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Origine : http://deconstruire.babylone.over-blog.org/article-5621793.html
Il est écrit par l'écrivain Jacques Ellul, sociologue
écrivain des institutions, de la technique, théologien
protestant.
A l'heure même où l'Allemagne et le nazisme sont effondrés,
à l'heure où la victoire des armées alliées
est enfin acquise, une question nous reste posée par les
deux derniers ordres du jour d'Hitler, un mois à peine avant
son écrasement, où il affirmait sa certitude de la
victoire. Tout le monde à ce moment en a ri, tant il était
évident que plus rien ne pouvait sauver l'Allemagne et l'on
a pensé : coup de fouet à son peuple, folie. Tout
le monde l'a oublié aujourd'hui car c'est une affaire liquidée.
Et pourtant ne devrions nous pas nous méfier de cette attitude
en face des affirmations de cet homme ? Lorsque depuis 1938 il menaçait,
on disait "chantage". Lorsque, en janvier 1940, il a dit
qu'en juillet il serait à Paris, on disait "rodomontade".
Lorsque, en 1938, il avait parlé d'envahir la Roumanie et
l'Ukraine, qui donc l'avait pris au sérieux ? Et pourtant
si l'on avait réellement pris au sérieux Mein Kampf,
si l'on avait bien voulu y voir un programme d'action et non comme
nous en avions trop l'habitude avec nos hommes politiques un programme
électoral que l'on n'applique jamais, l'on aurait peut-être
pris quelques précautions. Car tout ce qu'Hitler a fait était
annoncé par Mein Kampf : les buts, les méthodes et
les résultats. Il n'a pu aller jusqu'au bout, mais la volonté
ne lui en a pas manqué. Tout ce qu'il avait dit, il l'a fait.
Pouvons nous alors prendre à la légère ces
ordres du jour où, alors qu'il savait très bien que
ses armées étaient vaincues, il affirmait encore sa
victoire ?
Remarquons d'abord qu'il ne s'agit pas, dans ces ordres du jour,
d'une façon évidente, de victoire de l'Allemagne actuelle,
ni d'une victoire militaire. Il s'agit d'une victoire du nazisme
et d'une victoire de l'Allemagne éternelle, c'est à
dire, si nous comprenons bien, d'une victoire politique. Et ce ne
serait pas la première fois que le vaincu par les armes arrive
à vaincre politiquement son vainqueur. Ainsi les armées
de la Révolution et de l'Empire furent en définitive
vaincues, mais elles avaient porté dans toute l'Europe l'idée
de République et le sentiment de la liberté dont personne
ne pût arrêter la marche triomphale au XIXe siècle.
Or que voyons nous aujourd'hui ?
D'abord Hitler a proclamé la guerre totale ; d'autre part,
massacre total. Et l'on sait les lois de sa guerre ... Tout le monde
a dû s'aligner sur lui - et faire la guerre totale, c'est
à dire la guerre d'extermination des populations civiles
(nous y avons fort bien réussi !) et l'utilisation illimitée
de toutes les forces et ressources des nations aux fins de la guerre.
On ne pouvait faire autrement pour vaincre. Evidemment. Mais est-ce
si certain que cela que l'on puisse vaincre le mal par le mal ?
Ce qui est en tout cas incontestable, c'est qu'en nous conduisant
à la nécessité des massacres des populations
civiles, Hitler nous a prodigieusement engagé dans la voie
du mal. Il n'est pas certain que l'on puisse en sortir si vite.
Et, dans les projets de réorganisation du monde actuel, à
voir la façon dont on dispose des minorités, dont
on prévoit les transferts de populations, etc., on peut se
demander si l'influence en ce qui concerne le mépris de la
vie humaine (malgré de belles déclarations sur la
vie humaine ! ) n'a pas été plus profonde qu'on ne
le croirait.
D'autre part, la mobilisation totale a eu des conséquences
parallèles. Non seulement le fait que les forces mobilisées
accomplissent une tâche pour laquelle elle ne sont pas faîtes,
mais surtout, le fait que l'Etat est couronné de la toute
puissance absolue.
Bien sûr ! On ne pouvait pas faire autrement. Mais il est
assez remarquable de constater que là encore nous avons dû
suivre les traces d'Hitler. Pour réaliser la mobilisation
totale de la nation, tout l'Etat doit avoir en mains tous les ressorts
financiers économiques, vitaux, et placer à la tête
de tout des techniciens qui deviennent les premiers dans la nation.
Suppression de la liberté, suppression de l'égalité,
suppression de la disposition des biens, suppression de la culture
pour elle même, suppression des choses, et bientôt suppression
des gens inutiles à la défense nationale. L'Etat prend
tout, l'Etat utilise tout par le moyen des techniciens. Qu'est ce
donc sinon la dictature ? C'est pourtant ce que l'Angleterre aussi
bien que les Etats-Unis ont mis sur pied ... et ne parlons pas de
la Russie. Absolutisme de l'Etat. Primauté des techniciens.
Sans doute nous ignorons le mythe anti-juif, mais ignorons nous
le mythe anti-nazi ou anti-communiste ? Sans doute ignorons nous
le mythe de la race, mais ignorons nous le mythe de la liberté
? Car on peut parler de mythe lorsque dans tout les discours il
n'est question que de liberté alors qu'elle est pratiquement
supprimée partout.
Mais dira-t-on, ce n'est que pour un temps, il le fallait pour
la guerre, dans la paix on reviendra à la liberté.
sans doute pendant quelques temps après la guerre, il est
possible que dans certains pays favorisés on retrouve une
certaine liberté, mais soyons rassuré que ce sera
de courte durée. Après 1918, on a aussi prétendu
que les mesures de guerre allaient disparaître ... Nous avons
ce qu'il en a été ... D'ailleurs, deux choses sont
à retenir ; d'abord les quelques plans économiques
dont nous pouvons avoir connaissance (le plan Beveridge, le Plan
du Full Employment, le plan financier américain) démontrent
abondamment que l'Emprise de l'Etat sur la vie économique
est un fait acquis et qu'on s'oriente vers une dictature économique
sur le monde entier. Ensuite une loi historique : l'expérience
de l'histoire nous montre que tout ce que l'Etat conquiert comme
pouvoir, il ne le perd jamais. La plus belle expérience est
peut-être celle de notre Révolution française
au om de laquelle on est parti en 89 au nom de la liberté
conte l'absolutisme, pour arriver en 91, toujours au nom de liberté,
à l'absolutisme jacobin. Ainsi, nous pouvons nous attendre
demain à l'établissement de dictatures camouflées
dans tous les pays du monde, nécessité dans laquelle
Hitler nous aura conduits. Sans doute, on peut réagir, on
peut lutter, mais qui songe à le faire sur ce plan ?
Et c'est là la seconde victoire d'Hitler, On parle beaucoup
de démocratie et de liberté. Mais personne ne veut
plus les vivre. On a pris l'habitude que l'Etat fasse tout, et sitôt
que quelque chose va mal, on en rend l'Etat responsable. Qu'est
ce à dire sinon que l'on demande à l'Etat de prendre
la vie de la nation toute entière à charge ? La liberté
vraie, qui s'en soucie ? La limitation des droits de l'Etat apparaît
comme une folie. Les ouvriers sont les premiers à réclamer
une dictature. Le tout est de savoir qui fera cette dictature. Et
le mouvement en faveur en faveur de la liberté économique
et politique n'est guère soutenu qu'en Amérique, et
là que par les "capitalistes" qui désirent
se libérer de la tutelle de l'Etat.
L'ensemble du peuple, en France comme aux Etats-Unis, est au contraire
tout prêt à accepter le gouvernement dictatorial et
l'économie d'Etat. La fonctionnarisation générale
est presque un fait accompli ou qui s'accomplit chaque jour et le
désintéressement de la population à l'égard
des querelles politiques, qui est indéniable, est un signe
grave de cette mentalité qui, à n'en pas douter, "pré-fasciste".
Sans doute on peut essayer de réagir. Mais au nom de quoi
? La liberté a fait vibrer toute la France tant qu'elle a
été la libération du Boche. Maintenant elle
perd tout son sens. Liberté à l'égard de l'Etat
? Personne ne s'en préoccupe. Et ce grand ressort brisé,
il nous reste la possibilité de faire appel à des
"valeurs spirituelles" pour faire marcher le peuple. Eh
oui ... comme Hitler ... comme Hitler qui a trouvé la formule
étonnant de mettre le spirituel au service du matériel,
d'avoir des moyens spirituels pour réaliser les fins matérielles.
Une doctrine de l'homme, du monde, une religion pour arriver à
la puissance économique et militaire. Peu à peu, nous
aussi nous allons sur ce chemin. Nous demandons une mystique, quelle
qu'elle soit, pourvu qu'elle serve à la puissance, une mystique
qui obtiendra l'adhésion de tous les coeurs français,
qui les fera agir par enthousiasme, les conduisant au sacrifice
dans l'exaltation. Partout on la demande cette mystique. Partout
on demande que cette dictature que l'on accepte implicitement, soit
totalitaire, c'est à dire qu'elle saisisse l'homme tout entier,
corps, esprit coeur, pour le mettre au service de la nation de façon
absolue. L'offensive à laquelle nous assistons pour l'école
unique est centrée sur l'idée que l'Eglise apprend
à faire passer l'Eglise avant la Nation. C'est bien le symptôme
de ce totalitarisme qui se développe lentement, sournoisement,
sacrifice qui se prépare de l'homme à l'Etat Moloch.
Qui dira que j'exagère ne voit pas la réalité
sous les guirlandes et les discours. Que l'on compare seulement
la vie économique, politique, sociale, administrative de
1935 à celle de 1945 et l'on verra le pas gigantesque accompli
en dix ans. Or si l'on songe que réagir supposerait que l'on
réagît contre l'envahissement de l'Etat, contre l'économie
dirigée, contre la police, contre l'assistance sociale, on
voit que l'on dresserait la totalité de la nation contre
soi, car on réagit contre des choses admises et jugées
bonnes, des choses dont personne aujourd'hui ne peut dire comment
on pourrait s'en passer !
Victoire d'Hitler, non pas selon les formes, mais sur le fond.
Ce n'est pas la même dictature, la même mystique, le
même totalitarisme, mais c'est une dictature, une mystique,
un totalitarisme dont nous préparons le lit avec enthousiasme
(puisque nous en payons la défaite militaire d'Hitler) et
que nous n'aurions pas s'il n'était pas passé. Et
plus que les massacres, c'est là l'oeuvre satanique dont
il aura été l'agent dans le monde.
L'agent seulement car il n'a rien inventé. Il y a une longue
tradition qui a préparé cette crise et les noms de
MAchiavel, de Richelieu, de Bismarck, viennent aux lèvres,
et l'exemple d'Etats qui depuis 1918 vivent déjà cette
dictature et ce totalitarisme saute aux yeux. Hitler a seulement
porté à un paroxysme ce qui était. Mais il
a répandu ce virus et l'a fait se déveloper rapidement.
Que dirons-nous donc ? Nous plier devant cette poussée mondiale
dont la fatalité nous accable ? Non sans doute.
Mais ce qui apparaît clairement, c'est qu'il n'y a point
de moyen politique ou technique pour enrayer ce mouvement.
En face de cette marée qui détruit toute valeur spirituelle
et l'homme lui même en lui forgent des chaînes dorées,
il ne peut se dresser que des hommes qui, parce qu'ils le seront
pleinement, ne se laisseront pas absorber par cette civilisation,
courber à cette esclavage. Mais comment des hommes dans leur
faiblesse et dans leur pêché résisteraient-ils
et garderaient-ils leur destin propre dans la fourmilière
de demain ?
En face de cette marée qui détruit toute valeur spirituelle
et l'homme lui même, il ne peut se dresser que l'Homme. "Voici
l'Homme". l'Homme Jésus-Christ qui seul brise les fatalités
du monde, qui seul ferme la gueule du Moloch, qui seul fera demain
les hommes libres des servitudes que le monde nous prépare
aujourd'hui.
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