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Principe et Problèmes des Réparations
par Louise Marie Diop-Maes

Origine : http://www.cran.ch/02_MenuHorizontal/3_ceran06/04_ConferenceThematiques/Word/

Communication prononcée lors de la 1ère Conférence Européenne sur le Racisme Anti-Noir – Genève, 17-18 Mars 2006
CRAN - Carrefour de Réflexion et d'Action contre le Racisme Anti-Noir
Observatoire du Racisme anti-Noir en Suisse Case postale 251 CH-3000 Berne 7

Il faut considérer d'une part, les descendants des déportés hors d'Afrique, d'autre part, les Africains subsahariens.

I – Les descendants des déportés

Les déportations sont certes anciennes, mais elles ont continué jusque vers la fin du 19ème siècle.

Les descendants des déportés en Amérique se trouvèrent réduits à l'état de sous-hommes réifiés, assujettis à l'effroyable code noir, ou à des législations équivalentes, puis, postérieurement à « l'abolition », soumis à des conditions de vie et réglementations parfaitement iniques et discriminatoires.

Que proposer comme réparation ? Faire en sorte que les gouvernements de chaque territoire consacrent obligatoirement une part importante de leurs budgets aux logements, à la santé et surtout à l'instruction et à l'éducation de tous les « Africains-américains » qui n'ont pas encore pu se créer un niveau de vie moyen, tant en Amérique latine qu'aux Etat-Unis. Cela devrait être inscrit comme une dette obligatoire dans les budgets. De même dans les états arabes. Une commission de l'ONU devrait veiller à l'application de ces mesures, (comme pour les plans d'ajustement structurel), mais, dans ce cas, directement en liaison avec les populations concernées.

II – L'Afrique subsaharienne

A – Pour la période de la traite

1 – L'existence antérieure d'un esclavage dans les sociétés noires africaines anciennes est brandie pour déculpabiliser les Européens et les Arabes. En fait, il s'agissait plutôt de « dépendants » que d'esclaves proprement dit. Le « mode de production » n'était pas « esclavagiste ».

2 – Il est manifeste que la demande a précédé et créé l'offre. Dès 651 les arabes qui venaient de conquérir l'Egypte exigeaient de la Nubie la livraison annuelle de 360 hommes comme esclaves. Au début, les Portugais capturaient eux-mêmes les Africains.

3 – Des attaques militaires ont généralement précédé les traites, principalement aux 15è/16ème siècles avec les armes à feu : les Portugais au Kongo, en Angola, en Afrique australe et sur la côte orientale ; les Marocains dans l'empire Sonrhaï :

En Angola, les Portugais conquirent la moitié du royaume entre 1580 et 1583, ayant battu quatre armées du roi et tué des milliers de ses vassaux. Dans le premier quart du 17ème siècle, le pouvoir indigène est démantelé.

En 1510, Francis de Almeida, vice-roi portugais de l'Inde, fut tué avec soixante de ses compatriotes à Table Bay (Afrique du sud) non loin du Cap. L'affrontement avait eu lieu contre les Khoï-Khoï qui étaient pourtant dépourvus d'armes à feu.

Entre le Zambèze et le Limpopo, à partir de 1569, les Portugais attaquèrent l'arrière pays de Sofala (port de la côte orientale). Après plusieurs batailles un traité de compromis fut signé en 1573 avec le roi de Manyika et en 1575 avec celui d'Uteve. C'est en 1629 qu'ils réussirent à imposer un traité équivalant à une sujétion. Aventuriers et commerçants portugais y produisirent alors le chaos.

En 1591 les Marocains constituèrent une colonne de 3000 à 4000 soldats munis d'armes à feu qui écrasèrent l'armée de l'empire Sonrhaï à Tondibi (à 50 Km de Gao). Les sonrhaï organisèrent la résistance dans le Dendi (région sud-est) puis dans les régions de Djenné et Bandiagara. Ils résistèrent jusqu'en 1599.

Les entités politiques ont été disloquées, émiettées en petites principautés vouées à se faire la guerre pour acquérir des prisonniers destinés à être échangés, particulièrement contre des armes à feu dont aucun prince ne pouvait désormais se passer pour se défendre.

4 – Autre argument avancé aux fins de disculpation, la « complicité » des Africains eux-mêmes. Or, il est clair que les attaquants victorieux trouvent toujours des « collabos » et des « capos » mais que la grande majorité des habitants était victime et non complice. Et il n'y avait plus d'« Etat »véritable, d'autant que des groupes de population se déplaçaient pour fuir les razzias. D'ailleurs les résistances n'ont pas manqué, ainsi celle de la reine de l'Angola, Nzinga, qui, à partir de 1626, se replia dans le Matamba avec la cour royale, et y établit une « formidable base d'opposition au régime portugais ».

5 – Les effets directs et indirects des attaques et des traites sont toujours oubliés : razzias multipliées de toutes parts, insécurité croissante et généralisée entraînant les disettes, les famines, les maladies de toutes sortes, perversion, puis ruine de tout le tissu politico-administratif et socio-économique qui s'était constitué, accroissement continuel du pourcentage des captifs par rapport à l'ensemble de la population et péjoration de leur condition. De 1750 à 1850, c'est un effondrement démographique qui se produisit à l'exception de quelques rares régions. Vers 1880, la population n'était plus que le tiers (ou peut-être le quart) de ce qu'elle avait été fin 15e/16ème siècle. La régression fut énorme dans tous les domaines de la civilisation.

B – De 1880 à nos jours

A la suite de la conférence de Berlin (1885), la pénétration militaire (artillerie contre fusil de traite) fit de nombreuses victimes. Aussitôt s'instaurèrent le travail forcé multiforme et général (notamment le portage, le pagayage, le ramassage du caoutchouc, etc…) les réquisitions de toutes sortes, la répression des révoltes par le fer, le sang et le feu. Disettes, famines, maladies de toutes catégories connurent une nouvelle recrudescence. Contrairement aux chiffres publiés par les démographes, on peut estimer que de 1880 à 1930, avec la continuation des traites orientales, la conquête et l'exploitation coloniales ont encore fait perdre à l'Afrique subsaharienne le tiers de la population qui lui était restée.

Si en 1930 des mesures sanitaires et administratives permirent un début de redressement démographique, le travail forcé resta en vigueur jusqu'en 1946 et l'extraversion, l'acculturation, l'aliénation, la déstructuration de la personnalité africaine s'accentuèrent, même après les indépendances nominales. L'échange inégal, les mécanismes financiers et économiques à l'échelle mondiale, la non industrialisation, l'insuffisance de compétences sur place empêchent le développement. On sait, par ailleurs, que ce sont les détenteurs de capitaux qui ont poussé les dirigeants africains (soutenus par eux) à contracter des dettes correspondant à des prêts et des aides boomerang, c'est-à-dire qui bénéficient au donateur.

Les peuples de l'Afrique subsaharienne sont donc fondés à faire valoir leurs droits à indemnités de guerre et d'occupation totalement illégitime. Déjà, les mots « dédommagements » et « réparations » devraient se substituer au mot « aides ». Mais, comme pour l'effacement des dettes, les modalités d'application sont essentielles. L'expérience prouve qu'il faut viser directement des réalisations concrètes et efficaces et non des indemnités financières globales qui fondraient.

On sait que de nos jours les pays ne se développent qu'à partir d'une masse critique d'habitants ayant atteint un niveau d'instruction assez élevé. En Afrique dite « francophone », moins de 5% des populations s'expriment en français, à quelques exceptions près. Un enseignement exercé exclusivement dans une langue foncièrement étrangère à celle des habitants engendre automatiquement nombre d'abandons, de redoublements et autres effets pervers.

Il faudrait donc obtenir qu'une commission internationale, judicieusement composée, organise les réalisations suivantes :

1°) Des manuels scolaires bilingues : langue de l'ancien colonisateur (page de gauche)/ langue majoritaire du territoire africain considéré (page de droite) – en commençant par les collèges techniques et d'enseignement général, puis les lycées, afin de former des maîtres d'écoles et des agents administratifs et économiques bilingues.

2°) la construction de nouvelles écoles scientifiques, techniques et entrepreneuriales pareillement bilingues et mixtes (50% filles, 50% garçons) en zone semi-rurale, puis rurale, en assurant tous les frais de fonctionnement pendant au moins une génération.

3°) Les adductions d'eau potable et d'électricité en zones semi-rurales et rurales, ainsi que la construction des silos nécessaires.

L'exécution effective de ces actions, en liaison directe avec les habitants et/ou leurs représentants sur le terrain, constituerait le dédommagement, la réparation qui rendraient possible le développement des peuples africains. Ces réalisations n'assurent pas automatiquement le développement puisque d'autres facteurs interviennent ; elles n'en constituent pas moins une condition structurelle sine qua non.

Louise Marie Diop-Maes