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Origine : http://www.espaces-marx.eu.org/article.php3?id_article=199
Mini-biblio critique.
Tentative d’exposition synthétique de toute l’œuvre
de Fanon (complétée par une bibliographie fort utile,
et qui signale plusieurs inédits), le petit livre L’œuvre
de Frantz Fanon de Renate Zahar n’est cependant pas une simple
présentation. A travers une grande abondance de citations
et de références diverses, il s’oriente peu
à peu vers une analyse critique des notions de violence et
de spontanéité dans la pensée de Fanon. Il
essaye de les infléchir pour leur donner sens à l’intérieur
d’une analyse plus attentive aux rapports de classe à
l’échelle mondiale, aussi bien qu’à la
diversité des conditions concrètes.
Je ne veux pas ici engager la discussion sur les réponses
proposées par l’auteur, qui s’appuie sur une
citation bien connue de Lin Piao sur l’encerclement des villes
(les pays capitalistes) par les campagnes (les pays sous-développés).
C’est peut-être ici l’occasion de noter que cette
idée elle-même a déjà une histoire et
qu’elle vient en droite ligne, d’une résolution
du VI° Congrès de la III° Internationale en 1928,
congrès dont on sait que les résultats pratiques n’ont
pas toujours été des plus heureux. Qui qu’il
en soit, je poursuivrai d’autant moins cette discussion que
l’œuvre maîtresse de Fanon, Les Damnés de
la Terre, à été l’objet, dans La Pensée
(1963, n°107) d’un compte-rendu de Nguyen N’Ghe,
auquel se réfère d’ailleurs Renate Zahar
Deux questions, cependant. La critique même de certains aspects
d’une œuvre, dont l’influence mondiale reste aujourd’hui
grande, oblige à se demander quel est le rapport, au sein
de cette unité, entre ces thèses-là et les
analyses psycho-physiologiques et psycho-sociologiques que le critique,
au contraire, retient et souligne. Je ne vois pas de réponse
claire à cette question fondamentale dans un livre, souvent
trop proche de la paraphrase à mon goût, bien qu’il
soit, heureusement, autre chose aussi.
D’autre part, l’auteur souligne que l’expérience
sur laquelle s’appuie Fanon dans ses analyses est essentiellement
celle de l’Algérie (bien qu’en fait il ait également
bien connu l’Afrique Occidentale). Dès lors, on s’attendrait
à ce que soient étudiés de plus près
les rapports entre cette œuvre et la réalité
algérienne, historique et sociale. Quand Fanon parle, d’une
manière générale, de la paysannerie, il faut
se demander de qui il parle : des petits paysans individuels ruinés
par la colonisation ? Ou bien de ce prolétariat agricole
qui existait effectivement dans les trois pays d’Afrique du
Nord où l’exploitation coloniale a été
celle d’une colonie de peuplement, avec confiscation des terres
et grands domaines européens (comme au Kenya et, là
aussi, il y a eu guerre et lutte armée des paysans africains)
? Peut-être, à partir de là, pourrait-on expliquer
mieux le processus et la raison de l’idéalisation de
la paysannerie chez Fanon.
Yves Benot, La Pensée, n°155, février 1971
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