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Origine : http://www.politis.fr/article1368.html
Dans un livre d’entretiens avec Mathieu Potte-Bonneville,
l’écrivain et éditeur Éric Hazan revient
sur son parcours intellectuel et professionnel jalonné d’engagements,
et prolonge son travail de décryptage des mécanismes
de domination.
Dans ces lendemains de référendum stupéfiants
d’autisme autoritaire de la part de ceux qui détiennent
les pouvoirs politique, idéologique et médiatique,
la lecture du livre d’entretiens d’Éric Hazan
avec Mathieu Potte-Bonneville agit comme un contrepoison. C’est
d’ailleurs un mot voisin « Contrepoints »
que porte en titre la collection où paraît ce
livre, chez un nouvel éditeur, les Prairies ordinaires. Contrepoison
à ce qui se nomme un peu grossièrement la propagande,
plus justement les représentations imposées de l’histoire,
les prétendues évidences consensuelles aux allures
de tabous, ou les vessies arrangées en lanternes. Faire mouvement
un beau titre qui désigne un camp politique autant
qu’une philosophie de la vie dessine d’abord le
portrait d’un homme, Éric Hazan, aujourd’hui
écrivain et éditeur, directeur des éditions
la Fabrique, qui approche de sa soixante-dixième année.
Un portrait par définition non figé, c’est-à-dire
non pas composé de pied en cap, avec le souci du détail
et de l’anecdote, mais saisi à la volée dans
les « zigzags » de sa biographie, dans la diversité
de ses intérêts et la richesse de sa pensée,
avec une ligne de convergence : la politique. Éric Hazan
est en effet un animal politique au sens où l’on dit
de l’homme qu’il est un animal social : elle le nourrit,
en traverse toutes les fibres en même temps qu’elle
oriente chacune de ses activités, structure son unité.
« Mes rapports avec la politique se sont plutôt établis
comme des prises de position sur des points précis »,
dit-il, qui se traduisent dans la vie même, plutôt que
dans la recherche du pouvoir. Voilà la marque d’un
esprit indépendant, pour qui l’engagement spécifique
(là où on se trouve, devant sa porte et même
chez soi) n’est pas un vain mot.
L’engagement... Un mot dont il n’a pas la « passion
», avoue Éric Hazan on le comprend, tant il est
galvaudé, usé jusqu’à la corde ,
« mais par quoi le remplacer ? » Le soutien direct au
FLN a été son premier engagement « marquant
», suivi d’une pratique de la médecine, alors
qu’il était interne, dans un village algérien
lors de l’indépendance. Puis, en 1975, devenu chirurgien,
membre fondateur de l’Association médicale franco-palestinienne,
il rejoint le Liban en pleine guerre pour servir de médecin
« à cette "armée" que l’on appelait
à l’époque les "Palestino-progressistes"
». De ce moment date son soutien à « la cause
des opprimés de cette région, qui sont pour l’essentiel
des Palestiniens », et son sentiment de bien-être dans
les villes arabes, lui qui, par ailleurs, est juif.
La quarantaine passée, Éric Hazan change de vie professionnelle,
devient éditeur, et, comme toujours, cherche à «
appliquer [s]es idées politiques dans son travail ».
C’est, aujourd’hui, à travers les éditions
la Fabrique, dont il raconte la création en 1998, un pôle
de résistance à la concentration de l’édition,
en particulier avec André Schiffrin, et la diffusion en France
de voix courageuses sur la Palestine, qu’il s’agisse
d’Amira Hass, Ilan Pappé, Michel Warschawski, Tanya
Reinhart ou Moustapha Barghouti. Mais, auparavant, Éric Hazan
a présidé à la destinée des éditions
d’art fondées par son père, qu’il a abandonnées
quatorze ans plus tard, après le rachat d’Hachette
et ses logiques comptables. Là, il a affirmé un autre
engagement, sur le plan culturel cette fois, mais dont il explicite
la signification politique : « On peut estimer qu’en
prenant parti pour le contemporain en sens inverse des croque-morts
de l’art, en ouvrant sur la recherche étrangère,
en faisant confiance à de jeunes auteurs, une maison d’édition
"d’art" montre de quel côté elle se
situe. » Des propos que nous pourrions reprendre comme profession
de foi.
Lire la suite dans Politis n° 855
Faire mouvement, Éric Hazan, entretiens avec Mathieu Potte-Bonneville,
« Contrepoints », Les Prairies ordinaires, 142 p., 14
euros.
« Chronique de la guerre civile », d’Éric
Hazan
par Christophe Kantcheff
http://www.politis.fr/article895.html
Dans « Chronique de la guerre civile », Éric
Hazan dévoile sans ménagement l’offensive mondialisée
des dominants et des gouvernements contre les peuples et les «
classes dangereuses ».
Voilà un livre sur lequel on ne se précipite pas
dans les rédactions. Ceux qui pourtant se targuent d’être
les champions du débat, les chroniqueurs zélateurs
du « politiquement incorrect » ou les journalistes friands
de joutes tant que celles-ci obéissent aux règles
qu’ils ont eux-mêmes fixées (en cas de transgression
ils disent qu’il y a « dérapage »), l’ignorent.
Éric Hazan est tenu de toute évidence pour hors la
loi, et sa Chronique de la guerre civile pire qu’incorrecte
: intolérable. Au contraire, son livre-brûlot est pour
nous un acte de courage autant qu’un geste utile pour éveiller
la lucidité, un contrepoison aux croyances et à la
propagande.
De quelle guerre civile s’agit-il ? Celle qui nous entoure,
aux quatre coins du monde, guerre ouverte ou larvée, barbarie
classique ou douce. Ceux qui détiennent les pouvoirs, les
dominants, les occupants, les gouvernants, l’ont déclarée
aux dominés, aux persécutés, aux peuples. Autre
chose que le « choc des civilisations », ce concept
anti-arabe et anti-Islam. Une guerre civile mondialisée,
y compris dans les pays au « vernis démocratique »
où « l’état d’exception est devenu
la règle », et où elle légitime la restriction
des libertés et la chasse aux pauvres. D’août
2002 à août 2003, sous la forme d’un journal,
l’auteur en pointe les manifestations et en tire des analyses
décapantes. Sans aucune neutralité, avec le regard
de celui qui se place dans le camp « des journalistes qui
font la grève de la faim au Maroc, [...] des gamins karennis
qui s’entraînent à la mitrailleuse dans le nord
de la Birmanie, [...] des inconnus qui attaquent les convois américains
en Irak, [...] des universitaires américains qu’on
chasse de leur poste, [...] de la maman palestinienne qui attend
avec son bébé malade que le soldat du check-point
décide si elle peut passer ».
De même qu’il ne conçoit pas l’«
ennemi » à l’image simpliste du modèle
hégélien, « central et rationnel, le sommet
de la pyramide étant le salon ovale de la Maison Blanche
», et tout en ne niant pas l’existence des groupes commettant
des attentats, Éric Hazan voit bien l’exploitation
faite du « mythe » d’Al-Qaïda, « internationale
structurée », étendant sa toile de l’Uruguay
jusqu’à la Tchétchénie en passant par
les banlieues des grandes villes européennes. En même
temps que cette idée rassure (il suffit d’abattre sa
tête pour résoudre le problème), elle permet
l’instauration de ce fameux « nouvel ordre mondial »,
qui n’est autre que l’organisation militarisée
du contrôle social. La lutte planétaire contre le terrorisme
« rend caduque la notion même de droit, note Éric
Hazan, comme le montre l’affaire des "armes de destruction
massive" en Irak ».
La guerre en Irak, et son mensonge préalable, est l’un
des événements cruciaux de cette année 2002-2003.
Éric Hazan décrypte ce qui lui en parvient, notamment
par l’intermédiaire de la presse, sa « chronique
» constituant en creux une redoutable critique des médias
: « Sous le flot de la non-information, la guerre d’Irak
cesse peu à peu d’être une aberration. Le réel
ou ce qui est présenté comme tel devient rationnel.
» Attentif aux mots, sa matière même, dont on
sait aussi qu’ils sont la première arme de guerre,
Éric Hazan prend soin de les retourner pour voir ce qu’ils
cachent. Ainsi « humanitaire » est-il un euphémisme
de « mots qui sentent mauvais : la soif, les ordures, les
rats, la dysenterie, la faim, les cadavres ». Quant au terme
« sécuriser », qui « fait l’économie
des mots violents : nettoyer, vider, éliminer, éradiquer
», son usage est devenu planétaire, adopté par
tous les États qui agressent leurs populations ou l’extérieur.
Le gouvernement israélien en est passé maître.
Point de cristallisation de la guerre civile mondiale, la Palestine
et les « repris de justice » qui constituent le gouvernement
Sharon occupent une bonne place dans cette Chronique. Tout en conservant
son esprit critique du côté palestinien, Éric
Hazan ne cache pas sa préférence pour « la fraction
de la résistance palestinienne qui refuse aussi bien le Hamas
et ses attentats que l’Autorité et ses compromissions
» , il dit ne pas se sentir légitime pour réprouver
moralement la démarche des kamikazes. Il relaie aussi beaucoup
d’informations en provenance d’Israël, comme «
les centaines d’actes anti-juifs » qui y ont eu lieu
ces dernières années et l’existence d’un
site israélien néo-nazi en langue russe, ou cette
déclaration, dans le quotidien Haaretz, de Shulamit Aloni,
qui fut notamment ministre de l’Éducation du gouvernement
Rabin : « Nous n’avons pas de chambres à gaz
ni de fours crématoires, mais il n’y a qu’une
seule méthode de génocides. » Et Hazan d’ajouter
: « Qu’un tel personnage puisse s’exprimer en
ces termes dans l’un des principaux journaux israéliens
montre a contrario le degré d’abjection où nous
sommes tombés en France, où une telle phrase, si par
inadvertance elle n’était pas censurée par la
rédaction, déclencherait les pires injures sans parler
des poursuites judiciaires. (1) »
Éric Hazan est tout aussi percutant à propos des
sociétés occidentales et de l’« apartheid
soft » qui y est en vigueur. Passionné de Paris (sur
lequel il a écrit un livre magnifique, l’Invention
de Paris, le Seuil, 2000), il relève les formes récentes
d’un urbanisme qui circonscrit les « classes dangereuses
» (notamment dans le XVIIIe arrondissement, au métro
Barbès) et favorise le « remodelage social »
(qu’il nomme pour sa part « épuration ethnique
»). De ce point de vue, Delanoë et Tiberi, à ses
yeux, c’est « même combat ». Pour lui, l’«
ennemi » est aussi là, qui cherche coûte que
coûte à maintenir le « glacis défensif
autour de l’illusion social-démocrate et de l’humanisme
libéral-réformiste ». Il ne voit pas non plus
d’issue avec l’« altermondialisme », cette
« entreprise pour la dissémination équitable
de la peste libérale-productive dans le monde entier ».
Aujourd’hui, « il faut oser sortir de la "légalité
républicaine", affirme-t-il, (pourquoi les gouvernements
seraient-ils seuls à le faire ?), entreprendre des actions
illégales ou tout le moins fortement dissensuelles
et les rendre scandaleusement publiques », car «
l’efficacité est proportionnelle au risque encouru
». Dans son champ propre des idées et de l’édition,
il n’est pas le dernier à appliquer ce qu’il
préconise.
Chronique de la guerre civile, Éric Hazan, LaFabrique, 139
p., 12 euros.
(1) Éric Hazan parle d’expérience : non seulement
il est en butte à un procès (qui se déroulera
le 26 mars) intenté par l’association de William Goldnadel,
« Avocats sans frontières », pour avoir publié
à La Fabrique l’Industrie de l’holocauste de
Norman Finkelstein, mais un ouvrage de Michel Warschawski, dont
il est aussi l’éditeur, lui a valu ce commentaire d’Alain
Finkielkraut : « Vous avez aimé Faurisson et la Vieille
Taupe, vous adorerez Éric Hazan et la Fabrique. »
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