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Origine : http://infokiosques.net/imprimersans2.php3?id_article=154
http://infokiosques.net/spip.php?article=154
DECROCHONS !
Je n’ai qu’une vie. Je ne la regarderai pas passer,
par procuration, comme un zombie, devant un poste de télévision.
Je veux me sentir exister, furieusement. Je veux ressentir le bonheur,
la tristesse, intensément. Je veux percevoir le chaud et
le froid, les parfums et la sueur, les rires et la fatigue, sans
écran. L’assommoir télévisuel, cette
camisole à mon énergie, cet étouffoir à
sentiments, ne m’anéantira pas. Je veux tout, je n’attends
rien, le monde s’offre à moi.
La moyenne quotidienne de télévision par Français
est actuellement de 3 heures 20. Après une journée
de travail et plus de trois heures devant le poste, le temps consacré
à la vie sociale, civique, à la création...
ne peut être que marginal, sinon inexistant. La critique de
la télévision ne peut donc se limiter à son
contenu et doit le dépasser pour s’interroger sur le
média en tant que tel. La télévision constitue
un miroir pour notre société. Le briser ou le condamner
ne changerait pas le visage de notre civilisation. " Changeons,
et la télé changera ". Eteignons-la, et la vie
commencera.
Mais vivre, c’est difficile. Il est tentant de chercher à
échapper à la condition humaine. Cocaïne, héroïne
et haschisch demeurent des moyens prohibés pour atteindre
des paradis artificiels. Prozac, alcool et télévision
permettent, eux, de fuir la réalité sans enfreindre
la loi.
Si nous devions classer comme drogue un produit synthétique
inhalé entraînant une dépendance, la télévision
n’entrerait pas dans cette catégorie. Pourtant, sans
apparente action chimique, la télévision conduit à
des phénomènes d’assujettissement comparables
à ceux liés aux drogues dures. Voici plus de dix ans,
une équipe d’un hebdomadaire de télévision
proposait dans un quartier à des volontaires de rendre leur
poste pendant une semaine. Seule une minorité de candidat-e-s
parvinrent au bout des sept jours sans avoir récupéré
leur précieuse boîte. Certain-e-s ne tinrent pas une
journée. D’autres, honteux et honteuses, louèrent
des postes en cachette.
La télévision a ceci de particulier par rapport aux
autres médias qu’elle laisse son spectateur totalement
passif. A aucun autre moment de notre existence, nous ne sommes
aussi inertes, même dans nsotre sommeil, car les rêves
y sont le produit de notre imagination. Contrairement au cinéma,
où la lumière est projetée sur une toile, le
poste de télévision la projette directement sur la
spectatrice ou le spectateur. Le scintillement de l’image
engendre un phénomène hypnotique.
Nous regardons la télévision. Nous l’écoutons
peu. L’image y est reine, et la forme prime tout. Le pouvoir
y appartient aux apparences. Ne pas être conscient de cette
règle de base peut conduire à desservir son propos
pour celui qui est amené à y figurer. A la télévision,
on est manipulé ou on manipule.
La télévision est un prisme. Elle nous évite
de réfléchir, de nous poser des questions existentielles.
Elle nous évite de les accepter det de les affronter. A force
de fuir dans l’illusion au travers de cette glace, nous devenons
incapables d’affronter la réalité qui se trouve
derrière la fenêtre. C’est en fin de compte un
véritable refus de la vie.
TRAVAILLER, DORMIR ET... REGARDER LA TELE
Le texte qui suit est constitué d’extraits de la préface
du livre Nouvelles et dessins contre la télé, paru
aux Editions Reflex. Il montre le poids écrasant de la télévision
sur la vie des gens et sur la société, il analyse
aussi la manière dont le petit écran pénètre
les esprits, chloroforme, isole, influence, impose ses lois...
Après l’exercice d’une activité professionnelle
et le sommeil, regarder la télévision constitue la
troisième occupation des occidentales et des occidentaux.
Elle est, et de loin, la première des activités domestiques.
On y passe en moyenne trois heures par jour en France, quatre heures
aux Etats-Unis.
Au fil des décennies, la télévision a pénétré
dans la plupart des foyers. En 1970, en France, 32% des ménages
ne possédaient pas de poste ; en 1977, 13 % ; aujourd’hui
ce chiffre est tombé à 5 %. Aucun appareil ménager
n’avait réussi à s’introduire dans les
foyers aussi rapidement et aussi massivement. D’ailleurs,
sa présence ne surprend plus du tout ; bien au contraire,
c’est son absence qui étonne, et qui suscite parfois
des inquiétudes. La grande majorité de la population
ne se pose même plus la question de savoir pourquoi avoir
un téléviseur. Les interrogations portent plutôt,
pour une extrême minorité, sur l’intérêt
de ne pas en avoir un.
Cette conquête des esprits se traduit aussi par une présence
physique particulière. Dans la plupart des foyers, le téléviseur
a un statut exceptionnel. Il trône, à la meilleure
place, dans la pièce principale. L’agencement de la
salle de séjour se fait en fonction du poste et non pour
former un cercle convivial. Cette pièce, à l’origine
lieu de rencontre structuré pour permettre l’échange
entre individu-e-s, s’est transformée en salle de projection.
Cette configuration se retrouve partout où la télévision
s’est imposée. Le philosophe Jean-Jacques Wunenburger
le constatait (1) : "Premier agent de la mondialisation des
moeurs, elle suscite un ensemble quasi rituel de comportements uniformes,
quels que soient les environnements et les messages visuels : disposition
du mobilier, assemblée de spectateurs et spectatrices orienté-e-s
vers la source lumineuse, horaires contraints par un spectacle généralement
programmé à heure fixe, etc." Beaucoup allument
leur télévision comme on ouvre un robinet d’eau,
par simple habitude. En 1990, une étude nous apprenait "qu’elle
était si intégrée au quotidien que le fait
d’allumer ne paraît pas constituer dans la majorité
des foyers une réelle décision correspondant à
un véritable choix ! D’ailleurs, même les moments
censés favoriser la discussion sont altérés
; dans une enquête, 62,8% des enfants déclaraient que
la télévision fonctionnait pendant le dîner.
La télévision reste parfois allumée en permanence,
des gens la regardent, sans en avoir la volonté, par automatisme.
Centralité, omniprésence, diktat, la place du petit
écran a des conséquences dramatiques.
La télévision isole, renferme, aliène
Elle a largement participé au mouvement de repli sur soi
qui s’est développé depuis l’avènement
de la société de consommation. On ne peut cependant
pas la considérer comme l’unique responsable de cette
atomisation. Le triomphe du libéralisme, et ses effets sur
la place et le rôle de l’individu-e dans une société
explique ce repli sur la sphère privée. Les effets
de ces processus d’éclatement ont réduit les
liens sociaux, qui ne se tissent plus que dans le cadre du travail,
et qui, avec l’émergence de la production post-fordiste,
disparaissent totalement. La plupart des individu-e-s s’enferment
dans leur cocon, protégé-e-s du reste du monde, comme
l’explique le sociologue Daniel Bougnoux : "Nous demandons
à la télé de nous mettre dans un état
de relaxation qui permet sans bouger de chez nous et sans avoir
à faire face à l’horrible monde et aux horribles
"autres", de vivre ensemble séparément,
d’avoir le monde chez soi. Cette vitrification de tout ce
qui peut arriver (la télé est d’abord une vitre)
permet d’avoir la jouissance de la stimulation sensorielle
mais de façon filtrée et amortie." Enfermé-e
dans son petit confort, captivé-e par la tube cathodique,
la passivité s’installe.
Le lien qui unit le/la téléspectateur/rice à
son téléviseur est de nature hypnotique. Regarder
cette lucarne bleutée met en sommeil l’intellect, ramollit
physiquement, et contrairement à ce que l’on pense
communément, ne repose pas du tout. Elle fonctionne comme
un anesthésiant dont on dépend très rapidement.
Le téléspectateur ou la téléspectatrice
perd sa capacité, son pouvoir personnel de réflexion.
Si on se réfère à la définition du terme
aliénant : "l’individu perd la libre disposition
de lui-même" (Petit Robert), on peut affirmer que la
télévision aliène. Son fonctionnement coupe
systématiquement l’individu-e de sa pensée.
Le flux continuel d’images interrompt et empêche la
communication et la réflexion. L’incessant déversement
de programmes suscite une adhésion immédiate, qui
génère le silence. Marie-José Mondzain explique
ce processus (3) : "Quand on est privé de la possibilité
de faire la différence entre ce qu’on voit et ce que
l’on est, la seule issue est l’identification massive,
c’est-à-dire la régression et la soumission".
Le réel devient ce que l’on voit. Or, s’il n’y
a pas de distance entre le réel et le vu, il n’y a
pas de jugement possible, donc plus besoin du politique. La réalité
devient nôtre, pourquoi la changer ? Car c’est bien,
comme l’explique M.J. Mondzain "cette résistance
au réel qui suscite la pensée et qui incite les humains
à se rassembler." La télévision engendre
donc une dépolitisation du monde. L’individu-e est
réduit-e à l’état de client-e et de spectateur/rice,
comme l’avait pressenti Guy Debord dans Commentaire sur la
Société du spectacle lorsqu’il écrivait
"celui qui regarde toujours pour savoir la suite n’agira
jamais." L’individu-e est convaincu-e de son impuissance
face à son époque. La réalité de l’ordre
établi s’impose alors d’elle même, immuable.
Une vie par procuration
Toutes ces heures passées devant le petit écran donnent
à la téléspectatrice ou au téléspectateur
l’impression d’être dans la réalité.
Et plus les chaînes se multiplient, plus elle/il a le sentiment
d’avoir accès au monde. Dans L’image publicitaire
à la télévision, José Saborit va encore
plus loin (4) : "Notre regard a été lesté
du poids inévitable de l’expérience télévisuelle
et les mécanismes de vérification sont inversés".
Les expériences réelles - la vie en somme - infirmeraient
ou confirmeraient les "vérités" de la télévision.
Elle fabrique la réalité, comme l’explique
Jacques Ellul dans Le bluff technologique : "Il n’y a
pas vraiment d’information à la télévision,
il n’y a que la télévision. Un événement
ne devient nouvelle que si la télévision s’en
empare", et "sitôt que la télévision
ne montre plus rien sur la question, il n’y a plus de question.
C’est bien cela qui signifie que c’est la télévision
elle-même qui est le message [...] et nous sommes seulement
des consommateurs/ices d’information". Actuellement la
télévision a pris une telle importance dans nos sociétés
que le réel correspond pour la majorité de la population
(70% des personnes ont pour seule source d’information la
télévision) à ce qu’elle retransmet.
L’événement, pour exister, doit être
diffusé ; ceci a des conséquences - comme nous le
verrons ultérieurement - sur le déroulement même
de cet événement. N’est alors visible, et comme
nous venons de le montrer réel, que ce qu’on veut bien
nous montrer.
Les images, contrairement à ce qu’elles tendent à
faire croire, résultent d’une série de choix
: de la journaliste qui décide de se rendre à tel
endroit, du cameraman qui filme telle scène, de la monteuse
qui sélectionne telle partie, etc. Ces choix s’opèrent
en fonction des opinions, des aspirations et de la structure dans
laquelle travaille le ou la journaliste. Et une image n’a
de sens que dans un contexte particulier.
Pourtant, on présente les images comme objectives. Elles
donnent l’impression au téléspectateur ou à
la téléspectatrice qu’il/elle assiste à
l’événement et que ce qu’il/elle regarde
est la réalité. il/elle n’a pas la possibilité
de distanciation par rapport aux messages qui lui sont assénés.
L’image télévisuelle ne laisse aucune place
au recul et à la réflexion.
Le danger n’est pas tant de donner une vision subjective
du monde que de se présenter comme objective, voir même
sacrée. Alors que, comme l’écrit M.J. Mondzain
: "Tout est transmis sur le mode de la participation à
une réalité, en dissimulant qu’il y a des appareils,
un montage, un ensemble de contraintes qui font que, sur place,
on n’aurait certainement pas vu la même chose."
Elle appelle ça "l’effet balcon". C’est-à-dire
un effet qui donne à croire que ce que l’on voit au
travers du petit écran est la réalité, dont
la téléspectatrice ou le téléspectateur
serait témoin. Il/elle n’assiste en aucun cas à
un événement mais à une de ses représentations.
Et avec les images, le travail de compréhension de la partie
non visible devient très difficile. La télévision
occulte, par son principe même, l’analyse. Le téléspectateur
ou la téléspectatrice intègre et fait sien-ne
d’autant plus facilement ce qu’on lui présente
qu’il/elle ne dispose pas de moyen pour élaborer une
pensée, et donc, un autre discours. Voir ne permet pas de
comprendre. L’abondance de l’information, le déferlement
des images fausse la réalité bien plus qu’il
ne permet d’en saisir la complexité. M.J. Mondzain
résume parfaitement cette idée : "L’exercice
de la liberté ne naît pas d’une accumulation.
Ce n’est pas : plus je vois des choses, plus je comprends,
mais toujours : plus je pense, mieux je comprends."
Un modèle hégémonique
En quelques décennies, la télévision est devenue
le média dominant. Elle a peu à peu occupé
l’espace en reléguant les autres médias à
des fonctions subalternes. Mais sa force et son hégémonie
dépassent le cadre de cette concurrence. C’est sa vision
de l’information - voire du monde - qui s’est imposée.
Les autres médias ainsi que d’autres domaines ont intégré,
parfois pour pouvoir survivre, les valeurs et les normes du petit
écran : fascination pour l’image, pour le spectacle,
urgence, recherche de scoops, brièveté, superficialité,
conformisme, idées reçues, jeu avec l’émotion,
etc. Pierre Bourdieu, dans son opuscule Sur la Télévision,
décrit ces mécanismes. Il montre comment "par
sa puissance de diffusion, la télévision pose à
l’univers du journalisme écrit et à l’univers
culturel un problème absolument terrible. [...] Par son ampleur,
son poids tout à fait extraordinaire, la télévision
produit des effets qui, bien qu’ils ne soient pas sans précédent,
sont tout à fait inédits". Si nous prenons le
cas de la presse écrite, nous nous rendons compte de l’impact
de la télévision. La grande presse a abandonné
son rôle intellectuel pour se positionner sur le terrain de
la télévision. Elle privilégie le spectaculaire,
l’émotion, les faits divers et les questions relatives
aux problèmes quotidiens. Aucun thème ne deviendra
prioritaire si la télévision ne s’en empare
pas. Bourdieu s’en inquiète : "Mais le plus important,
c’est qu’à travers l’accroissement du poids
symbolique de la télévision et parmi les télévisions
concurrentes, de celles qui sacrifient avec le plus de cynisme et
de succès à la recherche du sensationnalisme, du spectaculaire,
de l’extraordinaire, c’est une vision de l’information,
jusque-là reléguée dans les journaux dits à
sensation, voués aux sports et aux faits divers, qui tend
à s’imposer à l’ensemble du champ journalistique".
La classe politique a rapidement compris l’intérêt
qu’elle pourrait retirer d’une bonne exploitation de
la télévision. Le petit écran est devenu l’élément
central de la vie politique. Il lui a dicté ses règles.
Le débat politique, qu’une minorité s’était
déjà accaparée, est désormais proche
de zéro, fait de petites phrases, de déclarations
tonitruantes, de comportements mis en scène pour séduire.
Il faut persuader devant la caméra, avoir des idées
simples, faciles à expliquer... Les stratégies politiciennes
s’élaborent avant tout en fonction des impératifs
télévisuels. Pire encore, la télévision
a la prétention d’occuper tout l’espace des débats.
Elle traite de tous les sujets avec solennité. Elle voudrait
investir tous les domaines de la société. Bourdieu
le souligne : "Le phénomène le plus important,
et qui était assez difficile à prévoir, c’est
l’extension extraordinaire de l’emprise de la télévision
sur l’ensemble des activités de production scientifique
ou artistique.’
On retrouve son hégémonie dans la production cinématographique.
Désormais chaque réalisateur ou réalisatrice
de films de fiction, et encore plus de documentaires, doit tenir
compte du passage à la télévision de son oeuvre.
Il en va, la plupart du temps, de la survie d’un projet. Cette
mainmise entraîne une normalisation effrayante de la production
audiovisuelle et assoit encore un peu plus les pouvoirs de la télévision
et de ses règles sur l’ensemble de la société.
Tout instrument d’enregistrement agit sur ce qu’il enregistre.
Seulement la télévision en devenant la référence
est désormais "l’arbitre de l’accès
à l’existence sociale et politique." Ce qui la
rend extrêmement dangereuse.
Cdric et Jean-Claude
(1) Télérama, 15 octobre 1997. / (2) Sciences et
Avenir, février 1998. / (3) Le Monde, 8 septembre 1998.
François Brune http://larbremigrateur-fb.blogspot.com
TELEVISION ET ENFANCE
Actuellement beaucoup d’enfants grandissent devant un écran.
Avant même de savoir lire, ils/elles ont passé des
milliers d’heures devant la télévision. Ce qui
a bien évidemment des répercussions importantes sur
la vie de l’enfant, sur son développement personnel
et sur sa socialisation.
Une place que personne ne conteste
La télévision est devenue le média principal
des enfants : "30% d’entre elles/eux restent collés
jusqu’à 3h28 par jour devant le petit écran
! A deux ans, la plupart des bambin-e-s savent allumer le poste
et à trois ans ils/elles regardent la télévision
tous les jours, selon une étude réalisée par
le centre international de l’enfant" (1). La luminosité
de l’écran attire le bébé dès
les premiers mois, il/elle s’approprie donc très tôt
l’appareil télé qui devient souvent sa distraction
préférée.
Trop souvent, allumer le poste devient un réflexe, une habitude
dont il sera difficile de se défaire à l’avenir.
L’écran retient l’enfant et l’accapare.
Ce n’est donc pas tant la qualité des émissions
qui sont en cause mais la place occupée par la télévision.
D’ailleurs, nous rejoignons Bruno Bettelheim lorsqu’il
écrit : "La télévision est un média
fait surtout pour distraire ; elle ne se prête pas facilement
à l’exercice d’un jugement équilibré,
à l’examen de tous les "pour" et "contre"
relatifs à une question. On ne saurait attendre d’un
média ce qui est contraire à sa nature. Les informations
provenant des émissions de télévision tendront
toujours à être unilatérales, biaisées
et simplifiées. C’est pourquoi un-e jeune enfant ne
peut pas apprendre grand chose en regardant même les meilleures
émissions, même celles faites pour son âge. Son
expérience de la vie est trop limitée."
Par son hégémonie dans les loisirs de l’enfant,
le tube cathodique l’empêche de se consacrer à
d’autres activités plus enrichissantes et indispensables
à sa formation et à son développement personnel.
Les adultes qui forment l’entourage de l’enfant sont
souvent responsables - consciemment ou pas - de cette situation.
Aujourd’hui posséder un téléviseur et
le regarder est devenue la norme. Liliane Lurçat, chercheuse
au CNRS, explique que changer ces comportements risque d’être
difficile car "la génération des parents actuels
a été élevée avec la télévision.
Ils n’ont rien connu d’autre, contrairement à
d’autres parents qui pouvaient imaginer une vie sans la télé"
(2). Et pourtant...
Quelques conséquences
Comment peut-on prétendre que rester si longtemps devant
un écran n’a aucun effet ? L’attirance que ressent
le téléspectateur ou la téléspectatrice
s’explique par son effet hypnotique. "Enfants et adultes
subissent une véritable fascination par l’image et
par la parole. Lorsque le téléspectateur est devant
le poste, il ne peut plus s’en détacher. Ce comportement
est particulièrement impressionnant chez l’enfant,
puisque la télévision est la seule chose qui immobilise
le/la petit-e enfant, personne très active dans d’autres
circonstances" a constaté Liliane Lurçat (3).
Son abus n’est pas sans conséquences et peut entraîner
maux de tête, troubles du sommeil, crises d’angoisse,
influencer le comportement alimentaire, augmenter le stress, l’anxiété,
diminuer la concentration... Face à ce flux incessant d’images,
l’enfant n’a pas le temps d’assimiler ou de contrôler
ce qu’il/elle reçoit. Ce véritable bombardement
qui agit sur sa sensibilité et ses émotions peut modifier
son équilibre psychologique.
La télévision propage une sous-culture qui imprègne
les jeux et les comportements des enfants. L’imaginaire enfantin
se trouve envahi de références télévisuelles
: publicités, dessins animés, séries... Elles
le/la détachent de la réalité à un âge
où l’expérimentation et la découverte
par soi-même sont essentiels. D’après Bruno Bettelheim,
ils/elles "deviennent incapables de s’adapter à
la réalité par apprentissage parce que les situations
réelles sont plus compliquées que celles que leur
présente la télévision [...] L’enfant
conditionné-e par la télévision est habitué-e
à recevoir des explications, il/elle n’a pas appris
à les chercher lui ou elle-même. Le danger de la télévision
réside dans cette incitation à la passivité,
cette fuite devant l’initiative personnelle qu’exige
la réalIté, beaucoup plus que dans le contenu inepte
ou macabre des programmes." (4) Elle suscite un comportement
passif quel que soit le programme, et comme le soulignent R. Blind
et M.Pool, "nous sommes alors beaucoup plus perméables
à la suggestion et devenons incapables de certaines formes
d’activités comme la critique ou tout simplement éteindre
le poste. Ce phénomène atteint particulièrement
les jeunes enfants que l’immaturité intellectuelle
et affective rend d’autant plus vulnérables."
(5)
La télévision diffuse des représentations
conformistes et uniformisées. Elle "cadre" l’imagination
et ne laisse aucun espace pour 1’originalité et la
personnalité des jeunes téléspectateurs et
téléspectatrices. En investissant littéralement
tous ces espaces de solitude et d’ennui, elle ne le laisse
pas aller à la rêverie et empêche son imaginaire
de se développer. "L’imaginaire enfantin subit
une incursion de sons et d’images, il y a comme un effet de
suralimentation de l’imaginaire [...] Transformé-e
en spectateur ou spectatrice, le rêveur ou la rêveuse
ne crée pas ses images, il ou elle se laisse envahir par
celles qu’on lui impose" peut-on lire dans les Actes
du séminaire Enfants et télévision (6). Alors
qu’il est évident que le développement de son
imaginaire est nécessaire à son épanouissement,
et comme le note très justement Bettelheim "la télévision
saisit l’imagination mais ne la libère pas".
Publicité et conditionnement
La télévision est devenue un agent d’intégration
efficace à la société de consommation dans
laquelle la publicité a une place centrale. Elle influence
les choix de l’enfant, ses préférences, mais
aussi et surtout elle lui fait intégrer ses valeurs et influence
sa perception du monde. Non seulement elle lui fait chanter ses
slogans, réciter les dialogues des spots publicitaires, mais
surtout elle le/la fait rentrer dans la société de
consommation.
Avant l’âge de 12 ans, un-e enfant aura vu environ
100 000 publicités. Est-ce le quota nécessaire pour
le/la conditionner aux normes de la pensée dominante ? Liliane
Lurçat relève que "les publicitaires ont transformé
l’enfant en consommateur/rice en créant chez elle/lui
des désirs mimétiques"(7).
D’ailleurs, les publicitaires ont bien compris qui il fallait
cibler, non seulement pour conditionner les individu-e-s dès
le plus jeune âge mais aussi, comme l’écrit Dominique
Pasquier parce que "les jeunes représentent un énorme
marché sur lequel l’industrie pèse de tout son
poids [...] Partout, les jeunes exercent une très grande
pression sur leurs parents pour consommer, avoir "la même
chose que les autres." Les parents qui ne peuvent assurer se
sentent disqualifiés." (8). En somme, dès ses
premières années, le jeune téléspectateur
ou la jeune téléspectatrice est noyé-e dans
un monde d’objets et de tentations matérielles qui
lui feront d’autant mieux accepter la société
actuelle. Certes, la télévision est omniprésente
et certain-e-s se demandent si empêcher un-e enfant de la
regarder n’aura pas des effets perturbateurs voire néfastes.
En tout cas, il est des adultes qui entourent l’enfant d’éviter
qu’il/elle regarde quotidiennement le tube cathodique et de
progressivement développer chez lui/elle ses capacités
d’analyse et de compréhension des médias, de
le/la rendre critique - dans la mesure du possible - par rapport
à l’image télévisuelle. Pour notre part,
nous pensons que la télé n’est absolument pas
indispensable dans la vie. Nous laisserons la conclusion à
Liliane Lurçat : "La télévision façonne
des êtres coulés dans le même moule : mêmes
désirs, mêmes souvenirs... C’est une forme moderne
de totalitarisme. Bien sûr, les enfants à qui on refuse
la télévision seront frustré-e-s par rapport
à leurs ami-e-s. Et alors ? Un-e enfant se construit dans
le conflit et la frustration. C’est le seul moyen pour elle/lui
de se forger une personnalité. Et la télévision
n’offre pas cette possibilité, elle l’enferme
dans un monde fictif." (9)
Cdric et Jean-Claude
(1) Sciences et Avenir, Février 1998. /
(2) "L’Univers de la télé", les Collections
du Nouvel Observateur /
(3) Vie et Santé, Juin 1992. /
(4) Bruno Bettelheim, "C’est un jardin extraordinaire"
/
(5) R. Blind et M. Pool, "La télévision buissonnière".
Ed. Jouvence. /
(6) Actes du séminaire Enfants et télévision,
Ardèche, 1990. /
(7) Vie et Santé, Juin 1992. /
(8) Enquête sur "Les jeunes et l’écran",
Télérama, 24 lévrier 1999. /
(9) Marie-Claire, Novembre 1997. /
UN BONHEUR SI CONFORME
François Brune, enseignant et auteur de plusieurs livres
dont Les médias pensent comme moi (Ed. l’Harmattan)
et Le bonheur conforme (Ed. Gallimard) nous livre dans cet entretien
ses réflexions sur ce qu’il nomme "le discours
anonyme". Il nous explique comment l’événement
empêche de comprendre la réalité du monde et
comment l’idéologie publicitaire agit sur les consciences.
Vous avez publié un livre Les médias pensent comme
moi, fragments du discours anonyme. Qu’entendez-vous par discours
anonyme et par fragment ?
François Brune : J’ai écrit cet ouvrage dans
le sillage du précédent, Le Bonheur conforme, dans
lequel j’avais analysé l’idéologie publicitaire.
Je m’étais aperçu que durant les années
1980, l’idéologie publicitaire avait complètement
gangrené l’idéologie médiatique dans
son ensemble. Mais à la différence des idéologies
de droite ou de gauche, qui s’annonçaient comme telles,
il y avait désormais un discours médiatique qui ne
s’avouait pas. Je l’ai appelé "discours
anonyme". Pourquoi "anonyme" ? Tout simplement parce
qu’il est difficile d’en connaître l’origine.
Imprégnant les journalistes plus ou moins à leur insu,
il invite les gens à se fondre dans des modèles publicitaires
ou médiatiques dépersonnalisants. Et pourquoi "fragment"
? Parce que nous faisons face à un tel problème qu’on
ne peut le saisir que partiellement. Ma méthode de travail
a consisté à prélever des phrases, des extraits
d’émission, des logiques événementielles,
et à les disséquer...
Aujourd’hui nous sommes assailli-e-s par l’actualité,
par une succession d’événements. Qu’est-ce
qu’un événement ?
FB : Tout semble se passer comme si on voulait maintenir les gens
dans un état de suivisme permanent, comme si l’actualité
était produite pour les empêcher d’entamer une
réflexion sur eux-mêmes et de prendre une certaine
distance par rapport à tout événement. Ce dernier,
tel qu’il apparaît dans les médias, est toujours
présenté comme un épiphénomène
décontexté, sans rapport avec ce qui se déroule
objectivement dans les faits. Sans analyse des causes et des effets,
l’événement est un produit que l’on consomme,
et qui doit susciter l’émotion immédiate chez
l’auditeur, l’auditrice, la téléspectatrice
ou le téléspectateur. La plupart du temps il ne me
concerne en rien, il me suffit d’observer la disproportion
évidente entre ce qui pourrait sembler être de vrais
événements, dont on a très peu d’informations,
et qui nous concernent directement, et à l’inverse,
des faits amplifiés jusqu’à la démesure,
et qui sont de pseudo-événements, totalement superficiels.
Et les exemples ne manquent pas : la venue du Pape en août
1997, la mort de la princesse Diana, le Mondial de football, les
aventures de Mlle Lewinsky, etc.
C’est ce que vous appelez la"ritualitédel’événement"
?
FB. : En effet, cette ritualité est créée
pourépicernotrevie, rythmée par notre travail, pour
nous masquer plus ou moins nos problèmes quotidiens, etc.
Tout est fait pour que nous ne prenions pas conscience de l’absurdité
du système dans lequel nous vivons. Et pour cela, il y a
les "événements" successifs qui doivent
susciter notre compassion, notre intérêt. L’horreur
pour le ou la journaliste, c’est quand il ne se passe rien...
de médiatique. Alors on nous parle d’un sondage quelconque,
de l’anniversaire d’une personnalité, d’une
commémoration, etc. Et bien sûr, de l’aube du
111ème millénaire L’angoisse du monde contemporain,
c’est le silence médiatique.
Cette "réalité" construite de toutes pièces
ne permet nullement de comprendre les choses qui nous entourent...
FB : Il s’agit de dévorer et non pas de comprendre.
L’événement est un produit qui se consomme,
affectivement ou émotionnellement. Plus on est dans un état
d’absorption affectif, moins on est capable de réflexion
analytique. On ne peut prendre du recul par rapport à un
événement qu’à la condition d’avoir
une certaine conscience critique. L’événement
est quelque chose qui occupe littéralement tout le présent,
pour mieux effacer la réflexion sur le passé ou l’interrogation
sur le futur.
Dans votre livre, vous écrivez : "Dans le public, quand
monte le taux d’écoute, on peut être sûr-e
que baisse le taux de parole"...
FB : Tout-à-fait ! Dans la mesure où il se produit
une sorte de fascination qui provoque un silence atterré,
ou alors des phrases rituelles du genre : "Vous avez vu ce
qui se passe...". On demeure spectateur ou spectatrice sans
avoir les moyens de comprendre pourquoi ni comment on en est arrivé-e
là. Le discours anonyme est une forme d’attitude uniforme
et coupe court à toute réflexion, tout propos personnel.
Comment parlerait-on entre nous, puisqu’on est tou-te-s individuellement
focalisé-e-s sur l’événement qui occupe
tout le champ de notre conscience ?
Vous dites encore : " Je ne vis pas ma vie, je la consomme
à travers le champ dramatisé de mon temps"...
FB. : Oui, parce que je ne suis pas le seul à assister à
l’événement. Tou-te-s les autres individu-e-s
y assistent également. Il y a ainsi une sorte de grande intimidation,
de grand chantage qui s’opère sur nous tou-te-s. Il
faut être au courant de ce qui se passe, de ce que l’on
nous montre. Si on est déconnecté-e, comment entrer
en contact avec les autres ? En somme, l’événement
sert de faux moyen de socialisation. C’est grâce à
lui que l’on croit entrer en communication avec ses collègues,
ses voisin-e-s, ses ami-e-s, alors qu’on n’a fait qu’absorber
le même produit, la même drogue !
Cette "réalité" construite, jour après
jour, par les médias n’empêche-t-elle pas les
individu-e-s d’avoir envie d’agir sur le monde ?
FB : C’est fait pour ! Il y a une telle disproportion entre
ma misérable petite vie quotidienne et l’ampleur des
problèmes mondiaux qu’on me présente comme essentiels
que je suis vite découragé. La surinformation empêche
non seulement la véritable information de percer mais surtout
toute réflexion concernant ce qui se passe autour de moi.
Si vous êtes paysan-ne, par exemple, les infos vous concernant
sont minoritaires par rapport au flot quotidien de nouvelles. Pour
avoir droit à la parole, il faut devenir à son tour,
l’événement médiatique. Une catégorie
de personnes peut souffrir d’un problème particulier
et ne jamais avoir droit au chapitre alors qu’au contraire,
on peut être seul-e, traverser l’Atlantique mais sponsorisé,
et là, des heures d’antenne vous sont consacrées...
La force des médias est également de donner aux gens
assistant à un spectacle, l’impression de vivre la
"réalité". On le voit très bien avec
le "Super Bowl" américain, la finale du championnat
de foot US. Que 70% des Américain-e-s regardent ce match
en fait un véritable événement national...
FB : Effectivement il y a cette idée importante que le fait
d’être spectatrice ou spectateur d’une prétendue
réalité l’a fait exister comme telle. SI vous
êtes des millions à regarder un pseudo-événement,
celui-ci prend une importance disproportionnée, et les journalistes
qui vous l’ont fait regarder, grâce à leur battage
publicitaire, concluront avec fierté : vous voyez, c’était
bien un événement !
Le "discours anonyme" à travers la télévision
et la publicité, fait l’apologie de la déraison,
du coup de coeur. Il se place au niveau du " j’aime,
j’aime pas"...
FB. : Dans les médias, tout semble exalter le sensoriel,
visuel ou musical pour empêcher, atténuer, ce que l’on
pourrait appeler l’ntelligence critique. Bien sûr, on
adhère au monde par nos sens, mais de là à
faire de la sensorialité l’absolu, d’oublier
que l’être humain est un animal pensant, ça pose
problème. Or, tout va dans ce sens. L’exemple des rires
pré-enregistrés est symptômatique. On dit aux
gens qu’il faut rire comme s’ils n’étaient
pas capables d’en faire l’opération intellectuelle.
Voyez aussi l’expression fréquente : "Eclatez-vous",
c’est-à-dire brisez les carcans de votre conscience,
lâchez les brides de votre inconscient. Or, si vous lâchez
les brides de votre inconscient dans le domaine du loisir, croyez-vous
les conserver dans le domaine du respect d’autrui et de l’action
politique ? C’est la même "inconscience",
au sens profond du terme, qui va vous faire considérer les
autres comme de simples instruments de votre plaisir, ou bien les
haïr : hédonisme et racisme ont la même source
pulsionnelle. Il n’y a de respect d’autrui, d’insoumission
aux autorités ou de refus des pulsions de pouvoir (en soi)
que dans la volonté de conscience. Dans le cas contraire,
on n’est qu’une force brute qui à son tour pourra
aliéner les autres.
Dans Le bonheur conforme, vous insistez sur la publicité
comme ne s’adressant au/à la citoyen-ne que pour en
faire un consommateur ou une consommatrice. Mais au bout du compte,
dites-vous, "Le phénomène publicitaire sert moins
de moteur d’achat que de grand justificateur fort nécessaire
des euphories de consommation. Il est la matrice de ce prêt-à-penser
dans les futures générations devenues "opinion
publique", qui en auront grand besoin pour se sentir heureuses
dans leur mode de vie à la fois essoufflé et protégé.
FB : Il y a 40 ou 50 ans, le conditionnement publicitaire se réduisait
à la propagande pour tel ou tel produit. Or, aujourd’hui
l’enfant naît dans "un bain de consommation".
Ce n’est plus tel ou tel produit qui est en question mais
l’acte d’achat dans sa globalité, quelle que
soit la marque. Aujourd’hui pour vivre, il fait acheter et
consommer. Il suffit de remarquer la musique d’ambiance qui
est diffusée dans certains magasins pour imaginer que nous
vivons dans une sorte d’apesanteur où la marchandise
vous est pratiquement offerte. D’ailleurs, tout est fait pour
oublier que l’on dépense, depuis l’utilisation
généralisée de la carte bancaire... Nous sommes
censés-e-s vivre dans une espèce de meilleur des mondes
où l’on ne peut rien contre les grands drames qui nous
entourent et où la meilleure manière de les nier dans
leurs causes est encore d’en consommer le spectacle à
la télévision.
Selon la logique du système, la société tend
à s’atomiser. Si bien que chacun-e se retrouve chez
soi devant sa télévision, son ordinateur... Je crois
que le système a très bien compris que c’est
à travers la rencontre de l’autre, dans l’échange,
que la résistance naît.
FB : Oui certainement, sauf si l’échange est lui-même
piégé. Et c’est justement le rôle des
médias : faire croire à l’échange et
à l’interactivité là où il n’y
a que consommation passive, anonyme et unanime.
Continuons le décryptage du "discours anonyme".
Il réduit très souvent le qualitatif au quantitatif...
FB : C’est la négation des valeurs, c’est-à-dire
que la qualité n’a pas de sens en tant que telle. Cela
a déjà été dit par un penseur du XlXème
siècle, nommé Karl Marx. Il avait montré que
le fétichisme de la marchandise, la mercantilisation, réduisaient
tout produit artistique à sa valeur quantitative.
Aujourd’hui, on retrouve ce phénomène dans
le domaine du cinéma, qui est censé être un
art, tout se réduit au nombre d’entrées. Sur
la jaquette de la vidéo de Les visiteurs, l’argument
publicitaire est le nombre de spectateurs/ices. Comme si le fait
que des milliers de gens aient vu ce film était un gage de
qualité.
FB : On retrouve là le phénomène dit de la
"majorité", de "l’intimidation majoritaire".
Concernant les pratiques frauduleuses des chasseurs et chasseuses
de scoop, l’un des responsables du magazine Voici s’est
justifié par cette simple phrase : "On fait 800 000
exemplaires chaque semaine". Autrement dit, la réussite
quantitative, c’est-à-dIre commerciale, était
son seul et unique argument. Il y a aussi le cas du film Titanic.
Le coût de production exorbitant de ce long métrage
fut un des principaux arguments pour attirer les foules.
A la fin de votre livre Les médias pensent comme moi, vous
notez l’exemple du candidat au baccalauréat qui énonce
cette phrase : "Il faut se cultiver l’esprit pour pouvoir
se sentir bien dans sa peau". Que sous-entend cette phrase
?
FB : C’est l’inversion même de ce qu’il
faudrait faire. L’esprit est réduit à une sorte
d’activité mentale périphérique qui n’a
pour fonction finalement que de réguler la santé dans
tout ce qu’elle peut avoir uniquement de sensoriel. Un hebdomadaire
déclare, dans le même sens : " La vérité,
c’est bon pour la santé ". Etre bien dans sa peau
est une expression, si on la prend au sens général,
qui signifie être équilibré-e. Mais si on la
prend à la lettre, être bien dans sa peau, c’est
n’exister qu’à la surface de son épiderme.
Ce qui est tout à fait dans la logique publicitaire. L’un
des traits de l’idéologie dominante, c’est d’enfermer
chacun-e dans la logique du fonctionnel. On travaille le comment
sans jamais interroger le pourquoi. Cette idéologie fonctionnelle
va de pair avec une idéologie d’euphémisation
permanente, c’est-à-dire qu’au lieu de présenter
les choses dans leur réalité crue, humaine, on les
présente sous l’aspect strictement fonctionnel, un
langage bien précis est utilisé pour feutrer la réalité
du monde et pour empêcher que l’on se pose de vraies
questions : il suffit que ça "fonctionne".
Le discours "anonyme" utilise aussi des mots clefs pour
couvrir les problèmes sociaux, des mots comme "dialogue",
"consensus", "dysfonctionnement".
FB : A propos du chômage, on a assisté à une
floraison de mots. Quand une entreprise parle de "restructuration",
elle présente la chose sous un angle positif, alors que cela
se traduira par des démantèlements et des licenciements.
Tout langage "fonctionnel" cherche à présenter,
de façon positive, ce qui est le plus souvent dramatique
pour les humain-e-s. Dès qu’il y a quelque chose de
douloureux, qui pourrait porter à réfléchir,
on l’appelle "dysfonctionnement". Ce mot sert à
camoufler ce qui ne va pas et présuppose que l’on va
trouver un remède qui sera lui-même technique. Alors
que si on utilisait les termes "drame" "problème"
ou "question fondamentale", cela supposerait qu’on
passe à un autre échelon, autrement dit humain, métaphysique.
A propos de la télévision, par exemple, on a trouvé
la solution d’une puce électronique que l’on
met dans le téléviseur pour avertir qu’il va
être diffusé un passage violent. Que faire face aux
violences dont raffolent les productions médiatiques ? On
pourrait réfléchir sur les raisons de la violence
sociale, sur les raisons pour lesquelles les gens l’apprécient
dans les spectacles et sur les façons dont on pourrait éviter
qu’elle soit mise à l’affiche. Et bien non, on
trouve une puce qui permet de se cacher à soi-même
ou aux enfants l’image trop violente qui va faire irruption
dans le film. On trouve ainsi un remède fonctionnel, au lieu
de résoudre un problème de fond.
Collectif
P.S.
BIBLIOGRAPHIE
La revue Casseurs de Pub développe une critique claire et
imagée de la société de consommation et de
ses outils, comme la télévision. Le premier texte
de cette brochure est paru dans leur dossier annuel n°2 (nov.
2000) et aussi dans leur lettre d’information n°3 (avr.2000),
parue à l’occasion d’une semaine sans télé.
Casseurs de pub //www.antipub.net/ 11 place Croix-Paquet, 69001
Lyon
La revue No Pasaran propose divers articles d’inspiration
" solidaire, égalitaire, libertaire ". Début
2000 paraît un dossier " télévision, le
contrôle social chez soi ", dont sont tirés les
trois autres textes de cette brochure. L’introduction du dossier
est la suivante : " Une critique radicale du capitalisme et
de la société qu’il engendre ne peut pas faire
l’économie d’une analyse des armes du contrôle
social. Nous nous référons à la définition
du contrôle social de l’Encyclopaedia Universalis :
"Ensemble des ressources matérielles et symboliques
dont dispose une société pour s’assurer de la
conformité du comportement de ses membres à un ensemble
de règles et de principes prescrits et sanctionnés."
Et comme l’écrivait Jean Baudrillard (Pour une critique
de l’économie du signe, Ed. Gallimard) : "La télé,
c’est par sa présence même, le contrôle
social chez soi". Ce dossier, réalisé en étroite
collaboration avec le R.A.T. (Réseau pour l’Abolition
de la Télévision) montre le poids écrasant
de la télé, tant dans la vie de la plupart des individu-e-s
que dans la production des savoirs et dans la transmission des informations.
Ce conditionnement commence dès l’enfance. Les réflexions
sur le petit écran dépassent le cadre de la seule
critique des médias pour s’intéresser à
tous les moyens qu’utilise l’idéologie dominante
pour se développer. "
No Pasaran //nopasaran.samizdat.net/ 21ter rue Voltaire, 75011
Paris
Le fameux R.A.T., Réseau pour l’Abolition de la Télévision,
édite la revue trimestrielle Brisons nos chaînes !
Il a également fait publier, aux éditions Reflex,
un recueil de nouvelles et de dessins, Contre la Télé.
R.A.T. c/o Publico, 145 rue Amelot, 75011 Paris
On trouve facilement les ouvrages de François Brune, Les
médias pensent comme moi (éd. L’Harmattan, 1993)
et Le bonheur conforme (éd. Gallimard,1998).
Les écrits des situationnistes (comme la revue de l’Internationale
Situationniste, éd. Fayard) donnent une importante analyse
des logiques spectaculaires-marchandes en général.
*Pour qui, comme nous, n’est pas persuadé-e qu’un-e
enfant " se construit dans le conflit et la frustration ",
lire L’abolition de l’enfance de Shulamith Firestone
(1970, éd. Tahin party), ou encore Libres enfants de Summerhill
d’A.S. Neill (Folio 1985)...
et pour plein d’autres brochures :
http://www.infokiosques.net
François Brune http://larbremigrateur-fb.blogspot.com
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