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Quand la malmesure malmène,
réflexions éthiques et méthodologiques à propos des enquêtes sur les violences conjugales
par Arlette Gautier

Les enquêtes quantitatives menées sur les violences faites aux femmes ont montré qu'elles sont toutes soumises à un risque de sous-estimation, lorsque la collecte n'est pas assez sensible aux risques et aux souffrances de l'interviewée, les questions inadaptées, le temps alloué à ce type d'entretien inadéquat... Cette sous-estimation peut aller jusqu'à diminuer de moitié l'occurrence de la violence. Selon l'auteure de cette étude, si la responsabilité et l'éthique du chercheur sont en jeu dans toutes les recherches, celles sur la violence l'impliquent plus fortement par les désastres qu'il peut produire chez les enquêtés comme chez les enquêtrices mais aussi par les conséquences qu'elles peuvent avoir sur l'agenda politique.

A priori, la violence contre les femmes ne pose guère de problèmes éthiques : tout le monde est contre. Cependant, cette position est récente : ce n'est que dans les années 1990 et à la suite de l'action des mouvements féministes, nationaux et internationaux que des conférences internationales ont reconnu la violence faites aux femmes comme une atteinte aux droits de l'homme 1 . Les gouvernements signataires ont affirmé leur détermination à « prévenir et éliminer toutes les formes de violence contre les femmes et les filles » en prenant les mesures nécessaires pour la mesurer et l'éradiquer. Ils ont donné une définition large de la violence, que ce soit à la maison, dans le travail ou l'espace public, ou par les programmes de planification familiale coercitifs (Gautier 2000). Dans cette communication, je n'évoquerai que les violences conjugales, telles qu'elles ont été repertoriées dans un numéro récent de Population Reports, pour au moins trois raisons. 1) Les mesures sont les plus nombreuses et les plus fiables. 2 ) Lors des communications sur ce sujet, il y a toujours quelqu'un, qu'il soit démographe, juriste ou anthropologue, qui soulève le problème du relativisme culturel, en prenant l'exemple d'un village, au Bangladesh ou ailleurs, où une enquête anthropologique aurait montré que toutes les femmes admettent la légitimité d'être battues par leur conjoint, et où la question du désir féminin dans le couple ne se poserait pas. Ce qui m'amènera à questionner la continuité des représentations depuis le XIXe siècle, lorsque la femme colonisée était souvent présentée comme offerte tous les désirs et à rappeler les résultats d'enquêtes quantitatives, ainsi qu'à réfléchir sur les justifications de l'intervention de l'Etat. 3) Ces études ont commencé il y a une vingtaine d'années et il est nécessaire de faire le bilan des nombreuses questions éthiques et méthodologiques qui se posent. Il faut en effet prendre au sérieux la sous-estimation, prouvée dans certains cas, de la violence conjugale par les enquêtes quantitatives (que ce soit au niveau de la collecte, de la prise en compte de la durée ou de l'interprétation) mais aussi s'interroger sur la violence subie par les hommes, toutes questions qui engagent l'éthique et la responsabilité du chercheur.

Ethique et violence

La chair occidentale serait-elle plus sensible ?

Certains chercheurs pensent que la critique de la violence conjugale n'appartient pas aux traditions de certaines sociétés non-occidentales et que leur appliquer ce point de vue relève d'une forme d'impérialisme culturel 2 . En tant qu'historienne de l'esclavage et du colonialisme, cette position m'évoque furieusement les récits de voyageurs français aux Antilles qui considéraient doctement que la peau noire était plus dure et donc moins suceptible de souffrir des coups de fouet. On sait par ailleurs que certaines sociétés pré-coloniales (Gautier à paraître), tout comme certaines sociétés actuelles (Sanday 1981), ne pratiquaient pas la violence contre les femmes et les enfants. Ainsi, les Iroquoiens 3 condamnaient les punitions infligées par les Européens aux femmes et aux enfants et considéraient que le viol marquait d'infamie l'homme assez peu viril pour le commettre. Les femmes étaient libres de leur corps et de leurs amants (Anderson 1991 ; Leacock 1976; Viau 2000). Or aujourd'hui, les Indiens sont accusés d'être violents et alcooliques, ce qui ne serait donc pas lié à leurs « traditions » qui, comme toutes les soi-disant traditions atemporelles, sont une invention conjointe des notables masculins colonisateurs et colonisés au XIXe siècle (Hosbawm et Ranger 1983 ; Lati 1990; Sudhri 1998; Schmidt 1991), mais à une imposition coloniale particulièrement réussie. Au XIXe siècle, René Caillé, lui, en route pour Tombouctou, a rencontré des Associations de femmes allant arrêter un homme frappant sa femme et cela sans aucune intervention européenne : dans ce cas la violence conjugale préexistait à l'intervention coloniale mais elle était régulée, voire empêchée, par les associations de femmes, qui ne l'acceptaient donc pas (Caillé 1830). Aujourd'hui, des enquêtes menées dans 13 pays indiquent qu'il n'y a que quatre pays, dont l'Egypte, où une majorité de répondants des deux sexes approuvent le fait qu'un homme batte sa femme, même pour ce qui est le plus mal perçu : la suspiscion d'adultère (Heise et alii. 1999). La violence a alors pour but d'obtenir la soumission de la femme et sa conformité à un certain rôle : elle marque l'appropriation du corps et du temps de la femme par sa compagnon, ce que nous appellerons le sexage, par opposition au patriarcat, soit la domination masculine plus générale (Guillaumin 1991).Toutefois, des entretiens en profondeur menés en Egypte donnent une image plus complexe de la situation : la majorité des femmes du Delta du Nil considère que l'époux ne dispose pas du droit de battre sa femme, et même des étudiantes islamiques qui estiment que l'Islam lui donne ce droit refuseraient qu'ils l'appliquassent à elles-mêmes. Les questions de l'EDS auraient été comprises comme portant sur les raisons pour lesquelles les femmes sont battues et non sur la légitimité de ces raisons (Seif El Dawla et alii 1998 : 91-92).


Tableau 1. L'approbation de la violence conjugale selon les EDS.

Pays
Femmes

Négligence
Maison enf

Sort sans autorisation

Répond,
désobéit

Refus
sexe

Suspiscion
d'adultère

Aucune
raison
Egypte

50.9

69

70

(64.21)

13.6

Nicaragua

18.

15.3

6.8

67.6

Inde

40

36.6

(33,92
)

43,7

Kazakhstan

26.1

11.6

11.3

5.9

70

Zimbabwe

31.2

27.8

31.6

22.3

Hommes


Nouvelle Zélande

1

1

1

5

Palestiniens

57

28

29

Singapour

4

5

33


1 si l'épouse a simplement parlé avec d'autres hommes.
2 L'épouse ne montre pas de respect envers sa belle-famille.
Sources Macro international,
Enquètes démographiques et de santé, Egypte
1995 : 206-211 ;
ENDESA
Nicaragua 1998 : 193-205;
NFHC India
1998-99 : 73 (71-79) ;
Kazakhstan
1999 : 37-40
Zimbabwe 1999 : 33-37;
Pour les hommes : Heise et alii ; 1999, tableau 3.

La notion, en particulier que les femmes n'auraient pas idée de se refuser sexuellement, que le viol conjugal serait une notion occidentale, renvoie au mythe du « harem colonial » (Allouache) où, de Marco Polo aux romans coloniaux, en passant par les multiples cartes postales, les femmes semblent s'offrir à toutes les voluptés. Ainsi, alors que dans l'esclavage l'utilisation sexuelle des femmes est inscrite dans leur prix et que dans le sud des futurs Etats-Unis, 60% des femmes esclaves risquaient entre 15 et 30 ans d'être approchées par un homme blanc (Gutman et Sutch 1976), selon les colons, ce ne sont pas eux qui imposent leur volonté : ils ne font que succomber aux avances des mûlatresses ou Africaines, libertines par nature. Pourtant de nombreux récits de voyageurs, du XVIIe au XIXe siècle racontent le prix que des femmes étaient prêtes à payer pour refuser certaines propositions : le fouet et les tortures, pour elles comme pour leurs familles (Gautier 1985). Ainsi, pour punir Harriet Jacobs de lui avoir résisté, son maître sépare son oncle et sa tante qui s'aiment pourtant tendrement et vend son frère adoré. Les silences et les ellipses des autobiographies d'esclaves révèlent la longue douleur de ce harcèlement perpétuel, même derrière des réussites éclatantes, comme celle de Madame Keckley, ancienne esclave devenue modiste et confidente de Madame Lincoln (Fleischner 1997) 4 . Ce qui montre assez que, même dans une situation d'extrême approppriation, les femmes peuvent ressentir la sexualité comme leur domaine propre, leur « sanctuaire imaginaire » qu'elles essaient de préserver coûte que coûte (Cornell 1997). Aujourd'hui, le refus de relations sexuelles constitue le motif le moins accepté de violence conjugale, d'après les EDS comme d'après des entretiens en profondeur et des groupes de discussion menés dans 7 pays par des chercheurs autochtones, même si le droit positif à une sexualité épanouie est moins affirmé, sauf en Egypte, où il est d'ailleurs conforme aux principes de la Charia (Petchesky 1998 : 311-313).

Les justifications de l'intervention de l'Etat : utililitarisme et liberté individuelle

La santé de la population fait désormais partie des fonctions de l'Etat et tous les gouvernements, quelqu'ils soient et quoiqu'il en soit dans la réalité, affirment lutter contre la mortalité et pour le bien-être de leurs ressortissants, ce que Michel Foucault appelle la « bio-politique ». A ce titre la lutte contre la violence conjugale devrait être une priorité. En effet, celle-ci a un impact énorme sur la santé mentale et physique des femmes, à la fois à court et à long terme. A court terme, 40% à 75% des femmes battues seront blessées de ce fait. A long terme, les femmes qui ont souffert de violence à un moment quelconque de leur vie sont significativement en plus mauvaise santé que les autres, et souffrent notamment d'hypertension, de diabète, de maladies gastro-intestinales et d'asthme. Elles sont plus souvent anxieuses, dépressives et phobiques, et se suicident plus souvent, que ce soit aux Etats-Unis, au Nicaragua ou au Pakistan. Les violences conjugales représentent selon l'OMS 7% de l'ensemble de la morbidité féminine. Leurs conséquences peuvent être calculées en termes de dépenses pour la sécurité sociale, en pertes de journées de travail, en temps perdu pour incapacités physiques ou dépressions. Les femmes violentées ont plus d'enfants, dans certains pays, car elles ne peuvent éviter les rapports sexuels ni utiliser une contraception. Enfin, la violence a un effet négatif sur la santé des enfants élevés dans des familles où la mère est maltraitée : ils ont un risque plus élevé de mortalité avant cinq ans que les autres enfants au Nicaragua et en Inde. De plus, un certain nombre des violence se terminera par la mort de la femme. De 40% à 70% des homicides de femmes sont commis par des partenaires intimes, alors que très peu d'hommes sont tués par une femme. Au Moyen Orient et en Asie du Sud, quelques centaines de meurtre « d'honneur » de la femme ou de la fille « indigne » auraient lieu chaque année (Heise 1993).

La lutte contre les violences conjugales peut ainsi être justifiée par des considérations utilitaristes, liées aux faits que la majorité des individus sont contre ou qu'elles représentent un risque sanitaire majeur. Cependant, ces arguments instrumentalisent les femmes et ne font pas de leur liberté un objectif aussi fondamental que l'est celle des hommes (Cornell 1997). Pourtant, la liberté individuelle représente actuellement à la fois une valeur essentielle, qui intervient dans toute évaluation des sociétés, et le produit de l'organisation sociale (Sen 1997). Ainsi, même si les femmes acceptaient cette violence, cela proviendrait des distorsions produites lorsque les caractéristiques mentales du plaisir ou du désir s'adaptent à des situations d'inégalité persistante. Une telle défense du statut quo ne peut subsister quand on fait de la liberté individuelle une responsabilité sociale. D'autant qu'à contrario, les violences, même conjugales, ne proviennent pas seulement ni même principalement d'une agressivité de quelques hommes, et encore moins d'une agressivité masculine innée, puisque ces violences varient fortement dans le temps et l'espace et peuvent même être complétement absentes, mais du fait que l'Etat accepte dans la sphère privée des actes qu'il réprouverait dans la sphère publique. La représentation de la femme comme propriété de l'homme est présente dans des codes pénaux, qui n'admettent pas le viol marital. Elle l'est parfois d'une façon exacerbée : au Paraguay ou en Haïti, le meurtre de la femme reste impuni si son adultère est prouvé et celui-ci représente une circonstance atténuante pour l'homme au Venezuela et pour les deux sexes au Mexique et au Nicaragua (Bolis 1993 : 241 ; CRLP 1999 et 2000). L'Etat construit alors les femmes comme citoyens de seconde zone, n'ayant pas les mêmes droits à la liberté, à la sécurité et à l'intégrité physique que les autres membres de la société (Cook 1997).
Des considérations éthiques doivent également être présentes dans la méthodologie de ces enquêtes. En effet, répondre à des questions sur les violences peut induire des conséquences graves pour les femmes - que ce soit en rappel de souvenirs humiliants et douloureux ou en risque de réprésailles - ou parce qu'une sous-estimation pourrait réduire la volonté interventionniste de l'Etat. Méthodologie et éthique sont donc indissociables.

Ethique et méthodologie

Les enquêtes quantitatives sous-estiment-elles les violences conjugales ?

De grandes enquêtes quantitatives ont été menées depuis 1982 dans de nombreux pays : 39 pays (dont 29 en développement), selon un rapport récent et exhaustif5 de Population reports (Heise et alii, 1999). Ces enquêtes montrent à la fois la forte prévalence de la violence physique par « un partenaire intime » et sa variabilité. Au cours de leur vie, ce sont de 10 à 58% des femmes qui ont subi des violences physiques par un « partenaire intime ». Dans leur relation actuelle, 20 % des Colombiennes, Thaïlandaises de Bangkok et Chiliennes ont été battues pour le tiers de Bangladaises et femmes de l'Uttar Pradesh ainsi que 41% des Ougandaises et des Kenyanes. Au cours de douze derniers mois, la prévalence varie de 1.5% aux Etats-Unis6 à 19% au Bangladesh et 37% parmi les Palestiniens en Israël. Les violences physiques sont souvent liées également à des abus psychologiques et elles s'accompagnent dans un quart à la demi des cas de violences sexuelles. D'après l'OMS, c'est de 10 à 15% des femmes qui reconnaissent avoir été violées par un partenaire intime 7 .

Malgré ces chiffres énormes, on ne craint pas le sur-enregistrement mais le sous-enregistrement. Les violences sont en effet un sujet tabou : elles n'avaient jamais été évoquées par 68% des Bangladaises, la moitié des Egyptiennes, un tiers des Cambodgiennes, Chiliennes, Nicaraguayennes et des Anglaises, 22% des Canadiennes. Seules 15% des Chiliennes et Nicaraguayennes pour 1% des Cambodgiennes avaient contacté la police (Heise 1999, tableau 3). L'humiliation peut être trop forte, la douleur trop facilement réveillée, mais les femmes peuvent aussi craindre la réaction de l'autre : elles peuvent être blâmées, leur honneur terni, elles peuvent avoir honte ou peur de représailles par l'agresseur. Il faut être en confiance et avoir sa sécurité assurée pour pouvoir parler, ce qui n'est pas toujours assuré. Aussi, certaines enquêtes quantitatives peuvent indiquer des niveaux de violence plus faibles que d'autres enquêtes, notamment lorsque peu de questions la concernent. En Afrique du Sud, l'EDS indique des niveaux de violence inférieurs de moitié à ceux d'autres enquêtes, ce qui conduit les auteurs du rapport final à s'inquiéter d'un possible sous-enregistrement. Au Nicaragua, les réponses sur la violence subie au cours de la vie par un partenaire sont significativement plus élevées au Léon (52%) et surtout à Managua (69%) par rapport à l'enquête EDS (28%) menée sur un échantillon représentatif au niveau national (Ellsberg, Heise, Pena, Agurto, Winkvits, 2001). Cette sous-estimation peut être liée à des biais liés à l'échantillonnage, au questionnaire et à la collecte.

On peut se demander quelle population interroger, de quel âge et quelle durée de prise en compte de l'événement. Certaines enquêtes ont porté sur des effectifs réduits, obtenus de façon non probabiliste, mais la plupart portent sur des échantillons obtenus de manière probabiliste et souvent importants, dont 54% sont représentatifs au niveau national. Ce sont les seules retenues dans le tableau n°1 en annexe. Elles ont interrogé des femmes, sauf deux d'entre elles qui demandaient aux hommes quelle violence ils exerçaient sur leurs partenaires. En Thaïlande, 20% des 619 hommes de 15 à 49 ans ont reconnu avoir été violents physiquement au cours d'une relation. En Nouvelle-Zélande, ce sont 21% des 18 ans et plus qui avouent l'avoir été au cours des douze derniers mois 8 . Que vaut cette cette auto-évaluation ? Des chercheurs québecois, Yvan Lussier et Marie-France Lafontaine, ont interrogé au cours de l'hiver 1999-2000 316 couples francophones hétérosexuels vivant maritalement depuis au moins 6 mois et âgés de plus de 18 ans. Ils leur ont demandé s'ils avaient été victimes et auteurs de 78 formes de violence, regroupés en 3 grands groupes : psychologique, physique et sexuelle. Les déclarations des hommes et des femmes sur les violences subies et imposées concordent très généralement, particulièrement pour les violences psychologiques et sexuelles. Pour la violence physique, les femmes surestiment les actes de violence qu'elles commettent tandis que les hommes les sous-estiment de 3.5, soit un tiers de la violence subie : ce qui montre que, dans ce cas du moins, leurs déclarations ne sont pas équivalentes.


Tableau 1. Violence conjugale au Québec, 1999.

VI

CTI

MES

AGR

ESS

EURS

Psycho

Physique

Sexuel

psycho

physique

sexuel

Femmes

61.9

11.6

17.3

69.3

13.8

7

Hommes

64.5

10.1

8.1

64.7

8.1

17.1


Sources : Lussier Yvan et Lafontaine Marie-France, "Amour et violence ": incompatibles, direz-vous ? " cité par Allard Marie"Amour et violence ", La presse, Montréal, 25.10.2000, B1-B3.

Certaines enquêtes portent sur la population féminine générale et d'autres sur les femmes en union, actuelles ou pas. Les premières sous-estiment par nature la violence subie par un partenaire : ce qui explique pourquoi les auteures du numéro spécial de Population Reports ont recalculé les taux de violences par rapport aux femmes en union. Il n'empêche qu'il est nécessaire de faire également des enquêtes sur l'ensemble des femmes, car la violence conjugale est loin d'être la seule dont souffrent les femmes. Ainsi, 6.3% des Africaines du Sud ont été maltraitées au cours de l'année par leur partenaire contre 3.7% par un non-partenaire (Macro international 1998 : 23).

Par ailleurs, l'âge des enquêtées n'est pas indifférent au résultat. 15 des enquêtes s'adressent aux 15-49 ans ou approchants, dans la lignée des enquêtes sur la fécondité, alors que 8 visent les 15 ou 18 ans et plus, 6 les 20-59 ans ou les 14-75 ans, comme en Turquie. Il n'y a effectivement pas de raison logique, hors de convenance, pour limiter les enquêtes sur les violences à des groupes d'âge reproductif, car la violence ne cesse pas alors. Cependant, elle varie en intensité selon l'âge : les jeunes sont plus suceptibles de la subir que les femmes plus âgées (même si elle peut avoir des conséquences tout aussi graves, par exemple en hospitalisation). Par exemple au Canada, environ 5 % des femmes de moins de 25 ans ont déclaré au moins un incident de violence dans une union en cours pendant la période de 12 mois précédant l'enquête, comparativement à 1 % des femmes de 45 ans et plus. Par ailleurs, le risque d'oubli au cours de la vie augmente avec l'âge, bien qu'on puisse penser qu'il touche moins les actes les plus graves qui sont généralement les seuls investigués sur cette durée. En conséquence, l'analyse de populations d'âges différents peut conduire à des variations : ainsi des projections sur les chiffres français indiquent que la moyenne des violences physiques exercé par le conjoint augmenterait de 12% si l'analyse portait sur les 15-44 ans par rapport à des 20-74 ans et les violences sexuelles de 30%. 9 Il paraît donc préférable de comparer des populations d'âge comparables, voire des taux par âges. Cependant, dans les enquêtes citées par Population Reports, la sous-estimation liée à ce facteur n'est pas établie en comparant les violences subies là où elles n'étaient demandées qu'aux femmes de 15-49 ans 10 par rapport aux groupes plus étendus ou sans borne (par exemple : 15-60 ans ou 15 ans et plus). En effet, le niveau médian de violence au cours des douze derniers mois est plus fort et plus dispersé pour le groupe « 15 ans et + » par rapport au groupe « 15-49 ans », alors que c'est l'inverse pour la violence subie au cours de la vie (cf graphique 1). Ce qui peut être lié à un effet de sélection : la population des « 15 ou 18 ans et plus » est plus souvent utilisée dans le cadre d'enquêtes spécifiques sur la violence qui la mesure mieux que des enquêtes plus larges.

La question de la durée de collecte (un an, 5 ans, au cours d'une relation, au cours de la vie ) de l'événement est également importante. La mémoire de l'événement peut faiblir, surtout pour les formes les plus mineures de violences. La contextualisation en terme familial, professionnel ou géographique, est également plus facile sur un an. Cependant, dans les contextes de faible violence cela peut conduire à minorer la violence subie par les femmes. D'autant que, ce peut être très frustrant pour les victimes de violences graves de ne pas pouvoir les évoquer, qui a des conséquences graves qui perdurent dans le temps, et dont l'occultation perturberait l'analyse. De plus, dans les situations de forte mobilité conjugale, le maintien d'une limite d'un an peut conduire à une sous-estimation. C'est sans doute pourquoi Statistique Canada a mené sa dernière enquête, en 1999, sur cinq ans. Elle arrive à 8% de violence conjugale sur cinq ans mais 3% sur l'année, comme lors de la précédente enquête de 1993 (Pottie Bunge et Locke 2000). Certains ont jugé que le risque d'oubli était plus grand sur cette durée. Dans la mesure où elle ne permet guère de comparer et qu'elle n'apporte pas grand chose, son utilité paraît réduite. Il peut cependant être utile d'élargir la durée d'un an. Ainsi aux Antilles françaises, si la divortialité est équivalente à celle de la métropole, les ruptures des autres formes d'union sont plus fréquentes, ce qui a pour conséquence que la proportion de femmes en union est plus faible, elle baisse notamment plus vite avec l'âge de la femme. Aussi, dans le cadre de l'adaptation de l'enquête nationale sur les violences envers les femmes 11 , avons-nous enlevé le filtre sur la durée en union, pour conserver les unions rompues depuis plus d'un an de même que les renseignements sur l'ex-conjoint au-delà de cette limite. En effet, le conserver aurait réduit les descriptions de relations de couple et particulièrement de celles qui ont le plus grand risque d'avoir connu des violences. 12 En fait, les deux durées semblent nécessaires, d'autant qu'elles donnent des résultats fort différents : en moyenne, sur 29 pays, un quart des femmes auraient subi au moins un épisode de violence sur la vie pour 11% dans l'année. De plus, les violences dans l'année et au cours de la vie ne sont pas forcément corrélées 13 : ainsi seules l'Inde et le Egypte sont toujours dans la catégorie la plus élevée et l'Australie dans la catégorie la plus basse (cf graphique 1 en annexe).



TABLEAU 2. LES VIOLENCES AU COURS DES DOUZE DERNIERS MOIS DE LA RELATION OU DE LA VIE PAR CONTINENT.


Continent

12 mois

N

Ecart-type

Vie ou relat

N

Ecart-type

Afrique

6

1


32

5

18,3

AL

12,5

2

6,3

19,5

6

7,6

Asie

22,6

5

16,6

26,8

10

12,8

Nord

5,8

9

5,9

20,8

7

9

Total

11,5

17

12,2

24,7

28

12,4

S ource : Heise et alii., 1999, tableau 3. Voir tableau 1 en annexe. A regarder les résultats sur l'année les pays développés et l'Afrique du Sud 14 connaissent une situation appréciable, où la violence semble ne toucher « que » 6% des femmes (mais chaque vie saccagée est un scandale et il y a peu de délits pour lesquels on accepterait une aussi forte prévalence), alors que sur la durée de la relation ou de la vie on atteint des niveaux beaucoup plus élevés. En moyenne, sur les 28 enquêtes un quart des femems ontsont touchées : de 19.5% des Latino-Américaines à 32% des Africaines. En Suisse, le taux de violence passe de 6% sur l'année 1994 à 21% sur la vie et au Canada en 1993 de 3% à 29%. Le divorce et l'autonomie économique permettent aux femmes de ne pas rester dans une relation violente, mais pas d'y échapper totalement. Ainsi, en France comme au Canada, les femmes divorcées ou séparées ont connu un niveau nettement plus élevé de violence conjugale (d'un tiers pour les Françaises). Il est donc essentiel de mesurer adéquatement cette violence. Dans le questionnaire français, par exemple, on ne prend en compte que les violences physiques depuis les 18 ans et les violences sexuelles au cours de la vie, en ne demandant que le premier et le dernier agresseur lorsqu'il y en a eu plusieurs. Ces limites ont été instituées parce que plusieurs enquêtes ont mesuré les violences subies par les adolescentes, et pour ne pas dépasser une durée raisonnable (le passage du questionnaire dure déjà 45 minutes). Il semblerait que peu de femmes aient subi plusieurs agressions sexuelles par des personnes différentes, néanmoins certaines populations peuvent être particulièrement suceptibles de l'être. Une question plus ouverte aurait donc été intéressante pour mener des actions plus spécifiques et paraît encore plus nécessaire dans des contextes plus violents 15 .

Le questionnaire joue un rôle important dans la non-prise en compte de certaines violences. Au départ, les questions étaient vagues du type : « Avez-vous subi de la violence », ce qui renvoyait à des définitions à prirori de ce qui constitue la violence, qui peut ne pas inclure la violence entre conjoints. On ne sais pas alors le type de violence exercée et quelle est la gravité des mauvais traitements. Depuis les questions sont au contraire très précises et comportementales, du type « Avez-vous été giflée ? », ce qui accroit à la fois les réponses positives et la comparabilité de celles-ci. La différence peut être énorme : ainsi, 14% des Nicaraguayennes ont répondu avoir subi de la violence à une question générale alors qu'elles sont le double à répondre positivement à des questions plus spécifiques et plus détaillées (Ellsberg, Heise, Pena, Agurto, Winkvits, 2001 : 9). Les formulations des questions sont souvent différentes, en partie parce qu'elles sont plus ou moins détaillées selon les enquêtes, comme le montre les 21 questions françaises comparées aux 10 questions canadiennes et aux 3 questions de l'enquête indienne (annexe 7). Mais aussi parce que certains actes sont regroupés ou séparés selon les enquêtes. Ainsi, gifler ou frapper relève d'une question dans l'enquête française et de deux dans l'enquête canadienne de 1999.

La collecte peut conduire à des résultats fort différentes selon la prise en compte des impératifs de sécurité de l'enquêtée. Les explications possibles des différences observées au Nicaragua entre trois enquêtes ont été testées à travers des analyses de régression logistique multivariées portant sur ces trois enquêtes séparément puis ensemble ainsi que par des analyses de discussion de groupes d'enquêteurs et de superviseurs. Les différences les plus importantes viennent des procédures de sécurisation des interviewées. Ainsi, les entretiens menés en présence d'une tierce personne indiquent une proportion d'actes de violence nettement plus faible, parce que les victimes peuvent craindre des représailles. Or, dans l'EDS un tiers des entretiens étaient dans ce cas. Même en cas d'enquête par téléphone, où la tierce personne n'entend pas les questions (encore que les téléphones à haut-parleur se répandent), l'insécurité résultante peut conduire à ne pas évoquer ces actes. Par ailleurs, dans l'EDS les questions venaient tout à fait à la fin d'un long questionnaire qui n'était pas centré sur la violence, alors que les enquêtrices sentaient une pression des superviseurs pour faire le maximum de questionnaires, ce qui n'a sans doute pas permis de créer les conditions de confiance nécessaires à ce type d'entretien16. Enfin, les enquêtrices de l'EDS n'avaient pas eu le soutien psychologique nécessaire pour aborder des entretiens aussi chargés d'émotion, ce qui s'est traduit par un abandon très important préjudiciable à la bonne formation des enquêtrices. Elles peuvent alors être trop perturbées pour trouver l'attitude de soutien compatissant nécessaire.
Des enquêtes ont commencé à poser également la question de la violence subie par les hommes. Pour des chercheurs Nord-Américains, en effet, la violence est une caractéristique de certains couples, qui peut être mesurée sur une échelle de conflictualité, alors que pour d'autres chercheurs et pour les féministes la violence est un moyen pour des hommes de défendre leur pouvoir.

Violence patriarcale ou parité dans la violence ?

Deux enquêtes canadiennes permettent de mieux cerner cette question. Après une enquête menée en 1993 seulement auprès des femmes, Statistique Canada a inclus en 1999 dix questions sur la violence conjugale lors de l'Enquête sociale générale sur les victimes d'actes criminels. Cette enquête téléphonique par échantillon vise la population hors établissement de 15 ans et plus dans les dix provinces. 25 874 personnes ont été interrogées, dont plus de 16 702 vivaient en couple. Selon les auteurs du rapport : « Les données révèlent qu'environ 8% des femmes et 7% des hommes qui étaient mariés ou qui vivaient en union libre au cours des cinq années précédentes ont été victimes au moins une fois d'une forme quelconque de violence de la part de leur partenaire. Ces chiffres représentent à peu près 690 000 femmes et 549 000 hommes... Les femmes se trouvant dans une union marquée par la violence étaient beaucoup plus suceptibles que les hommes de signaler des formes de violence que l'on pourrait considérer comme plus graves. Par exemple, les femmes étaient plus de deux fois plus suceptibles que les hommes de dire qu'elles avaient été battues, et cinq fois plus suceptibles de dire que leur conjoint avaient tenté de les étrangler. Par contre, les hommes étaient plus suceptibles que les femmes de mentionner que leur conjointe les avaient giflés, qu'elle leur avait lancé quelque chose, qu'elle leur avait donné des coupes de pied, qu'elle les avait mordus ou qu'elle leur avait donné des coups de poing. En outre, les femmes faisant partie d'une union violente était presque cinq fois plus suceptibles que les hommes de craindre pour leur vie, trois fois plus suceptibles que les hommes d'avoir été physiquement blessées par l'agression et cinq fois plus suceptibles de nécessiter des soins médicaux ».

Cette enquête a suscité de fortes réactions. D'un côté, certains journalistes et lecteurs ont salué l'avénement de « la parité dans la violence ». Certes, les femmes en pâtissent plus que les hommes mais cela ne serait lié finalement qu'à la plus grande force physique masculine. Un lecteur conclut qu'il serait nécessaire de rediriger les fonds d'action sociale vers ce groupe occulté : les hommes victimes de sévices conjugaux. L'enjeu est de taille car si les taux de violence n'ont pas bougé de 1993 à 1999, en revanche le nombre d'homicides et blessures graves a diminué, ce qui est imputable en partie à à l'amélioration de la conjoncture économique et au vieillissement de la population, mais aussi à l'action déterminée de la police et de la justice et à l'existence de refuges pour les femmes victimes de sévices. De l'autre côté, des associations féministes ont critiqué une recherche qui appelle « victime » un homme qui essaie d'étrangler sa femme et « violente » celle-ci lorsqu'elle le mord pour essayer de se dégager. Il y a tout un travail méthodologique à mener pour différencier la violence de réponse à la violence active. Ce qui ne veut pas dire évidemment que les hommes ont toujours le monopole de la violence: au Québec 8% des femmes seraient violents physiqement sans que leur conjoint le soit (Lussier et Lafontaine 2000).


TABLEAU 3. violences conjugales au Canada, 2000

Agressions subies

Femmes

%

Hommes

%

menaces, lancé des objets

30

3.6

87

1

Poussé, bousculé, giflé

240

2.9

135

1.6

Coups de pieds, frappé, mordu

78

0.9

233

2.8

Battu, étranglé, menacé avec une arme,
Contraint à certaines pratiques sexuelles

300

3.6

88

1


Calculé à partir du tableau de l'annexe A3, p58, Violence conjugale au Canada en 2000, Ottawa, Statistique Canada, réponses de 8356 femmes en couple et 8346 hommes en couple.

Calculé à partir du tableau de l'annexe A3, p58, Violence conjugale au Canada en 2000, Ottawa, Statistique Canada, réponses de 8356 femmes en couple et 8346 hommes en couple.

Il semble cependant que le fait de ne donner des chiffres par rapport à la population générale que pour l'ensemble de la violence, qu'elle soit « légère » ou « grave » et cela avec les meilleures intentions du monde : ne pas hiérarchiser les violences, conduit à occulter les différences très réelles dans les violences subies par les deux sexes. Les commentaires de la presse, toujours pressée, auraient sans doute été très différents si Statistique Canada avait publié que 3.6% des femmes avaient été battues, étranglées, menacées avec un arme ou un couteau ou forcées à avoir des rapports sexuels pour 1% des hommes, ou encore que 324 300 Canadiennes et 71 370 Canadiens ont craint pour leur vie au cours d'une altercation conjugale. Or c'est cela que le public perçoit comme de la violence et pas le fait d'être poussé, bousculé, giflé comme l'ont été 1% des femmes et 2.8% des hommes, dont pour 35% des femmes et 46% des hommes une seule fois en cinq ans. Il serait sans doute plus approprié de calculer un indicateur de violence conjugale qui tienne compte de la gravité des faits et de la répétition d'actes qui une fois ne sont pas forcément une « atteinte à l'intégrité physique de l'autre » (surtout en cinq ans et s'ils sont réciproques), mais qui le sont sans aucun doute s'ils sont graves et s'ils sont répétés, voire habituels. On pourrait éventuellement, comme Yvan Lussier et Marie-France Lafontaine différencier la violence selon quelle est patriarcale ou commune. La violence patriarcale prend racine dans les traditions voulant que l'homme a le droit de contrôler sa femme. Elle se caractérise par son caractère répétitif, alors que la violence commune est une réponse intermittente des conjoints à des conflits et peu fréquente. Les Français violents interrogés par Welzer-Lang avaient conscience qu'ils frappaient pour obtenir quelque chose (de l'obéissance, des relations sexuelles), alors que les femmes avaient l'impression qu'ils avaient eu un « coup de colère ». Comme Nicole-Claude Mathieu le notait déjà, les opprimées ne sont pas toujours conscientes des stratégies des oppresseurs.

Conclusion

Les enquêtes quantitatives sur les violences commises par un partenaire intime ont permis de confirmer l'importance de la violence envers les femmes et le fait qu'elles ne l'acceptent pas. Ce qui d'ailleurs n'est guère étonnant : même les esclaves fuyaient un maître trop violent, on ne voit pas pourquoi les femmes l'admettraient plus. La mise en oeuvre de ces enquêtes quantitatives a montré qu'elles sont toutes soumises à un risque de sous-estimation, lorsque la collecte n'est pas assez sensible aux risques et aux souffrances de l'interviewée qui a subi des violences, ou que l'enquêtrice ne prend pas le temps nécessaire et ne manifeste pas d'empathie, ce qui peut être lié à une mauvaise organisation, lorsque le questionnaire est trop limitatif quant à la durée prise en compte. Cependant, ces enquêtes peuvent également être soumises à des risques différents selon leur nature. Ainsi, les enquêtes portant sur d'autres sujets que la violence peuvent ne pas poser des questions assez précises et objectives ou ne pas laisser le temps nécessaire à la remémoration de souvenirs enfouis parce que trop perturbateurs. Cette sous-estimation peut être aller jusqu'à diminuer de moitié l'occurence de la violence par rapport des enquêtes où toutes les précautions de confidentialité et de sécurité ont été prises et où les questions portent sur des actes précis et non sur la violence en soi. En revanche, dans les enquêtes spécifiquement sur la violence, il peut y avoir un effet de brouillage et de confusion où des actes fort différents sont assimilés, ce qui peut avoir des effets nocifs sur la détermination des politiques. Cependant, ces enquêtes peuvent également être soumises à des risques différents selon leur nature. Ainsi, les enquêtes portant sur d'autres sujets que la violence peuvent ne pas poser des questions assez précises et objectives ou ne pas laisser le temps nécessaire à la remémoration de souvenirs enfouis parce que trop perturbateurs. Cette sous-estimation peut être aller jusqu'à diminuer de moitié l'occurence de la violence par rapport des enquêtes où toutes les précautions de confidentialité et de sécurité ont été prises et où les questions portent sur des actes précis et non sur la violence en soi. En revanche, dans les enquêtes spécifiquement sur la violence, il peut y avoir un effet de brouillage et de confusion où des actes fort différents sont assimilés, ce qui peut avoir des effets nocifs sur la détermination des politiques. De plus dans les contexte où la violence est relativement faible sur l'année (bien que plus importante que tout autre délit grave), il est essentiel de mesurer adéquatement la violence au cours de la vie qui reste partout très élevée puisqu'elle touche en moyenne le quart des femmes. Car, si la responsabilité et l'éthique du chercheur sont en jeu dans toutes les recherches, celles sur la violence l'impliquent plus fortement par les désastres qu'il peut produire chez les enquêtés comme chez les enquêtrices mais aussi par les conséquences qu'elles peuvent avoir sur l'agenda politique.


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WELZER-LANG Daniel, Les hommes violents, Paris, l'Harmattan.


Annexes
Tableau 1. 29 enquêtes sur les violences physiques par un partenaire intime au cours des 12 derniers mois ou de la relation ou de la vie ayant des échantillons probabilistes; calculé sur les femmes en union (sauf pour la Bolivie, les Etats-Unis et les Pays-Bas).
Tableau 2.
Abus physique par un partenaire dans l'année par âge



15-9

20-24

25-29

30-34

35-39

40-44

45-49

moy

Afrique Sud 1998

7.3

7.9

6

7.4

6.5

4

3.5

6.3

Nicaragua 98

10.9

9.8

8.9

9.3

6.1

7.7

3.9

8.3

Canada 99

5

(5)

3

(3)

2

(2)

1

3

France 2000


3.9

2.5

(2.5)

2.5

(2.5)

2.2

2.5


Macro International , 1998, South African Demographic and Health Studies, Zimbabwe, Calverton. ENDESA Nicaragua 1998, Calverton, Macro internationalé: 196. Il s'agit de la violence physique sévère : il faut rajouter 3.7 pour la violence légère et
3.9 pour la violence sexuelle actuelle. Canada : Pottie Bunge Valerie; Locke Daisy, 2000, La violence familiale au Canada : un profil statistique, Ottawa, Statistique Canada, n° 85-224-XIE ; France : Jaspard Maryse, op. cit. p.2.


Tableau 3.
Abus physique et sexuel par un partenaire au cours de la vie



15-9

20-24

25-29

30-34

35-39

40-44

45-49

moy

Afrique Sud 1998

11.9

14.7

12

14.9

12.8

10.3

9.7

12.5

Nicaragua 98

24.5

24.6

27.6

28.9

29.1

29.4

27.6

27.6

Canada 99

5

(5)

3

(3)

2

(2)

1


Macro International , 1998, South African Demographic and Health Studies, Zimbabwe, Calverton; Nicaragua ENDESA 1998, Calverton, Macro international: 196; Egypt DHS 1995, Calverton, Macro international : 77; beaten or physically mistreated since age 15.; Canada : Pottie Bunge Valerie; Locke Daisy, 2000, La violence familiale au Canada : un profil statistique, Ottawa, Statistique Canada, n°85-224-XIE.


Tableau 4.
Violence sexuelle par un partenaire dans l'année


15-9

20-24

25-29

30-34

35-39

40-44

45-49

moy

France 2000


1.2

0.9

0.9

1

1

(0.6)


Jaspard Maryse et équipe ENVEFF, op. cit. p.2.


7.1. Les 21 actes répertoriés par l'ENVEFF.

1 empécher les relations sociales

2 dévaloriser ce qu'on fait

12 insultes, injures

3 critiquer coiffure, habillement

13 lancement d'objet, empoignade

4 critiquer l'apparence physique

14 coups

5 imposer des comportements

15 enfermement, mise à la porte, abandon sur la route

6 critiquer les opinions

16 menace de se suicider

7 dénigrer devant autrui

17 menace de mort

8 refuser de parler

18 menace avec arme

9 empêcher l'accès à l'argent

19 tentative de meurtre

10. menace sur enfant

20 rapport sexuel forcé

11. violence sur enfant ou séparation forcée

21 autre sexualité contrainte

Jaspard Maryse et l'équipe ENVEFF, 2001, "Nommer et compter les violences envers les femmes : une première enquête nationale en France", Populations et sociétés, n°364, janvier :1-4.


7.2. Les 10 questions posées par Statistique Canada en 1999 :
A-t-il (elle) menacé de vous frapper avec son poing ou tout autre objet qui aurait pu vous blesser ?
Vous a-t-il (elle) lancé quelque chose qui aurait pu vous blesser ?
Vous a-t-il (elle) poussé (e), empoigné (e) ou bousculé (e) d'une façon qui aurait pu vous blesser ?
Vous-a-t-il (elle) giflé ?
Vous a-t-il (elle) donné des coups de pied, mordu (e) ou donné un coup de poing ?
Vous a-t-il (elle) frappé (e) avec un objet qui aurait pu vous blesser ?
Vous a-t-il (elle) battue (e) ?
A-t-il (elle) tenté de vous étrangler ?
A-t-il (elle) utilisé ou menacé d'utiliser une arme à feu ou un couteau contre vous ?
Vous a-t-il (elle) forcé (e) à vous livrer à une activité sexuelle non désirée, en vous menaçant, en vous immobilisant ou en vous brutalisant d'uen façon quelconque ?

« Violence familiale », Le quotidien 25 juillet 2000 (http://www.statcan.ca/Daily/Français/00725/q000725.htm).
7.3. Questions de l'EDS indienne 1999
Since you completed 15 years of age, have you been beaten or mistreated physically by any person ?
Who has beaten you or mistreated you physically ? : 13 possibilités, dont le mari.
How often have you been beaten or mistreated physically in the last 12 months : once, a few times, many times or not at all ?
MACRO INTERNATIONAL, 2000, National family Family Health Studies, India1998-99, Calverton : 420-421.


NOTES
1 En effet, les mouvements pour les droits de l'homme se sont constitués contre l'ingérence de l'Etat et ont eu quelque mal à devoir admettre qu'ils devaient s'immiscer dans la vie privée.
2 Pourtant, malgré leur opposition de façade à certaines pratiques, qui servait à donner une image dégradante des colonisés et à justifier « le sauvetage de la race » vis-à-vis des opinions publiques européennes, les colonisateurs d'hier et d'aujourd'hui n'ont jamais envoyé nulle armée protéger les femmes, à la différence des champs de pétrole ou autres propriétés menacées.
3 L'ethnonyme « Iroquoien » désigne la famille linguistique dont font partie, entre autres, les Iroquois, les Hurons, les Cherokees. L'ethnonyme « Iroquois » ne réfère qu'à une alliance fédérative entre cinq de ses nations, les peuples de la Maison-longue, créée vers 1560 et élargie à 6 au XVIIIe s.
4 Si les récit autobiographiques d'esclaves américains étaient écrits en termes régligieux et pour une audience puritaine, on ne peut en dire autant des Antilles où la présence missionnaire était fort rare (Gauiter 1985).
5 Surtout pour les enquêtes anglophones ou orchestrées par Macro international.
6 Mais le taux est calculé sur toutes les femmes et pas seulement celles en union, ce qui le fait baisser mécaniquement.
7 www.who.org/frh-wld/vaw/infopack.
8 La définition de la violence utilisée n'est pas explicitée; nous reviendrons plus loin sur ce problème.
9 Calculé à partir de Jaspard et l'enquête ENVEFF 2000 : 2.
10 42% des enquêtes étudiées portent sur des groupes d'âge proches des âges reproductifs (annexe 1).
11 Adaptation réalisée par Arlette Gautier, avec l'aide de Véronique Helenon, Nadine Lefaucheur, Stéphanie Mulot et Mylenn Zobda dans le cadre de l'Enveff-Antilles, dirigée par Myriam Cottias.
12 Ainsi, au Canada, les concubinages sont nettement plus violents que les mariages.
13 La corrélation n'est d'ailleurs que de .678 avec une signification de .022.
14 Où il y a d'après les responsables de l'EDS un net sous-enregistrement.
15 Ainsi l'enquête sur la sexualité aux Antilles-Guyane a mesuré un niveau de premiers rapports forcés deux fois plus élevés aux Antilles et trois fois en Guyane (Communication de Michel Giraud à Schoelcher le 9 juin 2000), ce qu'ont confirmé des entretiens préliminaires.
16 Lors de l'écoute de l'enquête nationale française sur les violences envers les femmes, il m'est ainsi arrivé d'entendre une enquêtrice passer à toute allure à travers le questionnaire : il aurait fallu que l'enquêtée soit vraiment déterminée à parler pour qu'elle puisse le faire !
Le lien d'origine http://www.penelopes.org/archives/pages/docu/violence/malmesure12.htm