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Origine : http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1810
http://www.educationsansfrontieres.org/spip.php?article2156
http://www.reseau-ipam.org/index.php
La répression en cours de l’immigration illégale
et ses divers procédés – opérations «
coup de poing », contrôles au faciès, interpellation
des enfants dans les écoles, convocations-pièges –
évoquent inévitablement, aux yeux de certains de nos
concitoyens, les années noires de 1940-1944… [1]
La répression de l’immigration illégale telle
qu’elle est conduite par le Ministre de l’Intérieur
et les divers procédés qu’elle met en oeuvre
-opérations « coup de poing » dans les quartiers
habités par les migrants, contrôles au faciès,
interpellation des enfants dans les écoles, convocations-pièges
au guichet des préfectures- évoquent inévitablement,
aux yeux de certains de nos concitoyens, les années noires
de 1940-1944 et le sombre souvenir des persécutions antisémites.
Bien entendu, sitôt que ce parallèle est explicitement
énoncé, les protestations fusent pour souligner son
caractère incongru. Les deux situations n’auraient,
assure-t-on, rien de comparable, et leur seul rapprochement serait
une insulte à la mémoire des victimes de l’extermination.
Voire… Assurément, il existe entre les deux épisodes
des différences considérables, et il serait absurde
de les nier. Cependant, sitôt qu’on cherche à
les cerner de façon précise, il apparaît qu’elles
tiennent presque exclusivement au rôle des occupants allemands
: terriblement présents et actifs en 1942, ils ont - fort
heureusement - disparu en 2006. En revanche, si l’on considère
le comportement des autorités françaises, les similitudes
sont manifestes.
En premier lieu, la présence de certaines personnes sur
notre sol est constituée en « problème »,
et tous les esprits « raisonnables » s’accordent
pour estimer que ce problème exige une solution. En 1940,
une large fraction de l’opinion, débordant de très
loin les frontières de l’extrême-droite, reconnaissait
la réalité d’une « question juive »
en France, même si des divergences profondes existaient quant
aux réponses à lui apporter. De même, de la
droite à la gauche, nos dirigeants proclament d’une
même voix que l’immigration illégale met en péril
nos équilibres sociaux et notre identité, et qu’il
faut donc la refouler, les désaccords ne portant que sur
la méthode.
En second lieu, les solutions envisagées passent toutes
par l’expulsion partielle ou totale des personnes jugées
indésirables. En 1942, cette expulsion prend la forme d’une
livraison aux autorités occupantes. En 2006, les intéressés
sont renvoyés dans des pays dont certains sont soumis à
des dictatures impitoyables, dont d’autres sont ravagés
par la guerre civile, dont tous sont marqués par le sous-développement,
le sous-emploi et la pauvreté. Bien entendu, le résultat
final est infiniment moins tragique aujourd’hui qu’hier,
mais ce qui est caractéristique, c’est que, dans les
deux cas, l’administration française se désintéresse
entièrement de ce résultat : littéralement,
ce n’est plus son affaire. On a soutenu qu’en 1942 les
autorités françaises ignoraient le sort réservé
aux Juifs par les nazis : peut-être, mais leur ignorance même
était le résultat d’une décision réfléchie
: elles ne voulaient pas le savoir. Il en est exactement de même
aujourd’hui : ce qui compte pour le gouvernement, c’est
de se débarrasser des hommes, des femmes et des enfants concernés
; sitôt la frontière franchie, il ne s’estime
plus responsable de rien et les abandonne à leur destin en
toute indifférence.
Pour expulser les gens, il faut d’abord s’assurer de
leur personne. Nous retrouvons ici la gamme des procédés
que j’évoquais en commençant. C’est que
dans ce domaine les analogies résultent de la nature des
choses ; la chasse à l’homme, surtout lorsqu’elle
est assortie d’objectifs chiffrés, implique l’utilisation
d’un certain nombre de techniques : rafles, convocations-pièges,
interpellation des enfants dans les écoles, internement administratif.
Quelles que soient les populations ciblées, le recours à
ces techniques est inéluctable dès lors qu’on
prétend à l’efficacité. Il faut d’ailleurs
admettre que, sur ce point, le Ministre de l’Intérieur
n’a guère innové par rapport à ses prédécesseurs
de l’époque de Vichy et de la guerre d’Algérie
et la police française n’a eu qu’à puiser
dans ses archives pour retrouver les bonnes vieilles méthodes.
En quatrième lieu, la mise en oeuvre de la répression
et les dérives qui l’accompagnent suscitent inévitablement
des protestations de caractère moral ou humanitaire. Face
à ces protestations, la riposte des responsables est la même,
en 2006 comme en 1942, et elle est double : d’un côté,
les autorités, nous disent-elles, ne font qu’appliquer
la loi, et les protestataires s’entendent reprocher leur incivisme.
Par ailleurs, pour désarmer les oppositions, les autorités
introduisent des distinctions à l’intérieur
de la population frappée par la répression. En 1942,
le gouvernement de Vichy déclarait séparer le cas
des Juifs français, dont il prétendait vouloir sauver
au moins la vie, de celui des Juifs étrangers, livrés
pieds et poings liés à l’occupant. De même
aujourd’hui, Maître Arno Klarsfeld, l’ineffable
médiateur promu par le Ministre de l’Intérieur,
insiste sur l’opportunité d’opérer un
tri, une sélection, entre les familles qui ont des attaches
avec la France et celles qui n’en ont pas, l’expulsion
de ces dernières n’appelant aucune objection de sa
part.
Entre 1942 et 2006, les éléments de continuité
sont donc nombreux, et il est d’autant plus légitime
de les mettre en évidence que, comme les historiens l’ont
aujourd’hui démontré, la politique anti-juive
du gouvernement de Vichy ne lui a nullement été dictée
ni imposée par l’occupant, même si elle comblait
ses voeux. C’est d’eux-mêmes et spontanément
que le gouvernement, l’administration et la police de Vichy
ont offert et apporté leur concours aux autorités
allemandes, notamment sous le prétexte proclamé de
préserver la souveraineté de l’Etat sur le territoire
national : ils ne sauraient donc excuser leur conduite au nom de
la contrainte ou de la « force majeure ». La comparaison
est donc légitime avec la politique présente, dont
l’origine « française » n’est pas
discutée.
Si les événements suivent leur cours actuel, il est
vraisemblable que les analogies iront jusqu’à leur
terme et que, dans trente ou quarante ans, des cérémonies
de repentance seront organisées pour déplorer et désavouer
la politique d’immigration pratiquée actuellement.
Plutôt que d’attendre un tel dénouement, ne serait-il
pas préférable de renforcer dès aujourd’hui
la résistance à cette politique, en attendant d’y
mettre fin dès que l’évolution de l’opinion
le permettra ?
Emmanuel Terray
Ethnologue, directeur d’études à l’Ecole
des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) [2].
Notes
[1] Article paru le 15 octobre 2006, sur le site du Cedetim :
http://www.reseau-ipam.org/index.php.
[2] Emmanuel Terray est membre de la Ligue des Droits de l’Homme.
Parmi ses publications récentes : Face aux abus de mémoire,
préface de Christian Bromberger, Arles, Actes Sud, 2006.
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