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L'esclavage Les négriers français La soudaine richesse des fils Grou de Nantes
Par Jacques Ducoin *

Origine : http://www.historia.presse.fr/data/thematique//80/08001201.html

* Membre associé du Laboratoire d'histoire et d'archéologie maritime (CNRS 1989, Musée de la Marine, Paris IV-Sorbonne), Jacques Ducoin est l'auteur de la thèse « Naufrages, conditions de navigation et assurances dans la marine de commerce du XVIIIe siècle. Le cas de Nantes et de son commerce colonial avec les îles d'Amérique » (Librairie de l'Inde, 1993).

01/11/2002 - N° 080 - Rubrique L'esclavage - Dossier : Jacques Ducoin


Aux XVIIIe et XIXe siècles, le port de l'embouchure de la Loire arme plus de 45 % des expéditions négrières françaises. A elle seule, la famille Grou finance, de 1714 à 1765, 114 expéditions, dont plus de 50 pour la traite. Et en retire de substantiels bénéfices...

Sur l'île Feydeau, à Nantes, à l'angle de la place de la Petite-Hollande et de la rue Kervégan, se dresse l'hôtel Grou. Edifié aux frais de l'armateur Guillaume Grou entre 1747 et 1752, c'est l'un des bâtiments les plus prestigieux du patrimoine architectural de la ville. C'est aussi le témoin de la grande époque du commerce maritime nantais et de la traite négrière.

A l'origine de la dynastie, Jean-Baptiste Grou, né à Paris en 1659. Il s'installe à Nantes vers 1680 et y épouse, le 8 mai 1694, Marie Martine Lucas, une jeune fille issue d'une famille en vue de la ville, alliée aux Despinoze, d'origine espagnole immigrée à Nantes au XVIe siècle. De quoi se faire une place dans la bonne société nantaise. De fait. En 1706, Jean-Baptiste est échevin, en 1710 premier consul, en 1722 juge-consul. Vers 1723, sa fortune est évaluée à 140 000 livres. Ce qui n'en fait que le 32e commerçant de la ville, selon « L'Etat des négociants... », retrouvé aux Archives de Nantes. Et encore, cette fortune, il ne la doit pas au seul armement maritime. Sa première expérience dans ce domaine ne date en effet que de 1698, quand il affrète L'Aigle , un navire de 150 tonneaux à destination de Saint-Domingue ; et son premier navire négrier, Les Cinq Frères, n'appareille qu'en 1721. D'ailleurs, entre 1694 et 1740 il n'organisera jamais que 17 voyages en son nom personnel, dont 15 pour les îles d'Amérique.

En même temps que la fortune, la famille s'agrandit. Les époux Grou ont quatorze enfants, dont seulement sept survivent : quatre filles (Michelle, Eulalie, Thérèse et Madeleine) et trois garçons (Guillaume, Louis et Jean-Baptiste).

Né le 30 mars 1698, Guillaume, l'aîné, comme de nombreux fils de négociants nantais, fait son apprentissage en Hollande. Envoyé à Amsterdam à l'âge de 18 ans, au lendemain du traité d'Utrecht, il y reste jusqu'en 1719. De retour à Nantes, il monte sa propre affaire. Et trois années plus tard, lorsqu'il se marie, il vient d'acheter une charge de conseiller secrétaire du roi d'une valeur de 60 000 livres et déclare posséder « tant en effets, tant en France, à l'étranger, à la mer qu'aux isles et à l'Amérique, montant à tout la somme d'un million de livres qu'il a gagné dans le commerce ». Son épouse, Anne O'Schiell, avec sa dot de 100 000 livres, y a contribué quelque peu. De plus, issue d'une famille d'armateurs d'origine irlandaise arrivée en France en 1688 à la suite de Jacques II Stuart, elle a fait entrer son époux dans un des plus puissants clans du commerce nantais : le clan des Irlandais (lire encadré, page 17) .

Lorsque Jean-Baptiste Grou père meurt à 81 ans, en novembre 1740, sa descendance est devenue une puissance commerciale dont les ramifications s'étendent un peu partout en France. De ses quatre filles, deux sont restées célibataires : Michelle et Eulalie. Mais Thérèse a épousé en 1724, Pierre-Gilles Prudhomme, sieur de Fontenay, juge-garde au dépôt de sel de Nantes et armateur, tandis que Madeleine vient de s'unir avec un Sarrebourse d'Audeville, une des plus grosses fortunes de Nantes. Idem pour ses fils. Louis, né en 1707, a épousé à 30 ans Marie Suzanne Prudhomme, demi-soeur de Pierre-Gilles. Reste le cadet Jean-Baptiste, né en 1708, qui n'apparaît réellement dans l'armement nantais qu'après 1740, en association avec François-Augustin Michel. Il se rattrapera jusqu'à devenir l'une des plus florissantes affaires du milieu du XVIIIe siècle. Grou & Michel, leur raison sociale armera, entre 1748 et 1756, 53 navires : 35 négriers, 15 en ligne directe pour les Antilles et 3 pour l'île de France, aujourd'hui Maurice.

Depuis 1723, Jean-Baptiste Grou père a confié la barre de son affaire aux Fontenay-Prudhomme.

C'est entre 1748 et le début de la guerre de Sept Ans en 1756, que l'activité des fils Grou atteint son apogée. Jusqu'alors Guillaume a été un homme d'affaires sans être spécifiquement un armateur. Son premier navire, Le Saint-Pierre , 300 tonneaux, a appareillé de Nantes en 1742 à destination de Saint-Domingue. En tout et pour tout, entre 1748 et 1763, il financera 11 expéditions négrières.

La guerre de Sept Ans a profondément affecté le commerce maritime nantais et le risque de prise a entraîné un arrêt quasi total des navigations transocéaniques. Dès le début du conflit, Guillaume a d'ailleurs perdu le La Placelièr e - du nom du domaine de son père à Château-Thébaud -, capturé par les Anglais et coulé devant Portsmouth avec une cargaison d'une valeur de 131 557 livres. En 1763, avec le retour de la paix, les affaires reprennent. Cette année-là, Guillaume arme cinq nouveaux voyages dont deux à destination de la Guinée : le Télémaque et le Mentor . Mais il n'en a pas pour autant fini avec les fortunes de mer. Parti de Nantes le 7 juin, le Mentor , 180 tonneaux, est commandé par le capitaine Bigot. Début de septembre, il est sur les côtes de Guinée où il charge 456 captifs avant d'appareiller le 15 mars de l'année suivante à destination de Saint-Domingue. Dans le compte rendu du voyage, qu'il fera par la suite devant le greffe de l'Amirauté de Nantes, le capitaine déclarera que des vents forts l'ont empêché de rentrer au Cap-Français et qu'il a été poussé jusqu'à Cuba où il a été « contraint » de vendre les 315 captifs survivants aux Espagnols de La Havane pour une valeur de 30 000 piastres. On peut, plutôt, se demander si le capitaine n'a pas obéi aux instructions de Guillaume. Il est en effet plus rentable de vendre des esclaves contre des piastres espagnoles que de revenir en Europe avec un chargement de produits coloniaux. Quitte à braver la réglementation de l'Exclusif, édictée par Colbert, qui interdit alors aux navires français de commercer avec des pays étrangers.

Ainsi lesté de piastres, le Mentor prend la route du retour. Mais alors qu'il est en vue des côtes françaises, un fort coup de vent l'empêche d'entrer en Loire et il est contraint de se mettre à l'abri devant la presqu'île de Quiberon où il retrouve d'ailleurs un autre navire nantais La Duchesse-d'Aiguillon . Mouillés en catastrophe, entre les îlots rocheux de Teviec, Guernic et Robellan, les deux bâtiments chassent sur leurs ancres dans la nuit et sont poussés sur la grande plage de Quiberon, aux abords du fort de Penthièvre. Ce double naufrage entraîne d'importantes opérations de sauvetage, consignées par les greffiers de l'Amirauté de Vannes. On tente de récupérer ce qui peut l'être.

Pour surveiller les opérations, nul doute que les officiers de l'Amirauté de Vannes ont dû s'asseoir sur le banc de pierre qui ceinture la chapelle de Notre-Dame-des-Fleurs, à Plouharnel, d'où l'on voit la presqu'île de Quiberon et le site du naufrage. Et les officiers maritimes, conformément à la Grande Ordonnance de la Marine d'août 1681, d'énumérer les objets les plus encombrants ou de moindre valeur sitôt entreposés dans la chapelle. Echantillon : « Une voile de grand hunier en toile de Beaufort et très usée, 154 menottes à nègres, un couteau pour le cuisinier et un frisoir, 108 fers à nègres, une roue de gouvernail, trois canons de quatre livres de balles avec leurs affûts, 10 colliers pour nègres, 21 boulets de 4 livres ramés, la cloche de bord, 4 crocs à canons et 9 bracelets pour nègres [...]. » Quant aux marchandises et objets de plus grande valeur, il a été jugé plus sûr de les déposer dans la demeure du recteur : « 126 pièces de Guinée [du tissu], 6 nappes et 20 serviettes, un sac n° 15 marqué LM et contenant 1 000 piastres, un sac contenant 1 000 piastres en doubles escalins, une petite caisse de chirurgien contenant une scie avec une lame de rechange, un tire-balle, deux tambours [...]. »

L'annonce en ayant été faite « à son de tambour dans la ville d'Auray et par crieurs dans les paroisses de Carnac, Erdevan, Quiberon et Plouharnel », comme le veut la réglementation, la vente des débris du Mentor a lieu sur la grève, devant l'épave, le 4 février. En tout état de cause, ces enchères ne concernent que des objets de peu de valeurs, tels « la bitte de grand mât, le mât de misaine en deux morceaux, le tout éclaté, le pied du mât d'artimon, un morceau de vergue d'environ 12 pieds de long [...] ». Mais ce ne sont pas ces misérables débris qui justifient un tel déplacement de population sur la plage de Quiberon. L'écho donné à ce naufrage est principalement lié aux 30 000 piastres récupérées à La Havane, trésor que le ressac a enfoui dans le sable à l'exception des deux sacs déposés à la cure de la chapelle de Notre-Dame- des-Fleurs. Les assureurs nantais chargent le capitaine Van Alstein, un Flamand établi à Nantes, de rechercher cet or.

Aidé de la population qui escompte quelque récompense, celui-ci récupère près de 20 000 piastres, et le 9 avril suivant, tous se rendent en procession à la chapelle de Plouharnel et y font célébrer une messe. Puis, à l'église paroissiale, on chante un Te deum , « [...] en Action de Grâce et à la satisfaction de tout le pays qu'on accusait d'avoir volé le trésor, puis on donna à dîner à tous ceux qui avaient travaillé à déterrer l'argent [...]. »

Quant à Van Alstein, il reçoit une commission : 5 % prévus dans le contrat de sauvetage conclu avec les assureurs de la cargaison du Mentor - aujourd'hui encore, la légende dit que près de 10 000 piastres restent enfouies sous les sables de la presqu'île de Quiberon, quelque part du côté du fort Penthièvre.

Le naufrage du Mentor marque un net ralentissement des armements de Guillaume Grou. Outre la perte financière, l'armateur a pris de l'âge et ce sont maintenant les Leroux des Ridellières, héritiers des Prudhomme-Fontenay qui sont à la tête des affaires. Reste que sous la multiplicité des noms, c'est la même entreprise familiale qui se perpétue.

Le ménage de Guillaume Grou, resté sans descendance, reporte son affection sur les deux enfants survivants de sa soeur Thérèse Prudhomme, morte en 1749 et dont il est l'exécuteur testamentaire. En 1770, Guillaume, alors âgé de 72 ans, se rend chez son notaire pour y déposer son testament : il craint que la goutte, dont il souffre, ne le mette « hors d'état de pourvoir à ses affaires spirituelles et temporelles ». Le testament énumère tout d'abord une série de legs « en faveur de l'humanité » dont le plus important, 200 000 livres, est destiné à la création d'un orphelinat. D'autres legs semblent plus intéressés et destinés à garantir le repos de l'âme du donateur : 30 000 livres à l'hôtel-Dieu pour une messe hebdomadaire à perpétuité, 10 000 livres au Sanitat pour une messe mensuelle à perpétuité, 8 000 livres à la paroisse de Saint-Nicolas pour faire « dire à perpétuité [...] un salut tous les samedis [...] ». Passant ensuite aux survivants, le testament prévoit des dons en faveur des cousins et cousines dans le besoin à Nantes et à Paris, des prêtres irlandais, des « pauvres honteux », des domestiques : 7 à Nantes et 7 à La Placelière. Il offre également une dot aux 12 plus pauvres filles de Château-Thébaud, à condition toutefois que celles-ci demeurent dans la paroisse.

Ces donations sont-elles faites dans le but de se racheter de son activité d'armateur négrier, peu en rapport avec la charité chrétienne ? Probablement non, car Guillaume n'a, de toute évidence, pas le moindre remord. Comme tout un chacun à l'époque, il considère la traite comme un négoce ordinaire, estimant que les nègres - c'est ainsi qu'on les nomme à l'époque - destinés à l'esclavage des plantations antillaises sont livrés, le plus souvent en échange d'armes, d'alcools, de verroterie et d'étoffes, par leurs propres frères de couleur. Lecteur, comme tout armateur, du traité de commerce Le Parfait Négociant, il doit partager avec l'auteur, Jacques Savary, l'opinion énoncée dans le chapitre consacré au commerce des îles françaises de l'Amérique : « Ce commerce paraît inhumain à ceux qui ne savent pas que ces pauvres gens sont idolâtres, ou Mahométans, et que les marchands chrétiens en les achetant à leurs ennemis, les tirent d'un cruel esclavage, et leur font trouver dans les îles où ils sont portés, non seulement une servitude plus douce, mais même la connaissance du vrai Dieu, et la voie du salut par les bonnes instructions que leur donnent des prêtres et religieux qui prennent soin de les faire chrétiens, et il y a lieu de croire que sans ces considérations, on ne permettrait point ce commerce. Ceux qui l'entreprennent doivent donner de si bons ordres pour la nourriture, transport et bon gouvernement de ces pauvres misérables, qu'il n'en meure aucun par leur faute, et dont ils aient un jour à rendre compte. »

C'est donc certainement en paix avec sa conscience que Guillaume s'éteint dans son hôtel de l'île Feydeau le 29 novembre 1774. Il est inhumé au cimetière de la Bouteillerie, dont il est le premier occupant, accompagné, selon les dires d'un chroniqueur de l'époque, par « un cortège de quatre-vingts Noirs portant des flambeaux » (il s'agit plus vraisemblablement de laquais vêtus de noir). Sa fortune est alors estimée à 4 430 000 livres dont une partie est attribuée à des oeuvres de bienfaisance et notamment à la maison spéciale « d'orphelins et de bâtards », inaugurée en 1782, là où la rue Guillaume-Grou (près du cimetière de la Bouteillerie) en perpétue de nos jours le souvenir.

Après la mort de Guillaume, sa veuve compte encore parmi les grandes figures de Nantes. En 1776, elle accueille dans son domaine de La Placelière l'envoyé du tout jeune gouvernement américain auprès de la Cour de France, Benjamin Franklin. L'illustre physicien a 70 ans lorsqu'il lui est confié, le 26 septembre 1776, la mission d'obtenir de la France la reconnaissance de l'indépendance américaine, un traité de commerce, une aide militaire et, si possible, l'entrée officielle des Français dans une guerre contre l'Angleterre. Un mois plus tard, Franklin embarque à Philadelphie en compagnie de deux de ses petits-fils âgés de 16 et 7 ans à bord du Reprisal à destination de Nantes, principal port de France pour les relations avec les Amériques.

La traversée est agitée et des vents contraires empêchent le navire d'entrer dans l'estuaire de la Loire. En attendant que le vent devienne favorable, le capitaine jette l'ancre dans la baie de Quiberon le 29 novembre, d'où une barque conduit le plénipotentiaire américain et ses deux petits-fils dans le port d'Auray. C'est donc par la route que Franklin se rend à Nantes où lui et les deux enfants arrivent le 7 décembre. L'accueil y est chaleureux car, plus peut-être qu'aucune autre ville de France, Nantes est de coeur avec les « insurgents », les insurgés américains. C'est en effet de ce port français que partent les navires de Beaumarchais et de Le Ray, chargés d'armes et de munitions, et aussi de volontaires qui ont apporté au général Washington les secours dont il a tant besoin.

Ces « Messieurs du Commerce » espèrent bien profiter de la guerre pour accroître leurs revenus, mais au-delà d'un intérêt financier, s'enthousiasment pour les idéaux de liberté incarnés par la jeune république. Avec Leray de Chaumont, ami du ministre Choiseul, les Gruel, les Montaudouin, tous les négociants nantais accueillent le plénipotentiaire américain. Tout comme madame Grou qui offre un grand dîner. Aucun détail de cette réception n'est parvenu jusqu'à nous et libre à nous de rêver à cette froide journée de décembre 1776 où, devant un somptueux repas, l'héritière des Grou a entendu de la bouche de Benjamin Franklin des idées qui devaient révolutionner le monde.

Lorsque la Révolution éclate, madame Grou, qui occupe dix pièces au premier étage de son hôtel particulier de l'île Feydeau, est l'une des plus grosses fortunes de Nantes. Le tableau des capitations des principaux négociants pour les années 1788/1789 la mentionne pour une somme de 1 040 livres, juste après Guillaume Bouteiller imposé, lui, pour 1 200 livres. C'est à cette époque qu'elle s'installe quai Brancas, où elle décède le 28 juillet 1793 sans avoir été personnellement inquiétée, notamment par le sinistre Carrier qui séjourne du 20 octobre 1793 au début de janvier suivant dans l'hôtel de La Villestreux, vis-à-vis de l'hôtel des Grou.

Après son décès, une partie de sa fortune, plus de 4 millions de livres, est confisquée par la Nation. Sans oublier des diamants légendaires qui font l'objet de recherches actives. Le Comité révolutionnaire met la main dessus le 13 brumaire de l'an II (novembre 1793). Ils étaient dissimulés sous un escalier du domicile nantais. La prise est bonne : une paire de bracelets garnis de diamants, un saint-esprit (croix protestante) en diamants, trois bagues, dont l'une portant un solitaire sur fond violet, l'autre en rubis garnie de diamants, la troisième en diamants sur fond rouge, des tabatières précieuses, de l'argenterie, des robes... Toutes ces richesses sont exhibées au comité et présentées aux visiteurs. Jusqu'à leur disparition définitive. On ignore encore aujourd'hui si ces bijoux furent récupérés par la Nation ou volés par des inconnus.

Avec la Révolution, l'immense fortune des Grou est dispersée et l'histoire se termine. Mais les Grou et leurs alliés n'en restent pas moins un exemple particulièrement marquant de ces dynasties de négociants qui furent au XVIIIe siècle à la tête du grand commerce maritime.



Une riche alliance

Guillaume Grou et son épouse, Anne O'Schiell, issue d'une famille irlandaise, installée à Nantes à la fin du XVIIe siècle. A la mort de cette dernière, en 1793, sa fortune est estimée à 4 400 000 livres. Une partie de ses biens est saisie par la Révolution, dont des diamants qui n'ont jamais été retrouvés.

Un navire sur dix est un Grou

Si l'on veut réellement apprécier l'importance du groupe Grou, il faut additionner à l'armement de Guillaume Grou, celui de la société Grou & Michel, des Prudhomme-Fontenay, des Leroux des Ridellières, sans oublier celui de Louis Grou auquel s'est associée la veuve de Jean-Baptiste Grou. Sur les 755 navires négriers nantais armés entre 1721 et 1776, ce groupe représente 77 armements se répartissant ainsi :
Jean-Baptiste Grou : 2 (1721-1726).
Prudhomme-Fontenay : 11 (1733-1744).
Guillaume Grou : 11 (1748-1763).
Grou & Michel : 34 (1749-1755).
Veuve Grou & Louis Grou : 3 (1752-1754).
Louis Grou : 1 (1754).
Deridelières-Leroux : 15 (1763-1776).

Le clan des Irlandais

Le mariage de Guillaume Grou avec Anne O'Schiell va lui amener en dot le domaine de La Placelière à Château-Thébaud qui va devenir un lieu de réception pour toutes les familles irlandaises de Nantes : celles alliées aux Grou comme les O'Schiell, Stapleton, Walsh, Clarke et O'Riordan, mais aussi les Murphy, Browne, White et Hay de Slade. C'est ainsi que l'armateur nantais va être confronté à un important événement historique. En 1743, Charles-Edouard, prétendant des Stuarts d'Ecosse à la couronne d'Angleterre, lance au départ de France une expédition pour récupérer son trône. A Nantes, il est reçu par Guillaume à La Placelière. C'est sur un navire appartenant à Antoine Walsh, son beau-frère, que le prétendant embarquera à l'embouchure de la Loire pour tenter un débarquement en Ecosse, tentative qui s'achèvera par un échec avec la bataille de Culloden. Lorsqu'en 1745, Luc O'Schiell père meurt, c'est Guillaume Grou qui est chargé de gérer sa fortune et les Walsh et les Stapleton le « constituent leur procureur spécial ». C'est ainsi qu'il va prêter 200 000 livres aux Stapleton pour leur permettre d'acheter leur terre de Trèves, en Anjou.

En complément

- Nantes au XVIIIe siècle. L'ère des négriers. 1714-1774 , de Gaston-Martin (Karthala, 1993).
- Nantes et ses relations commerciales avec les îles d'Amérique au XVIIIe siècle. Ses armateurs , de H. du Halgouet (Rennes Oberthur, 1939).
- Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle. Tome I : Nantes, de Jean Mettas (SFHOM, 1978).
- La Famille Grou , de Jean Meyer (Bull. de la Soc. d'Archéo. et d'Histoire de Nantes, 1960-1961).
- Un portrait d'armateur : Guillaume Grou , de Jean Meyer (catalogue de l'exposition Les Anneaux de la mémoire, Nantes, 1992).
- L'Armement nantais dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle , de Jean Meyer (SEVPEN, 1969).