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Quelles sont les responsabilités morales d’un entraîneur ou d’une équipe quand il est question de séances d’initiation ?
Dr. David Malloy

Origine : http://www.truesportpur.ca/index.php/language/fr/ethicsexperts/10


Pour je publie ce texte ? C'est un texte qui vient du milieu du sport. Ce dont il est question n'est pas spécifique au sport. Il concerne toutes les personnes vivant en équipe pour une une raison ou pour une autre, ce qui inclut les militant/es.

Le gestionnaire du site Philippe Coutant le 1 er Novembre 2006


Dans sa plus récente chronique « Experts en éthique », David Malloy répond à un message électronique qu’il a reçu concernant les séances d’initiation dans le sport communautaire.

Cher Dave,

Mon fils âgé de 16 ans vient d’être recruté par une équipe de hockey Tier II appelée à disputer des matchs dans tout l’Ouest canadien. J’appréhende les séances d’initiation réservées aux nouvelles recrues. L’entraîneur appartient à la vieille école. Quand je lui ai fait part de mes préoccupations à ce sujet, il n’en a fait aucun cas, se contentant d’affirmer que « Les garçons seront toujours des garçons » et que les séances d’initiation jouent un rôle important dans le façonnement d’un esprit de corps au sein d’une équipe.

Dans mon jeune temps, à l’école secondaire, j’ai eu droit à la séance d’initiation de mon équipe et je ne voudrais pas que mon fils subisse le même sort. Après le genre d’incidents rapportés dans les médias l’automne dernier, je suis encore plus préoccupé.

Mon fils est un joueur talentueux et c’est la raison pour laquelle l’équipe l’a recruté. Il pourrait éventuellement changer d’équipe mais les autres équipes potentielles se trouvent dans des localités éloignées, sans compter la question de transfert de territoire qu’il faudrait régler. Mon fils est doué au hockey, pas nécessairement au point d’atteindre les ligues professionnelles, et serait un excellent candidat à une bourse. Je ne voudrais pas mettre fin à ses rêves et compromettre ses projets d’avenir.

Pourriez-vous m’éclairer sur les responsabilités morales d’un entraîneur ou d’une équipe pour ce qui est des séances d’initiation ?

D’un parent inquiet de l’Ouest canadien.

Cher parent inquiet,

Les séances d’initiation représentent une forme de contrôle institutionnel (formelle ou informelle) fondée sur le dénigrement, une forme d’abus organisationnel banalisée au rang de pratique liée au façonnement d’un « esprit de corps ». Cette pratique est courante dans l’armée (telle que nous l’avons observé il y a plusieurs années dans les Forces canadiennes) ainsi que dans plusieurs, (mais pas tous), sports d’équipe. Comment en est-on venu à cette pratique ? Je dirais que les initiations sont motivées par diverses raisons et j’aimerais aborder avec vous quatre d’entre elles : 1 – le plaisir; 2 – la pression; 3 – le contrôle, et enfin 4 – le principe.

1. Le principal motif des initiations qui me vient à l’esprit est le simple plaisir que certains individus retirent à voir leurs pairs humiliés en public.

Ce plaisir instantané s’apparente au rire spontané que l’on peut avoir en voyant quelqu’un recevoir une tarte à la crème à la figure ou glisser sur une pelure de banane (p.ex., le genre d’humour présent dans les vidéos amateurs montrés à l’émission télévisée « America’s Funniest Home Videos »). En allemand, on emploie le terme schadenfreunde ou joie déplorable pour qualifier le plaisir tiré de la détresse des autres. Lorsque nous sommes témoins de l’infortune des autres, nous ne réfléchissons pas, nous réagissons à ce qui nous paraît amusant (pour nous, et non pour la victime).

2. Une deuxième explication et une justification plutôt simpliste tient à la pression « inhérente » au maintien des traditions, pression qui nous pousse à nous conformer à une pratique parce qu’elle a toujours été. Si l’observateur ou l’agresseur ne retire pas toujours du plaisir du geste posé, il peut arriver que le groupe en retire lui un vague plaisir collectif (de là la formation d’un esprit de corps). Dans ces circonstances, la perception du bienfait qu’en retire le grand nombre (ici, l’équipe) l’emporte sur la souffrance infligée à quelques individus et l’atteinte à leur dignité.

3. Nous soumettons également des pairs à une initiation parce que nous y voyons un outil efficace de contrôle organisationnel. Dans ce cas-ci, nous avons affaire à un raisonnement profondément dérangeant. Le dénigrement vise à briser la volonté de l’individu et à le façonner dans le sens de la culture de l’équipe. Il en résulte un joueur obéissant et l’humiliation sert ici de liant avec les camarades qui ont subi la même humiliation. La victime finit par s’identifier et adhérer à l’organisation qui est dans le « secret ».

4. Enfin, les initiations tiennent lieu de principe. Le rituel transcende la psychologie organisationnelle et est élevé au rang de quasi-religion ou de religion totale. La victime est brisée et nettoyée de l’idéologie qui avait été jusque là la sienne et refaçonnée sous une forme plus noble et plus pure. À ce niveau, l’initiation s’apparente à n’importe quel culte qui abuse des personnes sans méfiance, naïves et en quête de réponses.

Voilà pour la théorie et retournons au sport. Dans notre contexte, il est peu probable que la dernière justification s’applique, et que les trois premières soient pertinentes à souhait. La perception que l’individu peut être modelé en agent de l’organisation est sous-jacente dans toutes ces justifications. En d’autres mots, le joueur ne peut devenir un membre de l’équipe engagé à part entière sans avoir d’abord subi une forme de punition externe ou de stimulus négatif (c.-à-d. une atteinte à sa dignité orchestrée).

Bon, retournons à la question initiale – pourquoi les gens s’adonnent-ils à des initiations ? Parce qu’ils croient que cette forme négative de renforcement installe un sens de l’engagement. Serait-il possible de parvenir aux mêmes fins en utilisant d’autres méthodes ? En psychologie, les exemples théoriques et concrets ne manquent pas pour démontrer que le renforcement positif s’avère un moyen beaucoup plus efficace pour susciter pareil engagement.

Prenons cet exemple, l’équipe X prend les moyens de s’assurer que chaque joueur se sent en sécurité, respecté et valorisé en tant que personne (et non seulement en tant que joueur). Chaque joueur reçoit de la direction de l’équipe l’engagement que toutes les décisions seront prises équitablement et après avoir été rigoureusement évaluées. L’équipe Y, quant à elle, pratique comme règle les séances d’initiation et croit qu’un joueur doit se conformer aux objectifs de l’équipe (et non à ses propres objectifs). Elle approuve officiellement et tacitement le dénigrement physique et (ou) émotif dans le but de d’exercer un contrôle. Quelles leçons une personne tire-t-elle de son implication au sein de ces deux équipes et comment perçoit-elle le monde par la suite – sera-t-elle de celles qui après voir subi une telle initiation, la fera subir à son tout à d’autres ?

À laquelle de ces deux équipes seriez-vous prêt à confier vos enfants ?

À partir de ces réflexions, passons à votre question concernant la responsabilité morale de l’entraîneur, de l’équipe et de l’organisation dans son ensemble. Ces derniers ont certainement l’obligation légale de protéger de tout danger ceux qui relèvent de leur direction– et cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de mineurs auprès de qui l’entraîneur assume le rôle de parent. Les personnes qui exercent une forme d’autorité sont toujours tenues devant la loi à un devoir moral plus grand. Mettons de côté la responsabilité légale et examinons de plus près la responsabilité morale de l’entraîneur. Un entraîneur/un leader a-t-il le droit sur le plan moral d’avoir recours à une méthode de dénigrement pour instiller la cohésion au sein d’une équipe ?

Pas du tout ! L’examen du caractère moral d’une telle pratique nous oblige à conclure que tous les êtres humains (parce qu’ils sont des êtres humains) ont droit à la dignité et que toute atteinte délibérée à cette dignité est foncièrement contraire à l’éthique. Par conséquent, toute pratique fondée sur le dénigrement constitue une enfreinte à la dignité de la personne et est inacceptable suivant une perspective morale. Les initiations, en tant que pratiques, échouent à cet examen. Les fondements théoriques et pragmatiques démontrant plus à fond pourquoi les initiations sont inacceptables ne s’arrêtent pas là.

Le rôle de l’entraîneur, que ce dernier en soit conscient ou non, ne consiste pas uniquement à enseigner des habiletés et des prouesses techniques, mais également la culture de l’équipe (c.-à-d. une éthique, des valeurs et des normes communes à l’équipe). Son rôle est de guider les athlètes, de veiller sur eux, de les encadrer et de les traiter comme être humains avec dignité. Ce rôle est le même pour quiconque occupe une poste de direction ou de pouvoir.

L’entraîneur / le leader, et l’organisation qu’il représente, et qui sont conscient de cette responsabilité, ne peuvent cautionner moralement ce genre de pratique et devraient faire tout le nécessaire afin de trouver une façon d’installer une culture d’équipe qui ne repose pas sur le dénigrement de ses membres. Si l’entraîneur n’est pas conscient de son devoir, il incombe à l’organisation (c.-à-d. au club ou autre) de l’en informer clairement.

L’entraîneur informé qui perpétue cette pratique, par omission ou par commission, commet un acte contraire à la morale (si ce n’est illégal) et doit avoir à répondre pour les torts physiques et psychologiques causés.

Il est vrai que dans toutes les formes d’initiation, certaines peuvent être sans conséquence. La question fondamentale demeure… jusqu’où une organisation est-elle prête à aller pour installer un esprit de corps parmi ses membres? Si l’atteinte à la dignité des nouveaux venus les plus vulnérables est nécessaire pour parvenir à ses fins ou si la santé et la sécurité se trouvent le moindrement compromises, alors de toute évidence, le prix à payer pour des initiations est trop élevé.

David

References Kant, I. (1785/1981). Grounding for the metaphysics of morals (J. W. Wellington, Trans.). Cambridge: Hackett Publishing Company.

30-janvier - 2006