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Origine : http://www.algeria-watch.org/fr/article/div/fanon_sila.htm
L’Algérie a rendu hommage au psychiatre, écrivain
et militant martiniquais Frantz Fanon, lors d’un colloque
tenu dans le cadre du 9ème Salon international du livre d’Alger.
Homme de plume et de terrain, engagé auprès des Algériens
dans la lutte pour l’indépendance, sa pensée
visionnaire sur la désaliénation nécessaire
de l’homme prend aujourd’hui une résonance particulière.
On ne voit que lui à Alger. Le front plissé, comme
s’il était préoccupé, les yeux légèrement
levés vers le ciel, la bouche sérieuse. La photographie
de Frantz Fanon orne les grands boulevards de la capitale algérienne.
On la retrouve placardée sur de nombreux murs et, au Palais
des expositions, c’est elle qui accueille les visiteurs venus
se presser au 9ème Salon international du livre d’Alger
(Sila). La manifestation est en effet prétexte, en cette
année des 50 ans de la révolution algérienne,
à un hommage appuyé au psychiatre martiniquais, penseur
visionnaire dont les idées prennent aujourd’hui une
résonance particulière. Cet « homme très
cher à l’Algérie et aux Algériens »,
selon les propres mots du Président Abdelaziz Bouteflika,
est pourtant peu lu dans le pays et nombreux sont ceux qui ignorent
son message.
Deux jours de colloque, qui ont rassemblé, dimanche et lundi,
des proches et connaisseurs de l’intellectuel, ont permis
de faire le point sur sa pensée. « Cet hommage m’émeut
beaucoup », explique son fils, Olivier, qui travaille à
l’ambassade d’Algérie en France. « Mon
père était un révolutionnaire, un homme de
passion. Un penseur, oui, mais aussi un acteur et un militant, un
homme de terrain. Il était algérien par choix et sa
dernière volonté a été d’être
enterré à Aïn Derma avec ses frères de
combat. » Pour Hervé Bourges, Fanon est « un
athée qui se veut éclaireur de conscience ».
« Il avait une vision universelle de l’humanité
et refusait tout repli identitaire. Il écrivait en français
mais pas dans une langue classique, militaire. Avec lui, la langue
dominante devenait dominée à son tour. Fanon l’écrivain
a joué un rôle essentiel de libérateur... »
Libérateur, à la fois dans ses livres (Peau noire,
masques blancs, Les damnés de la terre) mais aussi dans l’action.
L’ancien Premier ministre algérien Redha Malek, son
grand compagnon, dit de lui qu’« il était révolutionnaire
dans tous les sens du terme ».
Contre le nazisme
Né en 1925 aux Antilles, Frantz Fanon s’engage dans
la lutte pour la liberté dès l’adolescence.
« Pendant la deuxième guerre mondiale, les gouverneurs
des Antilles sont pétainistes. Comme plus de 10 000 Antillais,
Fanon va faire le voyage en canot jusqu’à Sainte-Lucie,
l’île la plus proche sous domination britannique, pour
faire dissidence et s’engager dans les forces libres du général
De Gaulle. Il a alors 17 ans », évoque l’écrivain
guadeloupéen Daniel Maximin. « Très tôt,
Fanon se dit qu’il n’est pas sur terre pour être
d’une race ou d’une couleur de peau. Il fait passer
le message de ses aînés comme Aimé Césaire.
Il est pétri de culture caraïbe, de littérature
haïtienne et de culture française de résistance,
comme le surréalisme. Le Fanon qui arrive en Algérie
en 1952 n’est donc pas un ovni, il continue son histoire en
venant dans ce pays et en s’engageant pour lui. Son combat
est internationaliste, il se place au-delà de son origine
géographique, ethnique, de sa nationalité et de la
couleur de sa peau. »
Ce premier engagement est aussi sa première confrontation
avec la discrimination envers les Noirs, au sein d’une armée
qui, pourtant, combat le fascisme. C’est là que Fanon
développe ses idées sur la libération de l’homme,
sur le combat contre le colonialisme et l’esclavage. Après
la guerre, il fait ses études de psychiatrie à Lyon,
en France. Il y soigne des Africains et des Algériens, pour
la plupart des ouvriers de banlieue. Ces derniers viennent le voir
pour un mal dont ils n’arrivent pas à déceler
la cause. C’est ce que Fanon appellera le syndrome nord-africain
: le mal du déracinement.
Produit de la Révolution algérienne
Il arrive en Algérie en 1952. Par hasard. Il n’y a
pas de poste de psychiatre vacant à la Martinique et pas
de poste pour un homme de couleur en France. Il est nommé
à l’hôpital de Blida. Ce sera pour lui un véritable
choc. Les malades algériens y sont traités comme des
bêtes, la plupart sont enchaînés. « Humainement
et médicalement, il n’a pas pu supporter », indique
son fils. « Après ça, il rompt totalement avec
la puissance coloniale. » Fanon se rend compte que dans un
tel système de colonisation, les malades ne peuvent se guérir
sur le plan psychologique et psychiatrique. Pour soigner convenablement
les Algériens, il faut mettre fin à la colonisation,
affirme Fanon. Il démissionne en 1956 et rejoint les rangs
du FLN (Front de libération nationale).
« En rendant hommage à Frantz Fanon, nous rendons
hommage à la Révolution algérienne qui a su
l’accueillir en son sein et qu’il a su, lui, incarner
sur le plan extérieur lorsqu’il est nommé ambassadeur
itinérant du gouvernement provisoire en 1959. Fanon a contribué
au rayonnement du message de la Révolution, en Afrique notamment.
Fanon, est un produit de la Révolution algérienne
», précise Redha Malek. « Fanon a des idées
précises sur la lutte. Pour lui, l’indépendance
ne se donne pas, elle s’arrache. En ce sens, la violence,
si elle a un but stratégique, est légitimée.
Ensuite, c’est une lutte forcément populaire, de l’ensemble
d’un peuple dépossédé, qui combat un
puissant système colonial. Enfin, l’indépendance
n’est pas un drapeau mais un contenu social, politique et
économique. » Fanon meurt en 1961 d’une leucémie
foudroyante. Il ne connaîtra pas l’Algérie indépendante.
Etre lucide
Pour l’avocat d’origine réunionnaise, maître
Vergès, né à la même année que
Fanon, et qui a défendu de nombreux prisonniers FLN pendant
la guerre, « son œuvre est assez riche pour appartenir
à tout le monde ». « A titre personnel, il m’a
confirmé dans la branche de la rupture, de la dénonciation
et du refus du mimétisme. La rupture, c’est le retour
à l’universalité. La position de Fanon est plus
que jamais d’actualité aujourd’hui où
l’on assiste à l’ensauvagement du monde, au déferlement
de la barbarie, où l’on fait la guerre en évoquant
des mensonges, comme en Irak. Jamais les perspectives dans lesquelles
nous vivons n’ont été aussi sombres. Il faut
alors se rappeler l’enseignement de Fanon : être lucide,
ne pas se laisser abuser par les grands discours. »
Alice Cherki, qui a travaillé avec Fanon en Algérie
et écrit sa biographie, se félicite que Peau noire,
masques blancs vienne d’être édité en
Algérie (éditions Anep) et soit à la portée
de tous les Algériens. « La désaliénation,
la liberté, le rapport à l’autre... sont des
thèmes étrangement d’actualité pour les
jeunes. L’œuvre de Fanon leur parle même s’ils
ne la connaissent pas très bien. » Comment, effectivement,
ne pas appréhender toute la dimension contemporaine de la
pensée de Fanon ? Lui qui écrivait, dans Peau noire,
masques blancs : « Chaque fois qu’un homme a fait triompher
la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme
a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable,
je me suis senti solidaire de son acte. » C’est ce que
nous devrions tous faire.
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