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Frantz Fanon, une résonance actuelle
L’interprète de la folie coloniale
El Watan 16 février 2006

Origine : http://dzlit.free.fr/fanon.html


Trois ans après son installation dans les fonctions de médecin-chef de service, à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville en 1953, Fanon adresse une lettre de démission à Robert Lacoste, gouverneur général de l’Algérie. Relire cette lettre de démission au moment où les « citoyens majorés » de Lyautey proclament les merveilles de la colonisation peut paraître insensé, comme pour son texte Les damnés de la terre que certains penseurs omniscients considèrent comme une « réponse insensée à une situation insensée ».

Cette lettre mérite d’être réévaluée, parce qu’elle souligne les contradictions personnelles de son auteur, de son combat pour la liberté, de la pensée qui l’accompagne et qui dérange encore aujourd’hui. La lettre de cet insoumis éclaire une articulation fondamentale, le joint où le dessein de l’aliénation colonialiste manifeste une évidente liaison avec la psychose :

« La folie est l’un des moyens qu’a l’homme de perdre sa liberté. Et je puis dire, que placé à cette intersection, j’ai mesuré avec effroi l’ampleur de l’aliénation des habitants de ce pays. Si la psychiatrie est une technique médicale qui se propose de permettre à l’homme de ne plus être étranger à son environnement, je me dois d’affirmer que l’Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue. »

Délibérément choisi, cet extrait nous livre une leçon de vérité qui nous oblige à repenser de fond en comble la destruction coloniale des cultures et la dissociation psychique qu’elle provoque chez le colonisé. Instruit sur les grandes questions posées par Freud, entre l’ordre psychique individuel et l’organisation culturelle, l’interprète Fanon découvre dans le champ de sa pratique clinique, une violence de désubjectivation inédite chez le malade algérien colonisé : le meurtre psychique.

La référence à l’aliénation, un concept qu’il redéfinit tout au long de son œuvre d’une part, et la référence à la dépersonnalisation, catégorie psychiatrique de la clinique des psychoses, d’autre part vont lui permettre de saisir la logique du spectre asilaire véhiculée par l’entreprise coloniale à l’échelle de tout un pays : le statut de l’Algérie ?

Une déshumanisation systématique

L’émouvant analyste de la dépersonnalisation du colonisé, qui affirmait la parenté entre la folie et la colonisation, pouvait-il se représenter de son vivant que le discours néocolonial serait à son zénith quarante ans après les indépendances ? Sa lettre de démission nous offre aujourd’hui l’occasion de nous interroger sur le trouble de la mémoire de l’histoire coloniale française. Elle nous oriente vers des connaissances qui ne supportent pas la lumière du jour chez les héritiers de la troisième République qui pensent encore l’empire et qui font tout pour diaboliser leur auteur considéré comme un interprète insensé.

Il ne serait pas inutile de faire un rapprochement entre le contenu de cette lettre de démission qui date de 1956 et le texte de la loi de février 2005, pour relever la douce tyrannie publicitaire de la colonisation qui se fabrique au nom de la démocratie parlementaire ; le visionnaire Fanon l’explique de façon poignante dans sa lettre : « Or, le pari absurde était de vouloir coûte que coûte faire exister quelques valeurs, alors que le non-droit, l’inégalité, le meurtre multiquotidien de l’homme étaient érigés en principes législatifs. »

Cet extrait nous éclaire sur le déploiement permanent d’une logique de l’arbitraire qui est au cœur du système politique français à l’adresse de ses ex-colonies considérées comme « sans histoire » et « passible d’un non-juridisme comparable à celui des animaux » (P. Legendre). Le discours politique qui représentait le colonisé comme un sous-homme n’est pas un avatar nazi, c’est son germe que l’école psychiatrique d’Alger cultivait au nom de la science comme pour les zoos humains de la République coloniale, décrits dans un article paru dans Le Monde diplomatique d’août 2000 par les historiens Nicolas Blancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire.

La loi de février n’est pas une forme neuve d’adjudication de certains groupuscules ou de lobbys nostalgiques comme veulent bien l’expliquer ceux qui la dénoncent à partir de rapprochements électoraux épisodiques. Ce point de vue verrouille et rend opaque la logique de la représentation coloniale construite et consolidée dans les textes et les institutions de l’Etat français où le souci de l’homme colonisé est inexistant, voire « désinscrit », une non-personne. Voilà à quoi fait référence Fanon, lorsqu’il parle d’aliénation et de dépersonnalisation.

Qu’est-ce qu’une représentation qui désarrime le colonisé de l’ordre symbolique qui fonde son identité, sa culture et son amour pour la vie ? Fanon résume la portée destructrice et autodestructrice de la représentation coloniale comme une civilisation étrange et porteuse d’une inquiétante étrangeté par les propos suivants : « Monsieur le ministre, il arrive un moment où la ténacité devient persévération morbide. L’espoir n’est plus alors la porte ouverte sur l’avenir maisle maintien illogique d’une attitude subjective en rupture organisée avec le réel. »

Y a-t-il meilleure définition de la folie et de l’insensé ? Non, le discours bienfaiteur de la colonisation n’est qu’un recyclage liturgique néocolonial de soumission. « Ce n’est ni un accident ni une panne du mécanisme. » Cependant, ce qu’il y a de nouveau dans ce discours néocolonial, c’est que son extension déborde la France et trouve ses fervents défenseurs en France qui savent argumenter pour cacher leurs sentiments de domination. Le néocolonialisme est loin d’être le fait des lobbys d’anciens pieds-noirs, c’est une culture nouvelle de la violence pour gouverner les âmes des pays du tiers-monde mal préparés à la démocratie et au nouveau message d’amour de la conversion à la mondialisation, une folie qui prédispose à tous les obscurantismes.

Il est évident que dans le vaste débat, plutôt la vaste bataille, la pensée du défunt Frantz Fanon ne peut figurer comme produit publicitaire pour la promotion des bienfaits de la colonisation.

Khaled Ouadah


El Watan 8 septembre 2005
Frantz Fanon, sa vie militante, son œuvre engagée
Un penseur qui s’est emparé de son temps !


«En tant qu’homme, je m’engage à affronter le risque de l’amoindrissement pour que deux ou trois vérités jettent sur le monde leur essentielle clarté », déclarait Frantz Fanon, avec vigueur, peu de temps avant sa disparition.

L’avion, qui ramenait son corps, en ce mois de décembre 1961 des Etats-Unis vers la Tunisie pour être enterré, conformément à son dernier désir de militant, en terre algérienne, n’avait rien de commun avec ces vaisseaux négriers qui faisaient la navette entre l’Afrique et le Nouveau Monde durant les siècles passés. Ce n’était pas le corps d’un esclave qui revenait, après un dur labeur dans les champs de coton dans sa miteuse case, mais bien celui d’un grand humaniste des temps modernes qui a épousé, corps et âme, la cause des opprimés dans le monde.

Non, il n’était pas un nègre gréco-latin tel qu’il se plaisait à Jean-Paul Sartre de qualifier les tenants de la négritude. Ces derniers avaient, à l’époque, serré les rangs derrière leur chantre, le président sénégalais, Leopold Sedar Senghor. Certes oui, l’Africain n’était que piétaille, une créature diminuée et, par la force des choses, ne pouvant avoir de place dans la grande mouvance humaine ! Fanon est venu renverser la vapeur.

C’était un nouveau type de penseur, évoluant loin des chemins battus, forgeant sa propre méthode en donnant la primauté à l’être humain en tant que tel, car le terrain sociopolitique ne se prêtait plus aux élucubrations de certains intellectuels qui, en fait, étaient en retard de plusieurs révolutions. Sa démarche, on le voit dans ses écrits depuis Peaux noires, masques blancs en passant par L’an V de la Révolution algérienne jusqu’à son chef d’œuvre Les Damnés de la terre, n’avait rien à voir avec celle de Nat Turner, ce révolté illuminé qui finit pendu avec 70 de ses coreligionnaires en 1831 dans l’Etat de Virginie.

Il aurait pu, cependant, terminer sa vie face à un peloton d’exécution de l’armée coloniale. Le destin a voulu qu’il termina ses jours dans un hôpital américain, lessivé par une leucémie galopante, lui, le médecin psychiatre, qui savait bien ce que avoir mal voulait dire. Revenant de Moscou, où il était allé trouver remède à son mal, Omar Fanon, selon l’intitulé du passeport libyen avec lequel il voyageait, ne voulait surtout pas manquer son rendez-vous, à Rome, avec le philosophe Jean-Paul Sartre.

Celui-ci devait préfacer son dernier livre Les Damnés de la terre. La rencontre entre les deux hommes est restée, depuis, dans les annales de l’histoire de la philosophie et de l’engagement politique d’une manière générale. Ce soir là, dans un hôtel de Rome, Simone de Beauvoir, le bras droit philosophique de Jean-Paul Sartre, s’était mise à faire la navette entre sa chambre et celle où se trouvait Frantz Fanon en compagnie de son préfacier. Elle récoltait, au fur et à mesure, ce que Sartre avait écrit pour aller le mettre au propre.

À une heure tardive de la nuit, Fanon, exténué, ne pouvant plus suivre le rythme diabolique de son illustre hôte, gagna silencieusement sa chambre. Pour lui, le poids de la maladie devenait de plus en plus insupportable. Sartre, en homme passionné par tout ce qui avait trait à la liberté, écrivait à une allure vertigineuse. Au petit matin, il avait terminé 110 pages d’un texte politique de haute voltige, qui fait encore date dans les annales du tiers-mondisme.

Le psychiatre que fut Frantz Fanon avait dû sûrement alors s’interroger sur cette capacité de travail chez son préfacier : 110 pages en une seule nuit, qui dit mieux ? Au petit matin, on vit du sang dans les yeux de Sartre, pour avoir été si longtemps malmené. En effet, les vaisseaux capillaires dans les yeux du maître avaient cédé, pour ainsi dire, sous l’effet dévastateur du café, de la cigarette et bien sûr par l’usage du Maxiton et de l’Ortédrine, excitants auxquels recouraient, autrefois, les lycéens de sa génération, tels Maurice Merleau-Ponty, (1908-1961), Raymond Aron, (1905-1983) et autres pour affronter les épreuves du baccalauréat. Sartre, on le sait, a fini ses jours frappé de cécité.

C’est à la suite d’une ponction lombaire des plus douloureuse, pratiquée sur lui à Tunis, que le mal sournois fut diagnostiqué : leucémie aiguë. Envoyé en URSS, les médecins lui avaient conseillé alors d’aller vivre en plein air, en d’autres termes, finir ses jours paisiblement, loin du tumulte de la guerre de libération, et même de l’écriture. Donc, en ce mois de décembre 1961, cet Africain au grand cœur refit la traversée à rebours de l’Atlantique, en tant qu’homme libre.

En fait, libre, il l’a toujours été par la pensée et par le geste, depuis qu’il a quitté sa terre natale, la Martinique, en 1945 pour aller guerroyer contre les nazis en Europe et étudier, par la suite, la médecine en France. Un homme révolté contre l’oppression, violent peut-être, mais un homme qui sait raisonner, peser le pour et le contre dans le but de convaincre ses adversaires comme ses sympathisants. Sinon comment s’expliquer la volonté de Jean-Paul Sartre d’aller à sa rencontre, à Rome et de lui consacrer un texte d’une grande force et d’une limpidité inégalée dans les écrits politiques de notre temps ? Oui, les deux hommes luttaient pour atteindre le même objectif : laisser les peuples évoluer en paix et respirer le grand air de la liberté.

L’existentialiste, épris de liberté, qu’était Jean-Paul Sartre, s’est mis en devoir d’aller à la rescousse du révolutionnaire Omar Fanon, alias Frantz Fanon. Du reste, l’histoire de la philosophie nous a toujours gratifié de ces belles rencontres : Platon faisant l’éloge de Socrate, Ibn Badja, l’andalou, aidant son concitoyen Ibn Rochd à trouver une bonne place dans le palais royal de Cordoue, James Boswell, l’Ecossais, compilant de belles pages sur Emmanuel Kant en 1785, etc.

Merzac Bagtache


El Watan 31 mai 2005
Colloque sur Frantz Fanon à El Tarf
Répandre la pensée du révolutionnaire


S’il avait vécu, Frantz Fanon aurait eu 80 ans le 25 juillet prochain. Le « psychanalyste du colonialisme » qui a marqué la pensée politique du siècle dernier est né en 1925 à Fort-de-France en Martinique (Antilles françaises) avant d’embrasser la cause algérienne et faire de l’Algérie sa terre d’adoption.

Il a été ravi aux « damnés de la terre » en décembre 1961 à l’hôpital de Washington (USA) emporté par une leucémie. Il avait 36 ans. Il repose aujourd’hui parmi les siens dans le carré des martyrs de Aïn Kerma (Bou Hadjar, El Tarf). Sa Josie, sa discrète et complice épouse, qu’il a connue en 1946 alors qu’ils étaient tous deux étudiants en lettres à Lyon, est inhumée dans le cimetière d’El Kettar (Bab El Oued, Alger). Ils ont eu un fils qui vit toujours en Algérie.

Avec la mondialisation, Frantz Fanon est plus que d’actualité aujourd’hui. C’est pour cette raison que le centre universitaire d’El Tarf et la direction de la culture lui consacrent un second colloque qui se tiendra les 30 et 31 mai avec un thème centré sur la pensée révolutionnaire de Fanon. Penseur provocateur, il dérangeait déjà avec ses écrits le conformisme de la France coloniale qui va le persécuter.

Ses idées révolutionnaires ont été forgées au contact de visionnaires comme Marcel Manville, avocat, autre grand ami de l’Algérie, mort dans l’anonymat, foudroyé par une crise cardiaque en pleine audience en 1998 alors qu’il plaidait la cause des victimes de la manifestation de décembre 1961 à Paris, et à la lecture d’Aimé Césaire chantre martiniquais qui influencera son premier ouvrage, Peau noire et masques blancs.

Médaillés de la guerre, le jeune Frantz et son ami Manville connaîtront la même colère que les tirailleurs algériens lorsqu’ils rentrent au pays en mai 1945 au lendemain de la victoire des Alliés, mais qui n’est pas celle des colonisés toujours méprisés. « Chaque fois que la dignité et la liberté de l’homme sont en question, nous sommes concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes, et chaque fois qu’elles seront menacées en quelque lieu que ce soit, je m’engagerai sans retour », déclare-t-il à ses professeurs qu’il retrouve.

Dès lors, le jeune Frantz s’engage dans le combat pour « faire peau neuve, développer une idée neuve, de mettre sur pied un homme neuf » : l’ossature du fanonisme, une pensée humaniste moderne, tiers-mondiste et révolutionnaire. Elle le mènera de sa Martinique natale en France pour ses études en médecine et en lettres où il commence à publier ses écrits qui ne laissent pas indifférent.

Il est alors muté en Algérie en 1953 où il va découvrir le vrai visage de la colonisation et la condition des colonisés. Son combat devient celui du peuple algérien, celui de la révolution algérienne et de ses idéaux et à travers elle celui des peuples encore sous domination. Le FLN lui confiera de hautes responsabilités. Il sera représentant du GPRA. Avec ses amis d’El Moudjahid qu’il anime avec Réda Malek à Tunis, il œuvre au réveil de la conscience des peuples opprimés.

En septembre 2004, à l’occasion du cinquantième anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération, le 9e Salon international du livre d’Alger (Sila) a organisé un colloque en hommage au « psychiatre, écrivain, penseur et révolutionnaire dans tous les termes ». On n’a pas manqué de relever l’étonnante fraîcheur de la pensée visionnaire de Fanon.

La mondialisation, qui impose un ordre nouveau - Fanon était farouchement antifasciste - avec de nouvelles formes de domination des peuples à laquelle tendent de s’opposer des mouvements « humanistes » qui se regroupent dans les altermondialistes, reproduit les mêmes rapports dominant/dominé issus de l’esclavage et de la colonisation. Lors du premier colloque sur Frantz Fanon qui s’est tenu à El Tarf en mai 2004, Réda Malek avait déploré le fait que Fanon soit peu connu chez nous avant de l’être dans le monde.

« Ses idées généreuses qui sont aussi celles de la révolution algérienne gagneraient à être répandues, en premier à l’école et à l’université », avait-il conclu.

Sadki Slim


Info Soir 21 septembre 2004
Entretien avec Olivier Fanon
«Je suis attaché à l’Algérie»


InfoSoir : Vous êtes le fils de Frantz Fanon. N’est-ce pas là un nom lourd à porter ?

Olivier Fanon : Oui, c’est un héritage très lourd et pesant à assurer. C’est un héritage de tous les instants. Je m’appelle Fanon, le jour comme la nuit. C’est une présence quotidienne pas que pour son fils, mais pour tous les Algériens. Je fais en sorte de ne pas décevoir la mémoire et l’engagement de mon père. J’essaie d’être à la hauteur de toutes les situations et modestement, j’essaie de perpétuer son combat et sa fidélité à la Révolution algérienne.

De quelle manière ?

Tout d’abord en ne travestissant pas, comme tout Algérien, notre attachement, celui de mon père et de ma mère, à l’Algérie, en essayant aujourd’hui d’être reconnaissant à ce pays qui a fait de nous ce que nous sommes. Je parle de ma génération. Je vis à Paris et je travaille à l’ambassade d’Algérie dans les affaires consulaires. Je suis encore dans la démarche idéologique et professionnelle de mon père. Je suis attaché à l’Algérie : je ne peux pas concevoir un seul instant d’être Algérien sans renvoyer l’ascenseur à l’Algérie, à ce pays qui a adopté mon père, et que lui-même a adopté en rompant totalement avec la puissance coloniale française en démissionnant de son poste à l’hôpital de Blida. Moi, je dis modestement que j’essaie d’être à la hauteur des ambitions de l’œuvre de Fanon.

Comment gérez-vous la pensée de votre père ?

Je ne peux pas gérer la pensée de mon père, parce que je ne suis que l’enfant biologique de Fanon, je ne suis ni chercheur ni psychiatre. J’ai fait des études supérieures en sciences politiques. Je suis fonctionnaire à l’ambassade d’Algérie, mais je ne suis pas un spécialiste de Fanon, tout ce que je peux faire, c’est apporter ma contribution sur Fanon en tant que citoyen algérien, enfant de la Révolution. Le discours que je tiens, je pense que d’autres — ceux de ma génération — tiendraient le même. C’est-à-dire qu’on a été pétris dans l’idée révolutionnaire de l’Algérie.

Comment expliquer l’attachement de Fanon à l’Algérie ?

L’Algérie a été pour lui un catalyseur, un révélateur de ses réflexions. Ça devait sommeiller quelque part en lui, et il a trouvé les moyens d’extérioriser sa pensée. En fait, il a eu l’écho de sa pensée : il a trouvé des gens qui pensent comme lui et qui partagent les mêmes idéaux et les mêmes intentions révolutionnaires.

La pensée de Frantz Fanon est-elle d’actualité ?

En effet, la pensée de mon père n’est que plus d’actualité à partir du moment où il y a une aliénation, une colonisation des esprits. La France a réussi à nous coloniser, et 50 ans après, il y a des esprits qui sont encore colonisés. C’est une réalité : il y a beaucoup d’Algériens qui ne pensent et n’aspirent qu’à partir. Des individus qui sont des non-êtres. L’on peut appliquer la pensée de Fanon dans la mesure où l’on devrait faire un travail sur une approche différente de la société algérienne, de la place de l’Algérie dans le concert des nations.

En quoi la pensée de Fanon peut-elle servir, aujourd’hui, à l’Algérie ?

L’Algérie n’est plus en révolution, elle est cependant révolutionnaire. Et la pensée de Fanon peut encore servir à l’Algérie puisque le pays est dans un combat de tous les instants. Il y a un objectif primordial : la reconnaissance humaine, le respect de l’homme. Puisque les écrits de Fanon révèlent une grande humanité. Lorsque l’homme, en tant qu’individu, sera respecté, alors là on pourra discuter, mais dans le cas contraire, tant qu’il y aura une négation des droits de l’Homme, l’on ne pourra pas discuter dans le respect de la différence.

Y a-t-il une fondation Frantz-Fanon pour la pérennité de sa mémoire ?

Il n’y a pas une fondation, mais l’idée a été lancée par des amis à moi. Je ne suis pas contre, mais je ne veux pas être à l’origine de la création de cette fondation. Le nom de Fanon n’est pas un fonds de commerce, c’était un théoricien, un écrivain, un penseur. Je soutiens vivement l’idée de la fondation, mais je ne veux pas être à l’origine de ce projet. Je ne suis pas en mesure de défendre la pensée psychiatrique de Fanon, je ne peux pas tenir une discussion avec un psychiatre, il faut laisser les choses juste à leur niveau, et puis que chacun se cantonne dans son rôle. Mon rôle à moi est que je suis le fils de Fanon et je ne veux aller au delà.

Propos recueillis par Yacine Idjer


L'Expression 16 septembre 2004
Fanon au centre des débats

Il s’est consacré, sa vie durant, au service de la guerre de Libération nationale.


On le dit révolutionnaire, on le découvre homme de lettres ; on le dit politique, on découvre en lui le médecin, l’humaniste et, par-dessus le marché, défenseur des droits des peuples opprimés. Lui, c’est Frantz Fanon, celui qui s’est consacré, sa vie durant, au service de la guerre de Libération nationale. Et ce n’est pas l’effet du hasard si la 9e édition du Salon international du livre lui a consacré un colloque de trois jours. Avant-hier, mardi, un café littéraire a été même organisé à son honneur pour parler de sa vie, de son oeuvre, mais aussi pour comparer sa position vis-à-vis de l’indépendance de l’Algérie, idée qui lui a été si chère et qu’il n’a cessé de défendre jusqu’à son dernier souffle.

Pour ce faire, quatre intellectuels et peut-être des meilleurs, se sont mis à l’oeuvre. On cite: Mustapha Haddab, sociologue; Alice Cherki, psychanalyste; Mohamed Lakhdar Maougal, linguiste et Thanina Maougal, enseignante à l’université d’Alger.

Mustapha Haddab a développé le thème central de l’oeuvre de Fanon: la violence. Ce phénomène qui a fait, et pour longtemps, l’objet d’un intérêt particulier chez Frantz Fanon, comme psychiatre tout d’abord puis comme révolutionnaire. Parfois, ces deux «fonctions» fusionnent chez Fanon et deviennent une et indivisible. Car le complexe d’infériorité ressenti par les indigènes vis-à-vis des colons a fait naître chez eux un certain esprit de rébellion contre l’injustice et l’oppression. C’est à partir de cette idée même que les premiers germes de la violence «légitime» commence à surgir chez ces peuples. Ce thème a été développé, selon Mustapha Haddab, dans son oeuvre magistrale Peau noire, masque blanc. C’est dans ce sens même qu’a enchaîné la célèbre psychanalyste française, Alice Cherki. «Le regard du blanc donne une image de soi telle qu’il la voit, c’est-à-dire celle d’un adolescent noir. Ce Blanc, ce dominateur qui nous regarde, qui nous façonne. Soit n’être plus rien ou être sidéré, le corps reste en pierre tout en étant accompagné d’un sentiment de culpabilité». C’est en ces mots que l’oratrice a tenté de faire la caricature de la pensée de Frantz Fanon. Lui qui a tant souffert de ce sentiment de culpabilité, d’abord pour des considérations raciales, de fait que Fanon soit «noir»; pour des raisons en rapport avec la domination coloniale ensuite. Deux raisons capitales qui ont déterminé le chemin de Frantz Fanon. Celui de lutter contre toutes les formes de l’autoritarisme colonial et racial. Aussi, Alice Cherki a longtemps parlé du parcours de cet éminent intellectuel. Cependant, toute sa force humaine et révolutionnaire s’est confirmée et concrétisée en 1953, lorsqu’il arrive à l’asile psychiatrique de Blida (ex-Joinville). Là, le traitement des patients n’a pas du tout été conforme aux méthodes telles qu’exercées en Europe ou ailleurs. Et c’est là même qu’il procède à l’application de la psychothérapie institutionnelle, une psychothérapie genre académique. Alice Cherki a souligné que c’est Fanon qui a eu l’insigne honneur de créer l’hôpital du jour au niveau de l’Afrique, du monde arabe voire même de l’Europe!

Quant à Thanina et Mohamed Lakhdar Maougal, ils ont fait une comparaison entre la pensée d’Albert Camus et celle de Frantz Fanon, deux intellectuels dont l’idée est diamétralement opposée, pourtant leurs destins demeurent à jamais liés à celui de l’Algérie. «Chez Camus on retrouve cette influence américaine, quoiqu’elle demeure latente. Cette influence s’affirme en sachant que l’auteur de l’Etranger est attiré par les écrits de Faulkner. Et c’est à partir de là qu’il adopte le modèle américain, le fédéralisme», soutient Thanina Maougal. Mohamed Lakhdar a, de son côté, parlé de la conception de l’identité chez Fanon. «Il s’agit de l’identification par stratification. Autrement dit, c’est la construction de l’identité par la rupture et non par des sédimentations».

Hakim KATEB


La Nouvelle République 15 septembre 2004
Toute la vérité sur la dépouille de Fanon


Dans un testament écrit, Frantz Fanon avait fait vœu d’être enterré en Algérie avec ses frères d’armes, les chouhada. Il décède aux Etats-Unis le 6 décembre 1961 à l’âge de 36 ans des suites d’une leucémie. La dépouille de Fanon arrivera de Washington, le 11 décembre 1961, à l’aéroport d’ El Aouina de Tunis, où il lui sera rendu un hommage par la «délégation extérieure» au grand complet, avec à sa tête le ministre de la Défense du GPRA, Krim Belkacem.

Le lendemain, une cérémonie de recueillement aura lieu à l’hôpital Charles-Nicole où Fanon avait longuement exercé. Ensuite, le cortège funèbre se dirige vers Ghardimaou, à la frontière algéro-tunisienne. Le 12 décembre, il est enterré dans la forêt de Sifana (non loin de la localité de Aïn Soltane, aujourd’hui territoire tunisien), à côté de quatre autres martyrs de la Révolution.

C’est Ali Mendjeli qui fera l’oraison funèbre en présence d’un envoyé spécial du gouvernement américain, d’un représentant du Croissant-Rouge, des époux Chaulet, du Dr Nekkache, Omar Oussedik, Zerguini, Mostefaoui, Keramane… En 1965, à la suite du bornage de la frontière avec la Tunisie, les cendres de Fanon sont rapatriées une nouvelle fois en Algérie, au cimetière de Aïn Kerma, dans la wilaya d’El Tarf, où il repose pour toujours.

A la fin des années 1960, des indépendantistes martiniquais, à leur tête le frère aîné de Fanon, Joby (décédé il y a trois mois), entament une démarche en direction du gouvernement algérien par le biais de Salah Louanchi et de Mohamed-Chérif Messaâdia afin de rapatrier les cendres du penseur noir aux Antilles. Le pouvoir de l’époque ainsi que son épouse Josie opposeront une fin de non-recevoir arguant des dernières volontés du grand homme disparu.

En 1978, quelques mois avant sa mort, le président Houari Boumediène propose à Josie Fanon une inhumation en grande pompe au carré des martyrs d’El Alia. Il essuiera alors à son tour un «niet catégorique» de la part de sa veuve quelque peu aigrie par la tournure des évènements dans cette Algérie post-coloniale. Juste avant sa disparition tragique, Josie Fanon avait exprimé à son fils Olivier le vœu d’être enterrée à sa mort au cimetière algérois d’El Kettar, non loin de La Casbah.

Des démarches officielles seront même entreprises en ce sens mais sans résultat. La population d’El Tarf se refusant à toute idée de transfert de la dépouille de Frantz Fanon et ce jusqu’à ce jour.

A. Abdelghafour


La Nouvelle République 15 septembre 2004
Entretien avec Mohamed El Mili
«Frantz Fanon m’a aidé»


Rencontré au colloque sur Frantz Fanon, Mohamed El Mili s’est rappelé avec beaucoup d’émotion des jours passés en compagnie de l’auteur des Damnés de la terre.

La Nouvelle République : Un intervenant a prétendu que Fanon s’était posé la question du «Qui suis-je ?» Qu’en pensez-vous ?

Mohamed El Mili : Il est vrai que Fanon ne cessait de se poser des tas de questions. Il s’interrogeait sans cesse. Il se remettait en question tous les jours. Cela dit, je m’inscris en faux contre cette affirmation : Fanon a toujours su qui il était !

Comment avez-vous connu Fanon ?

J’ai eu la chance de connaître de près Fanon. Au moment où il avait rejoint la Révolution à Tunis en 1957, j’étais déjà membre de l’équipe rédactionnelle de Résistance algérienne dont le rédacteur en chef était alors Abderrezek Chentouf. En juin de la même année, Benyoucef Benkhedda nous convoque Fanon et moi en nous demandant de rejoindre Tétouan, au nord du Maroc. Le CCE avait décidé de mettre fin à Résistance algérienne afin de créer El Moudjahid, l’organe central du FLN. Arrivés à Tétouan, où se trouvaient déjà d’autres membres de la rédaction, on nous logea immédiatement dans une villa qui servait également de siège au journal. Fanon et moi partagions la même chambre.

Vous l’avez connu donc de très près ?

Oui, je peux le dire. On a vécu ensemble durant plus de trois mois.

Parlez-nous de Fanon ?

Il dormait peu et lisait beaucoup. Lorsque nous nous reposions, il nous faisait parfois des lectures de textes révolutionnaires. Il les commentait en apportant sa touche personnelle. Je dois avouer que durant toute la guerre de Libération je n’ai pas connu de militants aussi sincères que Frantz Fanon et Abane Ramdane, notre chef. Comme je dois dire que j’ai retrouvé aussi certaines idées de Abane Ramdane dans Les Damnés de la terre. Il faut reconnaître que ce dernier a toujours prôné un combat tiers-mondiste et ce bien avant l’heure.

Que vous a apporté le fait de vous être frotté à ce grand homme ?

Son apport est pour moi incommensurable. Sur le plan personnel, il m’a aidé à mieux me connaître et à saisir mon temps ainsi que le monde dans lequel je me trouvais.

Propos recueillis par A. A.


Liberté 15 septembre 2004
“Son œuvre est un antidote pour les Palestiniens et les Irakiens”
Par Wahiba Labrèche

Ils sont venus nombreux témoigner d’une amitié, d’un combat commun mené pour une Algérie libre et indépendante. Deux jours de souvenir et d’émotion pour rendre hommage au penseur et visionnaire qu’était Frantz Fanon.

Les travaux du colloque, tenus pendant deux jours à l’hôtel Hilton et qui se sont poursuivis hier à la Safex, ont été marqués par les interventions de Pierre et Claudine Chaulet. Le couple est revenu sur la rencontre avec le psychiatre militant de la cause algérienne. “En février 1955, Abane Ramdane est venu me demander de trouver un psychiatre pour suivre le cas des moudjahidine qui risquaient de parler sous la torture. Et c’est à partir de là que j’ai connu Frantz Fanon qui a hébergé également des malades à l’hôpital de Blida”, dira Pierre Chaulet qui évoquera un homme resté éternellement jeune par ses écrits.

En psychiatrie, Fanon explorait de nouvelles voies dans la discipline. “C’est une bonne initiative d’organiser ce colloque. Depuis l’indépendance en 1962, il a fallu attendre plus de vingt ans, en 1987, pour qu’on organise un colloque sur Frantz Fanon qui retombera vite dans l’oubli pendant vingt années encore. Si les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent pas Fanon, c’est le résultat de l’occultation dont il a été victime. Il disait des choses qui dérangeaient. Il ne faut pas isoler l’œuvre de Fanon du contexte de la guerre de libération.” Selon le conférencier, Les Damnés de la terre reste un message toujours d’actualité du psychiatre et du militant. Pour Claudine Chaulet, le meilleur hommage qu’on puisse rendre à Frantz Fanon serait de rééditer ses livres afin que les jeunes générations prennent connaissance de l’œuvre. “Ce colloque devrait être un lancement publicitaire pour la lecture de Fanon et non un second enterrement”, conclut Claudine Chaulet qui a apporté un témoignage poignant sur sa rencontre et ses souvenirs du couple Fanon. Les témoignages se sont poursuivis par l’intervention de Jacques Charby, qui trouvera en ce colloque une occasion de rencontrer des amis de la guerre de libération. D’emblée Charby, écrivain et ami de l’Algérie, insistera sur l’importance et la qualité du texte de la lettre de démission de Fanon adressée à Lacoste : “On devrait se pencher sur ce texte qui, à mon point de vue, est un texte de grande qualité littéraire. Dans sa lettre, Fanon explique les raisons qui l’ont poussé à la démission. Il apporte également un témoignage sur tout ce qu’il a pu voir lors de son exercice.” Jacques Charby complètera sa communication en rapportant sa propre expérience dans les camps des réfugiés algériens en Tunisie, au Maroc et en Libye. De leur côté Hervé Bourges et la psychanalyste Alice Cherki témoigneront de l’apport de Frantz Fanon à la psychiatrie moderne. “En plus de l’image de l’individu, Fanon s’intéressait à l’image de la société. Son analyse était portée sur l’aliénation culturelle, religieuse, idéologique et linguistique”, dira Hervé Bourges. Alice Cherki, auteur en 2000 de Frantz Fanon, portrait, aux éditions du Seuil, et qui a préfacé la réédition des Damnés de la terre, a rencontré Fanon en 1955.

Elle témoigne d’un Fanon acharné dans son travail. “Si Fanon a prôné la violence, c’est parce que dans la société il n’y avait pas de place au dialogue, et que la violence avait commencé depuis longtemps par ceux qui étaient de culture dominante”, conclura Alice Cherki.

W. L.


Liberté 15 septembre 2004
Daniel Maximin, poète romancier, parle de Frantz Fanon
“Son engagement venait du racisme qu’il a connu”
Par Wahiba Labrèche


Daniel Maximin, poète et romancier guadeloupéen, présent au 9e Sila pour la signature de son roman “Tu, c’est l’enfance et Je, c’est maintenant”, sorti chez Gallimard, n’a pas hésité lors du colloque sur Frantz Fanon d’apporter son témoignage sur un homme avec qui il n’a aucun lien si ce n’est l’amour de la liberté et de la justice.

Liberté : Vous avez tenu à apporter un témoignage passionné sur Frantz Fanon, alors que vous n’étiez même pas programmé…

Daniel Maximin : Ma rencontre avec Frantz Fanon remonte à l’enfance. Tout petit, je suis tombé dans ses feuilles et dans ses pages que mes parents avaient achetés. C’était pour moi la découverte de l’écrivain.

Comment peut-on expliquer l’itinéraire de Frantz Fanon ?

L’itinéraire de Frantz Fanon est parti des Antilles, c’est de là qu’est parti son élan, mais cela ne veut pas dire qu’il s’en est enfermé. Et quand je dis les Antilles, cela veut dire plusieurs choses, notamment l’histoire qu’il vivait au moment de son adolescence et les influences, l’héritage qu’il a eu à partir de cela et qu’on peut schématiser. Il y a premièrement une chose qui consiste à lutter contre tous ceux qui prennent l’homme pour un objet, qui tentent de l’enfermer dans une peau, une histoire, une frontière, etc. Donc cette dimension d’universalité des combats vient aussi de là.

Comme l’esclavage…

Exactement, l’esclave qui luttait contre l’esclavage ne luttait pas seulement contre l’esclavage des Noirs, des Jaunes ou des Blancs, mais contre le principe même de l’esclavage puisque cette ségrégation était universelle, et les luttes étaient menées aussi bien aux Antilles, aux Caraïbes qu’en Amérique ou à Haïti. Et Fanon vient directement de cela.

Autre chose aussi, c’est au moment de son adolescence que Fanon a découvert tout petit — il était encore en classe —, alors qu’il pensait que l’esclavage était révolu après son abolition en 1848, un autre fléau, le racisme et le retour de la séparation, de l’interdiction de la citoyenneté pour les Noirs. Par exemple, les maires noirs élus sont destitués en 1941 à cause de leur couleur de peau et remplacés par des colons. Tout cela se passe en plein XXe siècle de la Martinique et de la Guadeloupe libérée.

Alors, la résistance de Fanon a commencé à l’adolescence…

Fanon assiste à cette régression, et immédiatement face à cela, il découvre une résistance qui se trame au grand lycée de Fort-de-France où se trouvent ses professeurs Emme Césaire, René Ménil, Susanne Césaire, des combattants de la résistance culturelle, politique, identitaire internationalistes.

C’est surtout à travers leurs écrits comme Le Cahier d’un retour au pays natal d’Emme Césaire, paru dans une petite revue clandestine que Fanon, âgé de 15, va puiser ses forces et épouser cette doctrine qui dit : “Que partout où l’ombre gagne, nous sommes concernés par ces combats.” Ce texte était l’éditorial de la revue que Fanon a distribuée. Ceci explique que Fanon, quel que soit l’endroit où il se trouve, était nourri de cette première révolte, et s’il a lutté contre le nazisme en France, il s’est aussi engagé aux côtés des Algériens parce qu’il se sentait concerné.

Une Algérie qui sera un point déterminant dans le combat de Fanon…

Oui, c’est comme ça qu’il devient algérien et que son histoire et son origine expliquent cet engagement.

Le troisième point, c’est la notion même de cette dimension que les professeurs lui ont inculquée, et qui passe par la création pour toute expression de liberté. Ce n’est pas la répétition d’un héritage ou la répétition de ce qu’on est, mais il faut produire, et c’est la grande phrase qui revient sur toutes les affiches dans ce salon. Mais il faut produire sa culture dans laquelle on peut s’identifier. Produire dans le sens d’inventer, cela ne veut pas dire reproduire la culture des parents, des ancêtres et l’identité d’avant, mais cela veut dire produire pour avancer, forcément en liaison avec le moment et l’endroit où on se trouve. Pour Fanon, c’était l’Algérie.

W. L.


Le Soir d'Algérie 14 septembre 2004
Le penseur visionnaire à l'honneur


Ce sont des messages d’amour et de souvenirs que les participants ont consacrés à Frantz Fanon tout au long des deux journées qui ont eu lieu les 12 et 13 septembre derniers à l’hôtel Hilton. Rédha Malek, en premier, a offert son témoignage du parcours de celui qui a choisi l’Algérie comme sa nation de cœur et la cause profonde de son engagement vis-à-vis de la liberté absolue des hommes.

Loin des discours académiques habituels, Rédha Malek a préféré invoquer les souvenirs qu’il garde de Fanon. De lui, il dira : “Fanon était un révolutionnaire, il faisait partie des forces libres venues des Antilles. Il avait constaté certaines réactions, une sorte d’exclusivisme des noirs, son premier choc avec le monde extérieur, ce qui a sans conteste déterminé son combat et sa lutte contre le racisme.

Fanon avait été frappé par le mal dont souffrait ces personnes, en particulier les ouvriers “le syndrome nord africain”. Voilà comment était la vie de Fanon, entre lutte permanente et acharnement en permanence contre les forces du mal. Celles qui opprimaient pour mieux asservir le peuple algérien. Se sont ensuite succédé sur l’autel des mémoires les époux Chaulet.

C’est avec passion que Claudine et Pierre ont exprimé leurs sentiments vis-à-vis du héros Frantz. Cependant, Jacques Vergès aura été probablement le seul à plaider avec force et vigueur la cause de Frantz Fanon. Liant de ce fait l’actualité violente qui sévit de nos jours et de par le monde, Me Vergès rappellera que, dans ces affreuses circonstances, Frantz Fanon se serait érigé sans concession au monopole des Etats-Unis, contre les injustices commises à l’égard des peuples colonisés tels que les Irakiens.

A tort ou à raison, nous avons en tout cas régulièrement entendu parler tout au long de cet hommage du droit à la légitime défense ! Défendre sa personne, sa liberté, son espace vital et son pays en l’occurrence. Tel était la vocation de Frantz Fanon. Hervé Bourges, Djaghloul Abdelkader, Lyes Boukraâ et tous les autres ont aussi manifesté à travers leurs interventions du parcours et des valeurs de l’éminent psychiatre.

De Fanon l’Algérien qui avait souhaité être enterré dans un cimetière à la frontière algéro-tunisienne auprès de ses frères chouhada dans le carré réservé aux martyrs dans un village près de Aïn El Kerma, Alice Cherki le désigne comme “l’éveilleur”, comme d’autres le surnomment “le penseur visionnaire” ou encore à l’image de Boukhalfa Amazit qui le considère comme le “psychanalyste du colonialisme”. Frantz Fanon, c’est ça et bien plus, mais c’est avant tout le veto que l’on oppose sans autre forme de réflexion à l’esprit sectaire et au mimétisme.

Cet agent d’aliénation qui obstrue en permanence la vision d’un avenir librement façonné. Quant à Olivier, son unique enfant, présent depuis le début au Sila, il est très ému par les témoignages reçus à l’occasion de ce colloque. Il nous parlera avec émotion des rares souvenirs qu’il garde de son père : c’était un homme partagé entre les maquis et les souffrances des malades. Olivier n’a pas réellement connu son père, c’est à travers le récit de sa mère Josie et des livres laissés en héritage qu’il découvre la dimension universelle du choix de Frantz Fanon.

Humble et modeste, Olivier a également revendiqué le choix de sa nationalité par l’amour qu’il a pour l’Algérie et ensuite dans un devoir de continuité du combat mené par son père durant sa courte vie. Frantz Fanon est mort en 1961 à l’âge de 36 ans, terrassé par une leucémie.

Sam.H


La Nouvelle République 14 septembre 2004
Des témoignages et autres


Le colloque international consacré à Frantz Fanon en marge de la 9e édition du salon international du livre en Algérie (SILA) s’est ouvert ce dimanche en présence de nombreuses personnalités.

Dans son allocution d’ouverture, Abdelkader Khomri, président du comité d’organisation du 9e SILA a mis en exergue la dimension internationale de la révolution algérienne dont Frantz Fanon aura été, incontestablement, un des plus illustres hérauts.

La lecture du message du président de la république, Abdelaziz Bouteflika, fera ressortir la conception de la liberté chez Fanon qui consiste essentiellement en un «refus du mimétisme».

Puis, viendra le tour d’Olivier Fanon d’apporter son témoignage de «rejeton». Fidèle à la mémoire de son père et quelque peu «écrasé» par sa grande notoriété, Olivier Fanon affirmera d’emblée son algérianité en déclarant : «Je suis algérien et je travaille pour l’Algérie en France.». Fonctionnaire à l’ambassade d’Algérie à Paris, Olivier Fanon n’arrive pas à se départir de ses fortes attaches avec le pays de son enfance, la terre d’adoption de son illustre père.

Ensuite, Rédha Malek évoquera le passage de Fanon le journaliste-militant à El-Moudjahid considéré à l’époque comme la voix de l’Algérie libre.

Dans son intervention, Réda Malek rappellera l’humanisme de la révolution algérienne dont la lutte armée n’a pas toujours été un «terrorisme aveugle» tel que nous le subissons de nos jour. Et puis, viendra le tour des époux Chaulet, de véritables amis de Frantz Fanon, et des compagnons de route de la révolution algérienne de décliner enfin les différentes péripéties vécues ici et là.

Le professeur Pierre Chaulet (que l’on peut considérer noir sur blanc ( !) comme le véritable «recruteur» de Fanon) a évoqué la démission du psychiatre de l’hôpital de Blida et son ralliement à la révolution algérienne. Il ne manquera pas de révéler à la fin de son intervention les crimes abominables de la colonisation française dont le savoir-faire a été exporté aux Amériques en Israël. La répression antiguérilla aurait été enseignée ainsi aux antipodes sur ordre du gouvernement français notamment de Pierre Messmer. Quant à Claudine Chaulet, elle se souviendra des agréables moments passés entre les jeunes couples d’intellectuels à Blida à un «réinterpréter le monde». Elle évoquera non sans émotions, Josie Fanon, l’épouse et la mère de famille.

Les époux Chaulet auront connu ainsi Olivier alors un petit bambin de quelques mois devenu aujourd’hui un quinquagénaire. Puis, ce sera ensuite le tour de Jacques Chabry, auteur d’un livre à paraître Les Porteurs d’espoir sur le réseau Jeanson, de se rappeler de ses rencontres avec Fanon et de tous ces orphelins de la guerre (enfants de chouhada) qu’il avait rencontrés à Tunis. Et de s’interroger ensuite si leur mémoire gardait de cette période tragique des souvenirs douloureux encore vivaces.

Et c’est alors que surviendront les interventions de Hervé Bourges et du Me Jacques Vergès dont la présence au colloque aura paru, semble-t-il, comme incongrue dont la mesure où leurs chemins n’ont jamais croisé celui de Fanon.

Ils le reconnaîtront d’emblée en affirmant toute leur admiration pour l’auteur des Damnés de la terre.

A. Abdelghafour


La Nouvelle République 14 septembre 2004
Souvenirs
Fanon, ou le briseur de chaîne


En rendant hommage à Frantz Fanon, un patriote algérien venu d’ailleurs, les organisateurs du 9e Salon international du livre en Algérie ont remis à l’honneur l’internationalisme qui a entouré la lutte pour l’indépendance nationale. Comme d’autres «étrangers» militants de la cause algérienne, Frantz Fanon a d’abord participé au combat anti-nazi, dans les rangs des Forces françaises libres, alors qu’il n’avait pas encore vingt ans. C’est, ensuite, au contact d’un antifasciste espagnol, le docteur Tosquelles, réfugié en France, que Frantz Fanon, devenu médecin spécialisé en psychiatrie, s’initie à la méthode de la sociothérapie qu’il mettra en œuvre à l’hôpital de Joinville, à Blida, qu’il rejoignit en décembre 1953.

Selon le témoignage des frères Longo, Makhlouf et Ali, infirmiers à l’hôpital de Joinville, à l’époque, Frantz Fanon découvre, en arrivant, un asile d’aliénés soumis encore au code de l’indigénat. De ce véritable enfer montaient les hurlements de malades enchaînés, étroitement gardés par des infirmiers malabars. Les deux infirmiers, aujourd’hui disparus, avaient témoigné de cette grande révolution que fut le bal organisé par le nouveau médecin. A l’initiative audacieuse de Frantz Fanon, les chaînes furent jetées à la poubelle et les malades sont redevenus libres de leurs gestes. L’ergothérapie (la guérison par la pratique de métiers) et la sociothérapie (la guérison par les activités sociales) prenaient la place des pratiques moyennageuses qui étaient en cours à l’hôpital. Celui-ci perdait alors ses allures de prison et les malades recouvraient le droit à la parole en participant à des réunions avec les médecins et le personnel paramédical. Fanon avait placé le malade au centre de toutes les activités de l’hôpital et tout était fait dans son intérêt. Expulsé d’Algérie, il part en Tunisie avec sa femme, Josie, et son fils, Olivier, âgé alors d’un an et demi. Le Dr Fanon est mort le 6 décembre 1961 à l’hôpital de Bethesda aux Etats-Unis, des suites d’une leucémie.

Charles Geronimi, un autre patriote algérien au nom étranger, a eu à insister sur le fait que «Fanon était d’abord psychiatre, il s’est toujours voulu psychiatre». C’est pourquoi, on ne peut pas organiser un hommage à Fanon sans faire un tour à l’hôpital psychiatrique de Blida qui porte depuis l’indépendance son nom et où, au contact des malades, il découvrit le drame algérien et prit la décision de participer, à sa manière, à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Malheureusement, beaucoup de ceux qui ont connu le psychiatre au travail sont décédés et ne peuvent plus servir de guides à la visite. Exemple parmi d’autres : il n’y a plus le chanteur Abderrahmane Aziz qui était chargé des activités culturelles - concert de chants, pièces de théâtre, ciné-club.

Ces activités étaient animées par les malades, eux-mêmes. Ils constituaient l’orchestre, la chorale, la troupe de théâtre, discutaient des films pendant les séances-débats,… Ils formaient des équipes de football qui disputaient des compétitions sur un vrai stade. C’est ainsi qu’ils guérissaient. Les chaînes n’étaient déjà plus qu’un très mauvais souvenir.

M’hamed Rebah


L'Expression 14 septembre 2004
Un pur produit de la Révolution


Frantz Fanon a marqué le XXe siècle de l’Algérie par sa pensée et son action.

«Psychiatre et écrivain martiniquais, il s’était joint à nous dans notre combat libérateur, pour le triomphe du droit à la liberté et à la justice. Ami personnel et compagnon de combat de Fanon, je me dois de témoigner sur l’homme et sur le militant, de lui rendre hommage et de participer ainsi à enrichir notre histoire, d’autant que nous sommes aujourd’hui à quelques semaines de la célébration du 50e anniversaire du déclenchement de notre révolution».

C’est avec ces mots du président de la République, lus par M.Abdelkader Khomri, président du Groupe presse et communication, que fut ouvert dimanche le colloque sur la vie et l’oeuvre de Frantz Fanon. Olivier Fanon, Rédha Malek, Vergès , Khomri ainsi que nombre de révolutionnaires et psychanalystes étaient tous présents afin de rendre hommage à ce grand penseur, visionnaire mais aussi révolutionnaire. «Frantz Fanon est le produit de la Révolution, 50 ans après, son message est toujours présent. Il avait une vivacité d’esprit peu commune et il voulait intégrer complètement l’Algérie, la cause des Algérien, était devenue la sienne quand il a commencé à soigner les prisonniers à l’hôpital de Blida» a déclaré Rédha Malek. M.Khomri nous présenta la biographie de ce révolutionnaire. Frantz Fanon est né à Fort-de-France le 20 juillet 1925. Médecin psychiatre, écrivain, combattant anti-colonialiste, Frantz Fanon a marqué le XXe siècle de l’Algérie par sa pensée et son action, en dépit d’une vie brève frappée par la maladie. Frantz Fanon fit ses études supérieures à la faculté de médecine de Lyon et fut nommé, en 1953, médecin-chef de l’hôpital psychiatrique de Blida. Il avait déjà publié, en 1952, Peaux noires, masques blancs. En 1956, deux ans après le déclenchement de la guerre de Libération nationale en Algérie, Frantz Fanon choisit son camp, celui des colonisés et des peuples opprimés. Il remet sa démission de son poste à l’hôpital et rejoint le FLN en Algérie.

«Il eut d’importantes responsabilités au sein du FLN» témoigne M.Rédha Malek. Membre de la rédaction de son organe central, El Moudjahid, il fut chargé de mission auprès de plusieurs Etats d’Afrique noire puis ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) au Ghana. Il échappa à plusieurs attentats au Maroc et en Italie. «Jusqu’à sa mort, Frantz Fanon s’est donné sans limites à la cause des peuples opprimés».

Il s’éteint à Washington le 6 décembre 1961, à l’âge de 36 ans, des suites d’une leucémie et est inhumé au cimetière des Chouhadas de Tunis.

Les damnés de la Terre était entre autres au centre du débat. Au moment où certaines archives demeurées longtemps secrètes de la guerre d’Algérie s’ouvrent enfin et que les historiens font éclater de part et d’autre la vérité sur un conflit qui n’a pas encore révélé ses aspects les plus sombres, ce «classique de la décolonisation», publié pour la première fois en 1959 et sans cesse réédité jusqu’aux années quatre-vingt, connaît une nouvelle actualité. Ce livre est né de l’expérience accumulée au coeur du combat, au sein du FLN. Car Frantz Fanon avait choisi de vivre et de lutter parmi des colonisés comme lui, en Algérie, pays du colonialisme par excellence. Texte militant, cet ouvrage fut aussi la première analyse systématique de la transformation qui s’opérait alors au sein du peuple algérien engagé dans la révolution. Ce texte, parmi les tout premiers aux Éditions Maspero, décrit de l’intérieur les profondes mutations d’une société en lutte pour sa liberté. Ces transformations, la maturation politique et sociale, ignorées par les colons alors qu’elles étaient justement les fruits de la colonisation et aussi «l’humiliation, présidèrent pourtant largement au système colonial et son projet utopique d’un tiers-monde révolutionnaire porteur d’un «homme neuf» restent un grand classique du tiers-mondisme, l’oeuvre capitale est le testament politique de Frantz Fanon».

Frantz Fanon, cet humaniste et militant de toutes les causes justes, demeure indiscutablement le grand ami des Algériens et l’un des symboles de la révolution à côté du grand Maurice Audin, René Vautier et Henri Alleg. En réponse à tous ceux qui contestaient le militantisme de Frantz Fanon, les annales de l’histoire de l’Algérie démontrent décidément la non-vraisemblance «des illusions» avancées.

H. OURTILANI


Info Soir 14 septembre 2004
«Un penseur visionnaire»
Par Yacine Idjer

Hommage : Sa vie et son œuvre intellectuelles ont été au centre du Colloque international sur Frantz Fanon.

D’abord, et en ouverture, une allocution de Abdelkader Khemri, président du comité d’organisation du Salon du livre, est venue marquer cette première journée du colloque.

«C’est un moment de mémoire et aussi de débat et de convergence», dit-il ajoutant que «la pensée de Fanon cristallise le fait et le concept du nationalisme en tant que réalité évidente. Sa pensée est d’une telle intensité qu’il faut la dégager».

Un message du président de la République rend un grand et vibrant hommage à l’un des enfants de la Révolution algérienne.

La première journée du colloque a été marquée par l’intervention de Olivier Fanon, fils de Frantz Fanon. «Je suis ému d’être là, parmi vous, et je suis encore plus ému du fait que ce colloque soit inscrit dans le cadre de la commémoration du 50e anniversaire du déclenchement de la Révolution», confie-t-il.

Et d’ajouter : «Mon père était un penseur visionnaire ; il a fait une rupture radicale avec la France parce qu’il a pris conscience de l’inégalité qui existait entre le colonisateur et le colonisé, il a compris que le colonisé ne pourra jamais s’assimiler à l’autre, il s’est fait donc Algérien en rejoignant la Révolution, parce qu’il a cru en elle, car elle était le lieu du combat pour la liberté. Mon père a épousé la cause algérienne, et l’Algérie le lui a bien rendu en le nommant ambassadeur itinérant d’Algérie à travers le monde.» «Je suis modestement dans la continuité de la pensée de mon père, je suis Algérien et je travaille à l’ambassade d’Algérie en France», confie-t-il.

La séance s’est poursuivie avec l’intervention de Réda Malek qui a été un proche compagnon de Frantz Fanon. Au cours de son intervention, il a rendu compte de ces souvenirs, étroitement liés à Frantz Fanon.

«Fanon était un révolutionnaire au plein sens du terme, il faisait partie des forces libres», dira-t-il. «Il était sensible à la condition algérienne, il s’était mis à s’y intéresser et il a constaté que pour que l’Algérien, donc le colonisé parvienne à accéder à sa liberté et à sa dignité en s’affranchissant de la pesanteur du colonialisme, il fallait mettre fin au système». Selon l’intervenant, Frantz Fanon, pour approfondir ses connaissances sur la Révolution qui commençait, l’a aussitôt rejointe. «La Révolution algérienne a su accueillir Frantz Fanon», déclare-t-il. Et d’insister sur le fait que Frantz Fanon était un enfant de la Révolution, et que celle-ci était ouverte à tout le monde, et sur l’universalité. «La Révolution n’avait pas de frontières, et 50 ans après, elle se poursuit, la mémoire et la pensée de Fanon se perpétuent», conclut-il. Le colloque se poursuit aujourd’hui.

Y. I.


El Moudjahid 14 septembre 2004
L’écriture pour aider la libération des peuples


Les travaux du colloque international sur Frantz Fanon se sont poursuivis hier à l’hôtel Hilton en présence des nombreuses personnalités nationales et internationales ayant un lien direct, parce qu’ils l’ont côtoyé de très près durant son parcours, ou des attaches indirectes à travers leurs écrits sur la personnalité, son œuvre et son combat.

Le médecin, l’écrivain et le compagnon de lutte, Mme Alice Cherki, a évoqué hier lors de son intervention, levant le voile sur la personnalité et l’action de Fanon en tant qu’écrivain, psychiatre, penseur et révolutionnaire pour construire le personnage qu’elle qualifie d’éveilleur de conscience.

Dans tous ces aspects compartimentés qui renforcent l’unité de l’action de Frantz Fanon, Mme Cherki nous renvoie à la dimension universelle de la lutte pour «la désaliénation de la société et de la libération de soi de façon responsable et moderne» élaboré autour «du sentiment tragique de la vie» par Fanon, âgé alors de 25 ou 26 ans qui a compris que «seule la lutte organisée pouvait conduire la nation en mouvement (Algérie) à se libérer et devenir indépendante face au système colonialiste».

«Très attentif aux autres, très proche de l’inconscient, se souvient Alice Cherki, Fanon aimait former les jeunes. Sa pensée qui reste d’actualité accompagne notre époque où l’on a érigé la violence pour intégrer les Etats à la mondialisation».

L’auteur des Damnés de la terre qui a introduit à son combat l’écriture pour aider à libérer les peuples a réparti les maux du corps les conjuguant aux mots du cœur dans des récits à transmettre aux autres.

Un autre homme au destin similaire à Frantz Fanon, s’est déplacé à Alger pour apporter son témoignage tant l’itinéraire est similaire. Ils sont nés tous les deux en 1925, nés dans des départements d’outre-mer, l’un en Martinique, l’autre à la Réunion et se sont totalement et foncièrement engagés dans la Révolution algérienne et le mouvement de libération des peuples. Il s’agit de Frantz Fanon et de Jacques Vergès. En 1940, ils avaient 15 ans, interloqués par la victoire du racisme allemand, ils s’engagent dans les Forces de France Libre à 17 ans et en 1945 «on nous dit que le mot indépendance c’est bien pour les Européens et pas pour les autres», s’offusque Me Jacques Vergès, citant «la répression de Sétif et Guelma, ce qui nous ouvre les yeux». Autre similitude, Me Vergès constate «qu’en 1957, lorsque la bataille d’Alger a éclaté, Fanon rejoint Tunis et moi, je rejoins Alger pour reconstituer le collectif d’avocats après l’arrestation de tous les avocats algériens : nous avons la même attitude de rupture à l’égard de la manière de penser colonialiste. Autrement dit le problème algérien n’est pas français-français mais bien universel et le résistant algérien a le droit de lutter. Sa violence est justifiée contrairement à elle du colonisateur».

Après un moment d’émotion, Me Vergès reprend la parole pour noter que «nous essayons, chacun de son côté, d’intéresser l’opinion mondiale du combat de l’Algérie pour l’efficacité. Les responsables du FLN m’ont confié alors des causes difficiles où j’ai pu défendre des clients condamnés à mort. Aucun n’a été exécuté».

Me Jacques Vergès, apporte sa contribution à la compréhension de Frantz Fanon, estimant que «son message reste toujours d’actualité au regard de ce qui se passe dans le monde, en Palestine où en ce moment un enfant palestinien est tué à Ghaza, Ramallah ou Naplouse» avant d’ajouter que parler de ce regain de violence et de barbarie pour régenter l’univers entier en engageant des guerres sur des mensonges ou des droits de l’homme». Heureusement nous avons ceux qui résistent, démontrant que la force matérielle ou l’argent ne peuvent pas gouverner le monde mais bien le courage des hommes».

Les travaux du colloque se sont poursuivis à travers un débat passionnant ayant permis aux participants de mieux cerner la personnalité et la philosophie de Frantz Fanon tout en élaborant les ébauches d’une humanité expurgée des mises en scènes et des formes de violence à l’orée de la fin des idéologies et l’intrusion de la notion universelle.

Houria A.


La Nouvelle République 13 septembre 2004
Ouverture du colloque sur Frantz Fanon
Hommage au révolutionnaire


«Frantz Fanon est à coup sûr le symbole le plus fécond de la dimension internationale de la Révolution algérienne et de la nécessaire recherche de pistes innovantes ouvrant la voie à un mouvement de modernité humaniste»
A. Khemri

En marge du Salon international du livre d’Alger qui se tient cette année sous le signe de la commémoration du 50e anniversaire du déclenchement de la Révolution algérienne, un colloque international consacré à Frantz Fanon (1925-1961), s’ouvre aujourd’hui à l’hôtel Hilton. Il est attendu parmi les participants, Alice Chekri, psychiatre et psychanalyste, une spécialiste émérite qui a longuement travaillé avec l’auteur des Damnés de la terre et milité aussi à ses côtés, dans les rangs du FLN combattant. On évoque également en plus de la présence active de la biographe «officielle» du grand penseur noir Fanon, la présence de ses amis à l’image de Jacques Vergès ainsi que des époux Chaulet. On parle également de Benjamin Stora, Hervé Bourges et Alexandre Adler. Quant à Fakhri Karim Ahmad, le président du conseil irakien pour la paix et la solidarité, ce dernier saisira cette tribune afin de délivrer (nous l’espérons !) un message sans nuances. Le propre fils de Fanon, Olivier sera lui aussi de la partie ici même à Alger, la ville de son enfance.

Au lendemain du colloque, un autre hommage sera rendu à Fanon au café littéraire (pavillon central de la Safex) où interviendra mardi une nouvelle fois Alice Chekri en compagnie de Mustapha Haddab, un sociologue qui abordera en ce qui le concerne «La violence et l’histoire chez Fanon», Thanina Maougal, enseignante et Okba Natahi, psychanalyste. Le jour même en fin d’après- midi, il y aura la projection du film de Zahzah consacré à Fanon suivi d’un débat avec le professeur Ridouh.

A. A


Liberté 13 septembre 2004
Colloque sur Frantz Fanon
Le visionnaire militant
Par Wahiba Labrèche


Au delà de son aspect commercial qui connaît une affluence considérable au regard des longues processions de visiteurs devant les centaines de stands investis par les exposants et maisons d’édition, le 9e Sila réserve une place appréciable aux rencontres culturelles et cafés littéraires où le public peut apprécier des auteurs que seules leurs œuvres ont pu faire connaître et découvrir.

Placé dans le contexte de la célébration du 50e anniversaire de la lutte de libération, et notamment en hommage à Frantz Fanon, figure emblématique du combat libérateur des peuples, le 9e Sila marque, à partir d’aujourd’hui, un tournant dans son déroulement avec l’ouverture, ce matin, à l’hôtel Hilton, du colloque international sur Frantz Fanon.

Aussi, la dimension culturelle, qui est imprimée à ce salon international du livre qu’abrite la capitale, tout en le situant comme un forum culturel et de pensée, d’échanges et de rencontres conviviales entre les grands noms de la littérature et de la pensée arabe et occidentale, alliée à l’histoire algérienne, invite de fait à la découverte de l’autre.

Les cafés littéraires qui sont organisés au pavillon central, retiennent l’attention tant ils constituent le support de cette dimension culturelle. En organisant des conférences, jeudi, sur l’émir Abdelkader “résistant et humaniste”, animées par l’ancien ministre, Mustapha Chérif, vendredi, sur l’ordre international en 2005, l’après-Irak, par Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) France, hier sur les langues métisses ou les mots voyageurs par Daniel Maximin et Marie Treps ou aujourd’hui à 14h sur la préservation du patrimoine et architecture en Algérie par André Ravereau, le 9e Sila participe à cet effort considérable de consolider la culture nationale tout en l’ouvrant sur l’universel par des dialogues et des échanges féconds.

Parallèlement à ce volet important, le 9e Sila propose quotidiennement des séances de ventes-dédicaces de livres en présence de leurs auteurs, et tous les stands tentent, par ce procédé, de drainer les publics variés de cette manifestation culturelle et particulièrement les jeunes qui ont eu le privilège des organisateurs puisqu’un salon national, le premier, leur est réservé parallèlement au Salon académique.

Les stands réservés au salon national des jeunes et des enfants, qui sont répartis entre les ailes du pavillon central et sa “mezzanine”, ne sont certes pas tous fournis d’ouvrages.

Mais ils ont cet avantage de contenir assez de choses que les parents peuvent offrir à leurs enfants en vue de réhabituer la société dans cette noble tradition qui a beaucoup décliné quand nos parents à nous nous offraient des livres de lecture pour développer le goût et inciter à la découverte du livre le tout nouveau livre acquis ou lu avant les autres.

“Mais c’est un bon début”, note, Mme Saloua Annani, l’une des animatrices de cet espace jeunesse avant qu’un responsable d’un autre stand jeunesse renchérisse : “l’effort particulier de certains parents et des associations civiles en procédant à l’offre de livres pour lecture aux enfants lors des cérémonies ou réussites d’examen peut participer au développement du goût pour la lecture extra-scolaire.

Houria Akram


El Moudjahid 12 septembre 2004
En marge du 9e SILA
Le colloque international sur Frantz Fanon s’ouvre ce matin au Hilton
Par Wahiba Labrèche


Après avoir rendu hommage l’année dernière au grand poète romancier algérien Mohammed Dib, la 9e édition du Salon international du livre d’Alger est consacrée au militant intellectuel Frantz Fanon, une des figures de proue de la révolution algérienne qui a combattu par sa plume et sa profession de psychiatre pour l’indépendance de l’Algérie.

L’hommage organisé à la veille du 50e anniversaire du 1er Novembre 1954, dont les travaux ont commencé hier matin à l’hôtel Hilton, se veut un signe de gratitude et de reconnaissance au dévouement du psychiatre qui a adhéré entièrement à la cause algérienne. En présence de son fils Olivier Fanon, les travaux de la première journée du colloque ont regroupé un grand nombre d’amis et compagnons du psychiatre militant, dont Claudine et Pierre Chaulet, Jacques Vergès, Rédha Malek, la psychanaliste Alice Chekri, ainsi que des historiens et romanciers Abdelkader Djaghloul, Lyès Boukraâ, Yasmina Khadra, Abderazak El-Hamami, Cheikh Bouamrane.

Lors de son intervention d’inauguration, Abdelkader Khomri, président du comité d’organisation du 9e Sila, rappellera l’importance de cet hommage dédié au psychiatre écrivain qui, par sa profession de psychiatre et son œuvre, a porté la cause algérienne, mais aussi les besoins des peuples de disposer de leur sort au-delà des frontières algérienne et d’Afrique.

Le P-DG de l’Anep a lu, pour l’occasion, la lettre du président de la République “Ami personnel et compagnon de combat de Fanon”, dans laquelle il apporte son témoignage sur l’homme et le militant qu’était Fanon.

“Par bien de ses aspects, cet homme émergeait de l’ensemble de ses contemporains par ses valeurs humaines et sa capacité à fusionner des volontés contradictoires, et dont l’enjeu historique n’était autre que la liberté d’un peuple.”Olivier Fanon insistera, quant à lui, sur l’engagement de son père dans le combat pour l’indépendance de l’Algérie. “Sur l’affiche, il est écrit Frantz Fanon, le penseur visionnaire. Mais il était avant tout un actionnaire militant. Il était algérien par choix et je le suis aussi même si je vis en France”, dira Olivier Fanon. Rédha Malek et Louisette Ighilahriz évoqueront, chacun de son côté, l’apport de Fanon au combat algérien et surtout, insiste Louisette, le soutien et la force qu’a suscités Fanon chez les moudjahidine prisonniers. Les travaux du colloque se sont poursuivis dans l’après-midi par les témoignages de Claudine et Pierre Chaulet, Jacques Charby, Hervé Bourges et maître Jacques Vergès.

W. L.


La Tribune 12 septembre 2004
Hommage à Frantz Fanon
Par Yasmina Belkacem


Le 9ème Salon international du livre d’Alger (SILA), qui s’est ouvert mercredi dernier, consacre cette année une figure majeure de l’engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Après avoir célébré, l’an dernier, la mémoire du romancier et poète algérien Mohamed Dib, le SILA est dédié, dans sa neuvième édition, à Frantz Fanon, psychiatre, intellectuel, écrivain et militant pour la liberté des peuples. Un hommage qui débutera aujourd’hui dans les murs de l’hôtel Hilton, et qui se poursuivra sur deux jours à la salle de spectacles de la Safex. Cette rencontre, qui se tient en présence du fils, Olivier Fanon, prend les allures d’un colloque international et verra la participation de plusieurs intervenants d’ici et d’ailleurs tels que la psychanalyste Alice Cherki, l’historien spécialiste de la révolution algérienne Benjamin Stora, le sociologue Mustapha Haddab ou le jeune réalisateur Abdenour Zahzah, auteur d’un film documentaire sur Frantz Fanon. Ce colloque, qui vient pallier les oublis et autres négligences commises à l’encontre de ceux qui ont lutté aux côtés des Algériens pour leur dignité et leur indépendance, coïncide également avec le 50ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération. Une coïncidence qui explique en partie le choix fait autour de Frantz Fanon qui représente «le symbole le plus fécond de la dimension internationale de la révolution algérienne et de la nécessaire recherche de pistes innovantes ouvrant la voie à un mouvement de modernité humaniste». Martiniquais de naissance, Frantz Fanon est né à Fort-de-France le 25 juillet 1925. Elève d’Aimée Césaire –l’un des chantres de la négritude avec le Sénégalais Senghor- il empruntera d’autres voies de réflexion et d’émancipation et marquera par la suite le XXème siècle par sa pensée et son action.Ayant opté pour des études de médecine, Frantz Fanon se spécialise en psychiatrie et se retrouve, en 1953, nommé médecin en chef de l’hôpital psychiatrique de Blida, qui porte aujourd’hui son nom. Cette année de mutation sera celle aussi de son engagement aux côtés du Front de libération nationale. Expulsé des terres algériennes, il poursuit sa lutte depuis la Tunisie. En dépit d’une vie brève, écourtée par la maladie, Frantz Fanon sera multiple et prolifique. Médecin psychiatre, militant pour l’indépendance des peuples, psychanalyste du colonialisme, théoricien de la révolution et écrivain.Il laisse derrière lui une bibliographie des plus intéressantes pour comprendre la révolution algérienne et les soubresauts du continent africain. Les Damnés de la terre, Peau noire, Masques blancs, Sociologie d’une révolution ou l’An V de la révolution algérienne. Une littérature qui demeurait incontournable pour les intellectuels du tiers-monde. Atteint d’un leucémie, Frantz Fanon décède dans un hôpital à Washington le 6 décembre 1961 à l’âge de 36 ans. Sa dépouille ou son âme repose à El Tarf, nettement à l’est du cimetière El Alia.

Y. B.


Le Jeune Indépendant 11 septembre 2004
9e Salon international du livre
Un hommage sera rendu à Frantz Fanon
par R.C


La 9e édition du Salon international du livre, qui se tient à la Safex, aux Pins maritimes à Alger, jusqu’au 18 septembre prochain, a été dédiée à Frantz Fanon, intellectuel et militant de la guerre d’indépendance algérienne. A cet effet, un colloque international lui sera consacré les 12 et 13 septembre 2004 à l’hôtel Hilton, et auquel des personnalités internationales participeront.

On compte parmi les invités Alice Cherki, psychanalyste et biographe de Frantz Fanon, Mustapha Haddab, sociologue, Thanina Maougal, enseignante, et Okba Natahi, psychanalyste. Dans son célèbre livre les Damnés de la terre, il écrit : «Ne perdons pas de temps en stériles litanies ou en mimétismes nauséabonds.

Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre [...] Pour l’Europe, pour nous-mêmes et pour l’humanité, camarades, il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf».

Né en 1925 à Fort de France en Martinique, Frantz Fanon est élève d’Aimé Césaire au lycée Schoelcher. Alors que la France est occupée, il rejoint la Résistance en Dominique. Blessé et incarcéré en Allemagne, il est décoré à la fin de la guerre.

Il gagne ensuite la France pour suivre des études de médecine à Lyon. Puis il se spécialise en psychiatrie et écrit en 1950 un essai Peau noire, Masques blancs dans lequel il observe les répercussions pathologiques du racisme sur l’inconscient.

«Je n’arrive point armé de vérités décisives. Ma conscience n’est pas traversée de vérités décisives. Cependant, en toute sérénité, je pense qu’il serait bon que certaines choses soient dites. Ces choses, je vais les dire, non les crier, car depuis longtemps le cri est sorti de ma vie».

Toujours méfiant à l’égard de toutes les formes de nationalisme (qu’il juge trop facilement corruptible), Fanon parvient à rassembler, au-delà des clivages raciaux, un milliard et demi d’hommes marginalisés par la prospérité égoïste et hautaine de l’Occident.

S’il préfère l’analyse tiers-mondiste au concept de la «négritude», Fanon n’en demeure pas moins un révolutionnaire. Il s’engage en Algérie à partir de 1953 en luttant avec le FLN. Médecin-chef à la clinique psychiatrique de Blida, expulsé par les autorités françaises, il se réfugie en Tunisie, d’où il poursuit son combat.

Il meurt en 1961 à Washington d’une leucémie, après avoir écrit les Damnés de la terre. Ce psychiatre et militant tiers-mondiste est mort à la vieille de l’indépendance algérienne pour laquelle il lutta. Le 9e Salon du livre qui rend hommage à ce grand homme s’ouvre également à différentes activités culturelles.

Des rencontres avec des écrivains sont programmées ainsi que des ventes-dédicaces et des débats. Des hommages seront également rendus à l’émir Abdelkader et autres personnalités et intellectuels algériens.

B. R.


Info Soir 9 septembre 2004
Frantz Fanon
La pensée de la liberté
Par Yacine Idjer


Un hommage sera rendu à la pensée et à la lutte de Frantz Fanon lors du 9e Sila.

Désormais, chaque année, le Salon international du livre d’Alger (Sila) sera dédié à un personnage qui a marqué, par ses écrits, sa pensée, donc par son esprit intellectuel, son temps et le monde de la culture, notamment l’univers littéraire. L’année dernière, le 8e Sila était dédié à Mohammed Dib ; cette année, il sera entièrement consacré à Frantz Fanon.

Il est à rappeler que le 9e Sila coïncidera avec la célébration du 50e anniversaire du déclenchement de la Révolution de Novembre 1954. Et comme Frantz Fanon est un personnage qui a vécu une grande partie de sa vie en Algérie, il a épousé la cause algérienne.

Effectivement, Frantz Fanon est connu pour son anticolonialisme ; c’est pour cette raison qu’il a adhéré à la Guerre de libération nationale. Il l’a nourrie par sa pensée et ses réflexions, donc par son militantisme.

Frantz Fanon est d’origine martiniquaise, mais il est peu connu dans son pays, car il a passé l'essentiel de sa vie de militant dans sa terre d'adoption : l'Algérie.

Il est né à Fort-de-France le 20 juillet 1925. Il est mort à Washington, le 6 décembre 1961, à l'âge de 36 ans, des suites d'une leucémie et a été inhumé au cimetière des Chouhada (Tunis). Psychiatre, écrivain, combattant anticolonialiste, Fanon a marqué le XXe siècle par sa pensée et son action, en dépit d'une vie brève frappée par la maladie.

Frantz Fanon fit ses études secondaires au lycée Schoelcher, ses études supérieures à la faculté de médecine de Lyon et fut nommé, en 1953, médecin-chef de l'hôpital psychiatrique de Blida, en Algérie. Il avait déjà publié, en 1952, Peau noire, masques blancs. En 1956, deux ans après le déclenchement de la Guerre de libération nationale en Algérie, Fanon choisit son camp, celui des colonisés et des peuples opprimés. Il démissionne de son poste et rejoint le Front de libération nationale (FLN) en Algérie. Il a d'importantes responsabilités au sein du FLN, et il est membre de la rédaction de son organe central, El Moudjahid. Il est chargé de mission auprès de plusieurs Etats d'Afrique noire, ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra) au Ghana. Il échappe à plusieurs attentats au Maroc, en Italie.

Jusqu'à sa mort, Fanon s'est donné sans limites pour la cause de la libération des peuples opprimés.

Frantz Fanon s’est illustré par une pensée particulière qui s’inscrit dans la lutte des peuples opprimés pour la liberté et la dignité humaine, pour l’égalité sociale et le droit à l’existence sur la scène internationale. Sa pensée, le «fanonisme», se définit par ce combat continuel visant la restitution de la nation au peuple, un combat qui ne concernait pas seulement la libération de l'homme noir ou du colonisé, mais cette lutte incessante pour libérer l'homme et l’inscrire dans un intellectualisme constructif.

Frantz Fanon cherchait, et c’était une quête continuelle, à faire «peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf». Son combat est toujours d'actualité, il s’agit d’une pensée intemporelle et universelle au moment où l’on assiste à «la montée des intégrismes de tous bords, dans un monde d'inégalités où le fossé se creuse entre riches et pauvres, entre nantis et démunis».

Y. I.


Pour la révolution africaine
(Textes) - Éditions La Découverte, Paris ISBN: 2-7071-4903-9, 2006
Présentation


Les textes politiques de Frantz Fanon réunis dans ce volume couvrent la période la plus active de sa vie, de la publication de Peau noire, masques blancs en 1952 - il avait alors vingt-huit ans - à celle des Damnés de la terre en 1961, qui devait coïncider, à quelques jours près, avec la date de sa mort. Retraçant le fil d'une réflexion en constante évolution sur le phénomène colonial, vécu de l'intérieur, ces textes dénoncent à la fois le colonialisme et les pièges de la décolonisation - la " grande erreur blanche " et le " grand mirage noir ".

Explorant tour à tour la situation du colonisé, dont il peut rendre compte scientifiquement par son expérience médicale quotidienne, l'attitude des intellectuels de gauche face à la guerre d'Algérie, les perspectives de conjonction de la lutte de tous les colonisés et les conditions d'une alliance de l'ensemble du continent africain, Frantz Fanon gardait la certitude de la prochaine libération totale de l'Afrique. Son analyse et la clarté de sa vision nous donnent aujourd'hui les clés nécessaires pour comprendre la réalité africaine actuelle.


Le Jeune Indépendant - 21 septembre 2006
Relire Frantz Fanon


Pour la révolution africaine, publié pour la première fois en 1964, soit trois ans après la mort de son auteur, est un recueil des textes politiques écrits par Frantz Fanon entre 1952 et 1961. Cette période est l’une des plus actives de la vie du militant anticolonialiste.

Le jeune médecin psychiatre livre ici une sorte de journal de son quotidien de soignant et d’auteur de Peau noire, masques blancs et des Damnés de la terre, d’activiste politique. Il y démontre, dans le Syndrome nord-africain, comment la violence subie par le colonisé agit sur le corps psychique mais aussi somatique des hommes.

Et de décrire ces pathologies, que le corps médical taxe souvent d’imaginaires, évoquées par les Nord-Africains vivant en France. De quoi souffrent-ils ? De la poitrine, du ventre, de la tête, du cœur. De maux impalpables et réels, selon le psychiatre, qui ne seront pourtant pas décelés par les examens cliniques.

Quand le médecin cède sa plume au militant, les textes ne perdent rien de leur acuité. Nécessité de la réconciliation entre Antillais et Africains, longue marche de l’Afrique vers son indépendance, luttes algériennes, critiques acerbes des dirigeants africains installés par la France à la tête de ses anciennes colonies, les écrits de Frantz Fanon, parfois un peu datés, ont néanmoins conservé toute leur vigueur.

Parfois visionnaire, comme quand il évoque la prochaine libération totale de l’Afrique, parfois utopiste, quand il appelle de ses vœux une unité du continent qui tarde à venir, Fanon ne se départit jamais de ses idéaux. Ses écrits présentent toutefois l’intérêt du témoignage d’un acteur de la décolonisation, racontant, de l’intérieur, le quotidien d’hommes et de femmes engagés comme lui dans la conquête de leur liberté.

S’il n’avait pas été emporté par une leucémie à l’âge de 36 ans, en 1961, on se demande quel regard Frantz Fanon aurait porté sur les évolutions africaines du XXe siècle et quel aurait pu y être son rôle. Les arts de l’islam, itinéraire d’une redécouverte C’est au début du siècle dernier qu’est apparue la notion d’art musulman : partout en Europe, des amateurs éclairés se font construire des demeures à l’orientale et commencent à constituer des collections, tandis que de nombreux peintres, suivant l’exemple de Delacroix, ramènent de leurs voyages vases, tapis, armes et objets de toutes sortes.

Même ceux qui n’ont jamais mis les pieds en Orient succombent à la nouvelle mode, et le baron de Rothschild commande pour son hôtel particulier parisien un luxueux fumoir égyptien qui servira de cadre à sa collection de tapis… persans.

Partout, l’Orient inspire lieux de détente et de plaisir : bains, cafés, bals publics se dotent d’architectures et de décors parfois dignes des Mille et Une Nuits. L’ambition de cet ouvrage est double : s’il s’attache avant tout à suivre l’aventure d’un regard, celui de l’Occident sur les arts de l’islam, il tente aussi de comprendre et d’analyser très précisément l’influence de ces derniers sur les artistes occidentaux.

Pillage dont la forme la plus aboutie à ce jour reste l’œuvre de Matisse – trouva au Maroc un nouveau souffle artistique – mais qui peut aussi s’entendre au sens littéral, comme le laisse entendre l’écrivain Jean-Charles Davillier en 1874 : «Nous vîmes un jour, dans l’une des salles de l’Alhambra, un étranger aux cheveux rutilants qui s’amusait à enlever les azulejos du mur et qui ne se dérangea pas à notre approche, comme s’il eut fait la chose au monde la plus naturelle.»

MFI


L'an V de la révolution algérienne
Éditions La Découverte, Paris ISBN : 2-7071-3437-6, 2001



Parce qu'il s'agit à la fois d'un témoignage et d'une réflexion de fond, cet ouvrage constitue un document d'une valeur exceptionnelle sur la guerre d'Algérie et la nation nouvelle qui allait naître. Frantz Fanon était de ces militants qui, bien qu'ils ne soient pas algériens de naissance, ont épousé la cause du FLN jusqu'à changer de nationalité. Ce psychiatre mort à l'âge de 36 ans publia en 1959 aux éditions Maspéro ce texte dense dont l'enthousiasme pour la lutte menée par le peuple algérien au nom de la liberté n'émousse pas la finesse d'analyse. Pour la première fois en effet, les bouleversements engendrés par cette lutte au cœur même de la société algérienne étaient mis en lumière, en même temps que l'espoir de voir émerger un type nouveau de relations sociales dès l'indépendance acquise.

Provoquant l'apparition de conduites radicalement différentes, comme un changement d'attitude à l'égard des femmes – devenues convoyeuses d'armes ou porteuses de messages – ou une méfiance croissante à l'égard des médias ou de la médecine du colonisateur, la lutte pour l'indépendance a vu tout un peuple rentrer en possession non seulement de son destin, mais de ses mœurs, de sa culture, bref, de lui-même. --Thomas Ferrier


Les damnés de la terre - La Découverte
(Cahiers Libres) ISBN : 2-7071-1514-2 , Paris, 2000
Les damnés de la terre - La Découverte
(Poche essais) ISBN : 2-7071-4281-6 , Paris, 2004

Présentation


Publié en 1961, à une époque où la violence coloniale se déchaîne avec la guerre d'Algérie, saisi à de nombreuses reprises lors de sa parution aux Editions François Maspero, le livre Les Damnés de la terre, préfacé par Jean-Paul Sartre, a connu un destin exceptionnel. Il a servi - et sert encore aujourd'hui - d'inspiration et de référence à des générations de militants anticolonialistes.

Son analyse du traumatisme du colonisé dans le cadre du système colonial et son projet utopique d'un tiers monde révolutionnaire porteur d'un " homme neuf " restent un grand classique du tiers-mondisme, l'œuvre capitale et le testament politique de Frantz Fanon.

Dans cette nouvelle édition, la préface de Alice Cherki, psychiatre et psychanalyste, auteur du Portrait de Frantz Fanon (Seuil, 2000), et la postface de Mohammed Harbi, combattant de la première heure pour la libération de son pays et historien de l'Algérie contemporaine, auteur de Une vie debout. Mémoires politiques 1945-1962(La Découverte, 2001), restituent l'importance contemporaine de la pensée de Frantz Fanon.

Extrait

" La violence du régime colonial et la contre-violence du colonisé s'équilibrent et se répondent dans une homogénéité réciproque extraordinaire. Ce règne de la violence sera d'autant plus terrible que le peuplement métropolitain sera important. Le développement de la violence au sein du peuple colonisé sera proportionnel à la violence exercée par le régime colonial contesté […]

" Dès lors que le colonisé choisit la contre-violence, les représailles policières appellent mécaniquement les représailles des forces nationales. Il n'y a pas cependant équivalence des résultats, car les mitraillage par avion ou les canonnades de la flotte dépassent en horreur et en importance les réponses du colonisé. Ce va-et-vient de la terreur démystifie définitivement les plus aliénés des colonisés. Ils constatent en effet sur le terrain que tous les discours sur l'égalité de la personne humaine entassés les uns sur les autres ne masquent pas cette banalité qui veut que les sept Français tués ou blessés au col de Sakamody soulèvent l'indignation des consciences civilisées tandis que 'comptent pour du beurre' la mise à sac des douars Guergour, de la dechra Djerab, le massacre des populations qui avaient précisément motivé l'embuscade. Terreur, contre-terreur, violence, contre-violence… Voilà ce qu'enregistrent dans l'amertume les observateurs quand ils décrivent le cercle de la haine, si manifeste et si tenace en Algérie.

" Dans les luttes armées, il y a ce qu'on pourrait appeler le point de non-retour. C'est presque toujours la répression énorme englobant tous les secteurs du peuple colonisé qui le réalise. Ce point fut atteint en Algérie en 1955 avec les 12000 victimes de Philippeville et en 1956 avec l'installation par Lacoste des milices urbaines et rurales. Alors il devint clair pour tout le monde et même pour les colons que 'ça ne pouvait plus recommencer' comme avant. "


Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Maspéro, 1961.
Les Damnés de la terre, de Frantz Fanon
Le Matin - 26/09/2001

Quarante ans déjà


Aujourd'hui, Les Damnés de la terre ont quarante ans. C'est un 26 septembre de l'an 1961 que Les Damnés de la terre, uvre majuscule de Frantz Fanon, est édité chez François Maspero et préfacé par Jean-Paul Sartre. Né Martiniquais en 1925 dans une famille bourgeoise des Antilles, proche des thèses assimilassionistes, mort Algérien en 1961, Frantz Fanon a choisi la lutte après avoir bu la déconvenue de l'impossible cohabitation et l'illusoire égalité entre colons blancs et colonisés africains ou créoles.

Il a fait sien le combat de ses compatriotes, ensuite celui de tous les opprimés. Il gagne Lyon pour des études de médecine et une spécialité en psychiatrie. En 1952, François Jeanson lui publie son essai Peaux noires, masques blancs, sur les répercussions pathologiques du racisme sur l'inconscient. Psychiatre (il exerce à l'hôpital de Blida), théoricien de la Révolution algérienne et militant tiers-mondiste, Frantz Fanon rejoint la lutte algérienne en 1953, et milite dans les rangs du FLN. Il travaille dans le service presse puis en tant que représentant diplomatique du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), et participe à la création d'El Moudjahid. Une leucémie aura raison de ce jeune homme de 36 ans, dont la révolte dépasse les frontières de la patrie et du continent, et dont la pensée influence nombre d'intellectuels du Tiers-Monde.

Publiée en pleine guerre de libération et quelques mois avant sa mort, son uvre majeure Les Damnés de la terre, deviendra un livre culte par le biais duquel Frantz Fanon s'adresse aux colonisés et soulèvera tollés, polémiques et critiques. Penseur panafricain, Fanon entend éveiller les consciences opprimées, libérer les âmes colonisées. Par la force du verbe et de la critique, le médecin rebelle tente de briser les chaînes, de casser les verrous et d'ouvrir les prisons dans lesquelles le Blanc colonisateur a enfermé les esprits des colonisés, « esclaves de l'esclavage ». Le livre, considéré comme un brûlot, un appel à la violence, sera ­p; le côté belliqueux de la préface de Sartre aidant - saisi et interdit à sa sortie en France, à quelques mois de la proclamation de l'indépendance de l'Algérie.

Yasmina B.


LES DÉDICACES DE FRANCE INTER
le 22 septembre 2000

Je n'ai vu Frantz Fanon qu'une fois, à Paris en septembre 1956. J'assistais, étudiant, au premier congrès des Ecrivains et Artistes noirs. J'entends encore sa voix : il y avait, dans son intervention sur "Racisme et culture", une alliance de l'argumentation fondée non sur le théorique mais sur le vécu, avec une efficacité dialectique qui emportait un auditeur, en principe lointain, dans une proximité de pensée soudain chaleureuse. Le propos de Fanon était de démontrer que le racisme était contenu dans l'affirmation de "la valeur normative de certaines cultures décrétée unilatéralement". Que, loin d'être une tare psychologique accidentelle, il s'inscrivait dans la culture (cet "être psychique collectif", selon Freud) de la société qui le produisait. Lutter contre lui était voué à l'échec si l'on ne luttait contre l'oppression dont cette société était porteuse. Pour moi qui sortais d'un enseignement de l'ethnologie encore imprégné d'ethnocentrisme, c'était décapant. Et si j'ai ressenti, comme Alice Cherki le note pour son compte, cette "impression de résonance pour les jeunes gens que nous étions alors", c'est que cela s'inscrivait, et sur le mode le plus brûlant, au coeur des événements de cette année 1956, où la répression en Algérie prenait définitivement sa forme de guerre faite à tout un peuple. Ma génération, appelée (c'était la formule officielle) à aller faire cette guerre, était aussi appelée à se déterminer face à elle. En écoutant ce jour-là Frantz Fanon, je ne pouvais imaginer que, trois ans plus tard, je deviendrais son éditeur. Que son livre "L'An V de la révolution algérienne" serait l'un des premiers ouvrages que je publierais. Qu'il n'avait plus que cinq ans à vivre, puisqu'il est mort à l'automne 1961, quelques jours après avoir reçu à la fois le premier exemplaire des "Damnés de la Terre" et la nouvelle de leur interdiction en France. Et qu'enfin il me faudrait attendre plus d'un tiers de siècle pour lire, avec le travail d'Alice Cherki, une analyse qui rende compte avec lucidité de l'homme, de l'action et de l'oeuvre brisés en plein élan. Un travail qui a l'inestimable valeur de les prendre comme un ensemble indissociable. D'inscrire cet ensemble dans son époque. De le situer dans la nôtre. Car dès le lendemain d'une mort à un âge où la plupart en sont encore aux fondations d'une oeuvre, les écrits et la figure de Frantz Fanon se sont vus figés en quelques formules.



Le Monde
François Maspero
Commentaire


L'itinéraire de Frantz Fanon, né antillais, mort algérien, et son témoignage de psychiatre, d'écrivain, de penseur politiquement engagé reviennent éclairer les désordres et les violences d'aujourd'hui. Fanon est mort à 36 ans, à un âge où souvent une vie d'homme ne fait que commencer. Mais toutes ses mises en garde aux pays colonisés en voie d'indépendance se sont révélées prophétiques. De même, ses réflexions sur la folie, le racisme, et sur un universalisme confisqué par les puissants, à peine audibles en son temps, ne cessent de nous atteindre et de nous concerner. L'auteur des Damnés de la terre a produit une oeuvre "irrecevable". Son propre parcours ne l'était pas moins et la manière dont il s'interrogeait sur "la culture dite d'origine", sur le regard de l'autre et sur la honte n'a pas toujours été reconnue. Particulièrement qualifiée pour dresser ce portrait biographique et intellectuel, Alice Cherki a bien connu Frantz Fanon, travaillé à ses côtés, en Algérie et en Tunisie, dans son service psychiatrique, et partagé son engagement politique durant la guerre d'Algérie. Elle nous apporte son témoignage distancié sur un Fanon éveilleur de consciences, généreux sans concessions, habité par le sentiment tragique de la vie et par un espoir obstiné en l'Homme.


Liberté 25 avril 2002
Documentaire sur Frantz Fanon
Intrusion dans la pensée fanoniènne


“Mémoire d’asile” est un film documentaire de 52 minutes signé Zahlal Abdenour. Un hommage au combattant de la cause algérienne. Une rétrospective sur l’itinéraire d’un psychiatre engagé.

Il y a quarante ans Fanon écrivait dans Les Damnés de la terre : "Allons camarades, il vaut mieux dès maintenant changer de bord. La grande nuit dans laquelle nous fûmes plongés, il nous faut la secouer et en sortir. Le jour nouveau qui déjà se lève doit nous trouver fermes, avisés et résolus ". C’est par ces mots que le psychiatre, le combattant des droits de l’homme, fortement affaibli par une leucémie chronique, exprimait son inconditionnel soutien au peuple algérien.

Le théoricien de la Révolution algérienne, n’est autre que ce jeune Martiniquais à la peau noire , né en 1925, et ayant souffert du racisme et de la xénophobie. Durant sa courte existence, Fanon tentera de prouver que la seule supériorité d’un homme par rapport à un autre, était l’ensemble de ses qualités morales. Après un baccalauréat obtenu à Fort-de-France en 1945, il part à Lyon, où il obtient un diplôme de médecine. Ces premières réflexions sur le racisme, il les publiera dans son œuvre majeure Peau noire et masque blanc. Une analyse dans laquelle il revient sur les conditions de nombreux Antillais qui, dés qu’ils débarquent en France, tentent de penser et de se comporter comme des Blancs.

À travers plusieurs cas, le Dr Fanon montre comment ces Antillais en viennent à refuser d’être assimilés ou comparés aux Africains. Cette œuvre va lui permettre, une fois installé en Algérie en 1953, de découvrir une autre réalité plus amère, celle des Algériens oppressés et asservis sur leur propre terre. De l’École d’Alger de psychiatrie et ses théories sur le primitivisme de I’Indigène, à la mise en place par Fanon à l’hôpital psychiatrique de Blida où il travailla sur la sociothérapie qui permit la réhabilitation des Indigènes, Fanon découvrira l’ampleur des dégâts psychologiques de la colonisation.

Un état des lieux qui va susciter le sentiment de compassion et de soutien que le psychiatre n’hésitera pas à montrer en intégrant les rangs du FLN en 1957. De la formation des infirmiers arabes, à l’assistance des combattants de l ALN, en passant par sa lettre retentissante de démission au gouverneur d’Algérie ( Lacoste), sa trajectoire est synonyme de lutte pour la reconnaissance identitaire. Sa première violence inaugurée dans Peau noire et masques blancs est affirmée dans Les Damnés de la terre, puis une transition vers une conscience collective. Frantz Fanon qui a rejoint le FLN en janvier 1957, était aussi rédacteur dans les premiers numéros d’El Moudjahid. Dans ses écrits, il s’interrogera sur les affres d’une guerre qui traumatisait ceux qui torturaient et les autres qui subissaient la torture. Les Damnés de la terre fut durant des décennies après sa publication, la bible des peuples opprimés aux quatre coins de la planète. Le psychiatre avait conclu dans ses écrits que la paysannerie était la seule vraie force révolutionnaire. Ses écrits ont fait de lui le seul théoricien de la Révolution algérienne. Une théorie qui rejoignait, par certains aspects, celle de Mao Tsé Toung et, à un degré moindre, celle de Che Guevara. Frantz Fanon sera chargé de plusieurs missions au sein du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), dont celle d’ambassadeur d’Algérie au Ghana.

Frantz Fanon décéda le 12 décembre 1961 aux États Unis. Son corps fut rapatrié en Tunisie . Le GPRA respecta le vœu de Fanon d’être enterré en Algérie, au cimetière d’El Alia.


Le Jeune Indépendant 21 Décembre 1998
Frantz Fanon : Un homme, une histoire


Décembre 1998 marque le trente-septième anniversaire de la mort de Frantz Fanon. Médecin spécialiste et militant de la lutte de libération algérienne, Fanon a produit plusieurs ouvrages sur la guerre et les affres endurées par le peuple algérien, parmi lesquels "Les damnés de la terre".

Par Farouk B.

Né le 20 juillet 1925, à Fort de France, dans une famille de fonctionnaires, Fanon a été perturbé par les contre-coups de la Deuxième Guerre mondiale sur les Antilles. En 1943, il part clandestinement pour rejoindre, dans l'île voisine de la Dominique, les forces françaises libres qui, sous la conduite de De Gaulle, participaient aux côtés des Anglais et des Américains à la guerre contre l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste.

En 1945, blessé au combat et décoré pour son courage, il est démobilisé : il rentre en Martinique, passe son baccalauréat, participe à la campagne électorale d'Aimé Césaire, le grand écrivain martiniquais qui fut son professeur et dont la pensée marquera les anticolonialistes de cette génération.

En 1951, après avoir obtenu une bourse, il passe sa thèse et prépare l'internat des hôpitaux psychiatriques. En 1952, il épouse une Lyonnaise, Josie, dont il aura un fils, Olivier, et fait sa spécialité de psychiatrie avec un psychiatre novateur, républicain espagnol installé en France, Tos-quelles, dont la démarche le marque profondément.

C'est cette même année 1952 qu'il publie, aux éditions du Seuil à Paris avec une préface de Francis Jeanser, son premier livre "Peau noire, masques blancs" qui attire immédiatement sur lui l'attenion.

En 1953, il est reçu au médicat des hôpitaux psychiatriques, et postule pour un poste à Blida-Joinville, qui était alors un des plus importants hôpitaux du système psychiatrique français.

Pour Fanon, la psychiatrie "n'est pas une spécialité comme une autre ; elle permet, elle impose de comprendre les causes des souffrances psychiques". Il n'avait que 27 ans quand il a démontré dans "Peau noire, masques blancs", les effets déstructurants du racisme sur la personnalité des dominés.

Ce livre est une réflexion sur la société et une critique active des injustices.

Fanon a également participé aux activités du groupe d'intellectuels noirs (Senghor, Césaire, Whright, Dossantos, Cheïkh Anta Diop et tant d'autres) réunis autour de la revue "Présence africaine".

Dès sa prise de fonction, il participe avec passion aux discussions du ciné-club, fait la connaissance du musicien et chanteur Abderrahmane Aziz avec lequel il découvre la musique chaâbie et engage des essais de musicothérapie, noue des amitiés.

Le psychiatre ne s'arrête pas là, il sera en contact, fin 1956, avec le Comité de coordination et d'exécution (CCE), qui coordonnait clandestinement la lutte depuis la capitale et rencontrera plusieurs dirigeants.

Après avoir été expulsé du territoire algérien, pour ses activités, Fanon, installé en Tunisie, participe régulièrement à la rédaction d'El Moudjahid.

En décembre 1958, Fanon est membre de la délégation algérienne à la conférence de l'Union des peuples africains qui se tient à Accra, capitale de Ghana, où il rencontre Nkrumah, le vieux lutteur devenu le premier président d'un pays africain nouvellement indépendant.

En 1960, il fait partie de la délégation algérienne à la deuxième Conférence des peuples africains (Tunis), à peine remis d'un grave accident de voiture dont il a été victime alors qu'il était en mission auprès de l'organisation algérienne de la frontière marocaine, et alors que son deuxième livre "L'an V de la révolution algérienne" vient de sortir à Paris.

En mars 1960, il est désigné comme représentant permanent du GPRA à Accra.

Vu l'état de sa santé, Fanon a été envoyé, cependant, à l'URSS pour des consultations médicales, il revient à Tunis, sans espoir. Il a 35 ans, il sait qu'il va mourir, il va faire des exposés aux officiers de l'ALN à la frontière tunisienne puis, allongé le plus souvent, il dicte à sa femme et à des proches un texte qui, dactylographié au fur et à mesure, est lu par fragments à des amis qu'il appelle auprès de lui.

Ce texte, c'est celui des "Damnés de la terre". Il est terminé en juillet 1961. Mort le 6 décembre 1961, le militant a été enterré par un détachement de l'ALN près de la frontière tunisienne, le 12 décembre 1961.

Pour perpétuer cette mémoire et ce combat, un film documentaire retraçant l'esprit du militantisme de Fanon, a été projeté le 15 décembre dernier, à la cinémathèque d'Alger. Le documentaire, en langue anglaise, est produit par la télévision BBC et réalisé par Ishak Julien. En effet, ce film cite plusieurs témoignages vivants, notamment des personnalités politiques qui l'ont côtoyé et vécu avec lui ses différentes étapes de la Révolution, dont son fils Olivier, son frère, sa belle-sœur ainsi que Daniel Boukouan.

F. B.

Lounès Ramdani - Ramdani 26 septembre 2001 - mise à jour 23 septembre 2006