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Origine : http://www.indigenes-republique.org/spip.php?article316
Passionnant ! Cet ouvrage collectif, dédié à
François-Xavier Verschave (1945-2005) [1] et à la
mémoire de toutes les victimes de la traite atlantique et
de l’esclavage, propose une autopsie détaillée
de la traite et de l’esclavage des Noirs. De nombreuses contributions
reviennent de manière éclairante sur les conditions
dans lesquelles ce crime contre l’humanité a permis
l’instauration de la suprématie blanche et l’expansion
capitaliste à l’échelle de la planète
en bénéficiant de la légitimation des plus
hautes autorités de l’Eglise. Le terme autopsie est-il
d’ailleurs approprié alors que le cadavre est loin
d’être encore mort ? La domination du monde blanc, l’oppression
du continent africain et le racisme anti-Noirs au sein des puissances
occidentales constituent à ce jour l’une des principales
caractéristiques de la « civilisation » moderne.
Mais ce livre rappelle également les multiples luttes menées
par les Africains et les esclaves eux-mêmes et qui ont conduit
à l’abolition de l’esclavage.
Une question centrale charpente cet ouvrage, celle de l’histoire
et de la mémoire de l’esclavage ; une histoire occultée,
falsifiée, dominée, une mémoire bâillonnée,
étouffée, délégitimée, pour assurer
la bonne conscience de l’Occident et justifier la perpétuation
de l’oppression raciale dans la multiplicité de ses
formes (économique, politique ou culturelle). Leur réhabilitation
apparaît ainsi comme l’un des enjeux majeurs des combats
pour l’émancipation humaine. La reconnaissance générale
du plus terrible des crimes contre l’humanité s’impose
en effet comme un impératif moral et politique incontournable
comme cela a été fait pour d’autres génocides
(notamment des Arméniens et des Juifs).
Reste la question des « réparations ». La plupart
des contributeurs à cet ouvrage sont favorables à
cette revendication qui, comme l’exprime Louis Sala-Molins
[2], « signifie invoquer le droit, alors que les repentances
invoquent la morale » [3]. Kofi Adu Manyah ajoute : «
Tous les fils, petits-fils et arrières petits-fils d’esclave
ont souvenance du crime. Ils savent qu’aucune commémoration
de l’abolition ne peut remplacer la restitution, les réparations
dues au peuple noir du fait de la traite et de l’esclavage
atlantique. La restitution est une revendication légitime
qui passe par des réparations des pays esclavagistes, essentiellement
les nations européennes qui bordent l’Atlantique oriental.
» [4]. Yoporeka Somet, quant à lui, remarque que «
ce n’est pas en soi l’idée de réparations
qui pose tant problème, tout particulièrement, aux
pseudo humanistes, mais les seules réparations dues au titre
de la traite négrière et de la colonisation »
[5]. Aimé Césaire, par contre, est plus réticent
: « Je ne veux pas m’opposer, mais je ne défendrais
pas tellement cette idée, moi personnellement. Vous savez
pourquoi ? Comme ce serait facile ! Pour moi, ce crime est avant
tout une affaire morale et sociale. Comme ce serait facile : «
Dis donc, ton arrière arrière-grand père nous
a volés tant de Nègres, allez, finissons-en, aboule
le fric et n’en parlons plus. » Et bien, moi, je pense
que c’est impardonnable. Ce n’est pas une affaire d’argent.
Mais non. C’est beaucoup plus grave que cela. Comme ce serait
facile : « Tu m’as pris cent mille nègres. Combien
de Nègres ? Faîtes la multiplication : deux mille !
» Mais non, ce n’est pas cela ! Réparation oui.
Il faut que l’Europe reconnaisse ses torts et reconnaisse
qu’il est de son devoir d’aider l’Afrique dans
les difficultés qu’elle connaît à l’heure
actuelle. Difficultés qui sont en grande partie la conséquence
de la politique coloniale subie par les Africains. » [6]
Une discussion difficile que poursuivent les mouvements de résistance
noirs et africains et que nous donnent à mieux connaître
cet ouvrage. Quoiqu’il en soit des conclusions qui seront
tirées, les Blancs n’ont pas à intervenir dans
ce débat - et, dans ce contexte, ceux qui ne portent pas
en eux les déchirures de l’esclavage sont tous blancs,
même s’ils sont issus d’anciennes colonies et
partagent nécessairement avec les Noirs le combat contre
le postcolonialisme et le racisme. Si les descendants d’esclaves
et de peuples esclavagisés exigent des réparations,
ils doivent obtenir réparation.
A la question "Est-on sorti de cette mentalité (colonialiste)
aujourd’hui ?", Aimé Césaire répond
: "Tout dépendra de l’attitude des Nègres.
Tout dépend de la manière de se comporter. Vous croyez
qu’il suffit de dire ça pour que les Blancs baissent
la tête ? Il faudra s’organiser. Il faut être
résolu. Il faut montrer une certaine dignité, une
espèce de résistance. Pourquoi voulez-vous qu’ils
nous fassent des cadeaux ? Mais non. Soyons raisonnables" !
[7]
S.K.
mardi 4 juillet 2006
Esclaves noirs, maîtres blancs. Quand la mémoire de
l’opprimé s’oppose à la mémoire
de l’oppresseur. Sous la direction de Aggée C. Lomo
MYAZHIOM, avec les contributions de : Christiane TAUBIRA, Henri
BANGOU, Auguste ARMET, Yoporeka SOMET, Kofi Adu MANYAH, Aimé
CESAIRE, Buata MALELA, Cyr-Henri CHELIM, Martial ZE BELINGA, Bassidiki
COULIBALY, Louis SALA-MOLINS. Editions Homnisphères, Paris,
2006
[1] fondateur de l’association SURVIE, pourfendeur infatigable
de la Françafrique
[2] On lui doit notamment d’avoir déterré le
Code noir publié également dans cet ouvrage
[3] p.284
[4] p.144
[5] p.127
[6] p.180
[7] 180
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