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Origine : http://dzlit.free.fr/fanon.html
Trois ans après son installation dans les fonctions de médecin-chef
de service, à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville
en 1953, Fanon adresse une lettre de démission à Robert
Lacoste, gouverneur général de l’Algérie.
Relire cette lettre de démission au moment où les
« citoyens majorés » de Lyautey proclament les
merveilles de la colonisation peut paraître insensé,
comme pour son texte Les damnés de la terre que certains
penseurs omniscients considèrent comme une « réponse
insensée à une situation insensée ».
Cette lettre mérite d’être réévaluée,
parce qu’elle souligne les contradictions personnelles de
son auteur, de son combat pour la liberté, de la pensée
qui l’accompagne et qui dérange encore aujourd’hui.
La lettre de cet insoumis éclaire une articulation fondamentale,
le joint où le dessein de l’aliénation colonialiste
manifeste une évidente liaison avec la psychose :
« La folie est l’un des moyens qu’a l’homme
de perdre sa liberté. Et je puis dire, que placé à
cette intersection, j’ai mesuré avec effroi l’ampleur
de l’aliénation des habitants de ce pays. Si la psychiatrie
est une technique médicale qui se propose de permettre à
l’homme de ne plus être étranger à son
environnement, je me dois d’affirmer que l’Arabe, aliéné
permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation
absolue. »
Délibérément choisi, cet extrait nous livre
une leçon de vérité qui nous oblige à
repenser de fond en comble la destruction coloniale des cultures
et la dissociation psychique qu’elle provoque chez le colonisé.
Instruit sur les grandes questions posées par Freud, entre
l’ordre psychique individuel et l’organisation culturelle,
l’interprète Fanon découvre dans le champ de
sa pratique clinique, une violence de désubjectivation inédite
chez le malade algérien colonisé : le meurtre psychique.
La référence à l’aliénation, un
concept qu’il redéfinit tout au long de son œuvre
d’une part, et la référence à la dépersonnalisation,
catégorie psychiatrique de la clinique des psychoses, d’autre
part vont lui permettre de saisir la logique du spectre asilaire
véhiculée par l’entreprise coloniale à
l’échelle de tout un pays : le statut de l’Algérie
?
Une déshumanisation systématique
L’émouvant analyste de la dépersonnalisation
du colonisé, qui affirmait la parenté entre la folie
et la colonisation, pouvait-il se représenter de son vivant
que le discours néocolonial serait à son zénith
quarante ans après les indépendances ? Sa lettre de
démission nous offre aujourd’hui l’occasion de
nous interroger sur le trouble de la mémoire de l’histoire
coloniale française. Elle nous oriente vers des connaissances
qui ne supportent pas la lumière du jour chez les héritiers
de la troisième République qui pensent encore l’empire
et qui font tout pour diaboliser leur auteur considéré
comme un interprète insensé.
Il ne serait pas inutile de faire un rapprochement entre le contenu
de cette lettre de démission qui date de 1956 et le texte
de la loi de février 2005, pour relever la douce tyrannie
publicitaire de la colonisation qui se fabrique au nom de la démocratie
parlementaire ; le visionnaire Fanon l’explique de façon
poignante dans sa lettre : « Or, le pari absurde était
de vouloir coûte que coûte faire exister quelques valeurs,
alors que le non-droit, l’inégalité, le meurtre
multiquotidien de l’homme étaient érigés
en principes législatifs. »
Cet extrait nous éclaire sur le déploiement permanent
d’une logique de l’arbitraire qui est au cœur du
système politique français à l’adresse
de ses ex-colonies considérées comme « sans
histoire » et « passible d’un non-juridisme comparable
à celui des animaux » (P. Legendre). Le discours politique
qui représentait le colonisé comme un sous-homme n’est
pas un avatar nazi, c’est son germe que l’école
psychiatrique d’Alger cultivait au nom de la science comme
pour les zoos humains de la République coloniale, décrits
dans un article paru dans Le Monde diplomatique d’août
2000 par les historiens Nicolas Blancel, Pascal Blanchard et Sandrine
Lemaire.
La loi de février n’est pas une forme neuve d’adjudication
de certains groupuscules ou de lobbys nostalgiques comme veulent
bien l’expliquer ceux qui la dénoncent à partir
de rapprochements électoraux épisodiques. Ce point
de vue verrouille et rend opaque la logique de la représentation
coloniale construite et consolidée dans les textes et les
institutions de l’Etat français où le souci
de l’homme colonisé est inexistant, voire « désinscrit
», une non-personne. Voilà à quoi fait référence
Fanon, lorsqu’il parle d’aliénation et de dépersonnalisation.
Qu’est-ce qu’une représentation qui désarrime
le colonisé de l’ordre symbolique qui fonde son identité,
sa culture et son amour pour la vie ? Fanon résume la portée
destructrice et autodestructrice de la représentation coloniale
comme une civilisation étrange et porteuse d’une inquiétante
étrangeté par les propos suivants : « Monsieur
le ministre, il arrive un moment où la ténacité
devient persévération morbide. L’espoir n’est
plus alors la porte ouverte sur l’avenir maisle maintien illogique
d’une attitude subjective en rupture organisée avec
le réel. »
Y a-t-il meilleure définition de la folie et de l’insensé
? Non, le discours bienfaiteur de la colonisation n’est qu’un
recyclage liturgique néocolonial de soumission. « Ce
n’est ni un accident ni une panne du mécanisme. »
Cependant, ce qu’il y a de nouveau dans ce discours néocolonial,
c’est que son extension déborde la France et trouve
ses fervents défenseurs en France qui savent argumenter pour
cacher leurs sentiments de domination. Le néocolonialisme
est loin d’être le fait des lobbys d’anciens pieds-noirs,
c’est une culture nouvelle de la violence pour gouverner les
âmes des pays du tiers-monde mal préparés à
la démocratie et au nouveau message d’amour de la conversion
à la mondialisation, une folie qui prédispose à
tous les obscurantismes.
Il est évident que dans le vaste débat, plutôt
la vaste bataille, la pensée du défunt Frantz Fanon
ne peut figurer comme produit publicitaire pour la promotion des
bienfaits de la colonisation.
Khaled Ouadah
El Watan 8 septembre 2005
Frantz Fanon, sa vie militante, son œuvre engagée
Un penseur qui s’est emparé de son temps !
«En tant qu’homme, je m’engage à affronter
le risque de l’amoindrissement pour que deux ou trois vérités
jettent sur le monde leur essentielle clarté », déclarait
Frantz Fanon, avec vigueur, peu de temps avant sa disparition.
L’avion, qui ramenait son corps, en ce mois de décembre
1961 des Etats-Unis vers la Tunisie pour être enterré,
conformément à son dernier désir de militant,
en terre algérienne, n’avait rien de commun avec ces
vaisseaux négriers qui faisaient la navette entre l’Afrique
et le Nouveau Monde durant les siècles passés. Ce
n’était pas le corps d’un esclave qui revenait,
après un dur labeur dans les champs de coton dans sa miteuse
case, mais bien celui d’un grand humaniste des temps modernes
qui a épousé, corps et âme, la cause des opprimés
dans le monde.
Non, il n’était pas un nègre gréco-latin
tel qu’il se plaisait à Jean-Paul Sartre de qualifier
les tenants de la négritude. Ces derniers avaient, à
l’époque, serré les rangs derrière leur
chantre, le président sénégalais, Leopold Sedar
Senghor. Certes oui, l’Africain n’était que piétaille,
une créature diminuée et, par la force des choses,
ne pouvant avoir de place dans la grande mouvance humaine ! Fanon
est venu renverser la vapeur.
C’était un nouveau type de penseur, évoluant
loin des chemins battus, forgeant sa propre méthode en donnant
la primauté à l’être humain en tant que
tel, car le terrain sociopolitique ne se prêtait plus aux
élucubrations de certains intellectuels qui, en fait, étaient
en retard de plusieurs révolutions. Sa démarche, on
le voit dans ses écrits depuis Peaux noires, masques blancs
en passant par L’an V de la Révolution algérienne
jusqu’à son chef d’œuvre Les Damnés
de la terre, n’avait rien à voir avec celle de Nat
Turner, ce révolté illuminé qui finit pendu
avec 70 de ses coreligionnaires en 1831 dans l’Etat de Virginie.
Il aurait pu, cependant, terminer sa vie face à un peloton
d’exécution de l’armée coloniale. Le destin
a voulu qu’il termina ses jours dans un hôpital américain,
lessivé par une leucémie galopante, lui, le médecin
psychiatre, qui savait bien ce que avoir mal voulait dire. Revenant
de Moscou, où il était allé trouver remède
à son mal, Omar Fanon, selon l’intitulé du passeport
libyen avec lequel il voyageait, ne voulait surtout pas manquer
son rendez-vous, à Rome, avec le philosophe Jean-Paul Sartre.
Celui-ci devait préfacer son dernier livre Les Damnés
de la terre. La rencontre entre les deux hommes est restée,
depuis, dans les annales de l’histoire de la philosophie et
de l’engagement politique d’une manière générale.
Ce soir là, dans un hôtel de Rome, Simone de Beauvoir,
le bras droit philosophique de Jean-Paul Sartre, s’était
mise à faire la navette entre sa chambre et celle où
se trouvait Frantz Fanon en compagnie de son préfacier. Elle
récoltait, au fur et à mesure, ce que Sartre avait
écrit pour aller le mettre au propre.
À une heure tardive de la nuit, Fanon, exténué,
ne pouvant plus suivre le rythme diabolique de son illustre hôte,
gagna silencieusement sa chambre. Pour lui, le poids de la maladie
devenait de plus en plus insupportable. Sartre, en homme passionné
par tout ce qui avait trait à la liberté, écrivait
à une allure vertigineuse. Au petit matin, il avait terminé
110 pages d’un texte politique de haute voltige, qui fait
encore date dans les annales du tiers-mondisme.
Le psychiatre que fut Frantz Fanon avait dû sûrement
alors s’interroger sur cette capacité de travail chez
son préfacier : 110 pages en une seule nuit, qui dit mieux
? Au petit matin, on vit du sang dans les yeux de Sartre, pour avoir
été si longtemps malmené. En effet, les vaisseaux
capillaires dans les yeux du maître avaient cédé,
pour ainsi dire, sous l’effet dévastateur du café,
de la cigarette et bien sûr par l’usage du Maxiton et
de l’Ortédrine, excitants auxquels recouraient, autrefois,
les lycéens de sa génération, tels Maurice
Merleau-Ponty, (1908-1961), Raymond Aron, (1905-1983) et autres
pour affronter les épreuves du baccalauréat. Sartre,
on le sait, a fini ses jours frappé de cécité.
C’est à la suite d’une ponction lombaire des
plus douloureuse, pratiquée sur lui à Tunis, que le
mal sournois fut diagnostiqué : leucémie aiguë.
Envoyé en URSS, les médecins lui avaient conseillé
alors d’aller vivre en plein air, en d’autres termes,
finir ses jours paisiblement, loin du tumulte de la guerre de libération,
et même de l’écriture. Donc, en ce mois de décembre
1961, cet Africain au grand cœur refit la traversée
à rebours de l’Atlantique, en tant qu’homme libre.
En fait, libre, il l’a toujours été par la pensée
et par le geste, depuis qu’il a quitté sa terre natale,
la Martinique, en 1945 pour aller guerroyer contre les nazis en
Europe et étudier, par la suite, la médecine en France.
Un homme révolté contre l’oppression, violent
peut-être, mais un homme qui sait raisonner, peser le pour
et le contre dans le but de convaincre ses adversaires comme ses
sympathisants. Sinon comment s’expliquer la volonté
de Jean-Paul Sartre d’aller à sa rencontre, à
Rome et de lui consacrer un texte d’une grande force et d’une
limpidité inégalée dans les écrits politiques
de notre temps ? Oui, les deux hommes luttaient pour atteindre le
même objectif : laisser les peuples évoluer en paix
et respirer le grand air de la liberté.
L’existentialiste, épris de liberté, qu’était
Jean-Paul Sartre, s’est mis en devoir d’aller à
la rescousse du révolutionnaire Omar Fanon, alias Frantz
Fanon. Du reste, l’histoire de la philosophie nous a toujours
gratifié de ces belles rencontres : Platon faisant l’éloge
de Socrate, Ibn Badja, l’andalou, aidant son concitoyen Ibn
Rochd à trouver une bonne place dans le palais royal de Cordoue,
James Boswell, l’Ecossais, compilant de belles pages sur Emmanuel
Kant en 1785, etc.
Merzac Bagtache
El Watan 31 mai 2005
Colloque sur Frantz Fanon à El Tarf
Répandre la pensée du révolutionnaire
S’il avait vécu, Frantz Fanon aurait eu 80 ans le
25 juillet prochain. Le « psychanalyste du colonialisme »
qui a marqué la pensée politique du siècle
dernier est né en 1925 à Fort-de-France en Martinique
(Antilles françaises) avant d’embrasser la cause algérienne
et faire de l’Algérie sa terre d’adoption.
Il a été ravi aux « damnés de la terre
» en décembre 1961 à l’hôpital de
Washington (USA) emporté par une leucémie. Il avait
36 ans. Il repose aujourd’hui parmi les siens dans le carré
des martyrs de Aïn Kerma (Bou Hadjar, El Tarf). Sa Josie, sa
discrète et complice épouse, qu’il a connue
en 1946 alors qu’ils étaient tous deux étudiants
en lettres à Lyon, est inhumée dans le cimetière
d’El Kettar (Bab El Oued, Alger). Ils ont eu un fils qui vit
toujours en Algérie.
Avec la mondialisation, Frantz Fanon est plus que d’actualité
aujourd’hui. C’est pour cette raison que le centre universitaire
d’El Tarf et la direction de la culture lui consacrent un
second colloque qui se tiendra les 30 et 31 mai avec un thème
centré sur la pensée révolutionnaire de Fanon.
Penseur provocateur, il dérangeait déjà avec
ses écrits le conformisme de la France coloniale qui va le
persécuter.
Ses idées révolutionnaires ont été forgées
au contact de visionnaires comme Marcel Manville, avocat, autre
grand ami de l’Algérie, mort dans l’anonymat,
foudroyé par une crise cardiaque en pleine audience en 1998
alors qu’il plaidait la cause des victimes de la manifestation
de décembre 1961 à Paris, et à la lecture d’Aimé
Césaire chantre martiniquais qui influencera son premier
ouvrage, Peau noire et masques blancs.
Médaillés de la guerre, le jeune Frantz et son ami
Manville connaîtront la même colère que les tirailleurs
algériens lorsqu’ils rentrent au pays en mai 1945 au
lendemain de la victoire des Alliés, mais qui n’est
pas celle des colonisés toujours méprisés.
« Chaque fois que la dignité et la liberté de
l’homme sont en question, nous sommes concernés, Blancs,
Noirs ou Jaunes, et chaque fois qu’elles seront menacées
en quelque lieu que ce soit, je m’engagerai sans retour »,
déclare-t-il à ses professeurs qu’il retrouve.
Dès lors, le jeune Frantz s’engage dans le combat pour
« faire peau neuve, développer une idée neuve,
de mettre sur pied un homme neuf » : l’ossature du fanonisme,
une pensée humaniste moderne, tiers-mondiste et révolutionnaire.
Elle le mènera de sa Martinique natale en France pour ses
études en médecine et en lettres où il commence
à publier ses écrits qui ne laissent pas indifférent.
Il est alors muté en Algérie en 1953 où il
va découvrir le vrai visage de la colonisation et la condition
des colonisés. Son combat devient celui du peuple algérien,
celui de la révolution algérienne et de ses idéaux
et à travers elle celui des peuples encore sous domination.
Le FLN lui confiera de hautes responsabilités. Il sera représentant
du GPRA. Avec ses amis d’El Moudjahid qu’il anime avec
Réda Malek à Tunis, il œuvre au réveil
de la conscience des peuples opprimés.
En septembre 2004, à l’occasion du cinquantième
anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération,
le 9e Salon international du livre d’Alger (Sila) a organisé
un colloque en hommage au « psychiatre, écrivain, penseur
et révolutionnaire dans tous les termes ». On n’a
pas manqué de relever l’étonnante fraîcheur
de la pensée visionnaire de Fanon.
La mondialisation, qui impose un ordre nouveau - Fanon était
farouchement antifasciste - avec de nouvelles formes de domination
des peuples à laquelle tendent de s’opposer des mouvements
« humanistes » qui se regroupent dans les altermondialistes,
reproduit les mêmes rapports dominant/dominé issus
de l’esclavage et de la colonisation. Lors du premier colloque
sur Frantz Fanon qui s’est tenu à El Tarf en mai 2004,
Réda Malek avait déploré le fait que Fanon
soit peu connu chez nous avant de l’être dans le monde.
« Ses idées généreuses qui sont aussi
celles de la révolution algérienne gagneraient à
être répandues, en premier à l’école
et à l’université », avait-il conclu.
Sadki Slim
Info Soir 21 septembre 2004
Entretien avec Olivier Fanon
«Je suis attaché à l’Algérie»
InfoSoir : Vous êtes le fils de Frantz Fanon. N’est-ce
pas là un nom lourd à porter ?
Olivier Fanon : Oui, c’est un héritage très
lourd et pesant à assurer. C’est un héritage
de tous les instants. Je m’appelle Fanon, le jour comme la
nuit. C’est une présence quotidienne pas que pour son
fils, mais pour tous les Algériens. Je fais en sorte de ne
pas décevoir la mémoire et l’engagement de mon
père. J’essaie d’être à la hauteur
de toutes les situations et modestement, j’essaie de perpétuer
son combat et sa fidélité à la Révolution
algérienne.
De quelle manière ?
Tout d’abord en ne travestissant pas, comme tout Algérien,
notre attachement, celui de mon père et de ma mère,
à l’Algérie, en essayant aujourd’hui d’être
reconnaissant à ce pays qui a fait de nous ce que nous sommes.
Je parle de ma génération. Je vis à Paris et
je travaille à l’ambassade d’Algérie dans
les affaires consulaires. Je suis encore dans la démarche
idéologique et professionnelle de mon père. Je suis
attaché à l’Algérie : je ne peux pas
concevoir un seul instant d’être Algérien sans
renvoyer l’ascenseur à l’Algérie, à
ce pays qui a adopté mon père, et que lui-même
a adopté en rompant totalement avec la puissance coloniale
française en démissionnant de son poste à l’hôpital
de Blida. Moi, je dis modestement que j’essaie d’être
à la hauteur des ambitions de l’œuvre de Fanon.
Comment gérez-vous la pensée de votre père
?
Je ne peux pas gérer la pensée de mon père,
parce que je ne suis que l’enfant biologique de Fanon, je
ne suis ni chercheur ni psychiatre. J’ai fait des études
supérieures en sciences politiques. Je suis fonctionnaire
à l’ambassade d’Algérie, mais je ne suis
pas un spécialiste de Fanon, tout ce que je peux faire, c’est
apporter ma contribution sur Fanon en tant que citoyen algérien,
enfant de la Révolution. Le discours que je tiens, je pense
que d’autres — ceux de ma génération —
tiendraient le même. C’est-à-dire qu’on
a été pétris dans l’idée révolutionnaire
de l’Algérie.
Comment expliquer l’attachement de Fanon à l’Algérie
?
L’Algérie a été pour lui un catalyseur,
un révélateur de ses réflexions. Ça
devait sommeiller quelque part en lui, et il a trouvé les
moyens d’extérioriser sa pensée. En fait, il
a eu l’écho de sa pensée : il a trouvé
des gens qui pensent comme lui et qui partagent les mêmes
idéaux et les mêmes intentions révolutionnaires.
La pensée de Frantz Fanon est-elle d’actualité
?
En effet, la pensée de mon père n’est que plus
d’actualité à partir du moment où il
y a une aliénation, une colonisation des esprits. La France
a réussi à nous coloniser, et 50 ans après,
il y a des esprits qui sont encore colonisés. C’est
une réalité : il y a beaucoup d’Algériens
qui ne pensent et n’aspirent qu’à partir. Des
individus qui sont des non-êtres. L’on peut appliquer
la pensée de Fanon dans la mesure où l’on devrait
faire un travail sur une approche différente de la société
algérienne, de la place de l’Algérie dans le
concert des nations.
En quoi la pensée de Fanon peut-elle servir, aujourd’hui,
à l’Algérie ?
L’Algérie n’est plus en révolution, elle
est cependant révolutionnaire. Et la pensée de Fanon
peut encore servir à l’Algérie puisque le pays
est dans un combat de tous les instants. Il y a un objectif primordial
: la reconnaissance humaine, le respect de l’homme. Puisque
les écrits de Fanon révèlent une grande humanité.
Lorsque l’homme, en tant qu’individu, sera respecté,
alors là on pourra discuter, mais dans le cas contraire,
tant qu’il y aura une négation des droits de l’Homme,
l’on ne pourra pas discuter dans le respect de la différence.
Y a-t-il une fondation Frantz-Fanon pour la pérennité
de sa mémoire ?
Il n’y a pas une fondation, mais l’idée a été
lancée par des amis à moi. Je ne suis pas contre,
mais je ne veux pas être à l’origine de la création
de cette fondation. Le nom de Fanon n’est pas un fonds de
commerce, c’était un théoricien, un écrivain,
un penseur. Je soutiens vivement l’idée de la fondation,
mais je ne veux pas être à l’origine de ce projet.
Je ne suis pas en mesure de défendre la pensée psychiatrique
de Fanon, je ne peux pas tenir une discussion avec un psychiatre,
il faut laisser les choses juste à leur niveau, et puis que
chacun se cantonne dans son rôle. Mon rôle à
moi est que je suis le fils de Fanon et je ne veux aller au delà.
Propos recueillis par Yacine Idjer
L'Expression 16 septembre 2004
Fanon au centre des débats
Il s’est consacré, sa vie durant, au service de la guerre
de Libération nationale.
On le dit révolutionnaire, on le découvre homme de
lettres ; on le dit politique, on découvre en lui le médecin,
l’humaniste et, par-dessus le marché, défenseur
des droits des peuples opprimés. Lui, c’est Frantz
Fanon, celui qui s’est consacré, sa vie durant, au
service de la guerre de Libération nationale. Et ce n’est
pas l’effet du hasard si la 9e édition du Salon international
du livre lui a consacré un colloque de trois jours. Avant-hier,
mardi, un café littéraire a été même
organisé à son honneur pour parler de sa vie, de son
oeuvre, mais aussi pour comparer sa position vis-à-vis de
l’indépendance de l’Algérie, idée
qui lui a été si chère et qu’il n’a
cessé de défendre jusqu’à son dernier
souffle.
Pour ce faire, quatre intellectuels et peut-être des meilleurs,
se sont mis à l’oeuvre. On cite: Mustapha Haddab, sociologue;
Alice Cherki, psychanalyste; Mohamed Lakhdar Maougal, linguiste
et Thanina Maougal, enseignante à l’université
d’Alger.
Mustapha Haddab a développé le thème central
de l’oeuvre de Fanon: la violence. Ce phénomène
qui a fait, et pour longtemps, l’objet d’un intérêt
particulier chez Frantz Fanon, comme psychiatre tout d’abord
puis comme révolutionnaire. Parfois, ces deux «fonctions»
fusionnent chez Fanon et deviennent une et indivisible. Car le complexe
d’infériorité ressenti par les indigènes
vis-à-vis des colons a fait naître chez eux un certain
esprit de rébellion contre l’injustice et l’oppression.
C’est à partir de cette idée même que
les premiers germes de la violence «légitime»
commence à surgir chez ces peuples. Ce thème a été
développé, selon Mustapha Haddab, dans son oeuvre
magistrale Peau noire, masque blanc. C’est dans ce sens même
qu’a enchaîné la célèbre psychanalyste
française, Alice Cherki. «Le regard du blanc donne
une image de soi telle qu’il la voit, c’est-à-dire
celle d’un adolescent noir. Ce Blanc, ce dominateur qui nous
regarde, qui nous façonne. Soit n’être plus rien
ou être sidéré, le corps reste en pierre tout
en étant accompagné d’un sentiment de culpabilité».
C’est en ces mots que l’oratrice a tenté de faire
la caricature de la pensée de Frantz Fanon. Lui qui a tant
souffert de ce sentiment de culpabilité, d’abord pour
des considérations raciales, de fait que Fanon soit «noir»;
pour des raisons en rapport avec la domination coloniale ensuite.
Deux raisons capitales qui ont déterminé le chemin
de Frantz Fanon. Celui de lutter contre toutes les formes de l’autoritarisme
colonial et racial. Aussi, Alice Cherki a longtemps parlé
du parcours de cet éminent intellectuel. Cependant, toute
sa force humaine et révolutionnaire s’est confirmée
et concrétisée en 1953, lorsqu’il arrive à
l’asile psychiatrique de Blida (ex-Joinville). Là,
le traitement des patients n’a pas du tout été
conforme aux méthodes telles qu’exercées en
Europe ou ailleurs. Et c’est là même qu’il
procède à l’application de la psychothérapie
institutionnelle, une psychothérapie genre académique.
Alice Cherki a souligné que c’est Fanon qui a eu l’insigne
honneur de créer l’hôpital du jour au niveau
de l’Afrique, du monde arabe voire même de l’Europe!
Quant à Thanina et Mohamed Lakhdar Maougal, ils ont fait
une comparaison entre la pensée d’Albert Camus et celle
de Frantz Fanon, deux intellectuels dont l’idée est
diamétralement opposée, pourtant leurs destins demeurent
à jamais liés à celui de l’Algérie.
«Chez Camus on retrouve cette influence américaine,
quoiqu’elle demeure latente. Cette influence s’affirme
en sachant que l’auteur de l’Etranger est attiré
par les écrits de Faulkner. Et c’est à partir
de là qu’il adopte le modèle américain,
le fédéralisme», soutient Thanina Maougal. Mohamed
Lakhdar a, de son côté, parlé de la conception
de l’identité chez Fanon. «Il s’agit de
l’identification par stratification. Autrement dit, c’est
la construction de l’identité par la rupture et non
par des sédimentations».
Hakim KATEB
La Nouvelle République 15 septembre 2004
Toute la vérité sur la dépouille de Fanon
Dans un testament écrit, Frantz Fanon avait fait vœu
d’être enterré en Algérie avec ses frères
d’armes, les chouhada. Il décède aux Etats-Unis
le 6 décembre 1961 à l’âge de 36 ans des
suites d’une leucémie. La dépouille de Fanon
arrivera de Washington, le 11 décembre 1961, à l’aéroport
d’ El Aouina de Tunis, où il lui sera rendu un hommage
par la «délégation extérieure»
au grand complet, avec à sa tête le ministre de la
Défense du GPRA, Krim Belkacem.
Le lendemain, une cérémonie de recueillement aura
lieu à l’hôpital Charles-Nicole où Fanon
avait longuement exercé. Ensuite, le cortège funèbre
se dirige vers Ghardimaou, à la frontière algéro-tunisienne.
Le 12 décembre, il est enterré dans la forêt
de Sifana (non loin de la localité de Aïn Soltane, aujourd’hui
territoire tunisien), à côté de quatre autres
martyrs de la Révolution.
C’est Ali Mendjeli qui fera l’oraison funèbre
en présence d’un envoyé spécial du gouvernement
américain, d’un représentant du Croissant-Rouge,
des époux Chaulet, du Dr Nekkache, Omar Oussedik, Zerguini,
Mostefaoui, Keramane… En 1965, à la suite du bornage
de la frontière avec la Tunisie, les cendres de Fanon sont
rapatriées une nouvelle fois en Algérie, au cimetière
de Aïn Kerma, dans la wilaya d’El Tarf, où il
repose pour toujours.
A la fin des années 1960, des indépendantistes martiniquais,
à leur tête le frère aîné de Fanon,
Joby (décédé il y a trois mois), entament une
démarche en direction du gouvernement algérien par
le biais de Salah Louanchi et de Mohamed-Chérif Messaâdia
afin de rapatrier les cendres du penseur noir aux Antilles. Le pouvoir
de l’époque ainsi que son épouse Josie opposeront
une fin de non-recevoir arguant des dernières volontés
du grand homme disparu.
En 1978, quelques mois avant sa mort, le président Houari
Boumediène propose à Josie Fanon une inhumation en
grande pompe au carré des martyrs d’El Alia. Il essuiera
alors à son tour un «niet catégorique»
de la part de sa veuve quelque peu aigrie par la tournure des évènements
dans cette Algérie post-coloniale. Juste avant sa disparition
tragique, Josie Fanon avait exprimé à son fils Olivier
le vœu d’être enterrée à sa mort
au cimetière algérois d’El Kettar, non loin
de La Casbah.
Des démarches officielles seront même entreprises en
ce sens mais sans résultat. La population d’El Tarf
se refusant à toute idée de transfert de la dépouille
de Frantz Fanon et ce jusqu’à ce jour.
A. Abdelghafour
La Nouvelle République 15 septembre 2004
Entretien avec Mohamed El Mili
«Frantz Fanon m’a aidé»
Rencontré au colloque sur Frantz Fanon, Mohamed El Mili
s’est rappelé avec beaucoup d’émotion
des jours passés en compagnie de l’auteur des Damnés
de la terre.
La Nouvelle République : Un intervenant a prétendu
que Fanon s’était posé la question du «Qui
suis-je ?» Qu’en pensez-vous ?
Mohamed El Mili : Il est vrai que Fanon ne cessait de se poser des
tas de questions. Il s’interrogeait sans cesse. Il se remettait
en question tous les jours. Cela dit, je m’inscris en faux
contre cette affirmation : Fanon a toujours su qui il était
!
Comment avez-vous connu Fanon ?
J’ai eu la chance de connaître de près Fanon.
Au moment où il avait rejoint la Révolution à
Tunis en 1957, j’étais déjà membre de
l’équipe rédactionnelle de Résistance
algérienne dont le rédacteur en chef était
alors Abderrezek Chentouf. En juin de la même année,
Benyoucef Benkhedda nous convoque Fanon et moi en nous demandant
de rejoindre Tétouan, au nord du Maroc. Le CCE avait décidé
de mettre fin à Résistance algérienne afin
de créer El Moudjahid, l’organe central du FLN. Arrivés
à Tétouan, où se trouvaient déjà
d’autres membres de la rédaction, on nous logea immédiatement
dans une villa qui servait également de siège au journal.
Fanon et moi partagions la même chambre.
Vous l’avez connu donc de très près ?
Oui, je peux le dire. On a vécu ensemble durant plus de trois
mois.
Parlez-nous de Fanon ?
Il dormait peu et lisait beaucoup. Lorsque nous nous reposions,
il nous faisait parfois des lectures de textes révolutionnaires.
Il les commentait en apportant sa touche personnelle. Je dois avouer
que durant toute la guerre de Libération je n’ai pas
connu de militants aussi sincères que Frantz Fanon et Abane
Ramdane, notre chef. Comme je dois dire que j’ai retrouvé
aussi certaines idées de Abane Ramdane dans Les Damnés
de la terre. Il faut reconnaître que ce dernier a toujours
prôné un combat tiers-mondiste et ce bien avant l’heure.
Que vous a apporté le fait de vous être frotté
à ce grand homme ?
Son apport est pour moi incommensurable. Sur le plan personnel,
il m’a aidé à mieux me connaître et à
saisir mon temps ainsi que le monde dans lequel je me trouvais.
Propos recueillis par A. A.
Liberté 15 septembre 2004
“Son œuvre est un antidote pour les Palestiniens et les
Irakiens”
Par Wahiba Labrèche
Ils sont venus nombreux témoigner d’une amitié,
d’un combat commun mené pour une Algérie libre
et indépendante. Deux jours de souvenir et d’émotion
pour rendre hommage au penseur et visionnaire qu’était
Frantz Fanon.
Les travaux du colloque, tenus pendant deux jours à l’hôtel
Hilton et qui se sont poursuivis hier à la Safex, ont été
marqués par les interventions de Pierre et Claudine Chaulet.
Le couple est revenu sur la rencontre avec le psychiatre militant
de la cause algérienne. “En février 1955, Abane
Ramdane est venu me demander de trouver un psychiatre pour suivre
le cas des moudjahidine qui risquaient de parler sous la torture.
Et c’est à partir de là que j’ai connu
Frantz Fanon qui a hébergé également des malades
à l’hôpital de Blida”, dira Pierre Chaulet
qui évoquera un homme resté éternellement jeune
par ses écrits.
En psychiatrie, Fanon explorait de nouvelles voies dans la discipline.
“C’est une bonne initiative d’organiser ce colloque.
Depuis l’indépendance en 1962, il a fallu attendre
plus de vingt ans, en 1987, pour qu’on organise un colloque
sur Frantz Fanon qui retombera vite dans l’oubli pendant vingt
années encore. Si les jeunes d’aujourd’hui ne
connaissent pas Fanon, c’est le résultat de l’occultation
dont il a été victime. Il disait des choses qui dérangeaient.
Il ne faut pas isoler l’œuvre de Fanon du contexte de
la guerre de libération.” Selon le conférencier,
Les Damnés de la terre reste un message toujours d’actualité
du psychiatre et du militant. Pour Claudine Chaulet, le meilleur
hommage qu’on puisse rendre à Frantz Fanon serait de
rééditer ses livres afin que les jeunes générations
prennent connaissance de l’œuvre. “Ce colloque
devrait être un lancement publicitaire pour la lecture de
Fanon et non un second enterrement”, conclut Claudine Chaulet
qui a apporté un témoignage poignant sur sa rencontre
et ses souvenirs du couple Fanon. Les témoignages se sont
poursuivis par l’intervention de Jacques Charby, qui trouvera
en ce colloque une occasion de rencontrer des amis de la guerre
de libération. D’emblée Charby, écrivain
et ami de l’Algérie, insistera sur l’importance
et la qualité du texte de la lettre de démission de
Fanon adressée à Lacoste : “On devrait se pencher
sur ce texte qui, à mon point de vue, est un texte de grande
qualité littéraire. Dans sa lettre, Fanon explique
les raisons qui l’ont poussé à la démission.
Il apporte également un témoignage sur tout ce qu’il
a pu voir lors de son exercice.” Jacques Charby complètera
sa communication en rapportant sa propre expérience dans
les camps des réfugiés algériens en Tunisie,
au Maroc et en Libye. De leur côté Hervé Bourges
et la psychanalyste Alice Cherki témoigneront de l’apport
de Frantz Fanon à la psychiatrie moderne. “En plus
de l’image de l’individu, Fanon s’intéressait
à l’image de la société. Son analyse
était portée sur l’aliénation culturelle,
religieuse, idéologique et linguistique”, dira Hervé
Bourges. Alice Cherki, auteur en 2000 de Frantz Fanon, portrait,
aux éditions du Seuil, et qui a préfacé la
réédition des Damnés de la terre, a rencontré
Fanon en 1955.
Elle témoigne d’un Fanon acharné dans son travail.
“Si Fanon a prôné la violence, c’est parce
que dans la société il n’y avait pas de place
au dialogue, et que la violence avait commencé depuis longtemps
par ceux qui étaient de culture dominante”, conclura
Alice Cherki.
W. L.
Liberté 15 septembre 2004
Daniel Maximin, poète romancier, parle de Frantz Fanon
“Son engagement venait du racisme qu’il a connu”
Par Wahiba Labrèche
Daniel Maximin, poète et romancier guadeloupéen,
présent au 9e Sila pour la signature de son roman “Tu,
c’est l’enfance et Je, c’est maintenant”,
sorti chez Gallimard, n’a pas hésité lors du
colloque sur Frantz Fanon d’apporter son témoignage
sur un homme avec qui il n’a aucun lien si ce n’est
l’amour de la liberté et de la justice.
Liberté : Vous avez tenu à apporter un témoignage
passionné sur Frantz Fanon, alors que vous n’étiez
même pas programmé…
Daniel Maximin : Ma rencontre avec Frantz Fanon remonte à
l’enfance. Tout petit, je suis tombé dans ses feuilles
et dans ses pages que mes parents avaient achetés. C’était
pour moi la découverte de l’écrivain.
Comment peut-on expliquer l’itinéraire de Frantz Fanon
?
L’itinéraire de Frantz Fanon est parti des Antilles,
c’est de là qu’est parti son élan, mais
cela ne veut pas dire qu’il s’en est enfermé.
Et quand je dis les Antilles, cela veut dire plusieurs choses, notamment
l’histoire qu’il vivait au moment de son adolescence
et les influences, l’héritage qu’il a eu à
partir de cela et qu’on peut schématiser. Il y a premièrement
une chose qui consiste à lutter contre tous ceux qui prennent
l’homme pour un objet, qui tentent de l’enfermer dans
une peau, une histoire, une frontière, etc. Donc cette dimension
d’universalité des combats vient aussi de là.
Comme l’esclavage…
Exactement, l’esclave qui luttait contre l’esclavage
ne luttait pas seulement contre l’esclavage des Noirs, des
Jaunes ou des Blancs, mais contre le principe même de l’esclavage
puisque cette ségrégation était universelle,
et les luttes étaient menées aussi bien aux Antilles,
aux Caraïbes qu’en Amérique ou à Haïti.
Et Fanon vient directement de cela.
Autre chose aussi, c’est au moment de son adolescence que
Fanon a découvert tout petit — il était encore
en classe —, alors qu’il pensait que l’esclavage
était révolu après son abolition en 1848, un
autre fléau, le racisme et le retour de la séparation,
de l’interdiction de la citoyenneté pour les Noirs.
Par exemple, les maires noirs élus sont destitués
en 1941 à cause de leur couleur de peau et remplacés
par des colons. Tout cela se passe en plein XXe siècle de
la Martinique et de la Guadeloupe libérée.
Alors, la résistance de Fanon a commencé à
l’adolescence…
Fanon assiste à cette régression, et immédiatement
face à cela, il découvre une résistance qui
se trame au grand lycée de Fort-de-France où se trouvent
ses professeurs Emme Césaire, René Ménil, Susanne
Césaire, des combattants de la résistance culturelle,
politique, identitaire internationalistes.
C’est surtout à travers leurs écrits comme Le
Cahier d’un retour au pays natal d’Emme Césaire,
paru dans une petite revue clandestine que Fanon, âgé
de 15, va puiser ses forces et épouser cette doctrine qui
dit : “Que partout où l’ombre gagne, nous sommes
concernés par ces combats.” Ce texte était l’éditorial
de la revue que Fanon a distribuée. Ceci explique que Fanon,
quel que soit l’endroit où il se trouve, était
nourri de cette première révolte, et s’il a
lutté contre le nazisme en France, il s’est aussi engagé
aux côtés des Algériens parce qu’il se
sentait concerné.
Une Algérie qui sera un point déterminant dans le
combat de Fanon…
Oui, c’est comme ça qu’il devient algérien
et que son histoire et son origine expliquent cet engagement.
Le troisième point, c’est la notion même de cette
dimension que les professeurs lui ont inculquée, et qui passe
par la création pour toute expression de liberté.
Ce n’est pas la répétition d’un héritage
ou la répétition de ce qu’on est, mais il faut
produire, et c’est la grande phrase qui revient sur toutes
les affiches dans ce salon. Mais il faut produire sa culture dans
laquelle on peut s’identifier. Produire dans le sens d’inventer,
cela ne veut pas dire reproduire la culture des parents, des ancêtres
et l’identité d’avant, mais cela veut dire produire
pour avancer, forcément en liaison avec le moment et l’endroit
où on se trouve. Pour Fanon, c’était l’Algérie.
W. L.
Le Soir d'Algérie 14 septembre 2004
Le penseur visionnaire à l'honneur
Ce sont des messages d’amour et de souvenirs que les participants
ont consacrés à Frantz Fanon tout au long des deux
journées qui ont eu lieu les 12 et 13 septembre derniers
à l’hôtel Hilton. Rédha Malek, en premier,
a offert son témoignage du parcours de celui qui a choisi
l’Algérie comme sa nation de cœur et la cause
profonde de son engagement vis-à-vis de la liberté
absolue des hommes.
Loin des discours académiques habituels, Rédha Malek
a préféré invoquer les souvenirs qu’il
garde de Fanon. De lui, il dira : “Fanon était un révolutionnaire,
il faisait partie des forces libres venues des Antilles. Il avait
constaté certaines réactions, une sorte d’exclusivisme
des noirs, son premier choc avec le monde extérieur, ce qui
a sans conteste déterminé son combat et sa lutte contre
le racisme.
Fanon avait été frappé par le mal dont souffrait
ces personnes, en particulier les ouvriers “le syndrome nord
africain”. Voilà comment était la vie de Fanon,
entre lutte permanente et acharnement en permanence contre les forces
du mal. Celles qui opprimaient pour mieux asservir le peuple algérien.
Se sont ensuite succédé sur l’autel des mémoires
les époux Chaulet.
C’est avec passion que Claudine et Pierre ont exprimé
leurs sentiments vis-à-vis du héros Frantz. Cependant,
Jacques Vergès aura été probablement le seul
à plaider avec force et vigueur la cause de Frantz Fanon.
Liant de ce fait l’actualité violente qui sévit
de nos jours et de par le monde, Me Vergès rappellera que,
dans ces affreuses circonstances, Frantz Fanon se serait érigé
sans concession au monopole des Etats-Unis, contre les injustices
commises à l’égard des peuples colonisés
tels que les Irakiens.
A tort ou à raison, nous avons en tout cas régulièrement
entendu parler tout au long de cet hommage du droit à la
légitime défense ! Défendre sa personne, sa
liberté, son espace vital et son pays en l’occurrence.
Tel était la vocation de Frantz Fanon. Hervé Bourges,
Djaghloul Abdelkader, Lyes Boukraâ et tous les autres ont
aussi manifesté à travers leurs interventions du parcours
et des valeurs de l’éminent psychiatre.
De Fanon l’Algérien qui avait souhaité être
enterré dans un cimetière à la frontière
algéro-tunisienne auprès de ses frères chouhada
dans le carré réservé aux martyrs dans un village
près de Aïn El Kerma, Alice Cherki le désigne
comme “l’éveilleur”, comme d’autres
le surnomment “le penseur visionnaire” ou encore à
l’image de Boukhalfa Amazit qui le considère comme
le “psychanalyste du colonialisme”. Frantz Fanon, c’est
ça et bien plus, mais c’est avant tout le veto que
l’on oppose sans autre forme de réflexion à
l’esprit sectaire et au mimétisme.
Cet agent d’aliénation qui obstrue en permanence la
vision d’un avenir librement façonné. Quant
à Olivier, son unique enfant, présent depuis le début
au Sila, il est très ému par les témoignages
reçus à l’occasion de ce colloque. Il nous parlera
avec émotion des rares souvenirs qu’il garde de son
père : c’était un homme partagé entre
les maquis et les souffrances des malades. Olivier n’a pas
réellement connu son père, c’est à travers
le récit de sa mère Josie et des livres laissés
en héritage qu’il découvre la dimension universelle
du choix de Frantz Fanon.
Humble et modeste, Olivier a également revendiqué
le choix de sa nationalité par l’amour qu’il
a pour l’Algérie et ensuite dans un devoir de continuité
du combat mené par son père durant sa courte vie.
Frantz Fanon est mort en 1961 à l’âge de 36 ans,
terrassé par une leucémie.
Sam.H
La Nouvelle République 14 septembre 2004
Des témoignages et autres
Le colloque international consacré à Frantz Fanon
en marge de la 9e édition du salon international du livre
en Algérie (SILA) s’est ouvert ce dimanche en présence
de nombreuses personnalités.
Dans son allocution d’ouverture, Abdelkader Khomri, président
du comité d’organisation du 9e SILA a mis en exergue
la dimension internationale de la révolution algérienne
dont Frantz Fanon aura été, incontestablement, un
des plus illustres hérauts.
La lecture du message du président de la république,
Abdelaziz Bouteflika, fera ressortir la conception de la liberté
chez Fanon qui consiste essentiellement en un «refus du mimétisme».
Puis, viendra le tour d’Olivier Fanon d’apporter son
témoignage de «rejeton». Fidèle à
la mémoire de son père et quelque peu «écrasé»
par sa grande notoriété, Olivier Fanon affirmera d’emblée
son algérianité en déclarant : «Je suis
algérien et je travaille pour l’Algérie en France.».
Fonctionnaire à l’ambassade d’Algérie
à Paris, Olivier Fanon n’arrive pas à se départir
de ses fortes attaches avec le pays de son enfance, la terre d’adoption
de son illustre père.
Ensuite, Rédha Malek évoquera le passage de Fanon
le journaliste-militant à El-Moudjahid considéré
à l’époque comme la voix de l’Algérie
libre.
Dans son intervention, Réda Malek rappellera l’humanisme
de la révolution algérienne dont la lutte armée
n’a pas toujours été un «terrorisme aveugle»
tel que nous le subissons de nos jour. Et puis, viendra le tour
des époux Chaulet, de véritables amis de Frantz Fanon,
et des compagnons de route de la révolution algérienne
de décliner enfin les différentes péripéties
vécues ici et là.
Le professeur Pierre Chaulet (que l’on peut considérer
noir sur blanc ( !) comme le véritable «recruteur»
de Fanon) a évoqué la démission du psychiatre
de l’hôpital de Blida et son ralliement à la
révolution algérienne. Il ne manquera pas de révéler
à la fin de son intervention les crimes abominables de la
colonisation française dont le savoir-faire a été
exporté aux Amériques en Israël. La répression
antiguérilla aurait été enseignée ainsi
aux antipodes sur ordre du gouvernement français notamment
de Pierre Messmer. Quant à Claudine Chaulet, elle se souviendra
des agréables moments passés entre les jeunes couples
d’intellectuels à Blida à un «réinterpréter
le monde». Elle évoquera non sans émotions,
Josie Fanon, l’épouse et la mère de famille.
Les époux Chaulet auront connu ainsi Olivier alors un petit
bambin de quelques mois devenu aujourd’hui un quinquagénaire.
Puis, ce sera ensuite le tour de Jacques Chabry, auteur d’un
livre à paraître Les Porteurs d’espoir sur le
réseau Jeanson, de se rappeler de ses rencontres avec Fanon
et de tous ces orphelins de la guerre (enfants de chouhada) qu’il
avait rencontrés à Tunis. Et de s’interroger
ensuite si leur mémoire gardait de cette période tragique
des souvenirs douloureux encore vivaces.
Et c’est alors que surviendront les interventions de Hervé
Bourges et du Me Jacques Vergès dont la présence au
colloque aura paru, semble-t-il, comme incongrue dont la mesure
où leurs chemins n’ont jamais croisé celui de
Fanon.
Ils le reconnaîtront d’emblée en affirmant toute
leur admiration pour l’auteur des Damnés de la terre.
A. Abdelghafour
La Nouvelle République 14 septembre 2004
Souvenirs
Fanon, ou le briseur de chaîne
En rendant hommage à Frantz Fanon, un patriote algérien
venu d’ailleurs, les organisateurs du 9e Salon international
du livre en Algérie ont remis à l’honneur l’internationalisme
qui a entouré la lutte pour l’indépendance nationale.
Comme d’autres «étrangers» militants de
la cause algérienne, Frantz Fanon a d’abord participé
au combat anti-nazi, dans les rangs des Forces françaises
libres, alors qu’il n’avait pas encore vingt ans. C’est,
ensuite, au contact d’un antifasciste espagnol, le docteur
Tosquelles, réfugié en France, que Frantz Fanon, devenu
médecin spécialisé en psychiatrie, s’initie
à la méthode de la sociothérapie qu’il
mettra en œuvre à l’hôpital de Joinville,
à Blida, qu’il rejoignit en décembre 1953.
Selon le témoignage des frères Longo, Makhlouf et
Ali, infirmiers à l’hôpital de Joinville, à
l’époque, Frantz Fanon découvre, en arrivant,
un asile d’aliénés soumis encore au code de
l’indigénat. De ce véritable enfer montaient
les hurlements de malades enchaînés, étroitement
gardés par des infirmiers malabars. Les deux infirmiers,
aujourd’hui disparus, avaient témoigné de cette
grande révolution que fut le bal organisé par le nouveau
médecin. A l’initiative audacieuse de Frantz Fanon,
les chaînes furent jetées à la poubelle et les
malades sont redevenus libres de leurs gestes. L’ergothérapie
(la guérison par la pratique de métiers) et la sociothérapie
(la guérison par les activités sociales) prenaient
la place des pratiques moyennageuses qui étaient en cours
à l’hôpital. Celui-ci perdait alors ses allures
de prison et les malades recouvraient le droit à la parole
en participant à des réunions avec les médecins
et le personnel paramédical. Fanon avait placé le
malade au centre de toutes les activités de l’hôpital
et tout était fait dans son intérêt. Expulsé
d’Algérie, il part en Tunisie avec sa femme, Josie,
et son fils, Olivier, âgé alors d’un an et demi.
Le Dr Fanon est mort le 6 décembre 1961 à l’hôpital
de Bethesda aux Etats-Unis, des suites d’une leucémie.
Charles Geronimi, un autre patriote algérien au nom étranger,
a eu à insister sur le fait que «Fanon était
d’abord psychiatre, il s’est toujours voulu psychiatre».
C’est pourquoi, on ne peut pas organiser un hommage à
Fanon sans faire un tour à l’hôpital psychiatrique
de Blida qui porte depuis l’indépendance son nom et
où, au contact des malades, il découvrit le drame
algérien et prit la décision de participer, à
sa manière, à la lutte pour l’indépendance
de l’Algérie. Malheureusement, beaucoup de ceux qui
ont connu le psychiatre au travail sont décédés
et ne peuvent plus servir de guides à la visite. Exemple
parmi d’autres : il n’y a plus le chanteur Abderrahmane
Aziz qui était chargé des activités culturelles
- concert de chants, pièces de théâtre, ciné-club.
Ces activités étaient animées par les malades,
eux-mêmes. Ils constituaient l’orchestre, la chorale,
la troupe de théâtre, discutaient des films pendant
les séances-débats,… Ils formaient des équipes
de football qui disputaient des compétitions sur un vrai
stade. C’est ainsi qu’ils guérissaient. Les chaînes
n’étaient déjà plus qu’un très
mauvais souvenir.
M’hamed Rebah
L'Expression 14 septembre 2004
Un pur produit de la Révolution
Frantz Fanon a marqué le XXe siècle de l’Algérie
par sa pensée et son action.
«Psychiatre et écrivain martiniquais, il s’était
joint à nous dans notre combat libérateur, pour le
triomphe du droit à la liberté et à la justice.
Ami personnel et compagnon de combat de Fanon, je me dois de témoigner
sur l’homme et sur le militant, de lui rendre hommage et de
participer ainsi à enrichir notre histoire, d’autant
que nous sommes aujourd’hui à quelques semaines de
la célébration du 50e anniversaire du déclenchement
de notre révolution».
C’est avec ces mots du président de la République,
lus par M.Abdelkader Khomri, président du Groupe presse et
communication, que fut ouvert dimanche le colloque sur la vie et
l’oeuvre de Frantz Fanon. Olivier Fanon, Rédha Malek,
Vergès , Khomri ainsi que nombre de révolutionnaires
et psychanalystes étaient tous présents afin de rendre
hommage à ce grand penseur, visionnaire mais aussi révolutionnaire.
«Frantz Fanon est le produit de la Révolution, 50 ans
après, son message est toujours présent. Il avait
une vivacité d’esprit peu commune et il voulait intégrer
complètement l’Algérie, la cause des Algérien,
était devenue la sienne quand il a commencé à
soigner les prisonniers à l’hôpital de Blida»
a déclaré Rédha Malek. M.Khomri nous présenta
la biographie de ce révolutionnaire. Frantz Fanon est né
à Fort-de-France le 20 juillet 1925. Médecin psychiatre,
écrivain, combattant anti-colonialiste, Frantz Fanon a marqué
le XXe siècle de l’Algérie par sa pensée
et son action, en dépit d’une vie brève frappée
par la maladie. Frantz Fanon fit ses études supérieures
à la faculté de médecine de Lyon et fut nommé,
en 1953, médecin-chef de l’hôpital psychiatrique
de Blida. Il avait déjà publié, en 1952, Peaux
noires, masques blancs. En 1956, deux ans après le déclenchement
de la guerre de Libération nationale en Algérie, Frantz
Fanon choisit son camp, celui des colonisés et des peuples
opprimés. Il remet sa démission de son poste à
l’hôpital et rejoint le FLN en Algérie.
«Il eut d’importantes responsabilités au sein
du FLN» témoigne M.Rédha Malek. Membre de la
rédaction de son organe central, El Moudjahid, il fut chargé
de mission auprès de plusieurs Etats d’Afrique noire
puis ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République
algérienne (GPRA) au Ghana. Il échappa à plusieurs
attentats au Maroc et en Italie. «Jusqu’à sa
mort, Frantz Fanon s’est donné sans limites à
la cause des peuples opprimés».
Il s’éteint à Washington le 6 décembre
1961, à l’âge de 36 ans, des suites d’une
leucémie et est inhumé au cimetière des Chouhadas
de Tunis.
Les damnés de la Terre était entre autres au centre
du débat. Au moment où certaines archives demeurées
longtemps secrètes de la guerre d’Algérie s’ouvrent
enfin et que les historiens font éclater de part et d’autre
la vérité sur un conflit qui n’a pas encore
révélé ses aspects les plus sombres, ce «classique
de la décolonisation», publié pour la première
fois en 1959 et sans cesse réédité jusqu’aux
années quatre-vingt, connaît une nouvelle actualité.
Ce livre est né de l’expérience accumulée
au coeur du combat, au sein du FLN. Car Frantz Fanon avait choisi
de vivre et de lutter parmi des colonisés comme lui, en Algérie,
pays du colonialisme par excellence. Texte militant, cet ouvrage
fut aussi la première analyse systématique de la transformation
qui s’opérait alors au sein du peuple algérien
engagé dans la révolution. Ce texte, parmi les tout
premiers aux Éditions Maspero, décrit de l’intérieur
les profondes mutations d’une société en lutte
pour sa liberté. Ces transformations, la maturation politique
et sociale, ignorées par les colons alors qu’elles
étaient justement les fruits de la colonisation et aussi
«l’humiliation, présidèrent pourtant largement
au système colonial et son projet utopique d’un tiers-monde
révolutionnaire porteur d’un «homme neuf»
restent un grand classique du tiers-mondisme, l’oeuvre capitale
est le testament politique de Frantz Fanon».
Frantz Fanon, cet humaniste et militant de toutes les causes justes,
demeure indiscutablement le grand ami des Algériens et l’un
des symboles de la révolution à côté
du grand Maurice Audin, René Vautier et Henri Alleg. En réponse
à tous ceux qui contestaient le militantisme de Frantz Fanon,
les annales de l’histoire de l’Algérie démontrent
décidément la non-vraisemblance «des illusions»
avancées.
H. OURTILANI
Info Soir 14 septembre 2004
«Un penseur visionnaire»
Par Yacine Idjer
Hommage : Sa vie et son œuvre intellectuelles ont été
au centre du Colloque international sur Frantz Fanon.
D’abord, et en ouverture, une allocution de Abdelkader Khemri,
président du comité d’organisation du Salon
du livre, est venue marquer cette première journée
du colloque.
«C’est un moment de mémoire et aussi de débat
et de convergence», dit-il ajoutant que «la pensée
de Fanon cristallise le fait et le concept du nationalisme en tant
que réalité évidente. Sa pensée est
d’une telle intensité qu’il faut la dégager».
Un message du président de la République rend un grand
et vibrant hommage à l’un des enfants de la Révolution
algérienne.
La première journée du colloque a été
marquée par l’intervention de Olivier Fanon, fils de
Frantz Fanon. «Je suis ému d’être là,
parmi vous, et je suis encore plus ému du fait que ce colloque
soit inscrit dans le cadre de la commémoration du 50e anniversaire
du déclenchement de la Révolution», confie-t-il.
Et d’ajouter : «Mon père était un penseur
visionnaire ; il a fait une rupture radicale avec la France parce
qu’il a pris conscience de l’inégalité
qui existait entre le colonisateur et le colonisé, il a compris
que le colonisé ne pourra jamais s’assimiler à
l’autre, il s’est fait donc Algérien en rejoignant
la Révolution, parce qu’il a cru en elle, car elle
était le lieu du combat pour la liberté. Mon père
a épousé la cause algérienne, et l’Algérie
le lui a bien rendu en le nommant ambassadeur itinérant d’Algérie
à travers le monde.» «Je suis modestement dans
la continuité de la pensée de mon père, je
suis Algérien et je travaille à l’ambassade
d’Algérie en France», confie-t-il.
La séance s’est poursuivie avec l’intervention
de Réda Malek qui a été un proche compagnon
de Frantz Fanon. Au cours de son intervention, il a rendu compte
de ces souvenirs, étroitement liés à Frantz
Fanon.
«Fanon était un révolutionnaire au plein sens
du terme, il faisait partie des forces libres», dira-t-il.
«Il était sensible à la condition algérienne,
il s’était mis à s’y intéresser
et il a constaté que pour que l’Algérien, donc
le colonisé parvienne à accéder à sa
liberté et à sa dignité en s’affranchissant
de la pesanteur du colonialisme, il fallait mettre fin au système».
Selon l’intervenant, Frantz Fanon, pour approfondir ses connaissances
sur la Révolution qui commençait, l’a aussitôt
rejointe. «La Révolution algérienne a su accueillir
Frantz Fanon», déclare-t-il. Et d’insister sur
le fait que Frantz Fanon était un enfant de la Révolution,
et que celle-ci était ouverte à tout le monde, et
sur l’universalité. «La Révolution n’avait
pas de frontières, et 50 ans après, elle se poursuit,
la mémoire et la pensée de Fanon se perpétuent»,
conclut-il. Le colloque se poursuit aujourd’hui.
Y. I.
El Moudjahid 14 septembre 2004
L’écriture pour aider la libération des peuples
Les travaux du colloque international sur Frantz Fanon se sont
poursuivis hier à l’hôtel Hilton en présence
des nombreuses personnalités nationales et internationales
ayant un lien direct, parce qu’ils l’ont côtoyé
de très près durant son parcours, ou des attaches
indirectes à travers leurs écrits sur la personnalité,
son œuvre et son combat.
Le médecin, l’écrivain et le compagnon de lutte,
Mme Alice Cherki, a évoqué hier lors de son intervention,
levant le voile sur la personnalité et l’action de
Fanon en tant qu’écrivain, psychiatre, penseur et révolutionnaire
pour construire le personnage qu’elle qualifie d’éveilleur
de conscience.
Dans tous ces aspects compartimentés qui renforcent l’unité
de l’action de Frantz Fanon, Mme Cherki nous renvoie à
la dimension universelle de la lutte pour «la désaliénation
de la société et de la libération de soi de
façon responsable et moderne» élaboré
autour «du sentiment tragique de la vie» par Fanon,
âgé alors de 25 ou 26 ans qui a compris que «seule
la lutte organisée pouvait conduire la nation en mouvement
(Algérie) à se libérer et devenir indépendante
face au système colonialiste».
«Très attentif aux autres, très proche de l’inconscient,
se souvient Alice Cherki, Fanon aimait former les jeunes. Sa pensée
qui reste d’actualité accompagne notre époque
où l’on a érigé la violence pour intégrer
les Etats à la mondialisation».
L’auteur des Damnés de la terre qui a introduit à
son combat l’écriture pour aider à libérer
les peuples a réparti les maux du corps les conjuguant aux
mots du cœur dans des récits à transmettre aux
autres.
Un autre homme au destin similaire à Frantz Fanon, s’est
déplacé à Alger pour apporter son témoignage
tant l’itinéraire est similaire. Ils sont nés
tous les deux en 1925, nés dans des départements d’outre-mer,
l’un en Martinique, l’autre à la Réunion
et se sont totalement et foncièrement engagés dans
la Révolution algérienne et le mouvement de libération
des peuples. Il s’agit de Frantz Fanon et de Jacques Vergès.
En 1940, ils avaient 15 ans, interloqués par la victoire
du racisme allemand, ils s’engagent dans les Forces de France
Libre à 17 ans et en 1945 «on nous dit que le mot indépendance
c’est bien pour les Européens et pas pour les autres»,
s’offusque Me Jacques Vergès, citant «la répression
de Sétif et Guelma, ce qui nous ouvre les yeux». Autre
similitude, Me Vergès constate «qu’en 1957, lorsque
la bataille d’Alger a éclaté, Fanon rejoint
Tunis et moi, je rejoins Alger pour reconstituer le collectif d’avocats
après l’arrestation de tous les avocats algériens
: nous avons la même attitude de rupture à l’égard
de la manière de penser colonialiste. Autrement dit le problème
algérien n’est pas français-français
mais bien universel et le résistant algérien a le
droit de lutter. Sa violence est justifiée contrairement
à elle du colonisateur».
Après un moment d’émotion, Me Vergès
reprend la parole pour noter que «nous essayons, chacun de
son côté, d’intéresser l’opinion
mondiale du combat de l’Algérie pour l’efficacité.
Les responsables du FLN m’ont confié alors des causes
difficiles où j’ai pu défendre des clients condamnés
à mort. Aucun n’a été exécuté».
Me Jacques Vergès, apporte sa contribution à la compréhension
de Frantz Fanon, estimant que «son message reste toujours
d’actualité au regard de ce qui se passe dans le monde,
en Palestine où en ce moment un enfant palestinien est tué
à Ghaza, Ramallah ou Naplouse» avant d’ajouter
que parler de ce regain de violence et de barbarie pour régenter
l’univers entier en engageant des guerres sur des mensonges
ou des droits de l’homme». Heureusement nous avons ceux
qui résistent, démontrant que la force matérielle
ou l’argent ne peuvent pas gouverner le monde mais bien le
courage des hommes».
Les travaux du colloque se sont poursuivis à travers un débat
passionnant ayant permis aux participants de mieux cerner la personnalité
et la philosophie de Frantz Fanon tout en élaborant les ébauches
d’une humanité expurgée des mises en scènes
et des formes de violence à l’orée de la fin
des idéologies et l’intrusion de la notion universelle.
Houria A.
La Nouvelle République 13 septembre 2004
Ouverture du colloque sur Frantz Fanon
Hommage au révolutionnaire
«Frantz Fanon est à coup sûr le symbole le plus
fécond de la dimension internationale de la Révolution
algérienne et de la nécessaire recherche de pistes innovantes
ouvrant la voie à un mouvement de modernité humaniste»
A. Khemri
En marge du Salon international du livre d’Alger qui se tient
cette année sous le signe de la commémoration du 50e
anniversaire du déclenchement de la Révolution algérienne,
un colloque international consacré à Frantz Fanon
(1925-1961), s’ouvre aujourd’hui à l’hôtel
Hilton. Il est attendu parmi les participants, Alice Chekri, psychiatre
et psychanalyste, une spécialiste émérite qui
a longuement travaillé avec l’auteur des Damnés
de la terre et milité aussi à ses côtés,
dans les rangs du FLN combattant. On évoque également
en plus de la présence active de la biographe «officielle»
du grand penseur noir Fanon, la présence de ses amis à
l’image de Jacques Vergès ainsi que des époux
Chaulet. On parle également de Benjamin Stora, Hervé
Bourges et Alexandre Adler. Quant à Fakhri Karim Ahmad, le
président du conseil irakien pour la paix et la solidarité,
ce dernier saisira cette tribune afin de délivrer (nous l’espérons
!) un message sans nuances. Le propre fils de Fanon, Olivier sera
lui aussi de la partie ici même à Alger, la ville de
son enfance.
Au lendemain du colloque, un autre hommage sera rendu à Fanon
au café littéraire (pavillon central de la Safex)
où interviendra mardi une nouvelle fois Alice Chekri en compagnie
de Mustapha Haddab, un sociologue qui abordera en ce qui le concerne
«La violence et l’histoire chez Fanon», Thanina
Maougal, enseignante et Okba Natahi, psychanalyste. Le jour même
en fin d’après- midi, il y aura la projection du film
de Zahzah consacré à Fanon suivi d’un débat
avec le professeur Ridouh.
A. A
Liberté 13 septembre 2004
Colloque sur Frantz Fanon
Le visionnaire militant
Par Wahiba Labrèche
Au delà de son aspect commercial qui connaît une affluence
considérable au regard des longues processions de visiteurs
devant les centaines de stands investis par les exposants et maisons
d’édition, le 9e Sila réserve une place appréciable
aux rencontres culturelles et cafés littéraires où
le public peut apprécier des auteurs que seules leurs œuvres
ont pu faire connaître et découvrir.
Placé dans le contexte de la célébration du
50e anniversaire de la lutte de libération, et notamment
en hommage à Frantz Fanon, figure emblématique du
combat libérateur des peuples, le 9e Sila marque, à
partir d’aujourd’hui, un tournant dans son déroulement
avec l’ouverture, ce matin, à l’hôtel Hilton,
du colloque international sur Frantz Fanon.
Aussi, la dimension culturelle, qui est imprimée à
ce salon international du livre qu’abrite la capitale, tout
en le situant comme un forum culturel et de pensée, d’échanges
et de rencontres conviviales entre les grands noms de la littérature
et de la pensée arabe et occidentale, alliée à
l’histoire algérienne, invite de fait à la découverte
de l’autre.
Les cafés littéraires qui sont organisés au
pavillon central, retiennent l’attention tant ils constituent
le support de cette dimension culturelle. En organisant des conférences,
jeudi, sur l’émir Abdelkader “résistant
et humaniste”, animées par l’ancien ministre,
Mustapha Chérif, vendredi, sur l’ordre international
en 2005, l’après-Irak, par Pascal Boniface, directeur
de l’Institut des relations internationales et stratégiques
(IRIS) France, hier sur les langues métisses ou les mots
voyageurs par Daniel Maximin et Marie Treps ou aujourd’hui
à 14h sur la préservation du patrimoine et architecture
en Algérie par André Ravereau, le 9e Sila participe
à cet effort considérable de consolider la culture
nationale tout en l’ouvrant sur l’universel par des
dialogues et des échanges féconds.
Parallèlement à ce volet important, le 9e Sila propose
quotidiennement des séances de ventes-dédicaces de
livres en présence de leurs auteurs, et tous les stands tentent,
par ce procédé, de drainer les publics variés
de cette manifestation culturelle et particulièrement les
jeunes qui ont eu le privilège des organisateurs puisqu’un
salon national, le premier, leur est réservé parallèlement
au Salon académique.
Les stands réservés au salon national des jeunes et
des enfants, qui sont répartis entre les ailes du pavillon
central et sa “mezzanine”, ne sont certes pas tous fournis
d’ouvrages.
Mais ils ont cet avantage de contenir assez de choses que les parents
peuvent offrir à leurs enfants en vue de réhabituer
la société dans cette noble tradition qui a beaucoup
décliné quand nos parents à nous nous offraient
des livres de lecture pour développer le goût et inciter
à la découverte du livre le tout nouveau livre acquis
ou lu avant les autres.
“Mais c’est un bon début”, note, Mme Saloua
Annani, l’une des animatrices de cet espace jeunesse avant
qu’un responsable d’un autre stand jeunesse renchérisse
: “l’effort particulier de certains parents et des associations
civiles en procédant à l’offre de livres pour
lecture aux enfants lors des cérémonies ou réussites
d’examen peut participer au développement du goût
pour la lecture extra-scolaire.
Houria Akram
El Moudjahid 12 septembre 2004
En marge du 9e SILA
Le colloque international sur Frantz Fanon s’ouvre ce matin
au Hilton
Par Wahiba Labrèche
Après avoir rendu hommage l’année dernière
au grand poète romancier algérien Mohammed Dib, la
9e édition du Salon international du livre d’Alger
est consacrée au militant intellectuel Frantz Fanon, une
des figures de proue de la révolution algérienne qui
a combattu par sa plume et sa profession de psychiatre pour l’indépendance
de l’Algérie.
L’hommage organisé à la veille du 50e anniversaire
du 1er Novembre 1954, dont les travaux ont commencé hier
matin à l’hôtel Hilton, se veut un signe de gratitude
et de reconnaissance au dévouement du psychiatre qui a adhéré
entièrement à la cause algérienne. En présence
de son fils Olivier Fanon, les travaux de la première journée
du colloque ont regroupé un grand nombre d’amis et
compagnons du psychiatre militant, dont Claudine et Pierre Chaulet,
Jacques Vergès, Rédha Malek, la psychanaliste Alice
Chekri, ainsi que des historiens et romanciers Abdelkader Djaghloul,
Lyès Boukraâ, Yasmina Khadra, Abderazak El-Hamami,
Cheikh Bouamrane.
Lors de son intervention d’inauguration, Abdelkader Khomri,
président du comité d’organisation du 9e Sila,
rappellera l’importance de cet hommage dédié
au psychiatre écrivain qui, par sa profession de psychiatre
et son œuvre, a porté la cause algérienne, mais
aussi les besoins des peuples de disposer de leur sort au-delà
des frontières algérienne et d’Afrique.
Le P-DG de l’Anep a lu, pour l’occasion, la lettre du
président de la République “Ami personnel et
compagnon de combat de Fanon”, dans laquelle il apporte son
témoignage sur l’homme et le militant qu’était
Fanon.
“Par bien de ses aspects, cet homme émergeait de l’ensemble
de ses contemporains par ses valeurs humaines et sa capacité
à fusionner des volontés contradictoires, et dont
l’enjeu historique n’était autre que la liberté
d’un peuple.”Olivier Fanon insistera, quant à
lui, sur l’engagement de son père dans le combat pour
l’indépendance de l’Algérie. “Sur
l’affiche, il est écrit Frantz Fanon, le penseur visionnaire.
Mais il était avant tout un actionnaire militant. Il était
algérien par choix et je le suis aussi même si je vis
en France”, dira Olivier Fanon. Rédha Malek et Louisette
Ighilahriz évoqueront, chacun de son côté, l’apport
de Fanon au combat algérien et surtout, insiste Louisette,
le soutien et la force qu’a suscités Fanon chez les
moudjahidine prisonniers. Les travaux du colloque se sont poursuivis
dans l’après-midi par les témoignages de Claudine
et Pierre Chaulet, Jacques Charby, Hervé Bourges et maître
Jacques Vergès.
W. L.
La Tribune 12 septembre 2004
Hommage à Frantz Fanon
Par Yasmina Belkacem
Le 9ème Salon international du livre d’Alger (SILA),
qui s’est ouvert mercredi dernier, consacre cette année
une figure majeure de l’engagement en faveur de l’indépendance
de l’Algérie. Après avoir célébré,
l’an dernier, la mémoire du romancier et poète
algérien Mohamed Dib, le SILA est dédié, dans
sa neuvième édition, à Frantz Fanon, psychiatre,
intellectuel, écrivain et militant pour la liberté
des peuples. Un hommage qui débutera aujourd’hui dans
les murs de l’hôtel Hilton, et qui se poursuivra sur
deux jours à la salle de spectacles de la Safex. Cette rencontre,
qui se tient en présence du fils, Olivier Fanon, prend les
allures d’un colloque international et verra la participation
de plusieurs intervenants d’ici et d’ailleurs tels que
la psychanalyste Alice Cherki, l’historien spécialiste
de la révolution algérienne Benjamin Stora, le sociologue
Mustapha Haddab ou le jeune réalisateur Abdenour Zahzah,
auteur d’un film documentaire sur Frantz Fanon. Ce colloque,
qui vient pallier les oublis et autres négligences commises
à l’encontre de ceux qui ont lutté aux côtés
des Algériens pour leur dignité et leur indépendance,
coïncide également avec le 50ème anniversaire
du déclenchement de la guerre de libération. Une coïncidence
qui explique en partie le choix fait autour de Frantz Fanon qui
représente «le symbole le plus fécond de la
dimension internationale de la révolution algérienne
et de la nécessaire recherche de pistes innovantes ouvrant
la voie à un mouvement de modernité humaniste».
Martiniquais de naissance, Frantz Fanon est né à Fort-de-France
le 25 juillet 1925. Elève d’Aimée Césaire
–l’un des chantres de la négritude avec le Sénégalais
Senghor- il empruntera d’autres voies de réflexion
et d’émancipation et marquera par la suite le XXème
siècle par sa pensée et son action.Ayant opté
pour des études de médecine, Frantz Fanon se spécialise
en psychiatrie et se retrouve, en 1953, nommé médecin
en chef de l’hôpital psychiatrique de Blida, qui porte
aujourd’hui son nom. Cette année de mutation sera celle
aussi de son engagement aux côtés du Front de libération
nationale. Expulsé des terres algériennes, il poursuit
sa lutte depuis la Tunisie. En dépit d’une vie brève,
écourtée par la maladie, Frantz Fanon sera multiple
et prolifique. Médecin psychiatre, militant pour l’indépendance
des peuples, psychanalyste du colonialisme, théoricien de
la révolution et écrivain.Il laisse derrière
lui une bibliographie des plus intéressantes pour comprendre
la révolution algérienne et les soubresauts du continent
africain. Les Damnés de la terre, Peau noire, Masques blancs,
Sociologie d’une révolution ou l’An V de la révolution
algérienne. Une littérature qui demeurait incontournable
pour les intellectuels du tiers-monde. Atteint d’un leucémie,
Frantz Fanon décède dans un hôpital à
Washington le 6 décembre 1961 à l’âge
de 36 ans. Sa dépouille ou son âme repose à
El Tarf, nettement à l’est du cimetière El Alia.
Y. B.
Le Jeune Indépendant 11 septembre 2004
9e Salon international du livre
Un hommage sera rendu à Frantz Fanon
par R.C
La 9e édition du Salon international du livre, qui se tient
à la Safex, aux Pins maritimes à Alger, jusqu’au
18 septembre prochain, a été dédiée
à Frantz Fanon, intellectuel et militant de la guerre d’indépendance
algérienne. A cet effet, un colloque international lui sera
consacré les 12 et 13 septembre 2004 à l’hôtel
Hilton, et auquel des personnalités internationales participeront.
On compte parmi les invités Alice Cherki, psychanalyste et
biographe de Frantz Fanon, Mustapha Haddab, sociologue, Thanina
Maougal, enseignante, et Okba Natahi, psychanalyste. Dans son célèbre
livre les Damnés de la terre, il écrit : «Ne
perdons pas de temps en stériles litanies ou en mimétismes
nauséabonds.
Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme
tout en le massacrant partout où elle le rencontre [...]
Pour l’Europe, pour nous-mêmes et pour l’humanité,
camarades, il faut faire peau neuve, développer une pensée
neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf».
Né en 1925 à Fort de France en Martinique, Frantz
Fanon est élève d’Aimé Césaire
au lycée Schoelcher. Alors que la France est occupée,
il rejoint la Résistance en Dominique. Blessé et incarcéré
en Allemagne, il est décoré à la fin de la
guerre.
Il gagne ensuite la France pour suivre des études de médecine
à Lyon. Puis il se spécialise en psychiatrie et écrit
en 1950 un essai Peau noire, Masques blancs dans lequel il observe
les répercussions pathologiques du racisme sur l’inconscient.
«Je n’arrive point armé de vérités
décisives. Ma conscience n’est pas traversée
de vérités décisives. Cependant, en toute sérénité,
je pense qu’il serait bon que certaines choses soient dites.
Ces choses, je vais les dire, non les crier, car depuis longtemps
le cri est sorti de ma vie».
Toujours méfiant à l’égard de toutes
les formes de nationalisme (qu’il juge trop facilement corruptible),
Fanon parvient à rassembler, au-delà des clivages
raciaux, un milliard et demi d’hommes marginalisés
par la prospérité égoïste et hautaine
de l’Occident.
S’il préfère l’analyse tiers-mondiste
au concept de la «négritude», Fanon n’en
demeure pas moins un révolutionnaire. Il s’engage en
Algérie à partir de 1953 en luttant avec le FLN. Médecin-chef
à la clinique psychiatrique de Blida, expulsé par
les autorités françaises, il se réfugie en
Tunisie, d’où il poursuit son combat.
Il meurt en 1961 à Washington d’une leucémie,
après avoir écrit les Damnés de la terre. Ce
psychiatre et militant tiers-mondiste est mort à la vieille
de l’indépendance algérienne pour laquelle il
lutta. Le 9e Salon du livre qui rend hommage à ce grand homme
s’ouvre également à différentes activités
culturelles.
Des rencontres avec des écrivains sont programmées
ainsi que des ventes-dédicaces et des débats. Des
hommages seront également rendus à l’émir
Abdelkader et autres personnalités et intellectuels algériens.
B. R.
Info Soir 9 septembre 2004
Frantz Fanon
La pensée de la liberté
Par Yacine Idjer
Un hommage sera rendu à la pensée et à la
lutte de Frantz Fanon lors du 9e Sila.
Désormais, chaque année, le Salon international du
livre d’Alger (Sila) sera dédié à un
personnage qui a marqué, par ses écrits, sa pensée,
donc par son esprit intellectuel, son temps et le monde de la culture,
notamment l’univers littéraire. L’année
dernière, le 8e Sila était dédié à
Mohammed Dib ; cette année, il sera entièrement consacré
à Frantz Fanon.
Il est à rappeler que le 9e Sila coïncidera avec la
célébration du 50e anniversaire du déclenchement
de la Révolution de Novembre 1954. Et comme Frantz Fanon
est un personnage qui a vécu une grande partie de sa vie
en Algérie, il a épousé la cause algérienne.
Effectivement, Frantz Fanon est connu pour son anticolonialisme
; c’est pour cette raison qu’il a adhéré
à la Guerre de libération nationale. Il l’a
nourrie par sa pensée et ses réflexions, donc par
son militantisme.
Frantz Fanon est d’origine martiniquaise, mais il est peu
connu dans son pays, car il a passé l'essentiel de sa vie
de militant dans sa terre d'adoption : l'Algérie.
Il est né à Fort-de-France le 20 juillet 1925. Il
est mort à Washington, le 6 décembre 1961, à
l'âge de 36 ans, des suites d'une leucémie et a été
inhumé au cimetière des Chouhada (Tunis). Psychiatre,
écrivain, combattant anticolonialiste, Fanon a marqué
le XXe siècle par sa pensée et son action, en dépit
d'une vie brève frappée par la maladie.
Frantz Fanon fit ses études secondaires au lycée Schoelcher,
ses études supérieures à la faculté
de médecine de Lyon et fut nommé, en 1953, médecin-chef
de l'hôpital psychiatrique de Blida, en Algérie. Il
avait déjà publié, en 1952, Peau noire, masques
blancs. En 1956, deux ans après le déclenchement de
la Guerre de libération nationale en Algérie, Fanon
choisit son camp, celui des colonisés et des peuples opprimés.
Il démissionne de son poste et rejoint le Front de libération
nationale (FLN) en Algérie. Il a d'importantes responsabilités
au sein du FLN, et il est membre de la rédaction de son organe
central, El Moudjahid. Il est chargé de mission auprès
de plusieurs Etats d'Afrique noire, ambassadeur du Gouvernement
provisoire de la République algérienne (Gpra) au Ghana.
Il échappe à plusieurs attentats au Maroc, en Italie.
Jusqu'à sa mort, Fanon s'est donné sans limites pour
la cause de la libération des peuples opprimés.
Frantz Fanon s’est illustré par une pensée particulière
qui s’inscrit dans la lutte des peuples opprimés pour
la liberté et la dignité humaine, pour l’égalité
sociale et le droit à l’existence sur la scène
internationale. Sa pensée, le «fanonisme», se
définit par ce combat continuel visant la restitution de
la nation au peuple, un combat qui ne concernait pas seulement la
libération de l'homme noir ou du colonisé, mais cette
lutte incessante pour libérer l'homme et l’inscrire
dans un intellectualisme constructif.
Frantz Fanon cherchait, et c’était une quête
continuelle, à faire «peau neuve, développer
une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf».
Son combat est toujours d'actualité, il s’agit d’une
pensée intemporelle et universelle au moment où l’on
assiste à «la montée des intégrismes
de tous bords, dans un monde d'inégalités où
le fossé se creuse entre riches et pauvres, entre nantis
et démunis».
Y. I.
Pour la révolution africaine
(Textes) - Éditions La Découverte, Paris ISBN: 2-7071-4903-9,
2006
Présentation
Les textes politiques de Frantz Fanon réunis dans ce volume
couvrent la période la plus active de sa vie, de la publication
de Peau noire, masques blancs en 1952 - il avait alors vingt-huit
ans - à celle des Damnés de la terre en 1961, qui
devait coïncider, à quelques jours près, avec
la date de sa mort. Retraçant le fil d'une réflexion
en constante évolution sur le phénomène colonial,
vécu de l'intérieur, ces textes dénoncent à
la fois le colonialisme et les pièges de la décolonisation
- la " grande erreur blanche " et le " grand mirage
noir ".
Explorant tour à tour la situation du colonisé, dont
il peut rendre compte scientifiquement par son expérience
médicale quotidienne, l'attitude des intellectuels de gauche
face à la guerre d'Algérie, les perspectives de conjonction
de la lutte de tous les colonisés et les conditions d'une
alliance de l'ensemble du continent africain, Frantz Fanon gardait
la certitude de la prochaine libération totale de l'Afrique.
Son analyse et la clarté de sa vision nous donnent aujourd'hui
les clés nécessaires pour comprendre la réalité
africaine actuelle.
Le Jeune Indépendant - 21 septembre 2006
Relire Frantz Fanon
Pour la révolution africaine, publié pour la première
fois en 1964, soit trois ans après la mort de son auteur,
est un recueil des textes politiques écrits par Frantz Fanon
entre 1952 et 1961. Cette période est l’une des plus
actives de la vie du militant anticolonialiste.
Le jeune médecin psychiatre livre ici une sorte de journal
de son quotidien de soignant et d’auteur de Peau noire, masques
blancs et des Damnés de la terre, d’activiste politique.
Il y démontre, dans le Syndrome nord-africain, comment la
violence subie par le colonisé agit sur le corps psychique
mais aussi somatique des hommes.
Et de décrire ces pathologies, que le corps médical
taxe souvent d’imaginaires, évoquées par les
Nord-Africains vivant en France. De quoi souffrent-ils ? De la poitrine,
du ventre, de la tête, du cœur. De maux impalpables et
réels, selon le psychiatre, qui ne seront pourtant pas décelés
par les examens cliniques.
Quand le médecin cède sa plume au militant, les textes
ne perdent rien de leur acuité. Nécessité de
la réconciliation entre Antillais et Africains, longue marche
de l’Afrique vers son indépendance, luttes algériennes,
critiques acerbes des dirigeants africains installés par
la France à la tête de ses anciennes colonies, les
écrits de Frantz Fanon, parfois un peu datés, ont
néanmoins conservé toute leur vigueur.
Parfois visionnaire, comme quand il évoque la prochaine libération
totale de l’Afrique, parfois utopiste, quand il appelle de
ses vœux une unité du continent qui tarde à venir,
Fanon ne se départit jamais de ses idéaux. Ses écrits
présentent toutefois l’intérêt du témoignage
d’un acteur de la décolonisation, racontant, de l’intérieur,
le quotidien d’hommes et de femmes engagés comme lui
dans la conquête de leur liberté.
S’il n’avait pas été emporté par
une leucémie à l’âge de 36 ans, en 1961,
on se demande quel regard Frantz Fanon aurait porté sur les
évolutions africaines du XXe siècle et quel aurait
pu y être son rôle. Les arts de l’islam, itinéraire
d’une redécouverte C’est au début du siècle
dernier qu’est apparue la notion d’art musulman : partout
en Europe, des amateurs éclairés se font construire
des demeures à l’orientale et commencent à constituer
des collections, tandis que de nombreux peintres, suivant l’exemple
de Delacroix, ramènent de leurs voyages vases, tapis, armes
et objets de toutes sortes.
Même ceux qui n’ont jamais mis les pieds en Orient succombent
à la nouvelle mode, et le baron de Rothschild commande pour
son hôtel particulier parisien un luxueux fumoir égyptien
qui servira de cadre à sa collection de tapis… persans.
Partout, l’Orient inspire lieux de détente et de plaisir
: bains, cafés, bals publics se dotent d’architectures
et de décors parfois dignes des Mille et Une Nuits. L’ambition
de cet ouvrage est double : s’il s’attache avant tout
à suivre l’aventure d’un regard, celui de l’Occident
sur les arts de l’islam, il tente aussi de comprendre et d’analyser
très précisément l’influence de ces derniers
sur les artistes occidentaux.
Pillage dont la forme la plus aboutie à ce jour reste l’œuvre
de Matisse – trouva au Maroc un nouveau souffle artistique
– mais qui peut aussi s’entendre au sens littéral,
comme le laisse entendre l’écrivain Jean-Charles Davillier
en 1874 : «Nous vîmes un jour, dans l’une des
salles de l’Alhambra, un étranger aux cheveux rutilants
qui s’amusait à enlever les azulejos du mur et qui
ne se dérangea pas à notre approche, comme s’il
eut fait la chose au monde la plus naturelle.»
MFI
L'an V de la révolution algérienne
Éditions La Découverte, Paris ISBN : 2-7071-3437-6,
2001
Parce qu'il s'agit à la fois d'un témoignage et d'une
réflexion de fond, cet ouvrage constitue un document d'une
valeur exceptionnelle sur la guerre d'Algérie et la nation
nouvelle qui allait naître. Frantz Fanon était de ces
militants qui, bien qu'ils ne soient pas algériens de naissance,
ont épousé la cause du FLN jusqu'à changer
de nationalité. Ce psychiatre mort à l'âge de
36 ans publia en 1959 aux éditions Maspéro ce texte
dense dont l'enthousiasme pour la lutte menée par le peuple
algérien au nom de la liberté n'émousse pas
la finesse d'analyse. Pour la première fois en effet, les
bouleversements engendrés par cette lutte au cœur même
de la société algérienne étaient mis
en lumière, en même temps que l'espoir de voir émerger
un type nouveau de relations sociales dès l'indépendance
acquise.
Provoquant l'apparition de conduites radicalement différentes,
comme un changement d'attitude à l'égard des femmes
– devenues convoyeuses d'armes ou porteuses de messages –
ou une méfiance croissante à l'égard des médias
ou de la médecine du colonisateur, la lutte pour l'indépendance
a vu tout un peuple rentrer en possession non seulement de son destin,
mais de ses mœurs, de sa culture, bref, de lui-même.
--Thomas Ferrier
Les damnés de la terre - La Découverte
(Cahiers Libres) ISBN : 2-7071-1514-2 , Paris, 2000
Les damnés de la terre - La Découverte
(Poche essais) ISBN : 2-7071-4281-6 , Paris, 2004
Présentation
Publié en 1961, à une époque où la
violence coloniale se déchaîne avec la guerre d'Algérie,
saisi à de nombreuses reprises lors de sa parution aux Editions
François Maspero, le livre Les Damnés de la terre,
préfacé par Jean-Paul Sartre, a connu un destin exceptionnel.
Il a servi - et sert encore aujourd'hui - d'inspiration et de référence
à des générations de militants anticolonialistes.
Son analyse du traumatisme du colonisé dans le cadre du système
colonial et son projet utopique d'un tiers monde révolutionnaire
porteur d'un " homme neuf " restent un grand classique
du tiers-mondisme, l'œuvre capitale et le testament politique
de Frantz Fanon.
Dans cette nouvelle édition, la préface de Alice Cherki,
psychiatre et psychanalyste, auteur du Portrait de Frantz Fanon
(Seuil, 2000), et la postface de Mohammed Harbi, combattant de la
première heure pour la libération de son pays et historien
de l'Algérie contemporaine, auteur de Une vie debout. Mémoires
politiques 1945-1962(La Découverte, 2001), restituent l'importance
contemporaine de la pensée de Frantz Fanon.
Extrait
" La violence du régime colonial et la contre-violence
du colonisé s'équilibrent et se répondent dans
une homogénéité réciproque extraordinaire.
Ce règne de la violence sera d'autant plus terrible que le
peuplement métropolitain sera important. Le développement
de la violence au sein du peuple colonisé sera proportionnel
à la violence exercée par le régime colonial
contesté […]
" Dès lors que le colonisé choisit la contre-violence,
les représailles policières appellent mécaniquement
les représailles des forces nationales. Il n'y a pas cependant
équivalence des résultats, car les mitraillage par
avion ou les canonnades de la flotte dépassent en horreur
et en importance les réponses du colonisé. Ce va-et-vient
de la terreur démystifie définitivement les plus aliénés
des colonisés. Ils constatent en effet sur le terrain que
tous les discours sur l'égalité de la personne humaine
entassés les uns sur les autres ne masquent pas cette banalité
qui veut que les sept Français tués ou blessés
au col de Sakamody soulèvent l'indignation des consciences
civilisées tandis que 'comptent pour du beurre' la mise à
sac des douars Guergour, de la dechra Djerab, le massacre des populations
qui avaient précisément motivé l'embuscade.
Terreur, contre-terreur, violence, contre-violence… Voilà
ce qu'enregistrent dans l'amertume les observateurs quand ils décrivent
le cercle de la haine, si manifeste et si tenace en Algérie.
" Dans les luttes armées, il y a ce qu'on pourrait appeler
le point de non-retour. C'est presque toujours la répression
énorme englobant tous les secteurs du peuple colonisé
qui le réalise. Ce point fut atteint en Algérie en
1955 avec les 12000 victimes de Philippeville et en 1956 avec l'installation
par Lacoste des milices urbaines et rurales. Alors il devint clair
pour tout le monde et même pour les colons que 'ça
ne pouvait plus recommencer' comme avant. "
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Maspéro,
1961.
Les Damnés de la terre, de Frantz Fanon
Le Matin - 26/09/2001
Quarante ans déjà
Aujourd'hui, Les Damnés de la terre ont quarante ans. C'est
un 26 septembre de l'an 1961 que Les Damnés de la terre,
uvre majuscule de Frantz Fanon, est édité chez François
Maspero et préfacé par Jean-Paul Sartre. Né
Martiniquais en 1925 dans une famille bourgeoise des Antilles, proche
des thèses assimilassionistes, mort Algérien en 1961,
Frantz Fanon a choisi la lutte après avoir bu la déconvenue
de l'impossible cohabitation et l'illusoire égalité
entre colons blancs et colonisés africains ou créoles.
Il a fait sien le combat de ses compatriotes, ensuite celui de tous
les opprimés. Il gagne Lyon pour des études de médecine
et une spécialité en psychiatrie. En 1952, François
Jeanson lui publie son essai Peaux noires, masques blancs, sur les
répercussions pathologiques du racisme sur l'inconscient.
Psychiatre (il exerce à l'hôpital de Blida), théoricien
de la Révolution algérienne et militant tiers-mondiste,
Frantz Fanon rejoint la lutte algérienne en 1953, et milite
dans les rangs du FLN. Il travaille dans le service presse puis
en tant que représentant diplomatique du GPRA (Gouvernement
provisoire de la République algérienne), et participe
à la création d'El Moudjahid. Une leucémie
aura raison de ce jeune homme de 36 ans, dont la révolte
dépasse les frontières de la patrie et du continent,
et dont la pensée influence nombre d'intellectuels du Tiers-Monde.
Publiée en pleine guerre de libération et quelques
mois avant sa mort, son uvre majeure Les Damnés de la terre,
deviendra un livre culte par le biais duquel Frantz Fanon s'adresse
aux colonisés et soulèvera tollés, polémiques
et critiques. Penseur panafricain, Fanon entend éveiller
les consciences opprimées, libérer les âmes
colonisées. Par la force du verbe et de la critique, le médecin
rebelle tente de briser les chaînes, de casser les verrous
et d'ouvrir les prisons dans lesquelles le Blanc colonisateur a
enfermé les esprits des colonisés, « esclaves
de l'esclavage ». Le livre, considéré comme
un brûlot, un appel à la violence, sera p; le
côté belliqueux de la préface de Sartre aidant
- saisi et interdit à sa sortie en France, à quelques
mois de la proclamation de l'indépendance de l'Algérie.
Yasmina B.
LES DÉDICACES DE FRANCE INTER
le 22 septembre 2000
Je n'ai vu Frantz Fanon qu'une fois, à Paris en septembre
1956. J'assistais, étudiant, au premier congrès des
Ecrivains et Artistes noirs. J'entends encore sa voix : il y avait,
dans son intervention sur "Racisme et culture", une alliance
de l'argumentation fondée non sur le théorique mais
sur le vécu, avec une efficacité dialectique qui emportait
un auditeur, en principe lointain, dans une proximité de
pensée soudain chaleureuse. Le propos de Fanon était
de démontrer que le racisme était contenu dans l'affirmation
de "la valeur normative de certaines cultures décrétée
unilatéralement". Que, loin d'être une tare psychologique
accidentelle, il s'inscrivait dans la culture (cet "être
psychique collectif", selon Freud) de la société
qui le produisait. Lutter contre lui était voué à
l'échec si l'on ne luttait contre l'oppression dont cette
société était porteuse. Pour moi qui sortais
d'un enseignement de l'ethnologie encore imprégné
d'ethnocentrisme, c'était décapant. Et si j'ai ressenti,
comme Alice Cherki le note pour son compte, cette "impression
de résonance pour les jeunes gens que nous étions
alors", c'est que cela s'inscrivait, et sur le mode le plus
brûlant, au coeur des événements de cette année
1956, où la répression en Algérie prenait définitivement
sa forme de guerre faite à tout un peuple. Ma génération,
appelée (c'était la formule officielle) à aller
faire cette guerre, était aussi appelée à se
déterminer face à elle. En écoutant ce jour-là
Frantz Fanon, je ne pouvais imaginer que, trois ans plus tard, je
deviendrais son éditeur. Que son livre "L'An V de la
révolution algérienne" serait l'un des premiers
ouvrages que je publierais. Qu'il n'avait plus que cinq ans à
vivre, puisqu'il est mort à l'automne 1961, quelques jours
après avoir reçu à la fois le premier exemplaire
des "Damnés de la Terre" et la nouvelle de leur
interdiction en France. Et qu'enfin il me faudrait attendre plus
d'un tiers de siècle pour lire, avec le travail d'Alice Cherki,
une analyse qui rende compte avec lucidité de l'homme, de
l'action et de l'oeuvre brisés en plein élan. Un travail
qui a l'inestimable valeur de les prendre comme un ensemble indissociable.
D'inscrire cet ensemble dans son époque. De le situer dans
la nôtre. Car dès le lendemain d'une mort à
un âge où la plupart en sont encore aux fondations
d'une oeuvre, les écrits et la figure de Frantz Fanon se
sont vus figés en quelques formules.
Le Monde
François Maspero
Commentaire
L'itinéraire de Frantz Fanon, né antillais, mort algérien,
et son témoignage de psychiatre, d'écrivain, de penseur
politiquement engagé reviennent éclairer les désordres
et les violences d'aujourd'hui. Fanon est mort à 36 ans,
à un âge où souvent une vie d'homme ne fait
que commencer. Mais toutes ses mises en garde aux pays colonisés
en voie d'indépendance se sont révélées
prophétiques. De même, ses réflexions sur la
folie, le racisme, et sur un universalisme confisqué par
les puissants, à peine audibles en son temps, ne cessent
de nous atteindre et de nous concerner. L'auteur des Damnés
de la terre a produit une oeuvre "irrecevable". Son propre
parcours ne l'était pas moins et la manière dont il
s'interrogeait sur "la culture dite d'origine", sur le
regard de l'autre et sur la honte n'a pas toujours été
reconnue. Particulièrement qualifiée pour dresser
ce portrait biographique et intellectuel, Alice Cherki a bien connu
Frantz Fanon, travaillé à ses côtés,
en Algérie et en Tunisie, dans son service psychiatrique,
et partagé son engagement politique durant la guerre d'Algérie.
Elle nous apporte son témoignage distancié sur un
Fanon éveilleur de consciences, généreux sans
concessions, habité par le sentiment tragique de la vie et
par un espoir obstiné en l'Homme.
Liberté 25 avril 2002
Documentaire sur Frantz Fanon
Intrusion dans la pensée fanoniènne
“Mémoire d’asile” est un film documentaire
de 52 minutes signé Zahlal Abdenour. Un hommage au combattant
de la cause algérienne. Une rétrospective sur l’itinéraire
d’un psychiatre engagé.
Il y a quarante ans Fanon écrivait dans Les Damnés
de la terre : "Allons camarades, il vaut mieux dès maintenant
changer de bord. La grande nuit dans laquelle nous fûmes plongés,
il nous faut la secouer et en sortir. Le jour nouveau qui déjà
se lève doit nous trouver fermes, avisés et résolus
". C’est par ces mots que le psychiatre, le combattant
des droits de l’homme, fortement affaibli par une leucémie
chronique, exprimait son inconditionnel soutien au peuple algérien.
Le théoricien de la Révolution algérienne,
n’est autre que ce jeune Martiniquais à la peau noire
, né en 1925, et ayant souffert du racisme et de la xénophobie.
Durant sa courte existence, Fanon tentera de prouver que la seule
supériorité d’un homme par rapport à
un autre, était l’ensemble de ses qualités morales.
Après un baccalauréat obtenu à Fort-de-France
en 1945, il part à Lyon, où il obtient un diplôme
de médecine. Ces premières réflexions sur le
racisme, il les publiera dans son œuvre majeure Peau noire
et masque blanc. Une analyse dans laquelle il revient sur les conditions
de nombreux Antillais qui, dés qu’ils débarquent
en France, tentent de penser et de se comporter comme des Blancs.
À travers plusieurs cas, le Dr Fanon montre comment ces Antillais
en viennent à refuser d’être assimilés
ou comparés aux Africains. Cette œuvre va lui permettre,
une fois installé en Algérie en 1953, de découvrir
une autre réalité plus amère, celle des Algériens
oppressés et asservis sur leur propre terre. De l’École
d’Alger de psychiatrie et ses théories sur le primitivisme
de I’Indigène, à la mise en place par Fanon
à l’hôpital psychiatrique de Blida où
il travailla sur la sociothérapie qui permit la réhabilitation
des Indigènes, Fanon découvrira l’ampleur des
dégâts psychologiques de la colonisation.
Un état des lieux qui va susciter le sentiment de compassion
et de soutien que le psychiatre n’hésitera pas à
montrer en intégrant les rangs du FLN en 1957. De la formation
des infirmiers arabes, à l’assistance des combattants
de l ALN, en passant par sa lettre retentissante de démission
au gouverneur d’Algérie ( Lacoste), sa trajectoire
est synonyme de lutte pour la reconnaissance identitaire. Sa première
violence inaugurée dans Peau noire et masques blancs est
affirmée dans Les Damnés de la terre, puis une transition
vers une conscience collective. Frantz Fanon qui a rejoint le FLN
en janvier 1957, était aussi rédacteur dans les premiers
numéros d’El Moudjahid. Dans ses écrits, il
s’interrogera sur les affres d’une guerre qui traumatisait
ceux qui torturaient et les autres qui subissaient la torture. Les
Damnés de la terre fut durant des décennies après
sa publication, la bible des peuples opprimés aux quatre
coins de la planète. Le psychiatre avait conclu dans ses
écrits que la paysannerie était la seule vraie force
révolutionnaire. Ses écrits ont fait de lui le seul
théoricien de la Révolution algérienne. Une
théorie qui rejoignait, par certains aspects, celle de Mao
Tsé Toung et, à un degré moindre, celle de
Che Guevara. Frantz Fanon sera chargé de plusieurs missions
au sein du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne
(GPRA), dont celle d’ambassadeur d’Algérie au
Ghana.
Frantz Fanon décéda le 12 décembre 1961 aux
États Unis. Son corps fut rapatrié en Tunisie . Le
GPRA respecta le vœu de Fanon d’être enterré
en Algérie, au cimetière d’El Alia.
Le Jeune Indépendant 21 Décembre 1998
Frantz Fanon : Un homme, une histoire
Décembre 1998 marque le trente-septième anniversaire
de la mort de Frantz Fanon. Médecin spécialiste et
militant de la lutte de libération algérienne, Fanon
a produit plusieurs ouvrages sur la guerre et les affres endurées
par le peuple algérien, parmi lesquels "Les damnés
de la terre".
Par Farouk B.
Né le 20 juillet 1925, à Fort de France, dans une
famille de fonctionnaires, Fanon a été perturbé
par les contre-coups de la Deuxième Guerre mondiale sur les
Antilles. En 1943, il part clandestinement pour rejoindre, dans
l'île voisine de la Dominique, les forces françaises
libres qui, sous la conduite de De Gaulle, participaient aux côtés
des Anglais et des Américains à la guerre contre l'Allemagne
nazie et l'Italie fasciste.
En 1945, blessé au combat et décoré pour son
courage, il est démobilisé : il rentre en Martinique,
passe son baccalauréat, participe à la campagne électorale
d'Aimé Césaire, le grand écrivain martiniquais
qui fut son professeur et dont la pensée marquera les anticolonialistes
de cette génération.
En 1951, après avoir obtenu une bourse, il passe sa thèse
et prépare l'internat des hôpitaux psychiatriques.
En 1952, il épouse une Lyonnaise, Josie, dont il aura un
fils, Olivier, et fait sa spécialité de psychiatrie
avec un psychiatre novateur, républicain espagnol installé
en France, Tos-quelles, dont la démarche le marque profondément.
C'est cette même année 1952 qu'il publie, aux éditions
du Seuil à Paris avec une préface de Francis Jeanser,
son premier livre "Peau noire, masques blancs" qui attire
immédiatement sur lui l'attenion.
En 1953, il est reçu au médicat des hôpitaux
psychiatriques, et postule pour un poste à Blida-Joinville,
qui était alors un des plus importants hôpitaux du
système psychiatrique français.
Pour Fanon, la psychiatrie "n'est pas une spécialité
comme une autre ; elle permet, elle impose de comprendre les causes
des souffrances psychiques". Il n'avait que 27 ans quand il
a démontré dans "Peau noire, masques blancs",
les effets déstructurants du racisme sur la personnalité
des dominés.
Ce livre est une réflexion sur la société et
une critique active des injustices.
Fanon a également participé aux activités du
groupe d'intellectuels noirs (Senghor, Césaire, Whright,
Dossantos, Cheïkh Anta Diop et tant d'autres) réunis
autour de la revue "Présence africaine".
Dès sa prise de fonction, il participe avec passion aux discussions
du ciné-club, fait la connaissance du musicien et chanteur
Abderrahmane Aziz avec lequel il découvre la musique chaâbie
et engage des essais de musicothérapie, noue des amitiés.
Le psychiatre ne s'arrête pas là, il sera en contact,
fin 1956, avec le Comité de coordination et d'exécution
(CCE), qui coordonnait clandestinement la lutte depuis la capitale
et rencontrera plusieurs dirigeants.
Après avoir été expulsé du territoire
algérien, pour ses activités, Fanon, installé
en Tunisie, participe régulièrement à la rédaction
d'El Moudjahid.
En décembre 1958, Fanon est membre de la délégation
algérienne à la conférence de l'Union des peuples
africains qui se tient à Accra, capitale de Ghana, où
il rencontre Nkrumah, le vieux lutteur devenu le premier président
d'un pays africain nouvellement indépendant.
En 1960, il fait partie de la délégation algérienne
à la deuxième Conférence des peuples africains
(Tunis), à peine remis d'un grave accident de voiture dont
il a été victime alors qu'il était en mission
auprès de l'organisation algérienne de la frontière
marocaine, et alors que son deuxième livre "L'an V de
la révolution algérienne" vient de sortir à
Paris.
En mars 1960, il est désigné comme représentant
permanent du GPRA à Accra.
Vu l'état de sa santé, Fanon a été envoyé,
cependant, à l'URSS pour des consultations médicales,
il revient à Tunis, sans espoir. Il a 35 ans, il sait qu'il
va mourir, il va faire des exposés aux officiers de l'ALN
à la frontière tunisienne puis, allongé le
plus souvent, il dicte à sa femme et à des proches
un texte qui, dactylographié au fur et à mesure, est
lu par fragments à des amis qu'il appelle auprès de
lui.
Ce texte, c'est celui des "Damnés de la terre".
Il est terminé en juillet 1961. Mort le 6 décembre
1961, le militant a été enterré par un détachement
de l'ALN près de la frontière tunisienne, le 12 décembre
1961.
Pour perpétuer cette mémoire et ce combat, un film
documentaire retraçant l'esprit du militantisme de Fanon,
a été projeté le 15 décembre dernier,
à la cinémathèque d'Alger. Le documentaire,
en langue anglaise, est produit par la télévision
BBC et réalisé par Ishak Julien. En effet, ce film
cite plusieurs témoignages vivants, notamment des personnalités
politiques qui l'ont côtoyé et vécu avec lui
ses différentes étapes de la Révolution, dont
son fils Olivier, son frère, sa belle-sœur ainsi que
Daniel Boukouan.
F. B.
Lounès Ramdani - Ramdani 26 septembre 2001 - mise à
jour 23 septembre 2006
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