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origine : http://infos.samizdat.net/article443.html
samedi 30 décembre 2006, par Centre d’analyse stratégique
Comme souvent, on trouve d’excellents articles sur le site
de davduf.net. Un des commentaires de son article Emeutes d’automne
2005 : la version du Centre d’Analyse Stratégique indiquait
que "ces deux rapports n’ont pas (encore ?) trouvé
l’écho qu’ils méritent...". Il nous
a aussi semblé important de les faire connaître, puisqu’en
effet, seul le journal Les Echos a repris le travail de ce think
thank de Matignon. Mais laissons le Centre d’Analyse Stratégique
présenter lui même son travail, qui de façon
surprenante change du discours habituel, notamment celui du ministre
de l’Intérieur, Nicolas Sarkosy. [1] Samizdat.net
Le Centre d’analyse stratégique met en ligne deux
études monographiques sur les violences urbaines.Ces études
de terrain ont été menées à la demande
du Centre d’analyse stratégique par deux équipes
de sociologues entre avril et octobre 2006. Elles permettent de
mieux comprendre les émeutes d’Aulnay-sous-Bois et
de Saint-Denis.
Le Centre avait mis en place début 2006 à la suite
des violences urbaines de novembre 2005 un groupe de travail réunissant
les principaux ministères concernés - ministères
de l’Intérieur, de la Justice ou des Affaires étrangères
- des administrations spécialisées - délégation
interministérielle à la ville, Service d’Information
du Gouvernement (SIG), INSEE - et des chercheurs. Ce groupe a eu
pour objectif de dresser un tableau des événements
et de dégager des éléments d’explication.
Il lui a paru indispensable de se pencher sur les facteurs locaux.
Pourquoi certaines communes ont connu des épisodes de grande
violence, là où d’autres, situées à
proximité et se trouvant a priori dans une situation sociale
et économique comparables, restaient au contraire largement
épargnées ? Deux sites ont été retenus,
tous deux situés en Seine-Saint-Denis, la commune d’Aulnay-sous-Bois,
qui a connu un épisode de violence d’une particulière
intensité au tout début du mois de novembre 2005,
et la commune voisine de Saint-Denis, moins touchée.
Les deux équipes de sociologues de Paris V, menées
respectivement par Olivier Galland et Michel Kokoreff, ont conduit
leurs travaux dans un laps de temps relativement court. A partir
d’une analyse de la géographie des troubles, ont été
réalisés sur la base d’un questionnaire identique,
des entretiens avec les différentes parties prenantes, les
habitants des quartiers concernés - familles, jeunes- et
les différents acteurs institutionnels.
Les études tentent ainsi de mieux comprendre les ressorts
qui avaient conduit certains jeunes à prendre part à
ces violences ou au contraire à s’en distancier. Au-delà
des ressorts communs, transparaissant au fil des différents
entretiens, l’on perçoit également comment l’environnement
social et institutionnel a pu influer sur le déclenchement
de la crise et sa résolution. En cela, les cas de Saint-Denis
et Aulnay se différencient nettement. Les résultats
de ces deux études par l’éclairage spécifique
qu’elles apportent et la rigueur scientifique qui les caractérise,
contribuent à la réflexion collective engagée,
tant au plan local que national, tant en terme de prévention
que de gestion de crises de cette nature.
Deux études en résumé ...
Bien que différentes dans leur présentation, les
études réalisées par les deux équipes
témoignent d’une même volonté : celle
de ne pas proposer une nouvelle interprétation générale
des émeutes ou de la crise des banlieues, fondées
sur une recherche de causalités. Au contraire, tout en décrivant
des contextes urbains fortement clivés et en insistant sur
l’existence d’un climat de conflictualité accrue
entre les jeunes et la police, elles se sont efforcées de
« coller » au plus près des événements.
C’est ainsi que « l’équipe de Saint - Denis
» s’est attachée à mettre au jour les
dimensions locales et territoriales de cet épisode de «
violences urbaines » quand « l’équipe d’Aulnay-sous-Bois
» a voulu ausculter la dynamique des émeutes elles-mêmes.
Dans le cadre de cette démarche, « l’équipe
de Saint Denis » nuance l’idée répandue
selon laquelle les quartiers dits sensibles de la cité royale
se seraient distingués par le calme relatif qui y aurait
régné au cours de la période. L’étude
souligne également que si la situation sociale y est moins
dégradée que dans d’autres communes de la Seine-Saint-Denis,
la forte dualisation qui la traverse a pu nourrir un sentiment de
frustration relative chez les jeunes ayant pris part aux émeutes,
selon les chercheurs. Certes, le travail de médiation qui
a pu être réalisé par de multiples acteurs locaux
a sans doute permis de contenir une dynamique émeutière
bien réelle, portée par un processus d’identification
très marqué à l’égard des victimes
du drame de Clichy-sous-Bois.
Deux points ressortent également très nettement :
tout d’abord, ce mouvement est également le fruit d’une
tendance à l’autonomisation de ceux que l’on
appelle « les petits », dans les cités. «
Les grands », souvent peu qualifiés et sans emploi,
n’exercent plus la fonction tutélaire qu’on leur
a souvent prêté et semblent faire l’objet d’un
discrédit nouveau. L’accent est également mis
sur la conflictualité des rapports entre ces jeunes et la
police, que les chercheurs attribuent en particulier à un
sentiment d’humiliation de la part des premiers et aux contraintes
fonctionnelles qui pèse sur les seconds.
« L’équipe d’Aulnay-sous-Bois »,
quant à elle, insiste sur le fait que chacun projette sa
propre grille de lecture sur ce qui s’est passé. Elle
montre cependant que l’épisode de « violences
urbaines » a été vécu par les jeunes
comme l’aboutissement et l’expression d’un malaise
partagé et ce, quel qu’ait été leur degré
d’implication dans les événements. Les raisons
et motivations, qu’elles soient explicites ou implicites,
sont décrites par les chercheurs comme très diverses,
si bien que le mouvement observé semble résulter de
l’agrégation de logiques d’actions nombreuses
et variées. Face à cela, la réponse des pouvoirs
publics et, plus particulièrement des forces de police, semble
avoir été empreinte d’une certaine désorganisation,
sans doute liée à l’effet de surprise. Certes,
les autorités sont très vite parvenues à adapter
leurs actions aux événements et à tirer partie
d’effets d’apprentissage mais la capacité d’anticipation
paraît avoir fait défaut.
Emeutes et émeutiers à Aulnay-sous-Bois (50 pages)
Temporalités - gestion et formes de participation
« [...]Pourquoi les émeutes ont-elles émergé
? Comment se sont-elles développées ? Comment et pourquoi
se sont-elles arrêtées ? Y répondre demande
d’interroger les différents acteurs jeunes, adultes,
professionnels, politiques sur leurs perceptions des émeutes
et sur la façon dont ils y ont été impliqués,
à des titres divers. Cela suppose à la fois de comprendre
les processus de mobilisation des émeutiers (les motifs d’implication,
les dynamiques d’interaction) mais également les logiques
de gestion professionnelle et institutionnelle des émeutes
(les modes d’action des différents acteurs impliqués)
et les modes de mobilisation sociales (dynamiques associatives,
rôle des familles). »
L’enquête a été menée auprès
d’un double public de responsables associatifs, d’agents
administratifs, de représentants institutionnels d’une
part et, d’autre part, de jeunes vivants dans des cités
à Aulnay. Elle s’est déroulée entre avril
et octobre 2006.
Equipe de chercheurs : Vincenzo CICCHELLI (Cerlis, Paris 5/CNRS),
Olivier GALLAND (Gemas, CNRS), Jacques de MAILLARD (université
de Rouen/PACTE), Séverine MISSET (Cerlis, Paris 5/CNRS)
Comprendre les émeutes - l’exemple de Saint-Denis (50
pages)
Note de synthèse « [...] Comment rendre compte, localement,
d’un phénomène national ? On peut voir dans
le local une surface d’enregistrement du global, avec la difficulté
qu’il y a à monter en généralité.
Mais on peut aussi considérer qu’il ne s’est
pas passé partout les mêmes choses, ni avec la même
intensité ni avec la même durée. Ce qui revient
à formuler l’hypothèse d’émeutes
fragmentaires. En effet, dans la profusion des commentaires et des
interprétations qui ont accompagné et prolongé
ces événements, on ne s’est peut-être
pas assez intéressé, faute de recul et de données
d’enquête, à la morphologie des émeutes.
On s’est empressé d’en proposer une analyse causale.
Du coup, on est passé un peu vite sur leurs dimensions locales
et territoriales, partant du principe - implicite ou pas - que les
mêmes causes produisent les mêmes effets. Or, à
y regarder de près, bien des spécificités apparaissent
: la nature des troubles, leur intensité, la chronologie
des événements au plan local rapportée à
la chronologie établie l’échelle nationale mais,
aussi, les effets de contexte ou de territoire, la part des enjeux
et des contentieux locaux. »
L’étude a consisté à mêler étroitement
une campagne d’entretiens auprès des divers acteurs
en jeu (élus, responsables de services municipaux, policiers,
enseignants, acteurs de terrain, militants, différents groupes
de jeunes, etc.) et un travail de terrain dans certains quartiersde
la commune en particulier. L’étude s’est déroulée
entre avril et octobre 2006.
Equipe de chercheurs : Michel KOKOREFF (université Paris
5-Césames), Pierre BARRON (université de Nantes),
Odile STEINAUER (Cms-Ehesss)
Source : Centre d’analyse stratégique
Notes
[1] « Faire porter la responsabilité des 27 nuits
d’émeutes sur ce qui s’est passé à
Clichy, c’est ridicule ».
Les liens des deux rapports :
http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/EtudeAulnaysousbois.pdf
http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/EtudeStDenis.pdf
Ils seront publiés à la Documentation Française.
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