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Origine : http://socio-logos.revues.org/document572.html
Résumé
Cet article porte sur l’évolution des pratiques déviantes
d’une population ouvrière dans la banlieue nord de
Paris. La déviance – terme générique
qui désigne un ensemble de pratiques sociales hétérogènes
- semble caractériser une partie de la population (en particulier
sa jeunesse) qui habite ce quartier ouvrier depuis l’arrivée
de l’industrie dans les années 1920. En nous appuyant
à la fois sur des sources écrites et des témoignages
d’habitants nous tenterons d’établir une histoire
sociale d’un quartier populaire en tenant compte des mutations
concernant les activités déviantes ou qualifiées
comme telles de la population ouvrière habitant les lieux,
de l’entre-deux-guerres au milieu des années 2000.
Cette étude se divise en trois parties. La première
relate les difficultés méthodologiques que pose la
socio-histoire et a pour objectif de définir une problématique
autour de la déviance et des classes populaires. La seconde
partie propose de faire un retour historique allant de la période
de l’entre-deux-guerres à celle dite des Trente Glorieuses
afin d’appréhender les évolutions locales. La
troisième et dernière partie se donne pour finalité
la présentation du cadre actuel en abordant la question du
délitement du monde ouvrier et de ses conséquences
sociales sur les dernières générations ouvrières
du quartier.
Table des matières
I L'étude socio-historique d’une cité ouvrière
Le problème de l’utilisation et de la disponibilité
des sources selon les périodes
La notion de déviance et la question des « écarts
» populaires
Des métallos aux jeunes des cités : épopée
et mort de la « classe ouvrière »
Hypothèses et problématique
II Des années 1930 aux années 1960 : émergence
et développement d’un quartier de « banlieue
rouge »
L’entre-deux-guerres : une chronique de faits divers
Plein emploi et bandes de jeunes : un quartier ouvrier dans les
Trente Glorieuse
Les années 1970 : l’arrivée des familles immigrées
et le début de la crise
III Désindustrialisation et désorganisation sociale
: la fin du monde ouvrier
Violence et délinquance dans les années 1980 : résistance
au délitement du monde ouvrier ?
Transition économique de la délinquance locale et
accalmie sociale dans les années 1990
Un espace social en voie de recomposition
Conclusion
Texte intégral
En étudiant les styles de vie des habitants de l’une
des premières cités HLM de la banlieue parisienne
nous avons noté, au cours du 20e, siècle que les pratiques
culturelles de la population ouvrière étaient stigmatisées
en fonction d’enjeux sociaux qui leur échappaient en
partie. Le lieu de l’enquête se situe dans un ancien
quartier de « banlieue rouge » né dans l’entre-deux-guerres.
Situé dans la proche banlieue à quelques kilomètres
de la porte de Clichy, ce quartier a connu cinq générations
de population ouvrière : celle de l’entre-deux-guerres
constituée des premiers ouvriers métallurgistes venant
des campagnes de province et peu adaptée à la vie
urbaine ; les ouvriers de l’après-guerre qui vont connaître
une amélioration sensible de leurs conditions de vie en accédant
après les « autres » à la société
de consommation ; puis, la population ouvrière originaire
du Maghreb qui s’installe, au milieu des années 1970,
dans des logements vétustes délaissés par leurs
occupants précédents avec les problèmes liés
à leur statut juridique et à l’occupation d’emplois
subalternes à l’usine ; la quatrième génération
d’enfants d’ouvriers et d’immigrés (pour
la plupart) qui dans les années 1980 et 1990 sont confrontés
à la désindustrialisation locale, au racisme, au chômage
et à la délinquance. Enfin, nous pouvons désormais
parler d’une cinquième génération d’enfants
d’ouvriers et d’immigrés qui symbolisent en quelque
sorte les violences et les émeutes urbaines (Beaud, Masclet,
2006). En quoi une recherche socio-historique sur une période
longue peut-elle nous apporter un regard nouveau sur les «
déviances » des habitants des quartiers populaires
ou « sensibles » ? Et surtout, pourquoi les dits phénomènes
de déviance connaissent des évolutions ou des variations
cycliques – avec des pics et des creux – en l’espace
de quatre vingt ans ? Les habitants de ce quartier ouvrier, par
delà les questions de violence, de délinquance et
de comportements qualifiés de «déviants»,
reste dépendant des conjonctures économiques et des
dispositions des élites et gouvernants à réhabiliter
ou stigmatiser leurs modes de vie et conditions d’existence.
I L'étude socio-historique d’une cité
ouvrière
Le problème de l’utilisation et de la disponibilité
des sources selon les périodes
Cet article est le fruit d’une recherche qui procède
à la fois d’une connaissance intime du lieu étudié
et d’une double distanciation : par l’histoire longue
de la cité – facilitée en raison d’une
formation d’historien – et par l’optique même
de l’analyse sociologique attachée à suivre
sur le terrain les quatrièmes et cinquièmes générations
à savoir les enfants d’ouvriers et d’immigrés
(dans la majorité des cas). Ce travail résulte d’une
analyse documentaire (archives nationales de Paris et municipales
de Gennevilliers, fichiers de police, journaux locaux des années
1930), de témoignages de personnes âgées, d’adultes
mais également de jeunes. Pour les périodes de l’entre-deux-guerres
et des Trente Glorieuses, nous utilisons essentiellement des documents
administratifs (plus la presse locale pour l’entre-deux-guerres)
contrairement aux années 1990. En revanche, pour les années
récentes, nous avons utilisé davantage les méthodes
qualitatives (entretiens, observation participante) pour pallier
l’inaccessibilité des sources administratives imposées
par les contraintes de la C.N.I.L. Nous nous sommes penchés
sur les souvenirs d’enfance des jeunes mais aussi sur le témoignage
des anciens locataires afin de compléter nos sources pour
les périodes précédentes.
Cette situation soulève le danger qui consiste à
comparer des sources qui ne sont pas toujours produites de la même
manière, qui n’ont pas véritablement les mêmes
objectifs et qui ne sont pas en fin de compte toujours équivalentes.
Pour les périodes antérieures nous sommes conduits
à travailler essentiellement sur des documents et des témoignages
écrits ce qui altère la compréhension sociologique
de la « qualité du vécu » comme le souligne
Michel Verret dans ces travaux sur la « classe ouvrière
». En revanche, pour la période actuelle, nous sommes
plutôt enclins à observer et à interpréter
des usages et des pratiques sociales pour compenser le tarissement
des sources administratives. Le seul moyen de résoudre cette
difficulté, majeure pour la socio-histoire, consiste à
recourir systématiquement à l’utilisation de
documents d’origine variée mais aussi à additionner
plusieurs méthodes de travail afin d’obtenir une sorte
« d’alchimie singulière » (Guibert, Jumel,
2002, p. l07). La socio-histoire est une rencontre entre l’histoire
et la sociologie mais à la différence de la sociologie
historique cette discipline très récente doit reposer
sur un matériau empirique solide entre recherches sur archives
et enquêtes de terrain (Noiriel, 2006, p. 8-35). Sans être
en mesure de prendre en compte la réalité sociale
dans sa globalité, nous devons construire le poids des faits
de manière scientifique et poser la question de la construction
de production des sources, la comparaison des données afin
de décrire, interpréter et ordonner (Lahire, 2005,
p. 39). D’une manière générale, l’abondance
des sources et l’utilisation de différentes méthodes
permet de croiser les éclairages (Combessie, 1996, p. 10)
Tout d’abord, les documents administratifs et les sources
répondent à des exigences politiques et administratives
et non au finalité de la recherche sociologique (Merllié,
1996, 102-163). De même au cœur de l’enquête
sociologique, les conditions de production des entretiens peuvent
changer les réponses et les idées des enquêtés
en fonction des interlocuteurs, des lieux et des manières
de poser les questions (Blanchet, 1997). Dans un contexte d’enquête
difficile, nous avons réalisé des entretiens de manières
informelles notamment auprès des jeunes dans leur espace
de sociabilité qu’est la cité ou les halls d’immeuble
; il a fallu adapter une méthode d’enquête adaptée
à cet effet (Kauffman, 1996). Ajoutons à cela, les
témoignages des locataires âgés (ayant connus
parfois la période de l’entre –deux –guerres)
pourtant précieux dans la mesure où ils donnent un
aperçu des situations antérieures peuvent introduire
des biais méthodologiques en raison du rôle prépondérant
du présent dans la reconstruction du passé (Halbwachs,
1994, p.114-145). Sans aller jusqu’à la recherche de
la « suprême théorie » ou de « l’empirisme
abstrait », pour paraphraser le sociologue américain
C.W. Mills, nous disposons des éléments indispensables
– biographie, histoire, société – pour
tenter de comprendre au sein de ce quartier la nature des enjeux
sociaux en raison de la connaissance de l’histoire locale,
des habitants du quartier et des interférences avec les structures
sociales (Mills, 1997). C’est pourquoi cet article se veut
une piste de réflexion sociologique et non un regard exhaustif
sur le réel entre passé et présent d’une
histoire sociale d’un quartier de « banlieue rouge »
ayant connut un grand nombre de mutation et d’événements
(Marlière, 2003a, p. 51-157) dont la substance, les enjeux
et les contours filent et n’en finiront pas de nous échapper.
La notion de déviance et la question des «
écarts » populaires
Le concept de déviance renvoie à un ensemble de pratiques
culturelles n’étant pas conformes aux valeurs d’un
groupe social ou plus généralement d’une société.
La déviance s’associe à l’illégalisme,
à la délinquance, à la violence mais aussi
à la marginalité ce qui en fait finalement un concept
vague et flottant. Nous pourrions affirmer qui plus est que la déviance
s’associe à des styles de vie intrinsèques à
des groupes marginalisés comme les jeunes de milieu populaire
ou les sous-prolétaires par exemple (Chevalier, 1978). Pour
autant, les sociologues qui se sont intéressés à
cette notion n’hésitent pas à la relativiser
car la déviance est utilisée souvent dans le sens
commun à des fins de jugements moraux. La déviance
ne peut faire l’objet d’un accord unanime en raison
de l’existence de plusieurs mondes sociaux qui cohabitent
au sein des sociétés industrielles. Certes, il existe
toujours des groupes sociaux plus ou moins influents dans les sociétés
industrielles à l’image des « entrepreneurs de
morale » décrit par H. Becker dans la société
américaine protestante (Becker, 1985). Le sociologue A. Ogien
note, pour sa part, que la notion de déviance interroge celle
de normalité ce qui revient alors à se référer
à des critères subjectifs dans l’appréhension
de contenus de pratiques de sociabilités (Ogien, 1995). Nous
pouvons alors sans difficulté associée la notion de
déviance aux pratiques culturelles des groupes stigmatisés,
marginalisés et surtout dominés : les ouvriers d’antan
à l’instar des « jeunes de cité »
aujourd’hui apparaissent comme des groupes étiquetés
en raison d’une dépossession de parole et de langage
(Bourdieu, 1977). Pour P. Bourdieu, en effet, les normes et les
valeurs dominantes véhiculées par les élites
s’imposent en quelque sorte aux dominés, aux marginaux,
aux classes populaires et à ceux qui subissent la conjoncture
et les effets des structures (Bourdieu, 1979). Mais les mondes populaires
subissent-il de manière implacable les normes imposées
par l’Etat, les élites et autres « entrepreneurs
de morale » ?
A la manière de P. Bourgois dans son histoire du quartier
du Barrios qui note la présence coutumière de la violence
et de la délinquance durant soixante-dix ans, nous pouvons
relativiser cette perception unilatérale de la domination
:
« Bien qu’elle ne fût plus aussi puissante localement,
la mafia ancienne manière avait laissé à East
Harlem un puissant héritage idéologique et institutionnel
qui démontre qu’en fin de compte que le crime et la
violence paient »
Il est intéressant de constater que selon les différentes
périodes, la présence de trafics, de bandes et de
mafias sont omniprésentes dans ce quartier populaire new-yorkais
(Bourgois, 2001, p.32). Pour P. Bourgois, l’économie
clandestine et la culture de rue sont des puissants éléments
de résistance des classes populaires marginalisés.
Le respect de la norme institutionnalisée par les classes
populaires n’est sans doute pas aussi important que nous voulions
bien nous le faire croire. Bien au contraire, si nous retraçons
l’histoire du développement urbain en France, nous
nous apercevons que la peur des dominants s’agissant des quartiers
populaires et des banlieues ouvrières n’est pas nouvelle
dans l’histoire contemporaine française ; la déviance
qui semble caractériser les « quartiers sensibles »
aujourd’hui n’est pas récente et constitue, d’une
certaine manière, l’historique des « classes
ouvrières » entre la période des faubourgs parisiens
du 19e siècle et les banlieues des grands ensembles du début
du 21e siècle (Rey, 1996).
Pour autant, les transformations sociétales auxquelles nous
assistons depuis quelques années nous interrogent sur la
domination sans partage des élites qui imposeraient une mise
aux normes des pratiques culturelles jugées convenables.
Pour le sociologue allemand U. Beck, par exemple, l’entrée
de notre société dans la deuxième modernité
ébranle les traditions et les certitudes normatives qui avaient
cours voici encore quelques décennies dans le monde industriel
(Beck, 2001). Dans le même registre, nous pouvons citer également
Z. Bauman qui n’hésite pas à aborder le thème
de le « modernité liquide » comme érosion
et désagrégation des institutions et normes sociales
établies les décennies précédentes :
« La ligne de démarcation entre le respect
de la norme et la déviance était clairement tracée
et bien gardée »
Pour cet auteur, le passage d’une « modernité
solide » à celle de « liquide » questionne
les jugements de valeurs mais aussi les normes qui régissaient
le comportement des individus dans la société industrielle
(Bauman, 2005, p.44). Pour mettre un terme à ces notions
de changements et de mutations nous pouvons dire avec Danilo Martuccelli
que la « modernité » est synonyme de changement
continu (Martucelli, 1999). Toutefois, cette perte de repère
fait pourtant problème dans la société. Le
tournant sécuritaire auquel nous assistons depuis quelques
années est révélateur de ces changements dont
l’incertitude est le moteur. C’est pourquoi la stigmatisation
d’une frange des classes populaires résonne comme l’ultime
tentative de normalisation et de moralisation d’individus
qui ne joueraient pas le jeu de la cohésion sociale. Les
discours officiels et les rappels à l’ordre de certains
experts auto-proclamés en sécurité sonnent
comme une injonction à l’intégration et au retour
à l’ordre des populations jugées déviantes
(Mucchielli, 2001). Et surtout, face à des mutations que
posent, disons-le aux gouvernants, la problématique de la
société multiculturelle supposée mettre en
péril la cohésion sociale de la nation, la question
d’un retour de l’autorité voire d’une certaine
répression est à l’ordre du jour (Marlière,
2006). La demande de sécurité est donc dans une certaine
mesure un ersatz aux transformations qui ébranlent les certitudes
et les évidences de notre époque (Lagrange, 2003).
En d’autres termes, les institutions rigidifient les comportements
des marginaux et des dominés en raison de mutations peu contrôlables
par les Etats. Dans ce contexte, la déviance populaire prend
à la fois une tournure de dangerosité - en ces moments
de tournants sécuritaires - en même temps qu’elle
se relativise avec les transformations rapides des valeurs et les
processus d’individuation qui l’accompagnent. Cette
situation quelque peu complexe provoque à la fois des ruptures
dans les représentations sociales ce qui fournit à
certaines « classes dirigeantes » l’occasion d’un
espoir de « retour à l’ordre » (Lindenberg,
2003) fustigeant au nom du progrès et de la cohésion
sociale les marginaux, les « classes populaires » en
difficultés et particulièrement les immigrés
et leurs enfants1.
Toutefois, il semblerait que la stigmatisation des pratiques déviantes
des jeunesses populaires ait pris une dimension politique nouvelle.
Les enfants d’ouvriers et d’immigrés sont appréhendés
à l’heure actuelle exclusivement sous l’angle
de la « jeunesse menace » (Vulbeau, 2001). Ces jeunes
ne peuvent plus devenir ouvriers et peinent à devenir salariés
et font alors office de spectre dans la société alors
que les déviances qui caractérisent les jeunes des
classes populaires ne sont pourtant pas nouvelles (Lascoumes, Robert,
1974) Néanmoins, ce qui change aujourd’hui c’est
que ces formes de déviances et autres illégalismes
populaires – vol, délinquance, trafic et consommation
de joints, bagarres – ne sont plus tolérées
par le corps social. La mise à l’index de cette jeunesse
se traduit au moindre « écart » par un passage
devant la justice et par des sanctions pénales (Coutant,
2005). Autrement dit, la notion de déviance est donc subjective
en raison de la position des acteurs et des observateurs qui l’emploient
mais aussi politique en fonction des enjeux électoraux et
des conjonctures économiques. Ainsi, nous nous bornerons
à traiter dans cet article la déviance comme l’une
des pratiques populaires locales où il est vrai le vol, la
violence, le trafic de drogue voire des pratiques religieuses et
politiques jugées subversives font ou ont fait problèmes
dans la société.
Des métallos aux jeunes des cités : épopée
et mort de la « classe ouvrière »
Le développement du hameau des Grésillons (futur
quartier de « banlieue rouge ») coïncide avec l’avènement
du monde industriel au début du 20e siècle. Les premiers
ouvriers du quartier (ceux de l’entre-deux-guerres) ont connu
de grandes difficultés quant à leurs conditions de
vie provoquant en partie la progression des phénomènes
de violence et de délinquance. Au début des années
1950, l’amélioration des conditions de vie, même
toute relative chez les ouvriers, ouvre des nouvelles perspectives
de pouvoir d’achat. Au début des années 1970,
nous constatons le départ des ouvriers (parfois établis
depuis deux générations) vers d’autres quartiers
plus récents ou certaines communes jugées plus accueillantes
(notamment des villes situées dans le Val d’Oise pour
les habitants du quartier) : le quartier étudié est
alors perçu comme vieillissant et repousse les ouvriers qualifiés
qui ont profité de la dynamique des Trente Glorieuse. Ce
quartier se voit alors progressivement occupé par une population
immigrée originaire d’Afrique du Nord. Mais les fermetures
d’usine vont provoquer la fin du monde ouvrier et la déstructuration
de la « banlieue rouge » née soixante plus tôt.
Cela se traduit par une insertion professionnelle de plus en plus
chaotique pour les enfants d’ouvriers mais aussi d’immigrés
encourageant les phénomènes de violence, de délinquance
et le développement de comportements anomiques. Au début
des années 1990, le quartier change d’aspect : l’activité
tertiaire (banque, bureaux, communication …) remplace les
vestiges du monde industriel ; la construction de logements ou de
petits pavillons accessibles à la propriété
succède aux anciennes cités ouvrières, foyer
de travailleurs migrants et autres taudis ; l’agrandissement
de Paris et sa banlieue désenclave le quartier avec l’arrivée
du RER et du métro à la fin des années 1980.
Mais si ce lieu n’est plus un quartier ouvrier il n’en
reste pas moins un quartier populaire : à l’entrée
du 21e siècle, la question de la destinée des jeunes
issus du monde ouvrier aujourd’hui disparu pose plus que jamais
questions.
Hypothèses et problématique
A travers une chronique de quelques milliers d’ouvriers venus
s’installer pour travailler dans les industries métallurgiques
de la région parisienne, nous observons que leur destinée
sociale ne peut être séparée du développement
économique local. L’activité industrielle constitue
la toile de fond historique de ces populations venues travailler
dans les usines situées à proximité ; la présence
industrielle locale tout au long du siècle précédent
a été le moteur de la vie de quartier. Des migrants
venus de toutes les provinces françaises puis des pays limitrophes
et des anciennes colonies sont devenus les salariés de ces
entreprises. L’idée que l’économie soit
à l’origine du bien-être ou de la dramaturgie
des peuples n’est pas une idée révolutionnaire
en soi (Castel, 1995).
C’est pourquoi une première hypothèse nous
oriente vers l’idée que les enjeux économiques
ont plus ou moins façonné les trajectoires sociales
et les modes de vie des ouvriers du quartier : ce qui veut dire
en somme que les pratiques déviantes caractérisant
la population ouvrière de ce quartier prennent de l’importance
ou, au contraire, connaissent une régression en fonction
de la dynamique industrielle locale. Dans ce quartier, on constate
deux grandes périodes de violence et de désordres
: la période de l’entre-deux-guerres qui marque l’arrivée
du monde ouvrier dans une ville sous bien des aspects rurale ; et,
le début des années 1980 qui voit, à l’inverse,
le délitement progressif des « banlieues rouges »
apparut paradoxalement avant-guerre. A côté des pratiques
ouvrières déviantes et quelque peu « coutumières
», les périodes de mutations rapides ont pour corollaire
la progression de faits de violence et de grande délinquance2.
Cependant, la tranquillité qui semble aujourd’hui caractériser
ce quartier (au début du 21e siècle) apparaît
comme paradoxale avec la montée significative des phénomènes
de violence qui semble dépeindre les quartiers dits sensibles3.
En retraçant le tableau de l'histoire sociale du quartier,
une seconde hypothèse nous est apparue progressivement. Il
existerait des phénomènes spécifiques locaux
qui atténueraient ou accentueraient la présence des
phénomènes de déviance caractérisant
les ouvriers du quartier. Ainsi, la présence d’une
politique associative ancienne mais également le rôle
de l’interconnaissance y est, semble t-il, pour beaucoup.
A cela s’ajoute pour expliquer la relative accalmie locale
– en comparaison avec d’autres quartiers -, la naissance
d’un trafic « rationalisé » de drogue mais
également l’émergence progressive d’un
islam local contribuerait, à côté des politiques
de la ville, à tempérer les attitudes déviantes
de la jeunesse populaire4. S’il est avéré qu’il
y ait des concomitances entre la conjoncture industrielle et la
nature des déviances, dans quelle mesure pouvons-nous y déceler
d’autres facteurs explicatifs locaux susceptibles d’influer
sur les comportements des jeunesses populaires au niveau d’un
territoire spécifique ? C’est ce que nous essaierons
d’analyser et de comprendre dans nos deux parties suivantes.
II Des années 1930 aux années 1960 : émergence
et développement d’un quartier de « banlieue
rouge »
L’entre-deux-guerres : une chronique de faits divers
Dans ce quartier encore maraîcher, la population ouvrière
arrive en masse au début des années 19205. L’expansion
démographique locale pose un certain nombre de problèmes
importants : inadaptation des infrastructures routières,
manque de logements (hormis la construction d’une cité
HBM au milieu des années 1920), migration « sauvage
» (liée à l’exode rural mais aussi à
l’arrivée des immigrés issus des pays voisins
et d’Afrique du Nord). Les métallurgistes s’installent
en ce lieu encore rural par bien des aspects mais où se posent
désormais tous les problèmes sociaux : exclusion politique
et sociale - notamment pour les immigrés Nord africains car
il est même question pour eux de construire un village algérien
en raison de leurs mœurs jugées différentes (Laffite,
1970, p.133) -, sur-représentation des célibataires
dans les foyers, importance grandissante des phénomènes
de délinquance et de violence.
À l’aide des archives de police - les mains courantes
portant sur les années 1938, 1939 et 1940 notamment - et
de la presse locale représentée ici par les journaux
concurrents, L’Aube Sociale et Banlieue Ouest, nous avons
pu reconstituer ce qui pouvait caractériser les déviances
populaires dans ce quartier à l’époque. Les
deux tiers des auteurs de délits enregistrés concernent
les mineurs ou les jeunes adultes âgés de moins de
35 ans. La grande majorité des personnes enregistrées
comme présumés coupables aux archives nationales de
police sont des ouvriers : les manœuvres arrivent en tête
suivis des magasiniers alors que les ouvriers qualifiés (tourneur,
fraiseur) sont nettement en retraits. Les situations familiales
nous apportent un éclairage supplémentaire : plus
de la moitié des actes délictuels recensés
dans les mains courantes sont commis par des célibataires
; leur grand nombre correspond, au regard des sources, à
la présence importante de migrants dans les hôtels
meublés et autres bidonvilles existants sur le quartier.
Sur les 578 faits enregistrés par les mains courantes, 302
le sont pour des faits de délits : ce qui représente
plus de la moitié des actes comptabilisés sur ce quartier
avec 52, 7 %. Les vols à l’arraché sont au nombre
de 17 % pour les années 1938 et 1939 ; les vols de bicyclette
représentent environ 15, 5% ; les faits considérés
comme du recel ou possession de biens volés constituent environ
13 % des délits recensés ; les délits qualifiés
de vols par effraction ou cambriolages s’élèvent
à 6, 5 % de l’ensemble. Les actes inscrits dans les
mains courantes sous forme de plaintes ou de procédures juridiques
sont de l'ordre de 19 % environ ; 156 sont des plaintes déposées
par des victimes de violence ou de vol et avoisinent à peu
près 27 %. Pour 63 éléments recensés
sur les mains courantes, il est impossible de donner des précisions
quant à leur nature puisqu’elles ne sont pas lisibles6.
L’idée d’une forte présence de faits
de déviance – qui englobe, rappelons-le, des actes
de violence, de délinquance et des délits pénaux
en tout genre – se voit confirmée par la presse locale.
Les journaux de l’époque cités précédemment
y note une sorte de « malaise social »7dans ce quartier.
Donnons quelques exemples : deux ans après la construction
du bureau des postes qui a déjà été
« visité » plusieurs fois, le journal Banlieue
Ouest – journal parisien situé à droite de l’échiquier
politique - nous informe que des cambrioleurs ont à nouveau
cherché à pénétrer dans un kiosque à
journaux :
« Les nocturnes spécialistes récidivent après
la tentative de cambriolage du bureau des postes des Grésillons,
c’est le kiosque de l’avenue des Grésillons qui
fait les frais ! Les malfaiteurs ont tenté de forcer la serrure
»8.
L’évocation de cambriolage dans des bâtiments
administratifs, de vol avec violence sur la voie publique ou même
de « braquage » des magasins du quartier semble quotidienne
ici. Le journal L’Aube Sociale (affiliés aux mouvements
sociaux de gauche) n’est pas non plus avare de ce type de
commentaire à la fin des années 1920. Un article relate
l’agression d’une femme par un ouvrier : celui-ci la
frappe violemment9. En raison des tendances progressistes qui animent
ce journal, ce dernier nous laisse mesurer l’atmosphère
de racisme qui existait à l’époque : dans la
rue après un vol à l’arraché au marché
des Grésillons, les soupçons des forces de l’ordre
se tournent vers des Maghrébins présents sur les lieux10.
L’année suivante le même journal nous signale
une altercation entre un automobiliste et un cycliste qui débouche
sur l’hospitalisation du premier11. Le journal Banlieue Ouest
commente, pour sa part, une rixe au couteau entre deux individus
d’origine marocaine12 et note la même année un
règlement de compte au pistolet entre un mari et un amant
dans un hôtel situé dans le secteur13. Des travaux
d’historiens témoignent ainsi que la violence et la
délinquance étaient fort présentes également
dans d’autres quartiers de la banlieue ouvrière ; présence
de « caïds », prostitution, vol avec violence,
règlements de compte, sont les faits quotidiens qui rythment
la vie sociale d’un quartier populaire de Levallois au début
du siècle :
« Les archives de police 1895-1914 nous montrent une jeunesse
turbulente, des récidivistes, et toutes sortes de délits.
On va de la contravention à l’homicide […] Une
délinquance plus radicale apparaît en filigrane. On
joue du couteau, voire du revolver pour dévaliser le passant
nocturne … » (Gervaise, 1991, p. 142)
Le témoignage d’anciens locataires du quartier pourrait
corroborer l’idée de désordre qui régnait
à l’époque.
« Ca remonte à vieux tous ça ! Mais c’est
vrai qu’à l’époque c’était
la zone ! Oui, oui effectivement c’était pas fréquentable.
Le quartier était aussi un repère de bandits …
enfin c’était une autre époque quand même
! » (Interviewé en 1998, 76 ans, ouvrier à la
retraite, toujours locataire dans le quartier)
Hormis la dernière phrase qui montre très bien la
construction du passé par la situation présente d’entretien,
ces propos confirment l’impression de « désordre
» qui règne durant l’entre-deux-guerres :
« C’était la zone déjà ! Je dirais
même que c’était déjà mal fréquenté
ce quartier. C‘était la populace, les bagarres, l’alcoolisme
… » (Interviewé en 1998 (décédé
en 2000 à 84 ans), Tourneur à l’usine Chausson,
installé en 1932 dans le quartier)
D’autres témoignages confirment la mauvaise réputation
de ce quartier qui devient progressivement un espace rythmé
par le travail de l’usine et le développement anarchique
d’habitats de fortune et de baraquements. Le quartier est
alors perçue comme inquiétant pour les habitants extérieurs
et les parisiens à l’image des chauffeurs de taxi :
«A l’époque, j’étais jeune, je
sortais avec ma femme sur Paris. Et croyez-moi, à l’époque,
avant la guerre et je m’en souviens les taxis ne te déposaient
pas dans le quartier. Ils nous faisaient descendre à Clichy
ou Asnières mais pas chez nous. Non, non y’avait déjà
la réputation de zone … » (Interviewé
en 1998, 79 ans, ouvriers devenus cadres à Chausson, à
la retraite à l’époque de l’entretien,
aujourd’hui décédé)
D’autre part, la presse mentionne également le phénomène
du suicide qui s’ajoute à ceux de violence et de délinquance
: un article de L’Aube Sociale fait état de cinq suicides
qui ont eu lieu dans ce quartier en l’espace de deux semaines
en 192914 ; le mois suivant le même hebdomadaire attribue
un autre suicide à la « misère sociale »15
: ce quotidien ne dénombre pas moins de onze suicides qui
ont lieu dans la ville pour l’année 1931 16.
Nous constatons également à l’époque
l’importance de la montée du parti communiste et d’un
militantisme syndical à partir du milieu des années
1920. Ces pratiques politiques parfois militantes accentuent la
mauvaise réputation de ces quartiers. G. Quiqueré,
un historien local, montre dans son ouvrage sur l’histoire
du quartier les incidents que provoquèrent les mouvements
de grève à l’époque. Il évoque
l’arrestation massive d’ouvriers ayant participé
à l’occupation d’usine mais, pour ce qui nous
intéresse ici, il insiste sur la capture de « militants
rouges » suspectés de favoriser grèves et de
promouvoir des idées subversives dans l’entourage (Quiqueré,
1987, p. 11).
« Je me rappelle quand ils ont arrêté Papa.
Il était membre du parti mais à l’époque
ça s’appelait pas comme ça … c’était
le parti des ouvriers et des paysans. C’était un vieux
le dirigeant. Y’a des policiers qui sont venus interroger
Papa … ouais ils l’ont gardé quelques jours je
m’en rappelle encore ! » (Interviewé en 1998,
84 ans, ouvrière à l’usine Chausson avant son
mariage, retraitée et veuve à l’époque
de l’entretien)
La montée du parti communiste accentue la mauvaise image
du quartier et de ses habitants. D’ailleurs, le journal Banlieue
Ouest ne désigne t-il pas les ouvriers du quartier la «
vermine rouge », les « vandales communistes »
- en temps de grèves ou de conflits avec la police et le
patronat – ou encore de « gangrène rouge »17.
« L’entre-deux-guerres a été, en France,
la grande constitution du bastion ouvrier, des fiefs électoraux
communistes de la proche agglomération parisienne. »
(Fourcaut, 1986, p. 11)
Dans la banlieue de Paris, la période de l’entre-deux-guerres
annonce une ère nouvelle : celui de l’industrie et
de sa main d’œuvre venue habiter en masse et imposer
progressivement ses manières de vivre et de se représenter
le monde. D’où les problèmes que cela suscite
au niveau des gouvernants et des élites parisiennes. Car,
en effet en plus d'être perçue comme un repère
de voyous et d’individus malfamés, le quartier se voit
connoté « rouge » par une certaine presse et
les notables locaux (quand ils ne sont pas communistes). Ces phénomènes
sont en partie les conséquences du déracinement géographique
mais aussi du malaise social lié aux conditions de vie et
de travail difficiles qui se dégradent avec la mise en place
du taylorisme (Dewerpe, 1998). Les manifestations de délinquance,
de violence, de désespoir illustrent, en somme, les tensions
sociales et les nombreuses frustrations ressenties par cette population
à la fois pauvre, dépaysée mais également
surexploitée.
Plein emploi et bandes de jeunes : un quartier ouvrier
dans les Trente Glorieuse
Contrairement à la période précédente,
nous disposons de moins d’informations administratives pour
des raisons d’inaccessibilité de certaines sources.
Nous avons donc complété par un ensemble de travaux
sociologiques et de quelques entretiens réalisés auprès
d’anciens locataires. Au début des années 1960,
les conditions sociales se sont nettement améliorées
pour les ouvriers : le niveau de vie de la population française
augmente rapidement et la « classe ouvrière »
accède à la consommation et à la modernité
(Terrail, 1991). Cependant, bien que les conditions de vie s’améliorent,
la présence de bandes de jeunes est attestée dans
ce quartier :
« Je me souviens à l’époque y’a
au moins trente-cinq/quarante ans, moi-même j’avais
une vingtaine d’années, il y avait les potes de mon
frangin qui faisaient les cons en bas… Comme quoi c’est
pas nouveau mais ça n’avait pas pris la même
ampleur qu’aujourd’hui ! Quoique je me rappelle qu’il
y avait deux types du quartier qui avaient fait de la prison. Ouais
mais eux c’était déjà des petits caïds
! » (66 ans, ancien locataire, fils d’immigré
algérien né en Algérie, ouvrier à la
retraite, vit à Paris aujourd’hui)
Excepté un petit nombre de « durs », il s’agit
plutôt, pour ce témoin, d’un regroupement de
jeunes, signe du passage de l’adolescence à l’âge
adulte dans l’attente de trouver du travail dans les usines
situées à proximité. Les bandes de jeunes sont
alors fréquentes dans les milieux populaires à l’époque
(Lascoumes, Robert, op. cit.). En effet, il suffit de se référer
aux travaux de Copferman sur les « blousons noirs »
pour se convaincre de l’existence d’une jeunesse populaire
déviante dans les banlieues ouvrières (Copfermann,
2003).
Toutefois, dans les années 1950 et 1960 le quartier accueille
des familles nombreuses qui concentrent beaucoup de problèmes
; ces ménages rencontrent de grandes difficultés pour
se loger, elles sont sur-représentées par des couples
mixtes (père d’origine maghrébine le plus souvent)
et, surtout, elles n’ont pas bénéficié
de la croissance économique qui caractérise pourtant
la période. Cette concentration de pauvreté dans un
contexte de progrès est à l’origine des grands
problèmes de délinquance que connaîtra ce quartier
ouvrier les décennies suivantes.
« Moi je me souviens y’avait rien pour nous. Moi à
vingt ans, j’étais le petit bougnoule… alors
ça forge un caractère. Mes frères étaient
de gros durs, ils se battaient déjà avec la police
et ils commençaient dans le bisness des braquages. Moi j’étais
aussi à une petite échelle un petit dur […]
mais bon y’avait rien pour nous et on s’embrouillait
avec les vieux les ouvriers français quoi ! » (Interviewé
en 1998, 58 ans, employé de mairie, origine marocaine, habite
encore le quartier)
« J’étais jeune à l’époque.
Je devais avoir une dizaine d’année environ mais mon
frère Paulo plus vieux de 7 ans était un dur. C’était
une petite frappe […] il foutait le bordel. Ma mère
avait des problèmes avec lui. On avait des problèmes
avec le concierge. Bon y’avait plus dur que lui […]
c’est marrant tous ça quand j’y repense ! »(Interviewé
en 1998, âgé de 42 ans, d’origine portugaise,
gardien d’immeuble dans un autre quartier de la ville)
Ces témoignages sont éclairants à plus d’un
titre concernant les modes de vie des jeunes appartenant au monde
ouvrier. Cette situation nous fait penser au célèbre
article paru dans Revue française de sociologie qui relate
les tensions de cohabitation entre jeunes issus de familles ouvrières
et les adultes appartenant aux classes moyennes dans les grands
ensembles (Chamboredon, Lemaire, 1970). Sauf que dans le quartier
étudié, il ne s’agit pas de « classes
moyennes » mais de familles populaires et la mésentente
entre jeunes et adultes ouvriers se fait de plus en plus importante.
« Je me souviens on était les premiers arabes avec
la famille X. On est arrivé en 1964 dans la cité de
transit. Bon j’habite plus en cité H.L.M. aujourd’hui
mais c’était un peu le bordel. Moi, j’étais
calme mais mes deux frangins étaient turbulents. Y’avait
des embrouilles avec les vieux. Mon frangin il se prenait la tête
avec un ouvrier costaud. On taquinait sa femme, elle était
coquette, peut-être un peu salope [sourire] Je sais pas si
des mecs s’ils se l’ont tapé […] C’est
marrant quand j’y repense maintenant » (62 ans, ancien
tourneur, d’origine algérienne, marié, 4 enfants,
vit dans le 13e arrondissement depuis plus de vingt ans)
« Oh ouais ça remonte à plus d’une trentaine
de piges maintenant ! On était en bas avec des potes et on
faisait du bruit comme maintenant, quoi ! Y’a le plombier,
un balaise, une masse. Ouais il nous demande de faire un peu moins
de bruit sinon il allait nous faire notre fête. Le mec tout
le monde en avait peur, il faisait la loi ! On lui dit [il rigole]
« descend tu crois que tu nous impressionne ! » Il est
descendu avec un manche à balai. Moi, j’avais pris
un bout de bois et mes potes aussi. On lui a sauté dessus
! Il était costaud le mec il s’est relevé il
saignait de partout ! Le travail manuel ça rendait costaud
! Quand j’y pense maintenant mon père il avait un dos
et des mains deux fois plus grosses que les miennes. Je sais plus
ce qui s’est passé après … » (52
ans (à l’époque de l’entretien mené
en 2001), célibataire, 1 enfant, aide-documentaliste)
Autrement dit se creuse un fossé culturel entre jeunes et
moins jeunes témoignant en quelque sorte d’un début
d’érosion de classe :
« Le monde des vieux paraît vieux et celui des jeunes
semble étranger, tant par les goûts musicaux, les modes
vestimentaires que par la volonté d’échapper
au contrôle serrer des familles » (Dubet, Lapeyronnie,
1992, p.60)
S’il est encore un peu tôt pour parler de fissures
au cœur de la reproduction sociale des « classes ouvrières
», les rapports tumultueux entre jeunes adultes et ouvriers
de la génération précédente révèlent,
de manière générale, les mutations de sociabilité
que connaissent les enfants d’ouvriers à la fin des
Trente Glorieuses.
Les années 1970 : l’arrivée des familles
immigrées et le début de la crise
Les fissures entre anciens et jeunes constatées la décennie
précédente s’accentuent encore. Nous pouvons
donner quelques exemples de cette rupture générationnelle
au cours des années 1970 entre les « anciens »
et les jeunes notamment dans l’univers de l’atelier
:
« Donc, à l’époque, quand tu entais
dans une boîte, tu étais parrainé par un ancien
qui te formait. Moi, le mien, c’était un vieux, il
branlait rien, il s’occupait pas de moi. Il était toujours
à la cafète. Il arrivait toujours une heure après
pour gueuler dessus. Au bout de la quatrième fois, je lui
dis écoute « écoute vieux poivrot, tu vas commencer
par fermer ta gueule ! » et je suis monté voir le chef
du personnel … » (52 ans (à l’époque
de l’entretien mené en 2001), célibataire, 1
enfant, aide-documentaliste)
Les historiens ont bien montré les rapports d’autorité
et de violence entre les anciens qui formait les nouveaux venus
dans les ateliers (Dewerpe, op.cit., p. 150). Or, ces propos montrent
que ces jeunes, à l’époque, ne sont plus vraiment
prêts à accepter ce type de rapport.
« Pour travailler tranquillement il fallait être syndiqué.
Je vais voir les délégués syndicaux, des types
de la C.G.T. je crois ! Le mec il m’a dit que pour me syndiquer
il fallait que j’achète des timbres. Alors je pose
200 francs et je lui achète tous les timbres qu’il
veut ! […] Une semaine après je remonte le voir, je
lui demande d’intervenir parce qu’il y avait un petit
chef à la con qui voulait mettre les jeunes aux pas. Il me
dit qu’il ne peut pas faire grand-chose car le type en question
était syndiqué comme moi ! J’ai attrapé
ce mec par le col et l’ai tarté […] Je me suis
barré ! Pour moi les ouvriers c’est un monde de cons
comme les autres ! » (62 ans, a connu des problèmes
de délinquance dans les années 1970, restaurateur
aujourd’hui, marié, 3 enfants)
Si cette génération d’ouvriers n’accepte
plus, dans le courant des années 1970, l’autorité
ouvrière et son système de gestion des rapports sociaux,
les premiers enfants d’immigrés vont, quant à
eux, subir le racisme et la xénophobie des anciens également
ouvriers comme leurs pères :
Je m’en rappelle il nous a fait passer un petit examen pour
être magasinier. Moi, comme j’avais le niveau bac, ça
été un jeu d’enfants. Le chef me convoque mais
il commence à faire la gueule quand il voit ma tête
d’Arabe […] Tu aurais vu jusqu’à sa retraite,
il ne m’a jamais serré la main ! » (48 ans (à
l’époque de l’entretien mené en 2001),
marié, 4 enfants, agent d’entretien)
Originaire de Tunisie, ce jeune est l’aîné d’une
famille nombreuse et a grandi dans le bidonville de Nanterre avant
de s’installer dans le quartier ; tout jeune, il a connu le
racisme et la mise à l’écart par les ouvriers
français. Ces deux plus jeunes frères n’accepteront
pas ce type d’humiliation et connaîtront une carrière
dans le banditisme et la délinquance. C’est l’époque
où se forme des nouvelles « bandes » de jeunes
exclues ou qui s’auto-excluent de l’univers de l’atelier
et du monde du travail. En effet, ces bandes de jeunes, à
la limite de la déviance au début des années
1960, disparaissent pour laisser progressivement place à
d’autres jeunes qui amorcent des carrières plus poussées
dans le banditisme au début de la décennie suivante
; autrement dit nous passons des « blousons noirs »
dans les années 1960 aux « loubards » dans la
décennie suivante (Mauger, 2006) mais, force est de constater
que le début de la crise est à l’origine des
mutations chez les modes de déviances chez les jeunes du
quartier : on glisse lentement d’une délinquance d’acquisition
vers une délinquance d’exclusion (Robert, 2002).
Les plus charismatiques vont développer des réseaux
de sociabilité avec le « milieu » de la pègre
parisienne. La plupart de ces jeunes n’hésitent pas
à prendre des noms d’emprunts à l’image
des romans policiers d’Alphonse Boudard. Leurs réussites
sociales dans les années 1970 sont notables mais la longue
descente aux enfers commence au milieu des années 1980 :
séjours prolongés en prison, débuts de consommation
de produits stupéfiants, dépendance croissante envers
l’alcool. Bien entendu, la majorité de ces jeunes n’emprunteront
pas ce type de carrières – trajectoires réservées
aux plus téméraires et aux plus violents – mais
ces individus vont marquer de leur sceau l’histoire sociale
locale. Les années 1970 vont être un tournant dans
l’histoire du quartier. Tout d’abord, les crises pétrolières
signent la fin de la période dite des Trente Glorieuses scellant
ainsi le sort de la classe ouvrière. De plus, au niveau local
le quartier vieillissant voit partir les ouvriers qui ont profité
de la croissance économique. L’arrivée de la
population maghrébine (avec le regroupement familial notamment)
va modifier la composition ouvrière des habitants du quartier,
secteur jugé alors de plus en plus repoussant par l’aristocratie
ouvrière. Cette période de transition, « signe
indien » de la disparition des « banlieues rouges »,
annonce une ère nouvelle : celle de la société
dite post-industrielle avec ses conséquences sur les milieux
populaires que sont dans le quartier la désindustrialisation,
le chômage, l’exclusion, la grande délinquance
et la violence.
III Désindustrialisation et désorganisation
sociale : la fin du monde ouvrier
Violence et délinquance dans les années 1980
: résistance au délitement du monde ouvrier ?
Les années 1970 sonnent, pour le dire ainsi, le «
glas » de la « banlieue rouge » et du système
social qui l’accompagnait. Les populations ouvrières
du quartier rencontrent alors de grandes difficultés pour
s’adapter aux menaces de licenciements et aux fermetures en
chaîne des usines que cela soit au niveau national (Beaud,
Pialoux, 1999) ou à l’échelle du quartier (Masera,
Grason, 2004)18. Pour les jeunes, le travail ouvrier du père
n’est plus une perspective professionnelle envisageable à
long terme. Ces fils d’ouvriers et d’immigrés
(pour la plupart) constituent la première génération
confrontée au chômage de masse, à la précarité
et à l’exclusion. Ils s’apparentent dans une
certaine mesure aux jeunes rencontrés par François
Dubet voici vingt ans en pleine période de déstructuration
des banlieues ouvrières (Dubet, 1987). En cette période
de décomposition des cadres sociaux, ces jeunes opèrent
des choix de carrière entre la petite délinquance,
les premières missions d’intérims ou le tertiaire.
« C’était dur déjà à l’époque.
A l’usine, il y avait du boulot mais pour un temps limité
car ils commençaient déjà à dégraisser.
Mon père maghrébin il pouvait difficilement me pistonner
à l’usine. C’était d’abord pour
les français. Alors, pour moi, c’était un peu
les conneries, les vols … » (41 ans, chauffeur-livreur,
parents marocains, marié, 4 enfants)
Le quartier étudié ici est le deuxième de
France à passer sous la tutelle de l’intervention publique
en 1982 après celui célèbre des Minguettes
à Lyon. Un grand nombre de ces jeunes s’initient aux
vols à l’étalage, entrent fréquemment
en conflit avec la police et, pour les plus téméraires
d’entre eux, s’engagent dans des braquages de bijouteries
voire de banques.
« On était pas conscient ! On était «
ouf » sur les bords [rire] Je sais pas comment dire ça,
le quartier c’était un climat, une atmosphère.
On était jeune et on avait envie de tout niquer ! On s’en
foutait de tout ! » (44 ans, mécanicien, ancien braqueur,
aujourd’hui musulman pratiquant, marié, 3 enfants,
parents algériens)
Précisons que les illustres voyous dont nous avons parlé
dans la partie précédente sont toujours présents
et constituent des modèles de réussite pour les adolescents
de l’époque. Dans les années 1980, de très
fortes résistances physiques proches de l’insurrection
urbaine s’exercent à l’égard des forces
de l’ordre notamment lorsqu’elles se déplacent
dans les cités du quartier ; parpaings et pierres sont lancés
des balcons sur les cars de CRS présents sur les lieux lorsqu’ils
viennent perquisitionner dans les appartements et les caves19 :
« A la cité, les flics ils rentraient pas ou alors
il fallait du renfort ! Ils ont du faire trois ou quatre descentes
en masse et c’était chaud, quoi ! Les mecs ils avaient
pas peur ! » (39 ans, célibataire, sans profession,
parents français depuis plusieurs générations)
« Je me souviens c’était de la folie à
l’époque. Y’avait plein de fous ! C’était
de l’ordre du fantasme, les mecs ils se battaient avec les
flics […] Les grands ils en avaient rien à foutre et
y’avaient des mecs réputés. C’était
des inspecteurs qui venaient je m’en rappelle. Les condés
ils respectaient même les mecs quoi ! » (35 ans, jeune
né en France mais issu d’une famille en provenance
d’Algérie, titulaire d’un B.T.S., musulman pratiquant)
Le quartier se retrouve à nouveau dans une situation de
désorganisation sociale20 - analogue à celle de l’entre-deux-guerres
sauf que soixante ans plus tôt on assistait à l’émergence
du monde ouvrier et des « banlieues rouges » alors qu’ici
on constate, à l’inverse, leurs disparitions.
« Y’avait des mecs qui étaient connus dans
le milieu. X il connaissait Mesrine. Moi, j’avais 18 ans et
j’étais impressionné. Ca force le respect !
» (41 ans, travailleur social, marié, trois enfants,
parents algériens)
Les voyous reconnus de la cité inspirent la crainte de tous
et le respect des plus jeunes. Certains d’entre eux ont une
réputation qui dépasse de loin les environs de la
cité :
« Ils étaient connus à Belleville ! C’était
une génération de dur ! » (39 ans, célibataire,
sans profession, parents français depuis plusieurs générations)
Les codes de l’honneur de ces délinquants notoires
incitent ces derniers à chercher continuellement l’affrontement
physique (notamment après une absorption d’alcool trop
forte) avec la police mais plus surprenant encore avec les adolescents
et jeunes adultes timorés face à leur réputation21.
« C’était des bonhommes ! Rien à voir
avec les faux caïds d’aujourd’hui dans les fausses
banlieues du 93. Les mecs ils avaient des couilles hein ! Je te
citerai pas de noms mais il y avait des mecs du quartier qui connaissait
Mesrine personnellement et qui côtoyaient pour les affaires
des voyous notoires comme Francis le Belge ou Willoquet. Je crois
même que les frères Zemmour sont venus au quartier
à l’époque ! » (37 ans, né en France,
issu d’une famille en provenance d’Algérie, employé
à la SNCF, membre actif dans une organisation syndicale)
Les témoignages des uns et des autres insistent sur le fait
que des inspecteurs et des commissaires se déplaçaient
personnellement pour assister à l’arrestation de tel
ou tel individu dans le quartier à l’époque.
Des travaux montrent avec acuité le rôle de cette
génération pivot dans les années 1970 et 1980
facilitant l’arrivée du trafic de drogue dure dans
les cités populaires de banlieue (Kokoreff, 2000) : ceci
est particulièrement avéré dans ce secteur
qui comprend un certain nombre de personnes fichées au grand
banditisme ; ce quartier se situant au cœur d’une ville
où se trouve le port de Paris22. Néanmoins, cette
génération connaît une phase de décadence
physique car certains sont touchés par les problèmes
liés à la toxicomanie et à l’alcool -
expliquant en partie les comportements agressifs et instables qui
les caractérisent à la fin des années 1980.
Un quart de ces jeunes décèdent de morts violentes,
de problèmes d’alcoolisme ou bien deviennent fous en
prisons.
Les délinquants des classes d’âges suivantes
qui atteignent la vingtaine à la fin des années 1970
prennent la relève mais avec beaucoup moins de réussite.
Intégrant pourtant les mêmes codes d’honneur,
ces derniers ne connaissent pourtant pas la même réussite.
À l’instar de leurs prédécesseurs, ils
consomment également des produits psychotropes – parfois
en leur compagnie – ce qui dégrade rapidement (avant
l’âge de 30 ans même) leur état de santé.
A la fin des années 1980, les problèmes de toxicomanie
ont décimé un grand nombre de jeunes qui aurait entre
40 et 50 ans de nos jours (Kokoreff, 2003, p. 181-188).
« Je me rappel X., il est mort à 29 piges ! Hein,
à 20 ans c’était une force de la nature mais
quand il a touché à ses produits … c’est
devenu un zombi. Quand il est mort il faisait même pas 40
kilos ! »(36 ans, né en France, issu d’une famille
marocaine, marié, chauffeur de taxi)
« X. est mort en 1993. Mais c’était déjà
un mort-vivant. Pour moi il était mort le jour où
il a touché à cette merde ! » (37 ans, né
en France, issu d’une famille en provenance d’Algérie,
employé à la SNCF, membre actif dans une organisation
syndicale)
Les allusions aux morts suite à une overdose d’héroïne
au début des années 1990 sont légions. A cette
époque, l’espace public local reste empreint d’une
atmosphère rythmée par la violence, les bagarres et
les conflits de toutes sortes : cohabitent alors anciens rescapés
du grand banditisme des Trente Glorieuses, trentenaires délinquants
affaiblis par les bagarres, les séjours répétitifs
en prison et les consommations conjuguées de l’alcool
et de produits stupéfiants alors qu’arrive une nouvelle
classe d’âge : les jeunes qui franchissent le cap de
la majorité juridique. Ces derniers investissent progressivement
le terrain mais la cohabitation avec les deux classes d’âges
précédentes n’est pas toujours à leur
avantage (violences à leur encontre).
« C’est une époque de fou ! A l’époque
j’étais en Deug à l’université
de Nanterre [en 1992] et je ne pouvais pas raconter ce que je voyais
le soir dans la cité. Mes camardes de promotion ne m’aurait
pas cru de toutes façons. Quand tu vois comment certains
ont fini … » (35 ans, informaticiens, marié,
deux enfants, parents algériens)
« C’était des barjots quand j’y pense.
Les vieux ils cherchaient la bagarre à tout le monde …
Des fois il nous cavalait quand ils étaient défoncés.
Ils nous cherchaient aussi … Fallait pas te coller à
eux parce que sinon t’étais mal quoi ! […] Mais,
bon, c’est mecs là sont plus là et on a compris
qu’il ne fallait pas faire comme eux ! » (33 ans, né
en France, famille originaire du Maroc, célibataire, sans
profession)
Pourtant cette période « anomique » et «
troublée » - troublante d’ailleurs à plus
d’un titre pour beaucoup de jeunes et de moins jeunes rencontrés
sur le terrain pendant la thèse - constitue « une expérience
de vie » et des souvenirs quelque peu singuliers chez nos
interviewés :
« Ils étaient violents ! C’était des
bonhommes ça faut le reconnaître ! Tu te rappelle de
V. quand il est sorti de prison. Quelques jours après il
prend une grosse pierre et il se met à courir après
trois policiers venus faire une ronde ! Ils se sont sauvés
les flics. Ils ont ramené du renfort une heure après.
Qu’est-ce qu’on rigolait quand même ! »
(37 ans, né en France, issu d’une famille en provenance
d’Algérie, employé à la S.N.C.F, membre
actif dans une organisation syndicale)
Les anciens voyous, les bagarreurs et les grands délinquants
à réputation disparaissent progressivement avec les
souffrances et les souvenirs que cela implique dans la mémoire
de la cité (Guenfoud, 2002) au profit d’une nouvelle
classe d’âge dont les défis ne sont pourtant
guères plus faciles à relever. Ces jeunes sont à
mi-chemin entre la quatrième et la cinquième génération
d’ouvriers et doivent affronter un marché du travail
de plus en plus difficile et un contexte local où la «
classe ouvrière » périclite rapidement avec
ses supports institutionnels et sociaux et sa capacité d’organisation.
Transition économique de la délinquance locale
et accalmie sociale dans les années 1990
Le début des années 1990 témoigne dans ce
quartier d’une restructuration urbaine de grande envergure
: nous passons définitivement de l’ère industrielle
à l’âge des activités tertiaires et de
bureau. La municipalité désire revaloriser un quartier
qui souffre d’une mauvaise réputation. L’objectif
est alors de restructurer un espace ouvrier désuet par de
nouvelles constructions – logements de trois étages
accessibles à l’achat, développement d’espace
d’activité tertiaire et commerciale, allée piétonne
verdoyante et restaurants pour cadres d’entreprise, construction
d’un nouveau lycée – afin d’inciter l’installation
des classes dites moyennes et revaloriser à coup sûr
l’image du quartier :
« Cet appel s’adresse cependant à une fraction
particulière des classes moyennes, plus dotée en capital
culturel qu’en capital économique et souvent proche
du secteur public » (Bacqué, Fol, 1997, p. 201)
Ces changements perturbent la population ouvrière dans son
ensemble mais aussi les jeunes. L’augmentation des loyers
et les transformations de l’espace physique et urbanistique
est à l’origine perte de repères pour les habitants
et début d’endettement pour les familles ouvrières
les plus touchées par la désindustrialisation. Ce
qui fait dire à certains jeunes dans mes entretiens menés
en 1998 dans le cadre de mes premières recherches sur le
terrain (Marlière, 1998) :
« Les loyers augmentent, ils font venir des bourges. Paris
s’agrandit. Un jour ils vont nous mettre à Pontoise,
puis à Rouen, puis au Havre et ils nous jetteront dans la
Manche ! » (27 ans, enfant d’immigré algérien,
mécanicien, célibataire)23.
Ces derniers prennent également conscience des enjeux sociaux
qui se jouent au niveau de leur quartier mais également de
leur histoire :
« Tu vois, moi, j’ai rendu ma carte du parti. Ils
transforment notre quartier et nous ils nous demandent pas notre
avis ! Regarde, avant c’était notre coin maintenant
ils ont mis des taules et c’est un terrain vague avec le projet
de construire le nouveau lycée ! Sans nous demander notre
avis ! C’est ça la démocratie ! » (32
ans, né en France, famille originaire de Tunisie, célibataire,
Informaticien)
Cette période de transition marque une étape importante
dans l’histoire locale (restructuration urbanistique, désenclavement
physique du quartier et du métro, réhabilitation des
grands ensembles et démolition de la cité de transit)
à l’image de la délinquance locale qui s’oriente
vers un trafic de stupéfiants à la fois plus discret
mais aussi plus « rationnel » confirmant ainsi les transformations
de l’économie souterraine en milieu populaire amorcé
la décennie précédente. D’un contexte
de changement social et de transformation urbaine, ce quartier connaît
une période d’accalmie : la violence qui régissait
les rapports sociaux des jeunes adultes la décennie précédente
est alors à peine perceptible dans l’espace public.
Les chiffres du démographe de la ville24 attestent également
d’une chute importante dans les années 1990 des problèmes
de criminalité dans ce quartier par rapport à d’autres
banlieues populaires même si les chiffres restent élevés
par rapport à des secteurs habités par des populations
plus composites.
« Du trafic, du business il y en a. Mais c’est plus
comme avant. Les mecs ils font leur argent et basta ! » (32
ans, petit trafiquant de cannabis, enfants d’immigrés
tunisien, célibataire, vit chez ses parents)
Pour les jeunes de la nouvelle classe d’âge, les études
scolaires se font plus longues et les activités illégales
plus discrètes : les vendeurs qui se lancent dans le trafic
de drogues dures (l’héroïne notamment) mettent
en place une logistique locale plus professionnelle avec hiérarchie
pyramidale comprenant leaders, soldats et guetteurs (Duprez, Kokoreff,
2000). Ces nouveaux réseaux de trafics contribuent, en même
temps que la disparition tragique des anciens, à l’instauration
d’une forme de pacification du territoire : la délinquance
que l’on pourrait qualifier de classique disparaît au
profit des lucratifs business de drogue qu’elles soient dures
ou douces.
« Les gros trafiquants ici ils ont compris qu’ils
fallaient être discrets. La violence elle existe toujours
mais elle est moins visible. Par exemple quand il y a un contrat
ou un règlement de compte si nous on est pas dans le business
alors ça nous concerne pas. La violence on la voit moins,
elle est cachée […] Parfois c’est plus malsain
mais qui s’en plaint finalement ? » (31 ans, ingénieur
en informatique, parents marocains, marié)
« Ici c’est la Suisse maintenant ! Ils ne se passent
plus rien. Ca n’a rien à voir avec ce que l’on
a connu, c’est sûr ! Pour la violence c’est mieux
mais pour l’ambiance c’est zéro ! Le quartier
pour moi n’existe plus ! Ce sera jamais plus comme avant !
» (40 ans, ancien jeune du quartier dans les années
80, né de parents français, Marié, deux enfants,
commercial)
La rationalisation du trafic de drogue dure et de drogue douce
avec les revenus substantiels et confortables que cela procure (enfin
pour ceux en haut de la pyramide) a contribué, en partie,
a atténuer fortement la délinquance aux personnes
dans ce quartier et à réduire les comportements violents
jugés contre-productifs. Mais nous verrons que d’autres
phénomènes ont participé à cette forme
d’accalmie dans ce quartier sans pour autant que la véritable
violence, la délinquance aient véritablement disparues
et les souffrances et conditions de vie souvent difficiles se soient
améliorées pour autant.
Un espace social en voie de recomposition
Le terme de recomposition signale l’émergence d’une
problématique nouvelle dont les contours et les enjeux restent,
pour le moment, à définir. Or, dans cet espace territorial
et social, la recomposition évoque l’émergence
de nouveaux acteurs à l’ère post-industrielle
par opposition à la société industrielle et,
dans le quartier ouvrier observé cela s’illustre soit
par des nouveaux enjeux et de nouveaux acteurs (Boucher, 2004) ;
soit par des changements dans les manières de procéder
à l’égard des classes populaires même
si les acteurs sont restés à peu près les mêmes
(Tissot, 2007). Au milieu des années 2000, période
se situant quelques années après notre travail ethnographique,
les pratiques culturelles de ces jeunes imposent à la fois
une fragmentation des rapports sociaux en même temps que de
nouvelles pratiques collectives (Marlière, 2005a). Les parcours
des jeunes issus du monde ouvrier sont plus que disparates et éclatés
à l’image d’autres quartiers populaires ou «
sensibles » (Zegnani, 2006) : ils sont confrontés à
la fois aux mutations économiques de la société
mais aussi aux transformations locales qui ne sont pas encore totalement
achevées. Ces métamorphoses structurent, d’une
certaine manière, les trajectoires de ces jeunes soumises
aux aléas de la conjoncture économique. Dans ces quartiers
devenus sensibles, la cinquième génération
s’éloigne à la fois de la culture ouvrière
et de son destin de classe mais se montre de plus en plus étrangère
même aux partis ouvriers en l’occurrence ici le parti
communiste (Masclet, 2003). Des suspicions même de trahison
sont à noter entre les jeunes et la municipalité car
certains enfants d’immigrés (les plus âgés)
se déclarent être des enfants d’ouvriers et exigent
en quelque sorte des considérations de la part des élus
communistes (Marlière, 2001)
Les formes d’encadrement des classes populaires s’estompent
et les manières de se représenter le monde des enfants
d’ouvriers et d’immigrés (de la première
et surtout la deuxième) changent. De plus, l’élargissement
de l’espace des possibles depuis le début de désindustrialisation
locale voit se dégager quatre pôles distincts de socialisation
parmi les jeunes ; cette amorce de pluralités des trajectoires
– même si les déterminismes sociaux sont très
importants – marque la fin d’un destin de classe qui
caractérisait, en partie, la « classe ouvrière
». Nous pouvons y remarquer quatre grands types de parcours
concernant la dernière génération ouvrière.
La démocratisation scolaire a permis à certains jeunes
de réaliser des études supérieures à
l’université ce qui n’était pas tout à
fait le cas dans les décennies précédentes.
Ces jeunes que nous avons nommés invisibles – ils sont
très peu visibles dans l’espace public de la cité
mais également dans les médias – représentent
globalement un quart des jeunes des cités dans ce quartier
(Marlière, 2005a p. 81-95) ; Un autre groupe rassemble à
peu près les jeunes qui n’ont pas de diplôme
et sont inscrits au R.M.I. Ils sont souvent dans la rue et se retrouvent
dans une situation de marginalité sociale et d’exclusion
économique : ils constitue en quelque sorte le groupe des
galériens et représentent un tiers environ des jeunes
des cités ; un autre groupe de jeune que l’on pourrait
rassembler autour d’une pratique plus ou moins assidue de
l’islam et qui constituerait approximativement un peu plus
d’un tiers des jeunes aujourd’hui (Marlière,
Ibid., p.59-80): le dernier rassemblement concentrerait les jeunes
qui ont soit des activités délinquantes, soit participent
au trafic : nous pouvons y distinguer l’élite («
cerveau de la drogue locale, fichés au grand banditisme)
qui représente une infime minorité et, à côté,
ceux que l’on pourrait classer petits trafiquants et «
délinquants ordinaires » : ils composent à peine
10 % dans leur globalité l’ensemble des jeunes du quartier.
Mais si les « délinquants » sont fortement minoritaires
parmi les jeunes ici, ils rythment, à eux seuls, le quotidien
du quartier. Pour cet article, nous nous intéresserons exclusivement
aux deux derniers groupes à savoir les salafis et les «
délinquants ».
Pour le groupe des « délinquants »25, les mutations
dans les formes de l’illégalisme sont très importantes
depuis quelques années. L’important trafic de drogue
dure a plus ou moins disparu de l’espace public ou du moins
il se fait davantage discret26. Les plus jeunes qui sont dans des
activités délictuelles ont étendu leurs compétences
en participant toujours aux trafics de cannabis – qui rapporte
de moins en moins depuis le milieu des années 90 –
mais aussi à des activités de recel. Il semblerait
que les activités de recel, le « bizness » en
quelque sorte, peut constituer un moyen de ressource non négligeable
pour un ensemble de jeunes qui ne veulent pas commettre de violences
où se lancer dans le trafic de drogues (Tafferant, 2007).
Au-delà du recel et de la vente d’objet « tombés
du camion » analysé par Nasser Tafferant à Mantes-la-jolie
qui constitue une part importante des trafics illégaux dans
les cités, des conversions dans d’autres manières
de faire de l’argent de façon illégal sont apparues
progressivement.
La notion de recomposition semble également s’appliquer
aux pratiques délinquantes pour qui les stratégies
d’invisibilité dans l’espace public sont essentielles
en raison d’une répression plus dure envers les trafiquants
de drogue dure :
« Avant tu te faisais ton blé. Aujourd’hui
y’a la concurrence, la méthadone et la loi qui fait
qu’il te colle au trou pour un bout de temps. T’es perdant.
Donc ça sert à rien ….Donc les plus jeunes ils
cherchent autre chose » (37 ans, travailleur social, ancien
dealer, marié, un enfant)
La drogue finalement ne rapporte qu’à l’élite
des trafiquants et ceux qui se sont bien implantés durablement
dans ce type de business. Pour les autres, c’est un pari risqué
en raison d’une concurrence impitoyable (violence, règlements
de comptes, etc.) et d’une présence policière
difficile à éviter.
« Je me rappelle y’a plus de vingt ans, les frères
X. vendaient sur une table tranquille. Ils se sont fait arrêter
au bout de deux ans […] Aujourd’hui, dans chaque cité,
il y a un appart’ loué par les keufs … »
(39 ans, célibataire, sans profession, parents français
depuis plusieurs générations)
Mais ce qui est particulièrement nouveau dans le quartier
c’est la participation de certains jeunes à des fraudes
à l’assurance mais encore ou autres malversations diverses.
Les reconversions vers des trafics plus lucratifs mais surtout plus
cachés constituent les nouvelles « spécialités
»27.
« Les mecs maintenant ils se sont lancés dans l’escroquerie.
En prison, la plupart des mecs que je rencontrais du quartier sont
tombés pour falsifications de cartes bleues, fraude à
l’assurance ou encore des affaires d’escroquerie avec
des sociétés de crédit » (31 ans, ancien
délinquant, anonymat conservé)
Certains jeunes s’adaptent aux nouvelles technologies ; puce,
cartes bleues et détournement sur internet et téléchargements
de film ou de musique. On retrouve paradoxalement des invisibles
(les étudiants des cités) qui se lancent dans ce type
de trafic notamment ceux ne trouvant pas d’emploi.
« Lui et son frère ouais. Ils se sont lancés
là-dedans. Pourtant lui il a fait un BTS en électronique
tous ça ! Son frère je comprends il a toujours fait
des conneries mais lui. Apparemment ils magouillaient sur Internet
et ils téléchargeaient … » (32 ans, né
en France, famille originaire de Tunisie, célibataire, Informaticien)
Cette nouvelle forme de délinquance apparaît dans
ces quartiers avec parfois des reconvertis de la vente de drogue
ou du vol s’associant du coup aux étudiants des cités
dont les diplômes se trouvent dévalorisés. Les
mutations des modes de déviances sont alors tangibles dans
les manières de faire de certains jeunes dans les activités
illégales :
« Le trafic de drogue ça rapporte moins et à
part quelques mecs qui sont bien installés dans le circuit
car pour les autres c’est plus dur. L’Etat avec ses
produits comme le Subutex ou la méthadone a résolu
la situation. Le cannabis ça rapporte plus rien … alors
les mecs ils sont obligés de trouver autre chose ! »
(29 ans, issus d’une famille en provenance d’Algérie,
étudiant en thèse de droit à Nanterre, célibataire
vit chez ses parents à la cité)
« Aujourd’hui, il faut être discret. Y’a
20 ans les mecs c’était des vrais voyous, des bagarreurs.
Ils savaient arracher un sac dans la rue ou un braquage. Nous on
ne sait plus faire ça. Maintenant, les mecs ils se font discrets,
ils montent des bizness et tous les six mois ils ferment et change
de nom. Y’en a qui font des fraudes à l’assurance.
Y’en a qui se sont spécialisés dans le recel.
Mais à la différence d’autres villes comme le
93 qui ont du retard sur nous, la délinquance tu la vois
pas. Même les mecs ils parlent normalement. La « racaille
» elle n’habite pas ici […] Parce que chez nous,
le banditisme c’est une tradition ! » (32 ans, ancien
délinquant qui a repris des études à l’université
et qui est devenu travailleur social)
Les penchants pour les illégalismes en tous genres existent
toujours mais ils se font dorénavant plus discrets. En raison
de l’émergence d’une pratique religieuse nouvelle
– également jugée déviante aux yeux des
médias et des autorités -, celle de l’islam
qui concerne toujours plus de jeunes, les pratiques déviantes
tendent à s’effacer de l’espace public sans pour
autant disparaître.
Le deuxième groupe qui nous intéresse ici regroupe
les jeunes qui pratiquent la religion musulmane et se réclamant,
en quelque sorte, de la mouvance salafis chaykhiste. Invisible il
y a tout juste 20 ans, l’Islam apparaît progressivement
dans le quartier et a conquit une partie des enfants d’ouvriers
et d’immigrés de la quatrième et cinquième
génération. Quelques français de « souche
» se convertissent également ; apparaissent ainsi des
jeunes portant khamis ou jellabah, barbes, pantalon au-dessus des
chevilles et paire de basket voire blouson en cuir : ce syncrétisme
vestimentaire à mi-chemin entre orient médiéval
et loubard des quartiers populaires marquent progressivement l’ère
des « banlieues de l’islam » (Képel, 1991,
p.371). Les musulmans pratiquants ont une pratique assidue de l’islam
: ils exercent les 5 piliers de la religion musulmane ; le premier
d’entre eux est l’acte de foi, acte qui atteste la croyance
en un Dieu unique ; le second pilier concerne l’exercice de
la prière qui est accompli cinq fois par jour ; les trois
restants sont, le jeûne du ramadan, l’aumône et
le pèlerinage. L’exercice de la prière est l’acte
qui différencie un musulman pratiquant d’un autre jeune
se réclamant de manière identitaire de l’islam.
Ces jeunes sont alors très visibles et surtout identifiables
dans l’espace public du quartier à la fin des années
1990. Aujourd’hui, il y a nettement plus de pratiquants au
dire des témoignages de musulmans de longues dates.
« Quand j’ai commencé il y a dix ans maintenant.
Les salles du quartier elles étaient pas remplies comme maintenant.
Pour la jimoura, [la prière du vendredi] si t’arrives
un peu en retard, ta prière tu l’a fait dehors ! »
(42 ans, parents marocain, veilleur de nuit, marié, 4 enfants)
Il faut également rappeler que l’Islam est une forme
d’héritage culturel hérité des familles
en provenance des pays du Maghreb. La religion musulmane est une
pratique séculaire que les familles immigrées arrivées
en France ont continué de pratiquer. Autrement dit, interdiction,
recommandation, sujets tabous ont pour origine les pratiques traditionnelles
des campagnes du Maghreb influencé par l’Islam.
« La conformité des pratiques à ces pratiques
conduit à une opposition entre le haram (l’illicite,
le défendu) et le halal (le licite, le permis) qui fonde
la conception islamique du sacré » (Cesari, 1994, p.
23)
Pour les jeunes issus de famille en provenance du Maghreb, l’héritage
familial offre une représentation du monde dont celle de
la croyance en un Dieu unique28. L’athéisme concerne
peu de jeunes de ce quartier (environ un dixième) et encore
moins de jeunes de la première et surtout de la deuxième
génération. La croyance en Dieu est donc omniprésente
et fonde en quelque sorte la dimension eschatologique dans la conscience
de ces jeunes entre crainte (ici bas) et espoir dans une vie après
la mort (Cesari, 1997, p. 168).
« On est de passage dans cette vie. Pourquoi faire des choses
que tu risques de regretter plus tard et devant Dieu. Moi, j’ai
aussi fait des conneries et le repentir ça existe en Islam
! Maintenant que je suis allé à la Mecque et ben je
suis comme neuf et je repars à zéro ! » (33
ans, bénéficiaire du R.M.I., ancien trafiquant de
drogue, célibataire, parents algériens)
Un chercheur dans un livre déjà ancien dégage
trois valeurs qu’il estime essentielles pour comprendre les
pratiques musulmanes : le but de la vie se place dans l’autre
monde ; la signification de chaque acte de sa vie prend de l’importance
puisqu’elle sera examinée ; la responsabilité
de la personne est au-dessus de la collectivité même
si cette dernière est chargée de veiller aux pratiques
menant au salut (Von Grunebaum, 1973). Pour ces jeunes pratiquants,
le jugement dernier est évoqué de manière récurrente
pour rappeler que sur Terre, chaque homme dispose du libre arbitre
en étant responsable de ses actes devant Dieu :
« Celui qui craint Allah, il ne peut pas voler, il ne peut
pas commettre des méfaits ! Regarde aujourd’hui, dans
le quartier, les mecs qui prient ils sont sérieux. Tu vois
bien que depuis l’arrivée de l’Islam, c’est
plus calme : Y’a moins de merde qu’avant ! » (31
ans, issu d’une famille en provenance d’Algérie,
musulman pratiquant, titulaire d’un diplôme universitaire,
sans emploi)
Contrairement à la construction médiatique qui érige
l’islam comme nouvel « ennemi de l’intérieur
», ce témoin qui se sent pourtant stigmatisé
développe l’idée à contrario que la pratique
de la religion est un facteur d’ordre et d’accalmie
dans l’espace public. Cette idée pourrait être
corroborée par un autre jeune, lui-même, pratiquant
:
« Franchement, tout le monde s’est calmé. Avant
y’a quinze ans, y’avait des bagarreurs, des nerveux,
des mecs qui sortaient de tôles. Aujourd’hui t’as
des anciens voyous qui se sont calmés avec la prière
» (33 ans, issu d’une famille en provenance d’Algérie,
musulman pratiquant, titulaire d’une maîtrise d’informatique,
travaille dans une société d’informatique)
« Regarde au niveau du comportement. On a du mal à
y croire. L’Islam a vraiment calmé les mecs …
Ca n’a plus rien à voir avec avant ! »(25 ans,
issu d’une famille marocaine, étudiant en sciences
dures à Paris XIII, célibataire)
La conversion ou reconversion à l’islam (un islam
orthodoxe proche de celui pratiqué par les salafis chaykhistes
dans ce quartier) est très importante pour comprendre la
disparition des pratiques déviantes ou du moins l’étiolement
visible des actes déviants dans l’espace public local.
La réinterprétation d’un islam rigoriste comme
révélateur d’une prise de conscience chez la
plupart des jeunes a permis à certains de se reconstruire
une échelle nouvelle des valeurs et une représentation
du monde sur les vestiges de la culture ouvrière et du système
social qui l’accompagnait.
« Pour nous on sait que c’est le dinh [la religion]
la vérité. Les communistes on les connaît. Les
politiques on sait ce qu’ils valent ! La délinquance
ça mène à rien. Si demain tu meurs et t’as
menti, volé, arnaqué, qu’est-ce que tu vas dire
à ton créateur ? Il vaut mieux partir en règle
et se présenter devant Allah avec toutes les chances de son
côté … » (34 ans, travail dans les marchés,
marié, 2 enfants, parents algériens)
L’islam serait-il l’un des éléments déterminants,
au côté des politiques de ville dans l’instauration
d’une paix sociale locale, amorcée il est vrai, au
début des années 1990 ? Il est sans aucun doute un
des éléments contributeurs à l’origine
des changements dans les rapports sociaux. Mais surtout il occasionne,
pour beaucoup de jeunes, des représentations sociales et
des manières de penser le monde, leurs propres activités
et d’envisager un avenir. Ce qui fait dire à un petit
trafiquant de cannabis dans un entretien informel mené dans
un hall d’immeuble :
« Ce que je fais c’est haram [interdit, illicite du
point de vue religieux] mais vers trente ans quand j’aurai
mis de l’oseille de côté, j’arrête
tout ! Je laisse tomber toute cette merde et je commence ma salat
[prière], je monte un business halal [licite] et je me marie.
Inch’Allah que dieu me pardonne pour ma jeunesse … »
(25 ans, petits trafiquants de cannabis, sans diplôme, parents
algériens)
La religion permet un contrôle de soi, même pour ceux
qui sont dans des activités illégales. Parfois, chez
quelques jeunes fichés au grand banditisme du quartier, il
n’est pas rare de voir certains d’entre eux se rendre
à la prière du vendredi29. L’Islam est donc
à la fois un référent moral et culturel pour
beaucoup de ces jeunes ; il se trouve à l’origine des
interdits ou des recommandations – parfois à l’origine
des contradictions dans les comportements – dont la violence,
la délinquance sont des éléments tabous (même
si pratiqués par une minorité et en toute discrétion).
L’islam est donc, d’une certaine manière, à
l’origine de l’accalmie dans ce quartier à côté
de la rationalisation du trafic, de l’ancienneté des
familles du quartier (qui se connaissent depuis plus de trente ans)
auxquels peut s’ajouter également le rôle non
négligeable des politiques de la ville – même
si les associations sont controversées et font l’objet
de polémiques chez beaucoup de jeunes (Marlière, 2003b)30.
Les mutations des pratiques de sociabilités chez les classes
populaires peuvent se comprendre en fonction des enjeux sociaux,
de l’état du marché du travail, des offres symboliques
dans le domaine culturel et politique. Le monde ouvrier n’étant
plus, ces enfants d’ouvriers et d’immigrés sont,
dans une certaine mesure, contraints de s’adapter et de faire
preuve de pragmatisme aussi bien sur le marché du travail
que dans l’illégalité (Mucchielli, 2004). Et
surtout, ces jeunes - qui ne deviendront pas ouvriers dans ce quartier
- peinent à être salariés : ils sont au carrefour
des transformations et des crispations de la société
française. Certains de ses jeunes, qu’ils soient étudiants
ou délinquants, musulmans pratiquants ou inscrits dans des
professions plus libérales se trouvent désignés
par un discours médiatique fédérateur qui les
faits passer de « classe objet » à « classe
abject ». La situation critique de ces jeunes, depuis plus
de 25 ans maintenant, perdure - depuis le décès des
toxicomanes et l’existence d’une violence interpersonnelle
- et ne trouve toujours pas, à l’heure actuelle, une
issue favorable politiquement sauf, dans des situations extrêmes
comme l’émeute ou le jihadisme (Haenni, 2006). Les
quatrièmes et cinquièmes générations
du quartier sont deux générations d’enfants
d’immigrés qui ont comme dénominateurs communs
galère, exclusion et racisme (Beaud, Masclet, op. cit.) sauf
que la première génération revendiquaient des
droits avec la « marche des beurs » tandis que la seconde
est au stade de brûler des écoles et des voitures.
Conclusion
Malgré les contraintes que rencontre la comparaison socio-historique
en raison des disponibilités inégales des sources
selon les périodes, compensées certes par les entretiens
auprès de l’ensemble des locataires du quartier, nous
avons pu retracer une histoire locale des déviances populaires.
Les archives et la presse consultées associées aux
entretiens et observations nous ont permis de dégager un
premier regard réflexif sur près de 80 ans d’histoire
sociale d’un quartier ouvrier. Certes, il nous est bien difficile
d’en tirer des résultats définitifs et de pouvoir
dégager des perspectives générales car il faut
renoncer au stade de la conclusion à ouvrir des pistes inconnues
et voir apparaître de nouvelles hypothèses. En effet,
ce travail se veut l’ébauche d’un travail sur
les « quartiers sensibles » à travers une perspective
historique, sociologique et comparative engageant nécessairement
une pluralité de temps et donc d’espaces sociaux (au
sein d’un même territoire géographique sur le
temps long) ce qui suppose une conceptualisation ajustée
(Combessie, op. cit., p. 60). Mais de par sa dimension historique
cet article conduit à proposer des hypothèses nouvelles
pour la suite s’agissant de certains quartiers populaires
devenus « sensibles » dans les dernières décennies.
Le premier constat se situe au niveau d’une présence
invariante des déviances autour de la violence, de la délinquance,
d’un certain illégalisme et de l’existence de
phénomènes jugés subversifs comme le Parti
Communiste ou l’Islam. Par exemple, en période de crise
- celle de l’entre-deux-guerres et celle qui recoupe la fin
des années 1970 et le début des années 1990
- la présence de la violence, de la grande délinquance
rythme l’univers social du quartier. Pour les périodes
plus apaisées, la présence de bandes - jeunes adultes
en attente d’entrer à l’usine dans les années
1960, trafiquants de cannabis dans les années 1990 - et d’une
certaine forme de déviance (activités syndicales et
présence du parti communiste, forte consommation d’alcool,
trafic de cannabis et pratiques religieuses intensives autour de
l’islam à la veille du XXIe siècle) complètent
alors le tableau de l’histoire locale. Les déviances
polymorphes fluctuantes et variables selon les conjonctures et le
contexte historique désignent en quelque sorte les modes
de vie des « classes ouvrières » au sein de leurs
quartiers.
Les déviances sont à la fois une forme de résistance
à l’oppression des marginaux pauvres face aux volontés
normatives des institutions mais surtout un moyen de survie pour
les « classes ouvrières » les plus en difficultés.
Car, comme le stipule notre première hypothèse, les
enjeux économiques sont prépondérants dans
les mutations des pratiques déviantes. Par contre, il semblerait
que notre deuxième hypothèse montre le rôle
des effets locaux que sont l’installation récente d’une
population (années 1920 et 1930 ou les années 1970-1980),
l’existence ou non de méta-récit que sont le
communisme ou l’islam ou encore un trafic de drogue rationalisé
(notamment pour les années 1990) avec, il est vrai, l’instauration
des politiques de la ville. Ces facteurs locaux favorisent ou atténuent
l’ampleur des phénomènes déviants, indépendamment
des enjeux économiques.
Sans vouloir transposer l’Islam sur le Parti communiste où
les violences d’hier avec celles d’aujourd’hui,
il semble utile de préciser qu’il existe des dénominateurs
commun : conditions de vie difficiles, incertitude économique
qui pèse sur les destins sociaux, méfiance réciproque
entre les habitants et les élus (Marlière, 2007),
survie économique se concrétisant, en partie, par
de la délinquance et de la violence. Cependant, des changements
ont également eu cours en quatre-vingt ans dans les modes
de vie des habitants ouvriers de ce quartier. A chaque mode de génération
ouvrière peut-être défini un état du
système scolaire, un état du marché du travail
(y compris « le marché du travail illégal »)
et un état de l’offre symbolique (politiques, religieux,
syndicaux, etc.). Sur les cinq générations ouvrières
du quartier, on voit assiste pour la première à «
l’ouvrièrisation des paysans », le développement
du parti communiste comme manière de se représenter
le monde et l’existence d’une certaine délinquance
pour survivre ; les années 1960 voient le niveau de vie augmenté
(apparition des premières télévisions dans
le quartier et achat des premières automobiles) mais les
formes de sociabilité « déviantes » avec
les « blousons noirs » et les rapports de voisinage
perdurent ; la deuxième moitié des années 1970
marque l’arrivée des familles immigrées mais
également le chômage, la désindustrialisation,
la précarisation et dégradation de l’emploi
ouvrier : les enfants d’immigrés essaient de se démarquer
des voies tracées par leurs pères alors qu’ils
sont jugés inemployables ; les années 1980 et 1990
marquent une période de « crise » provoquant,
du coup, le prolongement des carrières délinquantes
comme économie alternative, la disparition du monde ouvrier
et de ses valeurs et l’éloignement du parti communiste
envers cette jeunesse immigrée (Masclet, op. cit.) ; la période
allant de la dernière décennie jusqu’à
nos jours témoigne de l’arrivée de la cinquième
génération dont le pragmatisme, l’esprit de
compétition, l’individualisme se conjugue avec le repli
communautaire et la pratique de l’islam comme élément
de substitution à la fin du monde ouvrier (Marlière,
2005b).
Ainsi l’exode rural dans l’entre-deux-guerres de paysans
contraints d’aller à l’usine et de s’adapter
au monde urbain est sans aucun doute à l’origine d’un
malaise et d’une certaine violence. Soixante plus tard environ,
la population issue de l’immigration maghrébine est
obligée de s'acclimater à un univers urbain en voie
de délitement. De même, nous pouvons ajouter le rôle
prépondérant dans la structuration des conflits du
parti communiste à l’époque de l’entre-deux-guerres
comme nous pourrions associer l’impact non négligeable
de l’islam urbain dans la construction des repères
aujourd’hui. Cependant, la perception varie entre les ouvriers
de naguère et les jeunes des cités : même à
l’encontre de l’ordre social, le métallurgiste
des « banlieues rouges » d’avant-guerre représentait,
malgré son caractère de dangerosité qu’il
inspirait aux « autres », l’avenir de la société
industrielle alors que les « jeunes de cités »
sont perçues comme source de menace pour le devenir d’une
société où règne incertitude, concurrence
et suspicion. En cela, ces jeunes dit de cité forment la
nouvelle « classe dangereuse » ou de « parias
urbains » dans la société dite post-industrielle
(Wacquant, 2006). En effet, pour comprendre ce qui se passe dans
une partie des « quartiers sensibles », il faut situer
notre période d’enquête ethnographique au moment
de la fin de l’encadrement de la jeunesse populaire liée
au déclin des syndicats et des socialismes ; de la construction
politique d’un nouvel ennemi intérieur véhiculé
par les « jeunes de cité » notamment issus de
l’immigration maghrébine et appréhendé
comme musulman ; et, enfin, de la relégation sociale de ces
enfants d’immigrés perçue en définitive
comme inutiles et surtout dangereux pour la cohésion nationale.
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Notes
1 Ce retour à la normativité par l’instauration
d’un certain ordre public nous laisse très perplexes
sur les courants de philosophie sociale qui aborde le thème
de la post-modernité.
2 Les sources pour l’entre-deux-guerres ne sont pas les mêmes
que celle des années 1980 en raison des limites comparatives
en socio-histoire voir infra.
3 D’ailleurs, nous tenons à préciser que ce
quartier ne fut pas concerné par les émeutes récentes.
4 A côté, il est vrai, d’un tissu social ancien.
5 Je fais référence ici à mon travail d’histoire
contemporaine qui traite de la période de l’entre-deux-guerres
réalisé sous la direction de J. Girault (Marlière,
1997).
6 Ce qui représente plus de 10 % des actes recensés
comme imprécis et donc inqualifiables.
7 Cette expression apparaît souvent dans les journaux cités
supra.
8 Banlieue Ouest du 16 juin 1933, p. 3.
9 L’Aube Sociale du 25 août 1929, p. 2.
10 L’Aube Sociale du 12 septembre 1930, p. 3.
11 L’Aube Sociale du 17 février 1931, p. 2.
12 Banlieue Ouest du 18 juillet 1928, p. 3.
13 Banlieue Ouest du 5 août 1928, p. 3.
14 L’Aube Sociale du 15 mars 1929, p. 2.
15 L’Aube Sociale du 12 avril 1929, p. 3.
16 Banlieue Ouest dans un de ses articles nous explique que le
suicide s’apparente à un drame social pour les habitants
des Grésillons.
17 Notamment vers le milieu des années 1930 lorsque le parti
communiste arrive au pouvoir et annonce d’une certaine manière
la naissance des « banlieues rouges » et du mouvement
ouvrier.
18 Pour un témoignage local de ces deux auteurs anciens
syndicalistes ayant travaillé à Chausson, la principale
usine du quartier.
19 Ce type de scène rocambolesque est fréquent entre
1982 et 1988 notamment.
20 Situation analogue constatée dès la naissance
de ce quartier avec l’apparition importante des industries
et l’arrivée en masse des ouvriers issus de la province
dans l’entre-deux-guerres voire supra.
21 Rappelons encore que certains d’entre eux ont côtoyé
des mafieux connus comme Francis le Belge ou des voyous médiatiques
tel que Jean Marc Willoquet dit le « coiffeur de Nevers ».
22 L’un des principaux fluvial d’Europe avec les trafics
que cela peut impliquer.
23 A titre anecdotique, j’entendais un rappeur de Montreuil
s’exprimer sur Radio Nova qui expliquait qu’un jour
on le pousserait vers Meaux puis Metz et, enfin, l’Allemagne.
Selon la situation géographique, les jeunes repèrent
en quelque sorte les villes de grande banlieue puis balaient les
zones des plus éloignées jusqu’à ce qu’on
les exclus du pays : la Manche pour la banlieue nord ouest et l’Allemagne
pour la banlieue est.
24 Ce dernier préfère garder l’anonymat et
ne veut divulguer officiellement les chiffres de la délinquance
sur la commune.
25 Ils ne sont pas tous délinquants au sens juridique du
terme. Seuls sont reconnus comme délinquant par la loi ceux
qui sont passés devant un tribunal et ont écopé
d’une peine de prison. Nous les avons appelé ainsi
dans la mesure où ces jeunes participent de près ou
de loin à des activités illégales.
26 Nous n’avons pas vraiment les moyens d’en savoir
plus concernant ce type de trafic pour des raisons de sécurité.
Il existe à toutes recherches des obstacles sociaux à
l’enquête sociologique pour des raisons que le lecteur
peut comprendre.
27 Nous ne pouvons pas généraliser ces pratiques
à d’autres banlieues françaises aujourd’hui.
28 Même si l’islam traditionnel des parents est parfois
très éloigné de celui des jeunes ce qui amène
souvent à des sources de tensions entre parents et enfants.
Il y a plusieurs courants religieux dans ce qu’on peut appeler
l’islam des quartiers entre salafisme, tabligh, roulouj, frères
musulmans. Mais ce n’est pas le propos de cet article ici.
29 Même si cela ne plaît pas à tous les pratiquants.
30 Néanmoins, les jeunes ont un regard cynique envers les
institutions chargées de les encadrer ou de les aider dans
le quartier.
Pour citer cet article
Eric Marlière, «Chroniques socio-historiques des pratiques
déviantes d’une jeunesse populaire dans un quartier
de « banlieue rouge »», Socio-logos, Numéro
2, [En ligne], mis en ligne le : 27 juin 2007. URL : http://socio-logos.revues.org/document572.html.
Eric Marlière
Chercheur associé au CESDIP UMR 8183 (CNRS/Ministère
de la Justice/UVSQ), chercheur associé au CERAL EA 3968 (Université
Paris Nord), intervenant à l’IRTS de Montrouge et chargé
de cours à l’université Paris Nord, e.marliere (at) orange.fr
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