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Origine : http://fanette316.typepad.fr/absolute/2007/05/le_code_noir_es.html
Vu et lu sur HISTORIA dans la rubrique L'Esclavage : les négriers
français
Promulgué par Louis XIV en 1685, le Code noir réglemente
l'esclavage des Noirs aux Antilles, en Louisiane et en Guyane. Pour
en savoir plus sur cette infamie légale, Historia a rencontré
Louis Sala-Molins, exégète impitoyable du texte et
pourfendeur de toutes les hypocrisies abolitionnistes.
Historia - Qu'est-ce que le Code noir et quels en sont les principes
?
Louis Sala-Molins - C'est à l'initiative de Colbert, l'homme
des grandes réglementations, que l'on va produire des mémoires
sur la situation des esclaves et des plantations. Deux rédacteurs
- Charles de Courbon, comte de Blénac, et Jean-Baptiste Patoulet
- vont s'y atteler en s'inspirant des pratiques esclavagistes des
Espagnols en terre d'Amérique. Le Code, promulgué
par Louis XIV en 1685, se compose de soixante articles qui gèrent
la vie, la mort, l'achat, la vente, l'affranchissement et la religion
des esclaves. Si, d'un point de vue religieux, les Noirs sont considérés
comme des êtres susceptibles de salut, ils sont définis
juridiquement comme des biens meubles transmissibles et négociables.
Pour faire simple : canoniquement, les esclaves ont une âme
; juridiquement, ils n'en ont pas.
Les soixante articles peuvent être compartimentés
en fonction de thématiques allant de la religion unique,
qui condamne le concubinage, impose le baptême et régit
le mariage et l'inhumation des esclaves, à la réglementation
de leurs allées et venues, de leur nourriture et de leur
habillement, en passant par l'incapacité de l'esclave à
la propriété ; son incapacité juridique ; sa
responsabilité pénale ; les délits de fuite
et de recel ; la justice et le maître face aux esclaves ;
l'esclave en tant que marchandise ; l'affranchissement et ses conséquences
; les fautes impliquant le retour à l'esclavage. Les principes
essentiels de ce code établissent la déshumanisation
de l'esclave, tant sur le plan juridique que civil, et la contrainte
théologique qui s'exerce sur sa volonté. Avec la mise
en place du Code noir, Louis XIV abandonne complètement l'esclave
à son maître. La chosification et la bestialisation
sont totales. Le roi se limite à adresser une recommandation
à ses sujets pour qu'ils ne malmènent pas leur «
propriété » qui est aussi leur « patrimoine
».
H. - Dans quel contexte politico-économique apparaît-t-il
?
L. S.-M . - Le Code noir s'inscrit dans une période de raidissement
du catholicisme contre-réformiste. C'est l'époque
de la révocation de l'édit de Nantes auquel se substitue
l'édit de Fontainebleau. C'est aussi une période de
mainmise des jésuites sur des hommes et des femmes qui entourent
Louis XIV. Politiquement et économiquement parlant, Colbert
désire terminer son travail de réglementation juridique
et commerciale. En effet, dans les colonies antillaises, les colons
n'en font qu'à leur tête. Il apparaît donc urgent
de contenir cet esprit frondeur en réaffirmant la souveraineté
de l'Etat dans les terres lointaines.
Lorsque le Code est établi, le commerce colonial de la France
subit la rude concurrence du commerce britannique. Il faut faire
mieux ou au moins aussi bien que les Anglais. En ce sens, le Code
noir table sur une possible hégémonie sucrière
de la France en Europe. Pour atteindre ce but, il faut prioritairement
conditionner l'outil esclave.
H. - Quel mode opérationnel l'esclavagisme emprunte-t-il
avant qu'on le théorise et qu'on le légalise ?
L. S.-M. - Sous Louis XIII et Richelieu, la France en est encore
à lorgner sur les pratiques esclavagistes bien huilées
de la partie espagnole de l'île de Saint-Domingue. Avant la
codification, les Français improvisent au coup par coup.
La marchandisation des esclaves se fait de façon brutale.
Elle obéit à la loi du marché. Le Code noir
prétend réglementer une gestion dont le bon plaisir
du maître est la clé. Un bon plaisir qui se retrouve
dès lors subordonné à celui du roi, avec les
conséquences suivantes : le bon plaisir du roi étant
légalisé, les caprices de tel ou tel maître
deviennent réprimables. Notons qu'ils ne seront jamais réprimés.
On en arrive à une aberration : pour la première fois
dans l'histoire moderne cohabitent les mots droit et esclavage dans
un ensemble homogène de lois. Je considère le Code
noir comme le texte juridique le plus monstrueux de la modernité.
H. - Les hommes d'Eglise du XVIIe siècle se réfèrent
à la Bible pour légitimer l'esclavage. Quels arguments
mettent-ils en avant ?
L. S.-M . - Il y a en effet un florilège de textes bibliques
légitimant l'esclavage auxquels hommes d'église et
érudits se réfèrent. Les théologiens
font grand cas, aujourd'hui, des passages de la Bible où
il est question de l'affranchissement des esclaves des Hébreux
tous les sept ans (Genèse XVII, 12-13, 23 et 27 ; Exode XXI,
1-21 ; Deutéronome XV, 12-18). En revanche, ils taisent ce
passage du Lévitique (Lévitique XXV, 44-66), qu'ils
évoquaient alors constamment parce qu'il légitime
l'esclavage au sens le plus fort : interdiction aux juifs de mettre
des juifs en esclavage, mais ordre aux juifs de se procurer des
esclaves, et dans les nations qui les entourent et chez les enfants
des hôtes résidant chez eux, qu'ils soient nés
ailleurs ou en territoire juif : « Ils seront votre propriété
et vous les laisserez en héritage à vos fils après
vous pour qu'ils les possèdent à titre de propriété
perpétuelle. Vous les aurez pour esclaves. Mais sur vos frères,
les enfants d'Israël, nul n'exercera un pouvoir arbitraire.
» Voilà pour le principe. Mais quel rapport entre la
Bible et les Noirs africains ?
L'africanisation de Canaan apparaît comme une autre clé
de légitimation. Les origines de la « légende
noire » de Canaan remontent à l'époque de Noé.
Celui-ci décide, après le Déluge, de planter
une vigne. Il en tire du vin, le boit, se saoule, et se met tout
nu. Un de ses trois fils, Cham, l'aperçoit ainsi dévêtu.
Il rigole et part raconter ce qu'il a vu à ses frères.
Ces derniers prennent un voile, vont à reculons vers leur
père pour ne pas le voir et couvrent sa nudité. Puis
ils lui racontent les moqueries dont il a été l'objet.
Noé est furieux. Il décide de maudire Cham. Problème
: il l'a déjà béni. Alors il décharge
toute sa colère sur Canaan, le fils de Cham. Il condamne
Canaan à être l'esclave de ses frères. C'est
la première fois que le mot « esclave » apparaît
dans la Bible. Une vieille tradition rabbinique, très tôt
reprise par les exégètes chrétiens, risque
une géographie post-diluvienne de l'éparpillement
des hommes sur terre en partant des trois enfants de Noé
: aux descendants de Sem (les Sémites), les rives orientales
et méridionales de la Méditerranée ; à
ceux de Japhet (les Japhétites), les rives septentrionales
et occidentales de cette mer ; à ceux de Cham (les Chamites),
les terres inconnues de l'Afrique, aussi loin qu'elles s'étendent.
Fils unique de Cham, Canaan devient la souche de toute la population
noire... Conclusion : les Noirs héritent tout naturellement
de l'esclavage. Aussi simple que cela, et pour l'exégèse
juive et pour l'exégèse chrétienne. Dans cette
tradition « blanco-biblique », l'esclavage des Noirs
est parfaitement légitimé et la traite apparaît
dès lors comme un moyen providentiel de christianisation.
H. - Dans votre ouvrage Le Code noir ou le calvaire de Canaan ,
vous dîtes qu'à l'orée de la philosophie, l'esclavage
est donné comme allant de soi. Est-ce à dire que l'asservissement
est un corollaire des sociétés issues de la culture
gréco-romaine ?
L. S.-M. - La thématique de l'asservissement est banale
chez Platon. Dans les Lois , il fait apparaître l'esclave
dans un chapitre concernant... les objets perdus. Que faire quand
on trouve un esclave perdu ? On le rend tout simplement à
son maître. La question de l'esclavage est acceptée
et non raisonnée chez Platon. Elle est argumentée
chez Aristote qui défend tranquillement l'existence d'un
esclavage naturel, à ne pas confondre avec celui dont la
source est la captivité pour faits de guerre ou de razzia.
Pour Aristote, en toute logique, les fils des esclaves par captivité
naissent aussi naturellement esclaves que ceux des esclaves naturels.
Et la philosophie ne s'en porte pas plus mal... On s'aperçoit
à les lire que ce qui préoccupe ces penseurs, ce n'est
pas de savoir si l'esclavage est juste ou injuste, mais d'éviter
que la vertu du maître ne périclite au contact de la
nature résolument vicieuse de l'esclave.
H. - Vous parlez de l'obscénité du silence des philosophes
des Lumières sur la question de l'esclavage. Pourquoi ce
mutisme ?
L. S.-M. - Les Lumières se moquent du catéchisme
qui pose le principe de « tout homme image de Dieu »
induisant une égalité fondamentale. Net et clair en
langage d'aujourd'hui : les Noirs portent le péché
de Canaan, et sont donc légitimement esclaves ; mais, «
images de Dieu », ils sont anthropologiquement aussi parfaits
que les Blancs et parfaitement évangélisables.
Ce schéma est en radicale contradiction avec le soubassement
épistémologique des philosophes des Lumières.
En leur temps, la science anthropologique, c'est Buffon. Avec Buffon
apparaît une rude hiérarchisation des races. Les Noirs
jouent des coudes avec les orangs-outans pour occuper le palier
le plus bas de la pyramide des races. Buffon voit dans le Blanc
une perfection éthique, esthétique, physique. Quand
les philosophes évoquent la perfectibilité et la dégénérescence,
ils parlent pour le Blanc de perfectibilité morale. Pour
les Noirs, anthropologiquement dégénérés,
il s'agit d'une perfectibilité qui leur permette de se «
blanchir ». Ce qui pour les Blancs est d'ordre purement moral
est pour les Noirs d'ordre anthropologique. Les Lumières
critiquent ici et là les excès des violences inutiles
perpétrées par les négriers, mais à
aucun moment elles ne remettent clairement en question et jusqu'au
bout le principe de l'esclavage des Noirs. Il y a comme une incapacité,
pour ces gens de lettres cimentés dans les schémas
de Buffon, de voir les Noirs autrement qu'en dégénérescence
et en attente d'un improbable mouvement vers l'accomplissement parfait
du Blanc.
Prenez le cas de Diderot et de Raynal. Malgré leurs belles
paroles, ils ne sont pas les derniers à toucher des dividendes
sur l'esclavage. Ils montrent par leur pratique qu'on peut pleurer
sur le triste sort fait aux esclaves noirs tout en engageant de
l'argent dans les compagnies négrières et en touchant
des bénéfices.
Autre exemple : Condorcet. Réputé pour avoir combattu
l'esclavage, il propose pourtant un moratoire de soixante-dix ans
entre la date où on décrète que l'esclavage
est une monstruosité et le moment où l'esclave va
être traité comme un homme. Il demande aussi qu'il
y ait quinze ans pendant lesquels le travail de l'esclave dédouanera
le maître des frais d'achat et de formation de l'esclave avant
son affranchissement. Pour rassurer les maîtres qui s'inquiètent
de savoir qui va travailler leurs terres, Condorcet arguë que
les esclaves affranchis ne savent rien faire d'autre que les travaux
agricoles. Les anciens maîtres pourront continuer à
les exploiter commodément. Notre grand penseur a l'élégance
de leur rappeler que les travaux des champs pouvant être faits
par n'importe qui, les salaires y sont beaucoup plus bas que partout
ailleurs... Je sais bien qu'il est de bon ton de s'extasier sur
l'abolitionnisme de Condorcet. Si, au pays des aveugles, le borgne
est roi, au pays des esclavagistes en jabot et dentelles, il n'est
pas interdit d'admirer la rhétorique retorse de celui qui
peste contre l'esclavage, mais demande soixante-dix ans pour l'abolir,
qui déclare plus tard, en chorus avec les Amis des Noirs,
vouloir la fin de la traite, non celle de l'esclavage, et conclut
qu'il serait sage d'affranchir les métis, au sang «
rédimé » par le sang des Blancs, et que les
Noirs pourront toujours attendre. Je n'invente rien. Condorcet a
écrit en 1788 Réflexions sur l'esclavage des nègres
. Il suffit de lire.
H. - Parlez-nous de la théorie des climats, qui là
encore justifie l'esclavage de façon extravagante...
L. S.-M. - Pour la France, cette théorie naît au XVIIIe
siècle avec Montesquieu. Mais, deux siècles avant,
l'écrivain espagnol Las Casas ironise sur les fondements
de la théorie posés par Ptolémée de
Lucques au XIVe siècle. Ce dernier se livre à des
calculs sur les rapports entre les astres et les hommes, les saisons
et les hommes, les régions et les hommes. Ptolémée
de Lucques affirme par exemple que les Indiens vivent dans des latitudes
et des longitudes qui influent sur leur psychologie, il en va de
même pour les Noirs.
Et d'ajouter que l'intensité de l'ensoleillement a un impact
direct sur l'assoupissement des esprits. Las Casas s'amuse au XVIe
siècle à faire tourner le globe terrestre. Il en conclut
qu'en France, si l'on s'en tient à ces calculs longitudinaux,
les Francs-Comtois feraient de bons esclaves !
Pour Montesquieu, le climat fait les hommes. Les hommes font les
lois, mais ils les font en fonction de ce qu'exigent les climats.
Il conclut que s'il y a un esclavage naturel, c'est climatiquement
chez les Noirs qu'on le trouve. Le gouvernement qui leur convient
est la tyrannie, seule à même de les mettre au travail.
Pour les climats tempérés, il préconise la
République !
La théorie des climats chez Montesquieu et la hiérarchisation
des races chez Buffon relèvent de la même logique.
Sous l'influence de ces deux critères, les Lumières
se fourvoient complètement. Je regrette que les philosophes
de ce temps n'aient pas gardé un oeil critique sur ce que
pouvait l'égalité adamique qui permettait de mettre
de côté toutes ces foutaises.
H. - A partir de quel moment, d'un point de vue politique, commence-t-on
à condamner l'esclavage ?
L. S.-M . - L'un des déclics, c'est l'implantation de l'Angleterre
en Inde. A partir de ce moment, il va y avoir une réflexion
d'ordre économique de laquelle naîtra une dérive
idéologique. En acquérant d'autres sources de travail,
de main-d'oeuvre, d'exploitation et de commerce, l'Angleterre peut
s'offrir quelques velléités humanistes du côté
de ses îles. On passe alors rapidement à la physiocratie
et à l'idée selon laquelle on peut récupérer
autant de biens par un travail salarié que par un travail
d'esclave. On en arrive même à se demander si l'esclavage
ne coûte pas plus cher que le travail salarié. Cela
coïncide en France avec la poussée pré-révolutionnaire
et révolutionnaire. Les Amis des Noirs s'engagent nettement
contre la traite, l'abbé Grégoire en tête. Mais
il s'agit d'un abolitionnisme par étapes et purement raciste,
nous l'avons vu chez Condorcet.
Quid de l'abolition décrétée par la Convention
en février 1794 ? Elle vient après la révolte
des esclaves noirs de Saint-Domingue en 1791, après que Toussaint-Louverture
a arraché, les armes à la main, l'abolition dans son
île en 1793, et alors que l'Angleterre pousse de toutes ses
forces pour s'implanter dans la région. « Citoyens,
c'est aujourd'hui que l'Anglais est mort ! Pitt et ses complots
sont déjoués ! L'Anglais voit s'anéantir son
commerce. » Ça, c'est le commentaire de Danton. Le
commerce, donc, et pas la morale...
H. - Dans quel climat idéologique intervient l'abolition
de 1848 ?
L. S.-M . - L'Angleterre contrôle la mer et impose une politique
d'abandon de la traite. La France rechigne mais se résigne
sous la pression. Cela étant, le débat sur l'abolition
ne concerne que les érudits et n'intéresse pas l'opinion.
Victor Schoelcher n'est pas, dès le départ, partisan
de l'abolition immédiate. Il propose, lui aussi, un moratoire.
Mais, en se rendant aux Antilles, il prend conscience des conditions
de vie déplorables des esclaves et de la réalité
du marronnage. Il craint l'explosion et donne l'alerte. En rentrant
en France, il prône l'abolition sans délai.
H. - Quelle place occupe aujourd'hui le Code noir dans les manuels
scolaires ?
L. S.-M . - Une place minime, et c'est bien ce que je déplore
!
Propos recueillis par Eric Pincas
Un arsenal répressif
Colbert entend réglementer la gestion des colonies et réaffirmer
la souveraineté de l'Etat dans les terres lointaines. Avec
le Code noir, il rappelle aux maîtres qu'ils sont subordonnés
au bon plaisir du roi.
Comprendre
Physiocratie
Doctrine élaborée en 1760 par Quesnay. Elle propose
le libre jeu des initiatives individuelles et exige la liberté
du travail, de la circulation et des échanges.
Marronnage
L'esclave fugitif (cimarron , singe en espagnol) est appelé
marron, et sa fuite, le marronnage.
Sévices en tout genre
Les colons infligent à leurs esclaves accusés de
«délits » des châtiments d'une cruauté
extrême, non dénuée de sadisme. Les excès
sont tels que le Code noir tente de limiter les caprices des maîtres.
Ils ne seront pourtant jamais réprimés.
La caution des penseurs
Le naturaliste Buffon établit une hiérarchisation
des races, qui voit dans le Noir la dégénération
du Blanc. Pour le philosophe Montesquieu, c'est le climat qui fait
les hommes. Il conclut à un esclavage « naturel »
des Africains.
* Professeur émérite de philosophie politique à
Paris I et à Toulouse II, Louis Sala-Molins a écrit
Le Code Noir ou le calvaire de Canaan , que les PUF viennent de
rééditer dans la collection Quadrige.
Le texte de 1685 Code noir est disponible sur Wikisource. => https://fr.wikisource.org/wiki/Code_noir/1685/orthographe_modernis%C3%A9e
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