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Origine : http://www.afrik.com/article1416.html
Les Editions du Seuil publient le livre de la psychiatre et psychanalyste
Alice Cherki, " Frantz Fanon, portrait ". Un témoignage
précieux sur la vie de ce psychiatre d’origine antillaise,
engagé dans la lutte pour l’indépendance algérienne,
et que beaucoup ont mal compris. Alice Cherki remet les pendules
à l’heure.
D’origine martiquinaise, Frantz fanon sera inhumé
en terre algérienne en décembre 1961. Psychiatre moderne,
homme de plume, militant anticolonialiste, il s’engage dans
la lutte pour l’indépendance algérienne de 1955
à 1961. Ce " rassembleur ", qui avait " une
passion pour ce qui lie les hommes entre eux malgré leur
différence ", marquera son temps d’une présence
indélébile. Ces livres soulèvent des tollé,
et l’homme dérange autant qu’il séduit.
Emporté par une leucémie à 36 ans, il aura
juste le temps de terminer " Les Damnés de la terre
". Le livre, préfacé par Sartre, fut interdit
en France dès sa sortie. Le texte, qui s’adresse aux
colonisés, soulève polémiques, louanges, critiques.
Alice Cherki, qui a travaillé avec le psychiatre avant de
connaître l’homme, dresse un portrait passionnant de
cet homme au parcours hors normes et à la personnalité
atypique : " On disait qu’il était noir, qu’il
venait des Antilles. C’était sûrement vrai, mais
je ne l’avais pas vu, attentive à l’éclat
des yeux liquides, d’un marron transparent, au mouvement d’un
corps élégamment vêtu, à une voix ardente
et surtout à ce que disait cette voix sur la peur, sur l’angoisse
", raconte -t-elle au souvenir de leur première rencontre.
" L’éveilleur des consciences "
Fanon hypnotise, de Simone de Beauvoir à Sartre, en passant
par le jeune Bouteflika. Fanon dérange : en 1953, son livre
" Peau noire, masques blancs ", né de sa rencontre
avec la société française majoritairement blanche
et de son expérience de noir minoritaire, est mal perçu.
Provocateur, Fanon est surtout novateur, et explore des thèmes
sur lesquels les Noirs n’étaient pas censés
réfléchir à l’époque.
L’histoire de Fanon commence avec des déceptions.
Ce sera la seconde guerre mondiale : parti se battre pour un idéal,
il sera confronté à " la discrimination ethnique,
à des nationalismes au petit pied ". Puis, une fois
psychiatre, la rencontre douloureuse avec une Algérie subissant
le racisme ordinaire des " Européens ", racisme
qui n’épargne pas le milieu universitaire et encore
moins le milieu psychiatrique dans lequel se retrouve plongé
Fanon.
La ségrégation existe à l’intérieur
de l’Hôpital Psychiatrique de Blida (HPB) dans lequel
débarque Fanon avec des idées bien trop révolutionnaires
pour l’époque et le lieu. Malgré l’hostilité
affichée de ses collègues, Fanon appliquera ses méthodes
visant à rendre à l’asile son caractère
humain, emmenant dans son sillage le personnel algérien jusque
là totalement déconsidéré.
Penseur panafricain
C’est presque naturellement qu’il est contacté
par le Front de Libération Nationale algérienne, avec
lequel il va collaborer jusqu’à sa mort, devenant le
représentant de l’Algérie en guerre à
l’étranger. Observateur soucieux des premières
indépendances africaines, il prônera sans relâche
la solidarité et l’unité africaine : "
Chaque Africain doit se sentir engagé concrètement,
et doit pouvoir répondre physiquement à l’appel
de tel ou tel territoire... Il importe de ne pas isoler le combat
national du combat africain. "
Avec pudeur, tendresse et compréhension, Alice Cherki nous
offre ce qu’elle appelle cliniquement " un témoignage
distancié ". Mais c’est bien plus que cela. Ce
portrait permet au lecteur d’aller à la rencontre d’un
homme dont on a souvent mal compris les textes et les idées
et que la jeune génération ne connaît pas forcément.
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