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Pour en finir avec le nom du père…

Origine : http://www.antipatriarcat.org/hcp/html/nom_du_pere.html


Pour en finir avec le nom du père…

Au moment d’écrire ces lignes, dans quelques jours à peine, je serai parent. Cet enfant, contrairement à la grande majorité des enfants, portera uniquement le nom de famille de sa mère. Lorsque j’informe les gens de ce fait, j’ai généralement droit à un regard empli de compassion : pauvre père dont l’enfant, probablement contre son gré, ne portera pas le nom… Et pourtant, la décision est bien le fruit d’un consensus mûrement réfléchi. J’ai toutes les raisons de croire que c’est la chose la plus juste et logique à faire; et ce dans une optique tant proféministe, anti-essentialiste qu’anarchiste. Je vous partagerai donc le fruit de ma réflexion : puisse-t-elle nourrire les débats des futurs parents (ou de leurs ami-e-s) qui liront peut-être ce texte.

La parentalité : un lien purement social

Nous sommes, pour la plupart d’entre nous, occidentales et occidentaux, issu-e-s d’un même modèle familial qui est celui dit de la famille nucléaire : nous avons, comme noyau familial de base, une mère, qui nous a porté et nous a mis au monde et un père qui est généralement celui dont un spermatozoïde a fécondé l’ovule de celle-ci. Nos caractéristiques physiologiques sont largement issues de l’agencement de leurs propres caractéristiques, notre contact avec l’environnement se chargeant de les refaçonner au rythme du temps. Lorsque nous avons eu pour seuls parents ces deux « géniteurs », nous ne nous posons pas de question : nous sommes issus d’une famille normale.

L’histoire générale et plusieurs de nos histoires personnelles nous ont toutefois appris que ces parents qui nous élèvent ne sont pas toujours ceux qui nous ont « conçus ». Les exceptions à la norme sont même si fréquentes qu’elles en viennent à fortement la questionner : que nous ayons été adoptés, par des étrangers ou des membres de la famille élargie, que nous ayons perdu notre mère ou notre père biologiques et qu’un autre parent soit venu remplacer celui ou celle-ci, que le conjoint ou la conjointe d’un de nos parents séparés ait eu une plus grande importance parentale dans notre vie qu’un parent biologique, que nos parents soient gais ou lesbiennes, que nous ayons été élevé par une communauté, etc. Devant cette confusion, nous en sommes venu-e-s à distinguer deux types de parentalité : la parentalité biologique (les parents géniteurs) et la parentalité sociale (les parents qui élèvent).

Si dans le modèle « normal », la parentalité biologique et la parentalité sociale se recoupent, dans plusieurs situations, dont celles précédemment énumérées, ce n’est pas le cas. Les personnes qui nous élèvent et auxquelles nous référons par les mots « père » et « mère » ne sont souvent pas les mêmes qui nous ont « conçu » et auxquels nous référons également par les mots « père » et « mère ». Il faut donc se rendre à l’évidence : nous utilisons les mêmes mots pour référer à deux catégories de rôles complètement différents qui, s’ils peuvent être occupés par les deux même personnes (le parent biologique peut devenir ou non le parent social), ne sont pas une seule et même chose.

De ces deux catégories de rôles, que je continuerai à nommer pour l’instant parentalité biologique et parentalité sociale, celui qui a très largement le plus d’influence sur le devenir d’un enfant est la parentalité sociale : ce sont ces parents « sociaux » qui nourrissent l’enfant, lui donnent de l’affection, le protègent dans ses jeunes années, lui transmettent certaines valeurs, certains comportements, etc. Ce sont également ceux-ci qui peuvent le négliger, l’abandonner, le maltraiter, le blesser. Ce sont ces parents qui comptent vraiment dans le devenir de l’enfant.
Et pourtant, la psychologie populaire et presque une majorité d’individus s’y référant mettent constamment l’emphase sur la parentalité biologique et toute l’importance « symbolique » qu’elle doit revêtir. Une connaissance scientifique de base prouvant ces théories naturalistes comme fausses et charlatanesque[i], nous nous devons de chercher ailleurs que dans la science les raisons de la survalorisation de ce rôle.

Cette raison se cache fort possiblement derrière un très simple constat : le rôle biologique de la mère est très visible et actif alors que celui du père est purement invisible et en fait à peu près insignifiant à moyen terme. Avec le second constat que la mère biologique joue presque toujours également le rôle de mère sociale, alors que plusieurs pères biologiques ne jouent pas, pour diverses raisons que je n’évoquerai pas ici, le rôle de père social. Le rôle de parent social n’étant pas acquis pour le père biologique, il est nécessaire pour une société patriarcale d’instaurer des mécanismes de contrôle social (pour lesquels la psychologie populaire est un relais formidable) pour assurer aux hommes le lien avec les enfants qu’ils ont « conçus ». Le mythe de l’importance de la parentalité biologique, surtout masculine, et la transmission du nom de famille du père sont deux éléments fort significatifs de ce mécanisme de contrôle social : j’y reviendrai un peu plus loin.

La maternité : une expérience biologique significative

Si l’importance de la parentalité biologique est certes limitée, il serait indécent de nier l’importance sociale que revêt le travail biologique de la maternité, tant pour la société que pour ses répercussions sur les femmes, individuellement et collectivement. Si ce travail n’influence pas directement et de manière significative le devenir des enfants[ii], il détermine tout l’appareil social et les relations humaines qui entourent l’exercice de la parentalité : la prise en charge des enfants, le partage des tâches domestiques, la perception du rôle social des femmes, etc. Il importe d’en décortiquer les implications.

La grossesse est sans contredit un travail au sens propre du terme. Paola Tabet fait ce constat en soulignant que le travail en kilojoule nécessaire à la mère pour mener à bien une grossesse correspond à la dépense énergétique découlant d’un mois de coupe de bois[iii]. Ce travail implique une mobilisation de tout l’organisme de la femme, qui métamorphose son cycle hormonal, transforme ses tissus, emmagasine des graisses supplémentaires, transforme l’air et la nourriture absorbée afin d’alimenter l’enfant-à-devenir. Il transforme également l’apparence de la femme et par ricochet, son estime de soi, son état psychologique. Il devient aussi objet d’identification sociale, un stigmate qui l’associe entièrement à sa fonction reproductive et jette sur elle plus que jamais la discrimination qui est faussement associée par le patriarcat au caractère « naturel » des femmes. C’est d’ailleurs pour toutes ses raisons que la grossesse doit être un travail librement choisi par les femmes (avortement libre), sans contraintes quelconques.

L’allaitement, s’il est choisi (puisque contrairement à la grossesse, non nécessaire à la venue au monde de l’enfant), consiste également en un travail qui ne peut être assumé que par les femmes. Il mobilise lui aussi plusieurs fonctions corporelles de celles-ci, implique une importante dépense énergétique, d’autant plus qu’il a socialement tendance à favoriser une décharge des responsabilités parentales sur la mère, sous prétexte du lien très étroit qui doit être maintenu entre la mère et l’enfant durant les périodes d’allaitement.

Ces deux travaux « biologiques » ont certes un impact sur le développement souhaitable de l’enfant : ils sont ainsi décidément des actes de parentalité. S’ils peuvent mener à une prise en charge par la « travailleuse » de la parentalité sociale ultérieure de l’enfant, ce transfert n’est toutefois, répétons-le, pas automatique. Dans tous les cas, cette femme aura tout de même exercé pendant un lapse de temps la parentalité, ce que nous devons reconnaître socialement.

Pendant ce temps, le père « biologique » de l’enfant n’est pas automatiquement parent social. Son travail directement face à l’enfant est, pendant toute la grossesse, nul : on pourrait dire que la paternité biologique est à ce sens insignifiante. Afin d’en venir à exercer la paternité sociale - que je nommerai tout simplement à partir d’ici « parentalité », puisqu’il n’y a pas à proprement dit de paternité biologique : l’homme doit au cours de la grossesse devenir parent (ce qui ne fera pas de lui un parent moins important) et ce par différents moyens.

Il devient parent en prenant part premièrement au « projet » que constitue la venue d’un enfant : que ce projet soit de long terme ou construit « sur le tas ». Il prépare ainsi avec la mère l’accueil du bébé, non seulement en mettant en place les ressources matérielles, mais en élaborant les plans que tous parents ne manquent pas d’élaborer pour l’éducation de l’enfant.

Deuxièmement, il fait oeuvre de compensation pour le travail nécessaire que fait la mère durant sa grossesse : il assume une plus large partie des tâches domestiques, aide à soulager ses douleurs et inconforts (massages), travaille à établir un climat de communication et de sécurité qui préviendra les débordements émotifs découlant davantage des réponses inadaptées du milieu et des désagréments physiques que des hormones féminines incontrôlables! Il doit partager le travail de la grossesse comme il le peut : soutien psychologique, physique, matériel.

Mais c’est surtout par la prise en charge des soins de l’enfant que cet homme deviendra parent, en s’occupant de toutes les facettes de la vie de l’enfant (et pas seulement celles ayant trait au jeu). S’il ne peut nourrir l’enfant tout de suite, si la mère allaite, il peut et doit néanmoins largement collaborer à tout ce qui entoure l’allaitement. Car une fois ces étapes « biologiques » passées, ce n’est pas d’un père ou d’une mère que l’enfant a besoin, mais de parents attentifs, qu’ils soient homme ou femme[iv].

En sommes, nous ne pouvons logiquement poser la paternité et la maternité que comme des entités biologiques, la maternité ayant largement plus d’implications que la paternité (essentiellement symbolique) et la mère devant donc obtenir reconnaissance et aide pour ce travail qui ne trouve pas son équivalent biologique chez l’homme. La parentalité, prise en charge ou non de l’enfant par la mère et le père biologiques, est un concept social et qui doit être assumé en dehors des divisions sexuelles hommes-femmes.

L’échappatoire

Il me semblerait important ici d’apporter quelques précisions quant à une mauvaise interprétation qui pourrait être faite de l’analyse précédente de la paternité : nous ne devons pas tirer profit du caractère non biologique de la parentalité masculine et sa construction progressive en une parentalité sociale afin de militer pour une déresponsabilisation masculine face à la grossesse. La pension alimentaire et l’obligation de reconnaître la filiation pour un géniteur « fugueur » n’ont rien ou peu à voir avec la parentalité : ils sont un filet social créé pour éviter qu’un homme, ne contrôlant pas sa propre fertilité, laisse une femme enceinte se débrouiller seule avec les charges de cette grossesse et les répercussions financières de la parentalité assumée seule.

Ce filet n’est pas un certificat de paternité et de droits masculins, mais un filet de protection pour les femmes, une compensation, justement, pour cette maternité biologique que les femmes doivent assumer seules avec les risques que cela comporte. Comme cette compensation ne permet pas aux hommes de forcer une femme à avorter ou à poursuivre une grossesse qu’elle ne désire pas, elle ne lui permet pas non plus de revendiquer la garde, dans la mesure ou la mère ne lui demanderait pas d’assumer la parentalité et la pension alimentaire. La mère étant physiquement attachée à l’enfant, c’est à elle que revient le droit de décider qui deviendra le second parent, tout comme elle peut décider de ne pas devenir parent social elle-même. Si nous voulons que les hommes n’aient pas à assumer une parentalité non désirée, nous devons mettre en place socialement des filets sociaux plus efficaces pour permettre à une mère seule de prendre en charge correctement son enfant : par un soutien financier, un réseau de support matériel et psychologique, etc.[v]

« Au nom du père »

Comme je le soulignais plus tôt, la société patriarcale a tout mis en œuvre depuis des siècles pour s’assurer que la parentalité masculine soit reconnue comme biologique, au même titre et davantage que la parentalité féminine avec ses manifestations physiques plus qu’évidentes. Une manière parmi d’autres de s’assurer du contrôle historique des hommes sur les femmes et les enfants. Sans s’éterniser sur les racines possibles du patriarcat (les auteures féministes ne s’entendent même pas sur le sujet), disons simplement que l’établissement « prouvé par la nature » de la ligne de parenté entre un homme et ses enfants pouvait constituer une base crédible à l’appropriation de ceux-ci. Sans constituer la base de l’oppression des femmes (à travers leur maternité) et de l’appropriation masculine des enfants, la filiation paternelle a historiquement été le symbole ainsi qu’un outil efficace de cet ordre patriarcal.

C’est un gain très substantiel qu’ont obtenu les femmes (au Québec c’est arrivé au tournant des années 1980) en gagnant le droit de donner leur nom de famille à leur enfant; c’est d’ailleurs dans ces mêmes années que les québécoises ont rompu avec la tradition de prendre le nom de famille du mari. Le nom de famille est devenu à ce moment davantage le signe d’une filiation parentale que la marque de la domination masculine. Cette filiation parentale est toutefois toujours sous le signe du lien biologique - en dehors des responsabilités de la parentalité sociale - et marque toujours ce lien biologique de parentalité, maintenant un droit acquis de filiation pour les hommes par le simple fait qu’il fût géniteur, statut pourtant sans lien direct avec la parentalité.

Que faire d’un nom de famille

Dans le prolongement de ce gain historique des femmes, nous avons établi, du moins au Québec, une tradition visant à donner les noms de famille des deux parents aux enfants, ce qui semblait un règlement à long terme. Aujourd’hui, nous rencontrons pourtant un nouvel obstacle : lorsque les deux parents ont eux-mêmes un nom composé, ils ne peuvent donner leurs quatre noms aux enfants et ils doivent donc choisir entre ces noms afin d’en assigner au maximum deux. Ces deux noms ainsi choisis n’ont décidément plus rien à voir avec la filiation biologique directe: on les choisi dans une banque de possibilité. Mais ils ne sont pas non plus un réel choix social, puisqu’on ne les choisi que parmi ceux hérités de la tradition biologisante patriarcale (ils remontent tous à moyen terme au nom du père de quelqu’un). Les nouveaux parents doivent donc recomposer, avec l’arrière-fond patriarcal toujours présent, avec la symbolique des noms à transmettre et leur signification politique : de sorte que plusieurs d’ailleurs en revienne à l’idée que de donner à l’enfant le nom du père serait probablement la meilleure solution (une illustre sociologue a d’ailleurs récemment qualifié de « sages » les femmes qui décidaient ainsi de laisser leur conjoint donner son seul nom à l’enfant...). Toute l’absurdité et la confusion à la racine même des noms de famille, lorsqu’ainsi mis en périphérie de l’excuse patriarcale, surgissent de cette équation casse-tête. Mais l’histoire biologisante du nom de famille et cette ombre patriarcale multi-centenaire pourront-elles un jour en être détaché?

Or, si on suppose qu’aujourd’hui, comme nous le laisseraient voir les récents casses-têtes, le nom de famille n’est pourtant plus porteur d’une filiation biologique directe, s’il est aujourd’hui censé correspondre davantage à une partie de l’identité de l’enfant, et que la famille, de plus en plus diffuse et socialement moins primordiale, ne représente plus guère la source de cette identité, pourquoi le nom de famille n’a pas une toute autre racine. Est-il aujourd’hui autre chose que le témoignage d’un héritage patriarcal et oppresseur : oppression non seulement des femmes, mais aussi des enfants - oppression qui n’est encore guère menacée d’ailleurs?

Le nom de la mère

Si je prétends pourtant qu’il est plus cohérent aujourd’hui de donner à l’enfant uniquement le nom de la mère, c’est le fruit de plusieurs considérations.
D’une part, utiliser le nom de la mère constitue une reconnaissance du travail féminin spécifique de la maternité que nous avons identifié plus haut. Si filiation il doit toujours y avoir, avec tout son fond biologisant, c’est probablement la seule filiation qui fait sens. C’est donc un geste équitable, un geste solidaire, un geste (pro)féministe.

D’autre part, ce choix marque une rupture avec la tradition patriarcale d’appropriation paternelle des enfants sous prétexte essentialiste, en puisant directement à la racine du combat qui a amené les femmes à avoir droit de donner leur nom à l’enfant. Puiser à cette source dans le but de continuer le combat contre le patriarcat est une manière concrète de mettre des bâtons dans les roues du système patriarcal à partir de petits gestes personnels et concrets : ce choix est subversion et résistance.

Enfin, il marque les limites de la référence à la filiation dans le choix du nom de famille, en pointant la nécessité de rompre avec le lien biologique pour déterminer l’appartenance de l’enfant et son identité : il y a de bonnes chances que toute la société civile se mobilisera afin de trouver une nouvelle manière d’attribuer les noms de famille et d’imaginer la filiation du moment ou les enfants seront symboliquement affiliés uniquement aux femmes.
Il est évident que ce choix ne peut être que temporaire et dans le contexte d’une lutte féministe et d’un support à celle-ci : afin d’abolir un système - ici le système patriarcal et son allié l’essentialisme - il faut redonner du pouvoir aux personnes qui sont subordonnées, il faut mener la lutte à son terme. C’est en général le même sens que donnent les féministes à leur rassemblement en groupes non-mixtes : leur but n’est pas de construire une société de femmes dépourvue d’hommes, mais de s’organiser sur des bases communes, dans un climat de compréhension et de respect réciproque, afin de mener une lutte devant éliminer à moyen terme les phénomènes sociaux qui les poussent à s’isoler ainsi entre femmes. De redonner par le nom de famille une importance politique et sociale au rôle des femmes (et pas seulement le rôle biologique et psychologique, émotif, qui est traditionnellement accordé aux mères), d’inscrire dans l’identité de l’enfant, via le nom de famille de sa mère, le travail spécifiques des femmes qui lui a permis de venir à la vie et qui est pourtant aujourd’hui encore source de discrimination pour les femmes, de stigmatisation, de culpabilisation (c’est la faute à sa mère...), c’est donner écho à la lutte de libération féministe et travailler activement contre l’ordre patriarcal. C’est prendre l’état actuel des divisions sexuées dans notre société et lutter pour que la part de chacun et chacune soit reconnue, afin d’obtenir une réelle équité entre les hommes et les femmes, devant mener à abolir ces divisions sexuées : le but de toute lutte féministe.

Mais il est néanmoins clair pour moi que ce choix doit éventuellement tendre vers le sens de la parentalité sociale et du lien social en général, vers une abolition de ce lien biologisant de filiation. Il doit également tendre vers une révision des liens de responsabilité/dépendance (dont ceux parents/enfants) afin que ceux-ci ne correspondent plus à un lien d’oppression. La filiation est partie-prenante de ce système d’oppression, et la remettre en question par la pointe du nom de famille ne peut être que bénéfique à notre cheminement vers une société dépourvue de rapports d’oppression. Comme dans toutes choses, on ne change pourtant pas un ordre social en ne proposant qu’un nouveau modèle, choisi individuellement et sorti de nul part : on le fait en menant des luttes, en déconstruisant les concepts jusque là hégémoniques, en transgressant les règles des systèmes que l’on veut voir s’éteindre. C’est là le sens de ma lutte contre le patriarcat.

Nous avons donc choisi que l’enfant que porte actuellement ma conjointe, porterait à sa naissance son nom de famille. C’est d’ailleurs le choix qu’a fait sa propre mère il y a une vingtaine d’années de cela, avec comme résultat qu’elle a grandi avec la reconnaissance aiguë de cette transgression à l’ordre patriarcal qui avait été commis et le sentiment d’un sens réel derrière cette identité que lui conférait ce nom de famille. Nous avons fait le choix de transmettre à notre enfant les fruits d’une lutte féministe dans laquelle nous investissons nos espoirs pour son propre futur, une lutte qui donne un sens à cette identité que nous avons le pouvoir et même le devoir de lui attribuer sans son consentement. Mais tant qu’à faire ce choix pour lui ou pour elle, nous préférons qu’il soit un choix porteur de sens, comme tous les autres gestes que nous parents, hommes et femmes, choisissons de faire pour le bien de nos enfants. C’est ainsi que nous avons choisi d’investir nos croyances en une société meilleure; je crois que tous parents devraient faire un tel choix, quoi que soit la décision qu’ils prennent en finalité.

[i] Car outre le travail maternel durant la grossesse et l’allaitement (le cas échéant), incarnation d’une parentalité biologique plus qu’active, lequel n’a par ailleurs pas de grande répercussion à long terme sur le devenir, en bien ou en mal, de l’enfant, cette parentalité biologique ne fait que constituer le « bagage physiologique » d’origine de l’enfant, qui joue pour bien peu dans son devenir lorsque nous observons d’une part toutes les transformations physiques survenant en lien avec l’environnement et d’autres part la signification très différente que prendra une caractéristique physiologique selon le sens que lui confère la société. Ce débat « nature/culture » n’étant pas l’objet principal de ce texte, nous en resterons là pour l’instant.

[ii] Le rôle prédominant de la mère pour la plupart des enfants ne peut être attribué à son rôle biologique, mais plutôt à la charge parentale supplémentaire qu’on lui donne en utilisant ce rôle comme excuse.

[iii] Paola Tabet, « fertilité naturelle, reproduction forcée », dans La construction sociale de l’inégalité des sexes, Paris : L’Harmattan, 1998, p.156
[iv] Je soutiens que les histoires de modèles masculins et féminins pour l’enfant, sensés se retrouver dans les deux images sexuées que sont le père et la mère, ne relèvent que d’un modèle cherchant à maintenir les rapports différenciés et oppressifs hommes-femmes et par extension le modèle hétérosexuel. Bref, elles sont une manière de s’assurer que les garçons adhèrent au modèle masculin et les filles au modèle féminin, avec tout ce que ça implique. Mais je ne développerai pas l’idée ici.

[v] D’ailleurs, plus que jamais, il importe que les hommes se responsabilisent face à la parentalité et que leur apport soit également valorisé, mais cette valorisation ne se fait pas à travers une lutte masculiniste réactionnaire et anti-féministe.
[par yannick]