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Message Internet sur la liste Infozone
Date: 25 Novembre 2003
Subject: [infozone_l] Ecole et sécurité ÉDUCATION
NATIONALE, ÉCOLE DU CAPITAL...
Ce texte est une partie d’un travail plus général
sur la nature et la fonction de l’école dans le système
actuel. Il na aucune prétention d’exhaustivité
et bien au contraire appelle la critique. Toutes les remarques peuvent
être envoyées à l’adresse :
nadiamenen @ yahoo.fr
Nous décidons de publier dans l’Envolée la partie
qui traite plus précisément du volet contrôle
social et répression au sein même de l’institution
scolaire. L’ensemble de ces analyses devrait être publié
prochainement dans une brochure dont nous ne manquerons pas de souligner
la parution.
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L’école n’est pas un lieu à part de la
société
Il n’échappe pas aux lois du marché et aux
besoins de l’entreprise. Le but de l’école, dans
une société capitaliste, est de former des travailleurs.
Cela n’a jamais changé, même si pendant les années
70, le taux de chômage extrêmement faible aidant, la
fonction économique de l’école a été
partiellement remise en cause (tentatives d’expériences
pédagogiques échappant à la logique de l’Etat,
Dolto dans chaque foyer, remise en question de la valorisation du
travail intellectuel sur le travail manuel, etc.). Cette critique
par son ampleur a été capable momentanément
de ralentir les réformes utilitaristes de l’Etat en
mettant en avant l’autonomie des élèves (foyers
gérés collectivement par les lycéens), l’expérience
des débats critiques (assemblées générales
fréquentes dans les lycées et débats à
l’ordre du jour dans les classes). Assez rapidement, l’Etat,
sur la défaite de ce mouvement, a, pour le rendre inoffensif,
détourné les idées qu’il contenait ;
par exemple, l’autonomie pourtant indissociable du collectif,
s’est transformée en valorisation de l’individu
qui réussit non plus avec mais au détriment des autres.
Si les luttes ont pu ralentir la logique de l’Etat, celui-ci
n’a jamais cessé de poursuivre au sein de l’institution
scolaire son but initial. Contrairement aux idées largement
répandues par l’ensemble de la classe politique, ce
n’est pas le « laxisme post soixante-huitard »
qui serait à l’origine de la crise que connaît
aujourd’hui l’école, c’est bien les nouvelles
contraintes imposées par le marché qui dictent les
orientations du système scolaire : chômage croissant,
précarité des emplois et des statuts, développement
du travail intérimaire, délocalisation, déqualification.
L’école a à gérer aujourd’hui une
génération dont l’avenir est de dériver
entre RMA, emplois précaires, chômage : adaptabilité,
polyvalence. L’école n’a pas comme fonction de
dispenser un savoir général qui permettrait à
chacun de choisir entre différents emplois stables (le grand
mythe de l’éducation démocratique et républicaine)
mais d’apprendre à chacun à accepter de se conformer
aux nouvelles règles qui définissent le comportement
d’un bon citoyen, qu’il soit chômeur, travailleur
ou précaire. Et comme cette réalité n’est
pas facile à faire accepter, et pour cause, la tendance est
plutôt à la répression. Le cadre sécuritaire
a pour objet de prévenir et d’endiguer toute réaction,
tout débordement de la part des élèves. Si
ces dernières années n’ont pas été
riches en mouvements lycéens ou étudiants, ici et
là des réactions, le plus souvent individuelles et
désordonnées, parfois en se trompant d’ennemi,
ne manquent pas d’exprimer leur malaise ou leur colère.
Alerte aux sauvageons
Depuis plusieurs années, la propagande institutionnelle désigne
les jeunes comme un danger, une menace portant atteinte aux personnes.
Ces bandes de sauvageons sans foi ni loi ne reconnaissant aucune
autorité seraient animées exclusivement par l’appât
du gain, la violence gratuite. Hormis le fait qu’on ne verrait
pas pourquoi ces jeunes ne seraient pas mûs par les mêmes
valeurs que celles de la société qui les entoure,
à savoir consommation et chacun pour soi ; ces conditions
de vie produisent des angoisses de plus en plus importantes, par
définition sans objet, que le pouvoir exploite sous le vocable
de « sentiment d’insécurité », qui
provient davantage de peurs d’une autre nature, peur de l’avenir,
peur d’être licencié, peur pour leurs enfants,
etc. Le dernier matraquage médiatique date de la campagne
électorale présidentielle, qui faisait des écoles
le théâtre de violences graves quotidiennes, s’appuyant
sur quelques cas isolés pour en faire une règle génèrale
: les jeunes devenaient ainsi une des principales causes du désordre
social. Télé, journaux, magazines, aux ordres, se
sont déchaînés à grands coups d’images
et de reportages chocs pour bien faire entrer dans la tête
de chacun l’idée que les cours d’école
s’étaient transformées en lieux de violences
extrêmes où le viol, le racket, les tabassages étaient
monnaie courante et que cette réalité effrayante s’étendait
même autour des établissements. Une réalité
qui ne pouvait laisser insensible des parents désemparés,
et un gouvernement toujours prompt à sauver du chaos une
génération en perdition ; face à un tel tableau
apocalyptique, il devenait incontournable d’adopter des mesures
fortes sans ambiguïtés.
Dans les faits et au regard même des chiffres communiqués
par les programmes informatiques mis en place par l’Etat pour
évaluer l’importance des faits de violence, il s’agit
davantage d’un sentiment d’insécurité
que d’insécurité : une fois ôtés
les baillements, les bavardages, les moqueries qui ont toujours
existé et qui témoignent plus de l’ennui que
d’une marque d’un esprit séditieux, les actes
graves restent peu nombreux au vu du nombre de personnes concernées
(5,5 millions pour 500 000 fonctionnaires de l’Education nationale)
; désormais, il suffit qu’un acte ou un comportement
soit pénalisable pour qu’il soit considéré
comme grave. Ces dernières années ont vu apparaître
de nouveaux délits : l’insulte, les menaces peuvent
désormais conduire devant les tribunaux, surtout quand ils
sont dirigés contre des personnes dépositaires de
l’autorité publique. Les cas de violence sont évidemment
plus nombreux dans les grandes villes, les cités où
habitent les plus pauvres ; ce qui,il y a encore peu de temps, était
perçu comme les conséquences de dysfonctionnements
sociaux, économiques, est depuis présenté comme
relevant de la responsabilité individuelle. Bien sûr
il existe encore la conscience que pour certains c’est plus
difficile que pour d’autres d’intégrer cette
société, mais quand on veut on peut.
Les parents, après des années de propagande les désignant
comme responsables du comportement de leurs enfants dans la société,
sont désormais assujettis par la loi, qui les oblige à
être des agents du contrôle social prévenant
tout écart de conduite de leurs bambins, faute de quoi ils
en deviennent les complices.
Depuis le colloque de Villepinte en 1997, un large consensus politique
entérine l’échec de la prévention pour
axer les efforts gouvernementaux sur le tout-sécuritaire
et l’idéologie qui l’accompagne : individualisation,
psychiatrisation, criminalisation ; ce ne sont plus les choix politiques,
économiques qui sont à remettre en question quand
l’échec est patent mais l’individu archaïque
incapable de s’adapter à la « modernité
». Ce n’est pas son environnement social qu’on
interroge mais plutôt son entourage familial, qui est désigné
comme l’origine du dysfonctionnement. Par exemple, dans le
cas de l’absentéisme de l’enfant, tout un dispositif
se referme sur le parent « démissionnaire »,
aussi infantilisant que culpabilisant. De l’école pour
parents, faite pour éduquer, à la suppression ou la
mise sous tutelle des allocations à l’assistance éducative
de la famille, tout ceci permet à l’Etat de s’immiscer
dans de nombreux foyers et de déposséder partiellement
ou totalement de l’autorité parentale des familles
qui sont le plus souvent les plus démunies. L’amende
reste une sanction forte, prétendument égalitaire
(même si le législateur a omis de la calculer sur la
base du quotient familial). Même si les mesures de suspension
d’allocations ne semblent pas être retenues par le gouvernement
pour pénaliser l’absentéisme, il est réconfortant
de constater que seulement 17 caisses d’allocations familiales
sur 123 acceptent de collaborer à cette besogne. L’exemple
phare anglo-saxon va plus loin. Les parents peuvent devenir de véritables
matons chargés de garder leurs enfants assignés à
résidence avec ou sans bracelet électronique, de contrôler
leurs fréquentations sous peine d’emprisonnement. L’absentéisme
est décrit aussi en France comme un véritable fléau
alors qu’il faut en relativiser l’ampleur. Il devient
un délit majeur, désignant les enfants et les parents
comme des délinquants qu’il s’agit de redresser.
Un dispositif humiliant « propose aux parents désemparés
par les événements de suivre un module de soutien
qui les aidera à restaurer leur autorité »,
explique-t-on au ministère de la famille. Si cet accompagnement
créé par le préfet de chaque département
ne permet pas de redresser la barre, les psychologues, éducateurs,
conseillers conjugaux, ou délégués de parents
d’élèves pourront visiter les familles jusque
dans leur domicile. Si l’absentéisme persiste, l’Etat
aura alors fait le maximum et passera à l’amende (750
euros). Si les parents refusent de se plier aux injonctions, les
textes permettent de les poursuivre pour défaut d’éducation
et de les condamner à deux ans de prison et à 30 000
euros d’amende. Un enfant est considéré comme
absent s’il a manqué la classe sans motifs «
légitimes » ni excuses « valables » au
moins 4 demi-journées dans le mois. Alors l’inspecteur
d’académie pourra activer le dispositif.
De fait, depuis ce colloque de Villepinte, la gauche plurielle a
explicitement placé la sécurité comme une de
ses priorités. Elle a prétendu avoir été
au bout d’une politique de prévention, d’avoir
conclu à son inefficacité et donc d’être
dans l’obligation d’opter pour le tout-sécuritaire,
seul moyen de répondre aux problèmes engendrés
par la restructuration du monde du travail. C’était
d’autant plus facile que la prétendue politique de
prévention s’était contentée de quelques
coups de peinture sur les façades des cités ghettos.
Ces quelques miettes auront finalement servi à imposer, sans
susciter trop de réactions, une politique répressive
et sécuritaire (politique de la ville, puis lois sur la sécurité
quotidienne, loi sur la sécurité intérieure,
etc.).
Les nouveaux dispositifs sécuritaires
L’arsenal coercitif enserre de plus en plus les établissements
scolaires et leurs alentours grâce à l’apport
des nouvelles technologies, à la redéfinition du cadre
d’intervention des éducateurs, du milieu associatif
et des forces de l’ordre, au droit omniprésent et à
l’architecture de type carcéral.
Le logiciel sygna installé à grands frais dès
la rentrée 2001, permet de recenser les phénomènes
graves de violence à l’école. C’est-à-dire
ceux qui font l’objet d’un signalement à la police,
à la justice, aux services sociaux du conseil général,
ou qui ont donné lieu à un dépôt de plainte.
Sa mise en place permettra « d’harmoniser et de clarifier
» les procédures de signalement et de circulation de
l’information, en particulier avec les flics, les gendarmes,
les parquets et les éducateurs de la PJJ (Protection judiciaire
de la jeunesse). Les données comportent des informations
sur les auteurs et les victimes, sur les lieux où se sont
déroulés les faits. Les résultats transmis
par Sygna font moins de bruit que les prétendues raisons
de son installation. Ils constatent à la fois que les incidents
graves restent exceptionnels : peu d’écoles sont concernées,
420 sur 53 000, ce qui correspond à un incident pour 10 000
élèves. En 2001, 41 % des établissements qui
ont répondu n’ont signalé aucun acte de violence.
Dans le second degré, les violences physiques sans arme représentent
30 % de ces actes, les insultes ou menaces graves, 23 % et les vols
ou tentatives de vols 10 %. Heureusement, de nombreuses équipes
d’enseignants et leur directeur « n’ont pas compris
l’obligation de signalement » et rechignent ou s’opposent
à l’idée d’entrer dans la logique sécuritaire
(à sa mise en place, le taux de participation était
inférieur à 50 %). La plus grande des violences reste
celle que les jeunes exercent contre eux-mêmes, comme une
marque d’impossibilité de s’adapter à
ce monde, qui peut conduire au suicide, qui est une des premières
causes de mortalité chez les jeunes.
Les architectes restent mobilisés pour défendre la
société contre les fléaux sociaux. Ils doivent
intégrer la dimension sécuritaire dans leurs cahiers
des charges : hauteur des murs, installation de grillages, de systèmes
de vidéosurveillance, de portails automatiques, de points
de contrôle électroniques et informatiques, de détecteurs
de présence. « Défendre le bien-fondé
d’un espace “ défendable ” ne reviendrait-il
pas, dès lors, à défendre le système
social de moins en moins défendable d’un point de vue
éthique et politique qu’il vise à perpétuer
? » J. P. Garnier, 2003. Il faut croire que pour contraindre,
contrôler et soumettre, rien n’est hors de prix, l’Etat
ne manque pas de budgets quand il s’agit de sécurité.
La région Ile-de-France consacre par exemple près
de 8 millions d’euros pour installer des équipements
de sécurité dans les lycées ; la région
Provence-Côte d’azur fait de même, le conseil
général des Hauts-de-Seine a prévu d’installer
un dispositif de vidéosurveillance dans la totalité
des 90 collèges du département pour un coût
total d’environ 1,7 million d’euros sur trois ans.
Depuis 1996, l’intrusion dans une école, un collège
ou un lycée constitue une contravention de 5e classe qui
peut être sanctionnée de 1500 euros d’amende.
Bayrou, alors ministre de l’Education, avait rétabli
cette disposition, précédemment supprimée en
1981 avec la loi anticasseurs. En 96, il y avait eu 57 condamnations,
600 en 2000, au cours de l’année 2001-2002, les chefs
d’établissement ont fait état de plus de 2 000
intrusions.
L’élève citoyen
Le droit, qui s’insinue dans toutes les sphères de
notre vie, n’épargne pas l’école. Le droit
considéré comme valeur intrinsèque et indiscutable
du progrès place l’Etat et ses lois en dehors de toute
critique possible. Tout est pensé pour que l’on ne
s’interroge plus sur le bien-fondé d’une telle
conception, celle de ce droit qui prétend régir, organiser,
réguler l’ensemble des rapports sociaux pour le bien-être
de tous alors qu’il n’est que l’expression de
la domination arbitraire sinon totalitaire d’une minorité
sur tous les autres. Le droit, c’est avant tout celui du plus
fort. S’exprimer dans le cadre de la loi revient à
aller voter, participer à la vie républicaine au sein
des structures prévues à cet effet, accepter la délégation
de pouvoirs, respecter les lois et principalement la propriété.
Dans Le Droit de la vie scolaire de Yann Butner, André Maureu
et Blaise Thouvery chez Dalloz, sont inscrits les droits et les
devoirs et leurs pendants, les punitions : par exemple, on trouve
les textes qui réglementent le droit de réunion :
« La liberté de réunion reconnue en France depuis
la loi du 30 juin 1881 a été étendue aux mineurs
par la convention internationale sur les droits de l’enfant
du 20 novembre 1989. Le décret du 8 octobre 1990 l’intègre
à notre droit national. S’agissant des élèves
des établissements publics d’enseignement, la réglementation
reconnaît cette liberté depuis 1985. L’article
3-3 du 30 août 1985 modifié détermine en effet
un régime d’exercice encadré soumis aux principes
de neutralité et de laïcité dont le chef d’établissement
demeure le garant. ».On pourrait croire qu’avant 1985
personne ne se réunissait. Paradoxalement, depuis 1981, la
loi autorise les réunions mais le cadre qu’elle fixe
les interdit de fait. Là où hier le rapport de forces
créait des espaces de rencontres, de discussions, de critiques
qui échappaient à la tutelle de l’autorité,
aujourd’hui il paraît impensable, fou, incroyable d’imaginer
que des élèves puissent organiser une réunion
politique dans un établissement scolaire sans demander l’autorisation.
Les mouvements lycéens des années 70 avaient imposé
la création de foyers autogérés, de panneaux
d’expression libres de toute censure. Ceci faisait partie
des règlements intérieurs des établissements
scolaires dans lesquels les lycéens étaient considérés
comme des adultes et non pas comme des éternels irresponsables.
L’espace public (comme l’école) est la propriété
de l’Etat, contrôlé par ses représentants.
Il n’appartient en rien au « public », masse immature
irresponsable et chaotique qui ne peut s’exprimer intelligemment
en dehors des normes et des instances garantes de l’intérêt
collectif. Les seuls espaces de « liberté » tolérés
restent le domicile privé... dans la limite où ça
ne gêne pas la liberté de l’autre... La liberté
c’est quand on n’en prend pas !
Le droit c’est le mensonge du tous égaux devant la
loi à défaut de l’être dans la représentation
politique. B. Constant : « Le but des anciens était
le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une
même patrie. C’était là ce qu’ils
nommaient liberté. Le but des modernes est la sécurité
dans les jouissances privées, et ils nomment liberté
les garanties apportées par les institutions à ces
jouissances. »
Luc Ferry, lettre de rentrée 2002 : « Les enfants
découvrent que les contraintes de la vie collective sont
les garanties de leur liberté, que la sanction, lorsqu’elle
intervient, ne relève pas de l’arbitraire de l’adulte
mais de l’application de règles librement acceptées...
L’enfant prend conscience de son appartenance à une
communauté qui implique l’adhésion à
des valeurs partagées, à des règles de vie,
à des rapports d’échanges. D’un côté,
la perception de principes supérieurs que l’on ne discute
pas, normalement imposés, condition de la liberté
et du développement de chacun. De l’autre, la libre
organisation d’un groupe est l’élaboration d’un
contrat après discussion, négociation, compromis.
»
Le règlement intérieur
Le « contrat éducatif » ou « contrat de
vie scolaire » est présenté comme une charte
librement acceptée par la communauté scolaire. Cependant,
en droit, il est un acte administratif unilatéral qui n’a
pas besoin du consentement des parties pour être exécutoire.
Il pose les obligations des usagers allant jusqu’à
refuser leur admission s’il n’est pas lu et approuvé.
Ces règlements sont mis en place dès la maternelle,
lu et signé dès 6 ans par des enfants qui ne savent
pas encore ni lire ni écrire et qui apprennent dès
le plus jeune âge à acquiescer sans comprendre. Le
règlement qui tend à s’uniformiser s’apparente
à un catalogue d’interdits qui, s’il n’est
pas respecté, entraîne des sanctions, des punitions,
des mesures de réparation voire d’exclusion. Le conseil
de discipline chargé de faire appliquer ces règlements
intérieurs s’apparente lui à un tribunal : il
est constitué de onze membres (un de moins que pour une cour
d’assises), six fonctionnaires, trois parents d’élèves
et deux élèves. Ce « prétoire »
scolaire vise à sanctionner systématiquement, tolérance
zéro oblige, tous les contrevenants aux règles : l’exclusion,
temporaire ou définitive, est la mesure ultime sans être
pour autant exceptionnelle ; les actes dits « graves »
mais isolés sont sanctionnés par « l’exclusion-inclusion
» : l’élève est dans le bahut mais prend
part à des tâches dites « réparatrices
», ou est accueilli provisoirement dans des institutions sociales
ou médico-sociales (type Samu) ou dans des services d’incendie
et de secours ; ou bien il participe à des travaux d’intérêt
général. Enfin, les pouvoirs du chef d’établissement
se voient renforcés, il peut entre autres exclure les élèves
majeurs de sa propre autorité.
Dans ce monde où le droit tente de médiatiser l’ensemble
des rapports, l’Etat assure l’intégrité
physique, morale, matérielle de chacun de ses citoyens en
échange de leur renoncement à la vie politique. Dans
ce système, chaque individu, chaque participant devient le
dépositaire de ce nouveau « contrat social »
et a pour charge d’en assurer la reproduction. La prolifération
du droit induit nécessairement la création des agents
pour le faire respecter. A l’école, les enseignants
sont protégés, au même titre que les policiers,
par la loi qui stipule que « lorsqu’il est adressé
à une personne chargée d’une mission de service
public et que les faits ont été commis à l’intérieur
d’un établissement scolaire ou éducatif, ou
à l’occasion des entrées ou sorties des élèves,
aux abords d’un tel établissement, l’outrage
est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende
». La loi, en accordant un statut particulier à ses
fonctionnaires et en les soutenant systématiquement lors
des procès, rend quasi impossible la remise en cause par
des élèves ou des parents des prérogatives
des professeurs, même si ceux-ci sont pris la main dans le
sac.
Fini l’instituteur tyran, plein de pouvoirs affichés,
régnant en maître sur son navire. Vive l’enseignant
citoyen qui dénonce aux autres rouages les dysfonctionnements
qu’il observe et qu’il livre dans les mains du système
police-justice, en pensant peut-être qu’il n’en
fait pas partie alors qu’il en devient une cheville, bien
plus que le maître peau de vache qui pouvait se passer de
cette organisation de séparation de pouvoirs. Une séparation
nette existait encore entre le monde de l’instruction et celui
de la répression : même si la police avait le droit
d’arrêter un élève dans sa classe, les
réactions désapprobatrices des professeurs et de ses
camarades étaient courantes voire dissuasives.
Pour garantir la paix et la tranquillité, gages de prétendue
félicité, qui a en réalité plus la saveur
des antidépresseurs et des programmes débilitants
du petit écran, l’Etat s’est doté de moyens
de contrôle et de coercition de plus en plus sophistiqués
et généralisés. Pour le pauvre bonheur des
uns, il faut contraindre tous les autres, par la force si besoin
est. Le fondement du système capitaliste reste l’exploitation
des uns par les autres. Les rapports induits par cette logique sont
nécessairement conflictuels. Le droit pour ceux qui se conforment,
la punition pour ceux qui l’enfreignent. Il est symptomatique
que leur droit ait la couleur bleu marine, que l’Etat construise
des prisons et pas des écoles, que pour chaque fonctionnaire
qui part à la retraite c’en est un en uniforme qui
arrive, que les partenaires de l’école sont des flics
plutôt que des poètes... N’en déplaise
aux adeptes de l’Etat, demander plus de droits revient à
contraindre de plus en plus l’espace de la liberté
et à étendre celui de la punition.
Entre autres nouveautés...
« Un dispositif de surveillance et de sécurité
adapté doit être mis en place avec le concours des
services de police et de gendarmerie, de la police municipale, le
cas échéant, des agents locaux de médiation
sociale, des aides éducateurs, des services municipaux, ainsi
que des entreprises participant au transport des élèves.
»
« Mise en place de procédures d’interventions
rapides en cas d’incident afin de permettre une réaction
extrêmement rapide et appropriée quand il se produit
un incident grave... Les modes opératoires devront s’appuyer
sur les actions mises en œuvre pour prévenir et lutter
contre les phénomènes de violence : police de proximité,
brigades de la prévention de la délinquance juvénile
de la gendarmerie, adultes relais, chefs de projet des sites en
contrats de ville, associations et services d’aide aux victimes,
les modalités et traitement des incidents scolaires qu’elles
mettent en œuvre (traitement en temps réel de procédures
pénales, mesures de réparation ou de médiations
pénales pour les auteurs d’infractions). »
Pour ce faire, le ministère somme chaque département
d’Ile-de-France d’organiser avant la rentrée
une réunion rassemblant préfet, recteur, procureur
de la République, inspecteur d’académie et responsables
de la police et de la gendarmerie, ainsi que l’ensemble des
autres services de l’Etat qui pourraient être concernés
et particulièrement la direction de la PJJ et la Direction
départementale de la jeunesse et des sports. Pour plus d’efficacité,
il s’agira de mettre en lien les différents dispositifs
existant déjà sur la ville, le département
: « D’une façon générale il s’agira
d’encourager le développement des dispositifs contractuels
existants en matière de politique, de sécurité
et d’éducation, contrats de ville, CLS, contrats éducatifs
locaux. » Dans ces réunions, les acteurs sociaux et
les professionnels de la répression échangent des
informations, dénoncent nominativement les fauteurs de troubles.
Là où jamais les municipalités, les régions,
etc. ne demandent l’avis des citoyens sur l’intérêt
d’une mesure, elles les mobilisent pleinement sur le maintien
de l’ordre public.
De Dray-Allègre à Ferry-Sarkozy
Dans la psychose sécuritaire les jeunes ont eu une place
de choix : entre Dray, « il faut faire comprendre aux caïds
de banlieue qui sortent des commissariats en faisant des bras d’honneur
que la rigolade est finie », et Chevènement, «
il est urgent de mettre un terme à la chienlit des sauvageons...
la répression appartient pleinement à la prévention,
parce que la répression est dissuasion », le sort de
ceux qui ne s’intègrent pas au système scolaire
se profile dans une direction unique, celle de l’enfermement.
Les enfants, tout comme leurs parents, n’échappent
pas à la règle de la responsabilité individuelle.
S’ils sont en échec scolaire, c’est qu’ils
l’ont volontairement choisi et du coup ils n’ont plus
qu’à assumer la juste sévérité
de la loi à l’encontre de leurs éventuelles
« déviances ». Il n’existe pas de droit
sans punition et, pour les élèves, pas d’école
citoyenne sans prolifération de classes relais, de centres
éducatifs fermés et de prisons pour mineurs. La jeunesse,
symbole du souffle nouveau, du désordre constructeur, des
passions créatrices, du mouvement, est désormais synonyme
de dangers producteurs de peurs et de chaos. Simplement dit, un
monde sans avenir a tout à craindre de sa jeunesse, le capitalisme
ne s’y trompe pas et tente de les formater depuis la maternelle.
De la classe relais à la prison
L’instruction reste obligatoire jusqu’à 16 ans,
mais comme l’âge pénal a baissé de 16
à 13 ans depuis août 2002, l’enfant est encadré
par une double compétence collégiale, celle du professeur
et celle du juge.
Les classes relais mises en place sous Allègre à la
rentrée 1997, et qui continuent leur carrière sous
tous les gouvernements depuis lors, s’adressent à des
élèves de collège « entrés dans
un processus évident de rejet de l’institution scolaire
». Ce rejet prend la forme de manquements graves et répétés
au règlement intérieur, d’un comportement agressif,
d’un absentéisme chronique non justifié qui
ont donné lieu à des exclusions temporaires ou définitives
d’établissements successifs ; il peut également
se manifester par une « extrême passivité, une
attitude de repli, un refus de tout investissement réel et
durable ». Les classes relais concernent des enfants de 14
à 16 ans en voie de déscolarisation mais ayant un
potentiel intellectuel normal et ne souffrant pas de troubles de
la santé. Ces structures créées en partenariat
avec la PJJ accueillent des jeunes pour une durée n’excédant
pas un an, en moyenne d’un trimestre. Si leur comportement
n’est pas conforme, « écouter les adultes, respecter
la parole des autres, avoir son matériel, effectuer le travail
en classe et à la maison », l’élève
fera l’objet d’un entretien avec son aide éducateur
référent ;si aucune amélioration n’était
constatée, les parents de l’élève seraient
convoqués ; si le comportement de l’élève
ne change pas, il sera mis fin à la session.
Depuis août 2002, la loi ne prévoit plus d’atténuation
de la peine due au jeune âge. L’enfant est responsable
de ses actes comme un adulte. La majorité pénale est
déplacée de 16 à 13 ans, puisqu’à
cet âge on est « capable de discernement ». Dès
10 ans, il est prévu des sanctions éducatives pour
les chenapans, qui deviennent du coup des délinquants à
surveiller de près : « confiscation de l’objet
ayant servi à la commission de l’infraction, interdiction
de paraître en certains lieux, interdiction d’entrer
en rapport avec la victime, accomplissement d’un stage de
formation civique, d’une mesure d’aide ou de réparation
».
Pour les 13-16 ans la justice se doit de donner une réponse
claire et rapide, elle prévoit une procédure de jugement
rapproché qui permet au procureur de les poursuivre devant
les tribunaux dans un délai compris entre 10 jours et 2 mois.
Pour eux, la perspective de la prison se précise, qu’ils
encourrent une peine criminelle ou qu’ils se soient soustraits
aux obligations d’un contrôle judiciaire, ou à
une mesure de placement dans un centre fermé. La mise en
détention ne dépend pas de la gravité de l’acte
mais du comportement de l’enfant, c’est sa capacité
à se soumettre au cadre qui déterminera la réponse
plus ou moins violente de l’institution. Pour répondre
d’une manière efficace, l’Etat prévoit
pour le moment dans son projet de construction des nouveaux lieux
d’enfermement pour les enfants à savoir 600 places
de centres fermés avant 2007 et 900 places de prison pour
mineurs (pour plus de précisions, cf Envolée N°
5, 6, 8, 9).
Il y a un siècle un réformateur comme Victor Hugo
posait comme antagoniques l’école et la prison, aujourd’hui
la prison et l’école font bon ménage, éducateurs
et instituteurs peuvent exercer à l’intérieur
des murs : la prison est l’élément répressif
nécessaire à l’existence de l’école,
et l’école est l’alibi indispensable à
l’existence des prisons.
Encarts ajoutés
Un professeur relate : « Il y a eu des vitres cassées,
les caméras de surveillance détériorées...
rien de volé. C’est un message de la cité qui
dit que vous faites partie du système des institutions haïes,
on vous rejette puis on balance l’adjectif de collabo à
un prof. Classification hautement politique, ce n’est pas
une insulte classique, c’est une analyse. »
« On doit cependant constater que les année soixante
ont vu apparaître et se développer une autre conception
de l’éducation. Il ne s’agit alors plus tant
de faire en sorte que l’élève devienne autre
qu’il est, que de viser, selon la formule célèbre,
à ce qu’il devienne ce qu’il est en épanouissant
pleinement sa personnalité. De là une préférence
marquée pour les dispositifs pédagogiques qui cultivent
d’autres qualités que les traditionnelles valeurs du
mérite, de l’effort et du travail : l’expression
de soi plutôt que le souci des héritages transmis,
plutôt l’esprit critique que le respect des autorités,
la spontanéité plus que la réceptivité,
l’innovation plutôt que la traition, etc. Ces valeurs
ne sont pas négatives en tant que telles, loin de là,
mais c’est finalement l’idée de norme supérieure
à l’individu qui est dénoncée comme aliénante,
de sorte que, derrière la critique de l’école
républicaine, c’est un novel essor de l’individualisme
qui s’est installé. »
Luc Ferry, juin 2003, in Lettre à tous ceux qui aiment l’école.
« Pacificatrice sociale, dispensatrice des valeurs de la société
capitaliste, mise au pas des esprits rebelles, l’école
a toujours eu une fonction sociale bien définie. Elle est
censée construire dans les têtes la pensée dominante
où ceux d’en haut commandent et ceux d’en bas
obéissent, où chacun reste à sa place »
Janos, professeur, 2003.
Quelques mots de Catherine Breillat sur ce qui paraît être
beaucoup plus une normalisation et un conditionnement sexuels qu’une
éducation, auxquels l’école participe et risque
à l’avenir de participer encore plus. En effet, depuis
une dizaine d’années est apparue et se développe
une sanctuarisation du corps de l’enfant, qui a pour conséquence
une codification envahissante des « rapports des corps »
entre l’enfant et l’adulte mais également entre
enfants et entre adolescents, sur un modèle ressemblant de
plus en plus au modèle de codification américain.
A savoir : comment normer la bonne distance entre deux corps en
toutes circonstances et, quand le contact ne peut plus être
évité, comment établir les règles strictes
qui régiront le contact ? C’est-à-dire comment
instaurer - par la violence douce, insensiblement - l’isolement
du corps de chacun. Avec pour conséquences, entre autres,
la répression de gestes ou de comportements jusque-là
anodins et, à terme, l’impossibilité pour les
enfants de se livrer entre eux à des jeux sexuels initiatiques.
Et derrière la frénésie d’asepsie se
cache mal la tentation... de l’abstinence ! A laquelle aux
USA de lourdes campagnes publicitaires vous incitent, sous prétexte
de prévention. Tout cela participe donc de la fabrication
accrue de personnes gravement névrosées et conjointement
de l’accroissement des agressions sexuelles, quand pour certains
les plombs pètent, l’auto-répression de la sexualité
provoquant l’exacerbation des pulsions. Nous sommes à
l’opposé de ce qui pourrait constituer la base d’une
« éducation » sur ce que peut être la relation
entre deux êtres dans sa dimension sexuelle : mise en question
du machisme, de la violence exercée sur les femmes, de la
possession considérée comme une valeur ; réflexion
sur le plaisir sexuel comme partage relationnel et non comme jouissette
masturbatoire, fût-elle pratiquée en couple. «
J’ai l’impression que les enfants, au moment où
ils découvrent la sexualité, on leur a déjà
inculqué ce profond désir de se conformer, y compris
detrouver le plaisir dans l’interdit, ce qui est un conformisme
de la société absolument énorme. (...) Je pense
que la sexualité infantile est déjà conformée
par la société. »
« Qu’est-ce qui fait que l’image sexuelle est
tout d’un coup taboue ? C’est le réflexe social...
J’ai un petit garçon de 8 ans. A l’heure actuelle,
dès qu’il voit à la télévision
un film... même un James Bond - Dieu que c’est puritain
et pudibond, ils s’embrassent sur la bouche, en gros plan
pour dire qu’il a fait une conquête ! - il dit : cela
n’est pas pour moi, alors qu’il regarde tous les trucs
violents et qu’il trouve ça complètement normal
puisque c’est la culture ambiante... (...) A mon avis, cela
se joue dans une espèce de culpabilité et c’est
bien dans cette culpabilité que se trouvera le plaisir. Je
pense que c’est vraiment une éducation de la société,
dans une volonté de mener les gens. C’est une chose
apprise, inculquée... Il est vrai que les enfants sont conformistes
et qu’il est très facile de les conformer, il faut
bien le reconnaître.» (1)
Education carcérale où l’on emprisonne les enfants
dans les névroses graves des adultes. Moins l’être
humain regarde en face sa vie sexuelle, plus il se rapproche de
l’animal. Wilhem Reich est mort mais, sous une illusoire libération
sexuelle, on l’enterre toujours plus... Très nombreuses
sont les personnes qui pensent que la sexualité est un des
rares domaines de liberté restants. Elles vont donc crier
au scandale quand on va leur parler d’éducation (même
avec des guillemets) dans ce domaine. Mais ce sentiment de liberté
ne repose que sur l’acceptation du conditionnement et de la
soumission aux normes qui en résulte. Il est pour l’essentiel
une croyance. « L’éducation », non pas
à la sexualité mais sur ce que peut être la
relation entre deux êtres dans sa dimension sexuelle, passe
- faut-il le préciser - par une prise de conscience du conditionnement,
de la mise en conformité, et par un déconditionnement.
1) Catherine Breillat, réalisatrice, in la revue Analyse
freudienne Presse, n° 3-2001, « Existe-t-il une autre
sexualité qu’infantile? » Ed. Erès.
I N F O Z O N E
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