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Origine : http://www.lexpansion.com/EMR/2142.31.70048.html
L'expansion N°110 septembre 2003
Extension du domaine de la psy
Par Dominique-Anne Michel
Dirigeants « coachés » ou expédiés en stage de « développement personnel
» ; salariés de base stressés, déprimés ou « harcelés » écoutés
par des cellules de soutien ; cadres évalués sur leur « savoir-être
», leur aptitude à communiquer ou leur capacité à « gérer leurs
émotions » autant que sur leurs compétences professionnelles…
La psychologisation des rapports de travail prend les allures d’un
vrai raz de marée. Même les revendications des salariés se teintent
de psychologie. On se met en grève pour « harcèlement moral », on
dénonce les « pervers » ou les difficultés relationnelles de son
chef. Quant aux concepts psychologiques, ils sont récupérés à toute
allure par le management. Le beau terme de résilience, popularisé
par Boris Cyrulnick, a déjà été transposé à l’entreprise sous
le vocable « résilience économique ».
Les professionnels de tout poil – thérapeutes, médiateurs,
coachs, formateurs – ont vite flairé le créneau porteur. Quand
la demande sociale est là, l’offre suit. On recenserait ainsi
pas moins de 2 000 coachs dans l’Hexagone, qui n’ont
pas tous été formés à la psychologie ni à la psychanalyse. On trouve
parmi eux d’anciens journalistes, enseignants, formateurs
ou DRH en rupture de ban.
La déferlante « psy » touche l’ensemble des pays occidentaux.
Le succès du concept américain d’« intelligence émotionnelle
», véritable fromage éditorial pour fabricants de best-sellers,
en est une des plus spectaculaires manifestations outre-Atlantique.
Que signifie cette extension du domaine de la psy à l’univers
de l’entreprise ? Faut-il la déplorer ou au contraire s’en
réjouir ? Est-elle la conséquence du repli syndical, d’une
négation du collectif, d’une individualisation des relations
? S’agit-il d’une vraie prise en compte du facteur humain
? Ou bien d’une mode éphémère, les concepts « psy » ayant
pris la place de l’Excellence ou de la Qualité dans la panoplie
du parfait motivateur ?
Ces questions, qui sont d’ailleurs loin d’épuiser le
sujet, se dessinent en filigrane de notre dossier. Dans un tour
d’horizon synthétique, Patrick Gilbert (page 32) commence
par retracer l’histoire du management au travers de ce que
lui ont apporté les sciences humaines et sociales. « Tout se passe
comme si une appropriation trop empressée d’une discipline
par le management conduisait à dévoyer celle-ci et organisait, au
bout d’un certain temps, son retrait de la scène de l’entreprise
», souligne-t-il. On ne saurait mieux mettre en garde les managers
contre la tentation de se considérer comme des « praticiens » des
sciences humaines et sociales. Car le manager n’est pas un
psy, affirment Thérèse Sepulchre et Rémi Jardat (page 40), en réponse
au titre d’un livre bien connu. Il ne saurait se satisfaire
d’outils comme le coaching, qui visent à obtenir un changement
de comportement de l’individu profitant à l’organisation,
sans se poser de questions sur l’organisation elle-même. Or,
à en croire Gérard Huber, Madeleine Karli et Christian Lujan, l’organisation
rend fou (page 62). Un détour par l’œuvre de Kafka fournit
d’ailleurs aux auteurs une explication lumineuse des mécanismes
en jeu…
Alors, quelle est la place de la « culture psy » ? Pour Claude Rochet
(page 48), elle est « sans doute utile pour empêcher des managers
de se tirer une balle dans le pied et par là dans celui de leur
entreprise. Mais ce seul bagage culturel ne leur permettra pas d’aller
plus loin qu’un cyclotouriste qui n’aurait qu’une
rustine pour seul outil alors qu’il s’agit de changer
de braquet pour grimper des montagnes. C’est d’un bagage
culturel riche que les managers ont besoin, qui les ramène aux sources
de la culture et de la philosophie pour remettre la pensée aux commandes
de l’action. Christine Cayol ne dit pas autre chose. Pour
elle, la philosophie est utile au décideur non en tant que savoir
spécifique, mais en tant que posture. A quand le manager philosophe
?
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