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http://www.monde-diplomatique.fr/2002/04/BRUNE/16385
avril 2002 -
L’oxymore est cette figure de style qui allie deux mots de
sens contraire pour frapper le lecteur d’une sorte de dissonance
expressive, tantôt poétique (« le soleil noir
de la mélancolie »), tantôt ironique («
une sublime horreur »).
Mais l’emploi du procédé n’obéit
pas toujours à des intentions littéraires. Dans les
discours de propagande, l’objectif est trop souvent de tromper
les bonnes âmes en affectant de concilier l’inconciliable
: il suffit en effet, pour absoudre un substantif suspect, de lui
accoler un adjectif à vocation prophylactique. Ainsi sont
nées la « guerre propre » et ses « frappes
chirurgicales ». Les sordides réalités de la
domination ou de l’exploitation se trouvent alors «
blanchies » par l’artifice de mots qui ne changent rien
aux choses...
La règle, chaque fois qu’on trouve alliés deux
termes antinomiques, est donc d’observer lequel récupère
l’autre. Dans le cadre de la mondialisation actuelle, par
exemple, la vogue du « commerce équitable » apparaît
comme une astucieuse chimère destinée à abuser
ceux qui veulent ignorer la férocité de la compétition
économique. Car à l’ère du néolibéralisme
et de la marchandisation du monde, le commerce est précisément
d’autant plus florissant qu’il est inéquitable.
Même chose avec l’idéal d’une «
consommation solidaire ». Cette formule, séduisante
pour l’homme de bonne foi, fait croire qu’on va corriger
les inégalités économiques par la vertu d’un
adjectif réhabilitant. Or la logique de la « société
de consommation » est de cultiver un hédonisme individualiste
qui identifie la supériorité sociale à la surconsommation.
L’égoïsme, la « hiérarchite »
en sont le moteur essentiel. En appeler dès lors à
une consommation « solidaire » ou « citoyenne
», c’est conforter l’illusion selon laquelle on
peut supprimer l’injustice inhérente au système
sans changer le système.
Quant aux « investissements éthiques », à
la mode (1) eux aussi, ils tentent, par la grâce d’un
qualificatif vertueux, de purifier la substantielle matérialité
des profits récoltés. La palme doit revenir ici à
l’expression « placements humanitaires », lesquels
proposent à l’investisseur de partager avec l’ONG
qui gère ses actions une partie du rendement obtenu. Notre
généreux cumulard satisfait alors ses pulsions charitables
en même temps que les exigences de son portefeuille... Et
voilà la pratique du placement justifiée par l’éthique
du don. Du grand art.
Mais c’est avec le « capitalisme syndical » de
Mme Nicole Notat, dernier avatar du « capitalisme à
visage humain », que nous atteignons le sommet, l’oxymore
des oxymores. Il fallait associer des termes aussi historiquement
conflictuels ! Le Capital apparaît enfin revêtu de ce
fameux bleu de Travail qu’il méprisait jusqu’à
présent. Le prolétaire rejoint idéalement le
possédant dans un monde cousu d’or où toutes
les classes sont abolies. Et le syndicalisme postmoderne trouve
enfin son salut dans le ventre fécond de l’ogre capitaliste...
(1) Voir ce que dit Serge Latouche de l’expression «
développement durable », dans Le Monde diplomatique
de mai 2001 (« En finir, une fois pour toutes, avec le développement
»).
http://www.monde-diplomatique.fr/2002/04/BRUNE/16385
- avril 2002
François Brune http://larbremigrateur-fb.blogspot.com
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