Origine : http://nopasaran.samizdat.net/article.php3?id_article=661
Dans cet article, nous avons fait le choix de restreindre notre
étude aux enfants. Néanmoins, on peut se demander
ce qu’il en est de la variable sexe en ce qui concerne l’enseignant-e
? Il y a très peu d’études à ce sujet
mais les premiers travaux tendraient à montrer qu’il
n’y a aucune tendance chez les enseignant-e-s à favoriser
les enfants du même sexe qu’eux. Cela se vérifie
d’ailleurs dès l’école maternelle (pourtant
fortement féminisée du côté des enseignant-e-s)
qui ne fait reculer en rien tous les stéréotypes sexistes
dont on a pu parler. Certains prétendent même que les
femmes qui ont fait le choix d’être enseignantes l’ont
fait pour pouvoir concilier travail et vie familiale, choix assez
conformiste par essence.
Face au problème de la réussite ou de l’échec
scolaire, l’origine sociale est un facteur de différentiation
essentiel, connu et étudié. Mais si tout le monde
s’accorde à dire que l’école est un instrument
de reproduction des inégalités sociales, il nous semble
important de prendre en compte un deuxième facteur moins
connu : l’appartenance de sexe.
Si l’égalité des droits est formellement réalisée
depuis quelques décennies (unification des enseignements
secondaires féminin et masculin en 1924, généralisation
de la mixité scolaire en 1966), on peut néanmoins
s’interroger sur la persistance d’inégalités
flagrantes.
Les filles réussissent mieux à l’école
L’interprétation des chiffres est toujours assez délicate
mais, même si des débats subsistent sur les critères
de réussite, on peut parler de supériorité
scolaire des filles. Elle date de l’explosion du nombre de
jeunes scolarisés à partir des années 60.
Depuis 1964, il y a tous les ans plus de bachelières que
de bacheliers. Cependant ces écarts garçons filles
se doublent d’écarts sociaux considérables.
En effet si 77% des filles de familles de catégories socioprofessionnelles
supérieures arrivent en terminale pour seulement 35% des
filles de familles de catégories défavorisées
(INSEE, Données Sociales 1996), c’est chez ces dernières
que la supériorité des filles à l’école
est la plus marquée.
Pourtant, cette situation ne conduit pas à une mixité
de toutes les filières et c’est l’inverse qui
se produit dans les filières d’excellences contrairement
à ce que les résultats scolaires pourraient laisser
penser.
Des filières et une orientation très sexuées
En enseignement professionalisé, les filles se retrouvent
exclues des CAP et BEP industriels et sont majoritairement orientées
vers le secteur tertiaire (10% de filles dans les formations industrielles
et 69% dans le secteur tertiaire).
En enseignement général, elles sont massivement présentes
dans les classes littéraires (81,5%) et minoritaires en S
(41%), alors qu’en classe de seconde leurs résultats
sont meilleurs que ceux des garçons. Cette situation se prolonge
et s’aggrave dans l’enseignement supérieur.
Des manuels scolaires sexistes
De nombreux travaux se sont intéressés au contenu
des programmes et des manuels. Leurs constats sont convergents :
c’est la vision très conventionnelle des adultes qui
est proposée aux enfants et ceci est particulièrement
net dans les manuels du primaire qui prétendent mettre en
scène la vie quotidienne. Résultats d’un travail
consacré aux manuels du primaire (réalisé par
l’Association Européenne Du Côté Des Filles)
Alors que 64 % des femmes mariées travaillent, c’est
l’image de la femme au foyer qui prédomine (90 % des
représentations féminines) dans les manuels. Elles
sont d’ailleurs fort actives et leurs tâches ménagères
sont détaillées à loisir. Les rares qui travaillent
se regroupent dans des professions fortement féminisées
(hôtesse de l’air, infirmière, secrétaire,
caissière, vendeuse).
Les personnages masculins sont systématiquement prédominants,
plus nombreux et plus en valeur que les personnages féminins.
On trouve encore parfois des "pères traditionnels"
lisant le journal installés dans leur fauteuil-trône
et leurs charentaises, ou bricolant et jardinant.
Des études montrent que les enfants associent certains symboles
à l’un ou l’autre des sexes. Ainsi, le tablier
et le cabas sont attribués d’office à la mère,
le journal, le fauteuil ou le cartable au père.
Les manuels dans l’enseignement secondaire.
De façon générale, les femmes sont rarement
représentées dans les manuels de sciences physiques
ou de biologie.
En biologie, excepté dans le cours sur la reproduction humaine,
il est rare de voir figurer des représentations féminines.
Dans les manuels de physique, la seule femme chercheuse qui apparaisse
est Marie Curie et quant aux autres, elles sont là pour illustrer
l’échographie ou la notion de vitesse en sport.
Dans les manuels d’histoire, c’est le plus souvent
pour illustrer les conditions de vie, le progrès technique
(réfrigérateur, aspirateur) que l’on voit apparaître
des personnages féminins. Et que dire quand on lit qu’en
France le suffrage universel a été institué
en 1848 après l’abolition du suffrage censitaire !
Des stéréotypes sexistes à l’école
Dans les interactions enseignant élève, les études
montrent que les garçons bénéficient d’un
enseignement plus personnalisé et d’une plus grande
part d’attention que les filles (44% des interactions se font
avec les filles contre 56% avec les garçons). Des expériences
d’un enseignement rigoureusement égal en temps engendre
une frustration chez les garçons.
En plus de désavantager les filles, cette attitude des enseignants
est perçue par les filles comme un message implicite : "
la réussite des garçons est plus importante que celle
des filles ". Elles intègrent l’idée que
plus tard, leur vie professionnelle passera au second plan devant
celle de leur époux.
Les filles adoptent des stratégies de résistance
: silence relatif, concentration sur le travail, recherche de relations
individualisées avec les enseignants, excellence scolaire...
Les attentes des enseignants ne sont pas les mêmes selon
qu’ils interrogent des filles ou des garçons : alors
qu’on va interroger une fille pour répéter une
notion déjà vue en classe, on va interroger un garçon
pour faire émerger une notion nouvelle.
Les enseignants jouent très fréquemment sur les rivalités
de sexe et sur les différences entre filles et garçons,
par exemple pour un problème de discipline, les garçons
turbulents seront placés à côté des filles.
On observe dans les classes que les élèves garçons
sont davantage perçus comme des individualités (parfois
problématiques) et les élèves filles comme
un groupe indifférencié. Cela renvoie à quelque
chose d’observable par ailleurs : dans les relations entre
groupes sociaux inégaux, les membres de la catégorie
supérieure sont individualisés alors que les membres
de la catégorie inférieure sont considérés
comme semblables et interchangeables, définis par leur appartenance
catégorielle.
L’évaluation au centre du problème
Il faut nous poser la question de l’évaluation. Dans
les remarques au quotidien, les garçons sont plus souvent
jugés sur leurs performances scolaires et les filles sur
leur conduite ou sur la beauté de leur écriture.
Les profs interrogent souvent moins souvent les filles, leur laissent
moins le temps de répondre, les réprimandent moins.
Les garçons sont plus réprimandés et donc plus
poussés à réussir.
Selon les sociologues, deux hypothèses se dégagent
sur les " meilleures " performances scolaires des filles.
Les chercheurs hommes (Baudelot, Establet) prétendent que,
contrairement aux garçons qui s’accrochent même
avec des résultats médiocres, les filles se détournent
plus vite des matières scientifiques (mécanisme d’auto-sélection).
A résultats scolaires égaux, les filles s’estiment
moins douées que les garçons.
Par exemple, quelque soit leur niveau, les filles doutent plus
que les garçons de leurs capacités en mathématiques
(1/3 des filles contre 50% des garçons pensent être
douées en maths). Il n’est pas inutile de rappeler
qu’autrefois, on postulait à l’inaptitude des
filles pour l’étude du grec ou du latin quand ces disciplines
jouaient un rôle central dans la hiérarchie des filières.
Les chercheuses femmes (Duru-Bellat, Mosconi) postulent quant à
elles que les meilleurs performances des filles sont d’abord
le résultat des soi-disant vertus féminines : obéissance,
docilité, voire passivité...
Ces stéréotypes sociaux préparent mieux les
filles au "métier d’élève"
dans un premier temps ; à l’inverse, l’éducation
héroïque des garçons les conduisent au mépris
des règles, rejet des contraintes, chahut... et à
long terme les garçons seraient ainsi mieux préparés
à la compétition scolaire.
Mais surtout, ces chercheuses ont montré que les filles
seraient, à aptitudes égales, surévaluées.
Si les préjugés des enseignants sont favorables aux
filles en ce qui concerne les questions de comportement, ils leur
sont défavorables pour les questions d’aptitudes. Ainsi
l’enseignant(e) mettra davantage en évidence chez une
fille son conformisme et sa passivité. "Si elle réussit,
c’est vraiment grâce à son travail".
Le stéréotype de l’élève fille
rejoint ainsi le stéréotype de l’élève
de milieu "populaire" qui fait ce qu’il peut pour
s’en sortir. On ne s’attendait pas à ce qu’il
s’en sorte, on ne lui reprochera pas d’échouer
("c’est naturel") et on se félicitera de
sa réussite. Ce type de jugement est particulièrement
vrai dans les matières scientifiques.
Alors que les filles "font ce qu’elles peuvent",
les garçons seraient perçus par les enseignants comme
des "sous réalisateurs", intelligents mais ne faisant
pas d’efforts. Ainsi leur échec est dû à
un manque de travail, ils ont des capacités indéniables
mais ils ne les exploitent pas. Ils sont en conséquence très
stimulés.
Les garçons savent que pour garder l’estime de l’enseignant,
ils doivent réussir dans la matière, alors que les
filles savent qu’il leur suffit de continuer à être
sages pour être "aimées".
Reste à déterminer l’importance de ces effets
d’attente sur le résultat final. Les effets d’attente
semblent à la racine des différences d’évaluation
constatées et semblent extrêmement déterminants
dans les performances des élèves, filles ou garçons.
Des garçons dominants, des filles dominées
Les élèves sont à l’école dans
un monde profondément structurés selon leur sexe.
Dans l’espace classe, ce sont les garçons qui dominent.
Ils dominent l’espace de jeux, la cour de récréation.
Ils dominent l’espace didactique : ils utilisent leur savoir
pour se faire valoir, ils dominent l’espace sonore par leur
prise de parole voire par des problèmes de discipline.
La mixité renforce les comportements stéréotypés
: les garçons prennent le leadership, les filles s’effacent.
Elles retirent de la mixité une moindre confiance dans leurs
possibilités alors que les garçons confortent une
estime d’eux mêmes et toujours, un souci de stratégie
et de domination. Dans ces conditions, la non-mixité pourrait-elle
aider les filles à développer plus d’assurance
et de confiance en elles ? Mais cela ne revient-il pas simplement
à reporter le moment de confrontation plus tard dans la vie
?
C’est ainsi que l’enseignement, fortement teinté
de stéréotypes sexistes, perpétue de fait la
division sexuée des filières, des formations puis
des emplois. On assiste à une concentration de la main d’oeuvre
féminine dans certaines filières professionnelles.
Même qualifiée, cette concentration entraîne
une dévalorisation des salaires et une précarité
accrue.
Olivier Cuzon, militant syndical et pédagogique
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