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Origine : http://www.aidh.org/esclav/30quest/noirs29.html
La réponse diffère selon que l'on considère
la mémoire sous l'angle de la conservation ou du rappel des
faits passés.
En effet, si la mémoire négrière est plutôt
bien conservée, c'est-à-dire, ficelée, mise
en boîtes et rangée sur des kilomètres de rayonnages,
elle est plus difficilement rappelée.
Au cours d'une carrière bien remplie, la traite a produit
beaucoup de papier grâce à quoi les dépôts
publics d'archives en France regorgent de documents essentiels:
registres matricules des bâtiments et des gens de mer, comptes
d'armement et contrats d'assurances, livres de bord et journaux
de traite, listes de marchandises et de victuailles, états
des cargaisons de retour, correspondances en tous genres, etc. Si
à Nantes, les Archives départementales de Loire-Atlantique
sont sûrement les mieux loties, d'autres lieux dans les grandes
villes portuaires abritent de fort belles choses. En dépit
de pertes inéluctables dues aux incendies ou simplement à
l'usure du temps, la masse documentaire à la disposition
du chercheur impressionne. L'historien de la traite bénéficie
aussi de l'apport des papiers d'origine privée - mais combien
de descendants d'armateurs ou de capitaines négriers se font
encore tirer la manche pour livrer ce qui trahirait l'activité
"inavouable" e leurs ancêtres ?
Le sentiment de honte et de culpabilité est le noeud du
problème en ce qui concerne le second volet de la mémoire
négrière. Il ne suffit pas de tout connaître
sur la traite, encore faut-il le faire savoir. Le sujet a longtemps
eu du mal à susciter les vocations quand plus d'un auteur
n'accordait à la traite qu'une place secondaire. Dans ce
contexte d'occultation de vieux, mais encombrants, souvenirs, vaincre
les réticences familiales comme les résistances municipales
relevait du défi.
En 1985, la municipalité nantaise continuait de regarder
son passé négrier de travers en refusant de soutenir
le Colloque international sur la traite des Noirs organisé
par Serge Daget à l'occasion du tricentenaire du Code Noir.
En 1992, la municipalité suivante prenait le pari d'afficher
ce même passé dans une exposition intitulée
Les Anneaux de la Mémoire. Pari risqué dans la mesure
où il n'est pas simple pour la ville-bourreau de parler au
nom du continent-victime en arguant du prétexte d'une histoire
commune : "entre le fusilleur et le fusillé l'instant
est commun", peut justement ironiser le philosophe Louis Sala-Molins.
Il n'empêche. L'exposition a permis de rappeler la participation
de l'Europe en général et de Nantes en particulier
à une abomination que beaucoup préférerait
voir mise aux oubliettes de l'histoire plutôt qu'élevée
au rang de crime contre l'humain. Combien de temps lira-t-on encore
que l'importance de la traite dans l'économie nantaise est
un mythe ou que la traite bordelaise est lilliputienne face au Léviathan
britannique ?
Quel besoin de savoir si ces deux assertions sont exactes, quand,
pendant 150 ans, un million de captifs, au bas mot, ont nourri la
cupidité des ports de Nantes et de Bordeaux, de La Rochelle
et du Havre ?
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