changements qui
sont apportés aux sous-titres de la traduction de Farrington.
Ainsi, quand Farrington traduit « sur la violence »
comme « Concerning Violence », Philcox traduit ce sous-titre
comme « On Violence », ce qui est une traduction quasiment
mot-à-mot. En ce qui concerne « Grandeur et faiblesses
de la spontanéité » que Farrington traduit comme
« Spontaneity : Its Strength and Weakness », Philcox
le rend comme « Grandeur and Weakness of Spontaneity ».
La portion du livre qui traite de la question fondamentale de la
psychologie et la conscience du colonisé, c’est-à-dire
« Mésaventures de la conscience nationale » que
Farrington traduit comme « The Pitfalls of National Consciousness
», Philcox nous forunit une toute traduction, et plus «
épicée » qui est « The Trials and Tribulations
of National Consciousness ». Quant à « Sur la
conscience nationale », ce titre est traduit par « On
National Culture » qui est traduction un peu littérale
comme « On Violence » que Phillcox utilise pour rendre
« Sur la Violence ». Le sous-titre « Guerres coloniales
et troubles mentaux » est traduit textuellement de la même
manière par Philcox et Farrington : le premier le rend par
« Colonial War and Mental Disorder » et la seconde par
« Colonial War and Mental Disorder ».
On voit donc que Philcox a opéré un aménagement
sérieux dans les sous-titres. Ces aménagements restituent
souvent l’idée française dans leur splendeur
et/ou laideur telles que l’auteur les a voulues. Par exemple,
les mésaventures ne sont bien rendues en anglais que par
Philcox, c’est-à-dire comme « Trials and tribulations
», car « pitfall » ne signifie pas « mésaventure
», mais plutôt « piège » ou «
trappe » en Français.
Ce que l’on peut pourtant considérer comme problème
dans la traduction de Philcox est le maintien du titre en anglais
tel que Farrington nous l’offre en 1963 : « The Wretched
of the Earth ». Selon Cassell’s French-English/English/French
Dictionary, « wretched » signifie « misérable
» « malheureux », « pitoyable », «
vilain » et « triste ». (Voir p. 631). En ce qui
concerne « damné » en anglais, selon le même
dictionnaire, il se rend en anglais par « damned ».
« Damné » pour moi pouvait mieux se rendre par
« cursed » comme dans le mot « maudit ».
Ainsi, on aurait « The Cursed of the Earth » si l’on
veut tenir à la traduction littéraliste ou pseudo-fidèle
que Philcox nous donne dans son réaménagement des
sous-titres en anglais. En d’autres termes, les deux titres
sont les mêmes, si bien que l’on se demande pourquoi
Philcox a retraduit Farrington, au lieu de Fanon. N’est-ce
pas pour des besoins mercantilistes que Grove Press a tenu à
retraduire cette œuvre ? Une retraduction par la même
maison peut s’interpréter comme une correction des
ratés. Oui. Mais cela ne dégage pas les suspicions
légitimes des lecteurs comme votre serviteur ici qui pense
que le titre devait carrément est retraduit à cause
raisons avancées ci-haut.
En fin de compte, il faut dire que l’on saurait les motivations
profondes et les défis que Farrington a eu à traverser
si elle nous avait fourni un protocole ou une note sur sa traduction
de Fanon. Philcox, lui, nous en pourvoit, ou il nous dissuade de
l’accuser de la crise de chaque traducteur. Le proverbe en
traductologie ne nous dit-il pas que « traduttore traditore
» (Le traducteur est un traitre)? Oui, chaque traduction a
ses propres défis et idéologies qui incitent le traducteur
à soit exciser des parties du sens des mots ou d’en
rajouter. Le rajout ou la soustraction de sens s’impose au
traducteur qui est le seul maître du texte dans le navire
qu’est l’acte de traduire. Si le traducteur n’est
pas digne de foi, s’il est un traître, le retraducteur
est un traître, mais à la différence du traducteur,
il peut ou doit être accusé doublement de la même
charge. Non seulement le retraducteur traduit le texte original,
mais aussi il retraduit aussi le texte déjà traduit.
Il semble ici faire un travail d’excision et d’ajout
de sens sur le texte original et sur la traduction déjà
offerte. Les modifications (c’est-à-dire les ajouts
et soustractions) de sens original, pour que celui-ci soit mieux
accommodé dans la langue cible, sont donc partie intégrante
de la traduction et nul traducteur ne peut s’en défaire.
Ces modifications peuvent se remédier si l’auteur(e)
est vivant(e). Il ou elle peut apporter les correctifs qui s’imposent,
défendant ainsi son texte des falsifications et interprétations
tendancieuses et erronées. Fanon est de l’autre monde.
Qui le défend des traducteurs ? Philcox semble tenter de
nous soulager du fardeau lourd de ce souci et nous dit ceci :
You might think that translating the dead gives you a whole lot
of freedom - there’s nobody there looking over your shoulder
or making rude comments. But in fact there are crowds of people
looking over your shoulder - from the readers of the original translation
to the postcolonial scholars who have staked their reputation on
Fanon’s ideas. Translating a dead man means stepping very
warily through a minefield littered with the debris of another time
and another translation. But the very fact of looking back was a
driving force to modernize the text and look ahead. In Fanon’s
case, translating the dead was a case of translating life itself.
I felt I had to bring a dead translation back to life.(Philcox,
On Retranslating Fanon The Wretched of the Earth, 251)
[Vous pourriez penser que traduire les œuvres des morts vous
offre plus de liberté - car il n’y a personne qui vous
regarde par dessus les épaules, ou personne qui puisse vous
opposer des contradictions assez dures. Mais en fait, il y a une
multitude de personnes, des lecteurs et lectrices de l’œuvre
dans sa version originale aux intellectuels des études postcoloniales
qui ont fait asseoir leur crédibilité sur les idées
de Fanon, qui vous regardent par dessus les épaules. Traduire
les œuvres d’un mort veut dire marcher très bravement
sur un terrain mine qui est jonche des débris d’un
autre temps et d’une autre traduction. Cependant, le fait
même de regarder en arrière était une force
motrice qui a permis de moderniser le texte et d’aller de
l’avant. Dans le cas de Fanon, traduire un mort équivalait
à traduire la vie même. J’avais comme l’impression
de ramener à la vie une traduction mort](Ma traduction).
Ici, Philcox a usé de ressources audio appartenant à
Fanon. Il a écouté les récitations et voix
de Fanon. Il a rencontré l’homme à plusieurs
reprises. Choses qui lui permettent d’affirmer que regarder
en arrière était une source d’énergie
qui lui a permis de « moderniser le texte » afin qu’il
puisse convenir au lectorat d’aujourd’hui. Il serait
plutôt intéressant que le lectorat se modèle
après le message original. Qu’il entende et comprenne
le message selon l’intention « auteuriale » (l’intention
de l’auteur). « Moderniser le texte » est un acte
quelque peu tronqueur, pour ne pas dire trompeur.
Aussi, il faut dire que c’est vrai qu’il était
sous le panoptisme (l’œil surveillant, inquisiteur et
questionneur) des intellectuels qui ont assis leur réputation
sur Fanon, aussi bien que les lecteurs de la première traduction.
Cela n’exclut pas que ces intellectuels ont pu bâtir
leur entreprise académique sur certaines des idées
erronées de la première traduction. Leur apport correcteur
serait plus salutaire si ceux-ci basaient leur réputation
sur la version originale de l’œuvre, c’est-à-dire
en langue française.
III
Ces réserves considérées, la retraduction
de l’œuvre de Fanon ne semble pas bien expliquée
par Philcox, si bien que l’on devait être tenté
de s’en tenir à la première traduction, que
le retraducteur semble d’ailleurs avoir repiqué d’une
manière ou d’une autre. Et puis, il faut avoir le courage
de le dire haut et fort, considérer la traduction de Farrington
comme « une traduction morte » est quelque peu dur comme
mot lorsque l’on sait que c’est sur les cendres de la
traduction de Farringon que Philcox a pu « remanier »
et « rajuster » les sens qui sont devenus anachroniques
et désuets pour le lecteur d u 21e siècle.
Note
1 Pour peu que l’on lise l’œuvre originale et
ses différentes traductions, l’on se rendra compte
des différences et/ou variations sémantiques dans
Philcox et Farrington en ce qui concerne les mots lourdement charges
que Fanon a utilise dans les années 60, mais qui semble avoir
des connotations différentes aujourd’hui.
Bibliographie
Fanon, Frantz. (1961) Les damnés de la terre. Paris : Cahiers
libres/Editions la Découverte, 1987.
---------------. The Wretched of the Earth. Trans. Constance Farrington.
New York: Grove Press, 1963.
--------------. The Wretched of the Earth. Trans. Richard Philcox.
New York: Grove Press, 2004.
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